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Sauvegarder la création_ une perspective Chrétienne
Dennis Richards
Quel que soit le sujet traité, l'enseignement de la révélation est essentiel pour déterminer la perspective chrétienne: Dieu s'est révélé dans le canon des Ecritures, dans la tradition de l'Eglise, et il continue à se révéler à son peuple de nos jours. Avant de considérer les aspects éthiques du respect de la création, nous allons considérer le contexte dans lequel s'insère l'éthique chrétienne. Quel est le dessein de Dieu lorsqu'Il appelle la création à l'existence et quelle est notre espérance pour l'avenir de cette création selon la révélation biblique et la tradition chrétienne?
La doctrine biblique de la création
Les recherches bibliques ont permis de discerner, dans l'Ancien Testament, quatre récits de la création: Gn 1,1-2,4; Gn 2,5-25; Pr 8,22-31 et un 4e récit que l'on reconstitue d'après les passages de Jb 3,8; Ps 74,13-14; Ps 89,10-11; Ps 93; Is 27,1; 51,9-10; Ha 3,8. Dans ce 4e récit, Dieu combat et défait un monstre à forme de dragon appelé Léviathan, Yaur, Nahar, Tannin ou Rahab. Il s'agit la de la version syro-palestinienne d'un récit qu'on retrouve dans tout le Proche Orient ancien.
Ce que l'Ancien Testament nous présente là, ce sont donc 4 récits différents de l'histoire de la création qui sont faits en des termes correspondant à la vision du monde du Proche Orient ancien. Cependant la version juive de cette histoire diffère des autres sur un point, celui de la souveraineté divine. Il n'y a qu'un seul Dieu, et c'est par sa volonté que tout le créé existe.
Dans le Nouveau Testament, nous constatons un développement de la doctrine de la création dans les écrits pauliniens et johanniques, et dans tEpitre aux Hébreux, Aux environs du ter siècle de notre are, l'idée était courante dans le judaïsme que la Torah et aussi le nom du Messie avaient été créés avant la création du monde. Le philosophe juif Philon avait même identifié la sagesse pré-existante de Dieu (cf. Pr 8,22-31; Sg 7,30; 8,6) au principe rationnel qui sous-tend toute la création, le logos de la philosophie stoïcienne. Pour les premiers chrétiens, qui voyaient en Jésus l'accomplissement de la Loi et la source de toute sagesse, il n'y avait plus qu'un pas relativement petit à franchir pour atteindre à une christologie plus élevée, celle du Christ pré-existant, jouant un rôle dans la création.
L'Eglise primitive était alors en mesure d'en déduire le rôle du Père (Gn 1, la), celui du Fils (Jn 1,3 et 10; Col 1,16; He 1,21) et celui du St Esprit (Gn 1, lb). L'Ancien et le Nouveau Testaments présentent tout deux Dieu comme celui qui soutient la création, par ex. Ps 104; Col 1,17; He 1,3. Finalement l'Eglise, s'appuyant sur le livre apocryphe des Macchabées (2 M 7,28), arrivait à l'affirmation doctrinale que l'univers avait été créé à partir de rien (création ex nihilo).
L'eschatologie dans la Bible
Le monothéisme a toujours eu de la difficulté à concilier la souveraineté d'un Dieu bon avec l'existence du mal dans la nature. Même si cette question n'est pas traitée de manière systématique dans les Ecritures, il existe bien des passages affirmant qu'à la plénitude des temps (l'eschaton) Dieu renouvellera la création et fera disparaître le mal (Is 11,6-9; Ez 34,25-27; Is 35,1-10; Jr 3,18; Os 2,18-23). A d'autres époques, particulièrement en temps de persécutions, les écrits juifs prirent une forme apocalyptique, annonçant pour l'avenir une intervention soudaine de Dieu venant venger le juste et détruire le méchant (par ex. Is 2427; Daniel). Au temps de Jésus, la fin du monde était attendue comme imminente par certains cercles juifs. Bon nombre de penseurs grecs contemporains attendaient, eux aussi, la venue d'une ère nouvelle, si bien que juifs et chrétiens attendaient, les uns comme les autres, un changement sous forme de catastrophe. C'est dans un tel climat que les premiers auteurs du Nouveau Testament ont écrit, adoptant le genre littéraire juif de l'apocalypse. Nous constatons cela en Mc 13, Mt 24, Lc 21 et dans le livre de l'Apocalypse, ce dernier dépendant clairement du livre de Daniel. Tous ces écrits sont orientés vers le retour imminent de Jésus dans sa puissance et dans sa gloire, qui signifiera aussi la déroute finale de Satan.
Avec le temps, l'Eglise dut cependant affronter une difficulté: la parousie, en effet (littéralement: la venue) n'avait pas eu lieu du vivant des contemporains de Jésus, comme cela était prédit en Mc 13,30. L'auteur de 2 Pierre essaie d'expliquer ce retard et l'attribue à la patience de Dieu attendant que tous se soient repentis. L'évangile de Jean est remarquablement imprécis dans ses prévisions pour l'avenir, mettant l'accent sur la vie présente dans l'Esprit (par ex. Jn 17,3). L'auteur de l'Epître aux Ephésiens, de même, aspire à l'unité de toutes choses en Christ, mais sans lui attribuer cette urgence que l'on constate dans les évangiles synoptiques. Il est difficile de déterminer ce que croyait Jésus lui-même, car les paroles mises dans sa bouche par les évangélistes pourraient bien refléter la pensée de l'Eglise primitive plutôt que les vues authentiques de Jésus. Et même s'ils sont authentiques, les passages apocalyptiques pourraient refléter le simple fait que Jésus a vécu en tant qu'homme dans la Palestine du 1er siècle de notre ère, plutôt que de constituer une révélation divine des choses à venir. L'exégète du Nouveau Testament C.H. Dodd a inventé le terme de eschatologie réalisée pour exprimer l'idée que, en un sens, la fin est déjà arrivée. Dans son ouvrage: Les paraboles du Royaume de Dieu,1 Dodd analyse les paroles de Jésus sur le Royaume et arrive à la conclusion que le message de Jésus comportait la proclamation de ce que le Royaume était déjà arrivé: les derniers jours faisaient irruption dans le temps présent Dans cette perspective, le rôle des chrétiens est d'inaugurer le Royaume de Dieu dans le temps présent.
Si l'on met de côté la question de l'urgence de la fin attendue, ce qui est sûr est que Von perçoit dans le Nouveau Testament une conscience claire que la vie, la mort et la résurrection de Jésus ont des conséquences cosmiques. Dans les évangiles synoptiques, cela est représenté par la tempête apaisée et par l'expulsion des démons. Dans l'évangile de Jean, l'hymne initial reflète le début du livre de la Genèse, ce qui fait dire à John Marsh: ‘.Ce que Dieu a fait dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus Christ est bien davantage que d'appeler à Lui un nouveau peuple, un nouvel Israél, davantage même que de créer une nouvelle humanité; il s'agit, en fait, d'une nouvelle création? Enfin, dans l'Er:MI-eaux Romains, nous trouvons l'affirmation classique d'une rédemption cosmique:
« Si la création a été assujettie à la vanité, non quelle l'eût voulu, mais à cause de celui qui l'y a soumise, c'est avec l'espérance d'être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu» (Rm 8,20-21).
La doctrine de la création dans la tradition chrétienne
L'Eglise a toujours eu beaucoup de peine à réfuter les théories de certains groupes (gnostiques, manichéens, catharres, etc...) affirmant que la création matérielle était absolument mauvaise. La tradition chrétienne a reconnu la valeur de la création pour les trois motifs suivants:
1) Elle a valeur d'instrument, c'est-à-dire en tant qu'elle est utile aux êtres humains en leur permettant d'améliorer leur existence terrestre.
2) Elle a valeur d'instruction: la nature révèle, du moins en partie, la nature divine (cf. Is 6,3; Rm 1,20). Pour Luther, les aspects même les plus déplaisants de la création avaient valeur d'instruction, donnant une idée du jugement de Dieu sur l'humanité.
3) Elle a une valeur intrinsèque. Certains courants de latradition chrétienne sont représentatifs de cette conviction que la création a de la valeur en elle-même. Augustin, par exemple, attaque ceux qui dénigrent certains aspects apparemment inutiles de la création en disant:
« Ce qu'ils ne voient pas, c'est l'excellence de chaque chose dans son milieu naturel, et l'admirable ordonnance de toutes, et le contingent de beauté dont elles enrichissent, chacune en particulier, la république universelle, et l'utilité qu'elles nous pmcu- rent, si nous savons en taire un usage légitime et eclaire » 3
Il est cependant juste de dire que la théologie de la création a souvent pâti de l'emphase mise sur le salut de l'humanité. Pour le christianisme occidental, St Thomas d'Aquin allait orienter l'Eglise vers une conception plus instrumentale de la création en affirmant que seuls les êtres humains et angéliques étaient créés en état de grâce; et la philosophie de Kant allait créer un nouveau fossé entre Dieu et la nature, cette dernière étant considérée de plus en plus comme le domaine exclusif de la science.
Il existe cependant d'importantes communautés qui, au sein de l'Eglise, ont gardé la conviction que l'ensemble de la création est comme un vaisseau de la grâce divine. On trouve cette notion sacramentelle de la nature en particulier chez les orthodoxes orientaux, chez les anglicans et chez les quakers. C'est aussi un trait caractéristique de la théologie de P. Teilhard de Chardin et de Paul Tillich.
L'eschatologie dans la tradition chrétienne
Même si la dimension cosmique de l'eschatologie a été en grande partie éclipsée dans le christianisme oodental, par une notion de salut centrée sur l'humanité, elle n'en est pas moins fortement enracinée dans la tradition chrétienne. Irénée (130-210) se représentait ainsi l'accomplissement de toutes choses:
« Le Verbe s'étant fait homme, récapitulant toutes choses en Lui en sorte que le Verbe de Dieu ait la suprématie sur les choses super-célestes, spirituelles et invisibles, et qu'il puisse aussi avoir la suprématie sur les choses visibles et corporelles, assumant Lui-même la prééminence etse constituant aussi Seigneur de l'Enlise. est capable d'attirer toutes choses à Lui au moment voulu » 4
Origène, lui (186-253), croyait que la création matérielle était venue à l'existence à la suite d'une chute cosmique, et qu'elle serait restaurée dans sa gloire initiale par une rédemption cosmique qui y correspondrait.
St Thomas d'Aquin (1225-1274) présentera au contraire une espérance plus anthropocentrique et limitée pour la création non-humaine. Il affirme que la création matérielle sera récompensée pour les services rendus à l'homme, n'ayant en vue d'ailleurs que les quatre éléments et les corps célestes, La pensée catholique allait manifester de moins en moins d'intérêt pour l'espérance eschatologique concernant le cosmos, cela jusqu'à ces derniers temps et la parution des oeuvres du prêtre et paléontologiste français, Pierre Teilhard de Chardin. Celui-ci expose un vaste système métaphysique, lui permettant de voir Dieu à l'oeuvre dans le processus de l'évolution.
La dimension cosmique du salut est plus manifeste dans l'Eglise d'Orient qui, selon sa tradition, attend le retour de toutes choses à Dieu dans un processus d' apotheosis ou de déification. Dans un récent congrès orthodoxe, l'espérance pour la création était exprimée ainsi:
« On peut dire que le cosmos est comme la scène sur laquelle avance l'humanité depuis la création jusqu'à la déification. A la fin, cependant, l'ensemble de la création est destiné à devenir un monde transfiguré, car le salut de l'humanité implique néces- sairement le salut de son habitat naturel, le cosmos » 5.
En ce qui concerne la Réforme, l'accent mis par Luther et Calvin sur la relation de l'humanité à Dieu allait orienter la théologie protestante sur une voie tendant à faire presque totalement oublier le sort de la création non-humaine. Il faut dire, cependant, que Calvin prêchait la doctrine d'une restauration du cosmos. Dieu, affirmait-il, restaurera le monde présent déchu dans une condition de perfection en môme temps que la race humaine.8 Ce thème, cependant, n'a guère été développé dans la pensée protestante jusqu'à ces dernières années.
L'éthique chrétienne et le respect de la création dans la Bible
Comme le fait remarquer Rabbi Hillel Avidan (cf. p. 3), la Bible hébraïque comporte bon nombre de dispositions éthiques concernant les créatures autres que humaines (Ex 23, 4, 5, 10, 12; Dt 5,14; 20,19; 22,6,7,10; 25,4; Lv 22,27). Dans le Nouveau Testament, cependant, nous ne trouvons aucunes orientations claires sur la manière dont les chrétiens doivent se comporter envers les créatures non-humaines. En Mt 12,11 et Lc 14,5, le souci que, au dire de Jésus, l'on doit avoir d'une brebis, d'un boeuf ou d'un âne tombé dans un puits peut ne venir que du fait que l'animal a une valeur commerciale, et non de ce qu'il est digne de pitié. On peut en dire de même lorsqu'il s'agit d'abreuver un boeuf ou un âne le jour du shabbat, geste que Jésus met en contraste avec l'attitude des chefs de la synagogue face à la guérison d'une femme infirme (cf. Lc 13,15).
Ce qui est essentiel dans de tels récits est la critique d'un interprétation trop légaliste des préceptes du shabbat. Il est vraisemblable que, pendant la période de transmission orale du matériel évangélique, ce furent les aspects les plus litigieux de l'enseignement de Jésus qui furent retenus. De là les paroles de Jésus concernant les lois alimentaires, le jeune, le pardon et l'amour des ennemis. Si l'on ne trouve dans le Nouveau Testament aucun enseignement spécifique sur l'attitude envers la création, c'est peut-être parce que Jésus partageait sur ce sujet le point de vue juif orthodoxe.
En ce qui concerne l'Eglise primitive, nous ne savons pas non plus clairement quelle était son attitude par rapport à la lai juive en ce qui concerne le traitement de la création. Si l'auteur de l'évangile de Matthieu considère la fidélité à la Loi comme faisant partie intégrante de la qualité du disciple (Mt 5,17-20), St Paul, lui, considère que la grâce de Jésus Christ l'a libéré de la Loi (1 Co 9,21; Ga 3,25). En 1 Co 9,9, il reprend l'interdiction de museler un boeuf qui foule le grain, l'appliquant cette fois non plus aux animaux, mais aux moyens de subsistance nécessaires aux apôtres!
Création et éthique dans la tradition chrétienne
Dans le catholicisme occidental
Dans le christianisme occidental, St Thomas d'Aquin a eu une énorme influence en ce qui concerne l'aspect éthique du respect de la création. Dans sa Summa Contra Gentiles, il justifie la mise à mort des animaux en affirmant que par providence divine ils sont destinés, dans l'ordre naturel, à l'usage de l'homme? Dans sa Summa Theologica, il va plus loin, affirmantque la charité ne peut s'étendre aux créatures sans raison, du fait que la charité est une forme d'amitié et que l'amitié ne peut avoir pour objet un être sans raison. Le mieux que nous puissions faire envers de telles créatures, c'estde les bien traiter, comme de bonnes choses que nous désirons pour d'autres.8 Le Concile Vatican II a heureusement remis les choses en place en déclarant: «Racheté par le Christ et devenu une nouvelle créature dans l'Esprit Saint, l'homme peut et doit aimer ces choses que Dieu lui-même a créées».8
Même si Thomas d'Aquin a eu beaucoup d'influence dans l'élaboration de la doctrine catholique, St François d'Assise (1181/2-1226), le saint certainement le plus populaire en Occident, a réussi a capter l'imagination des masses. Ce que St François nous propose, c'est d'avoir de la sollicitude et un serrtimentde solidarité envers la création. Celano, l'un de ses plus anciens biographes, raconte:
« Il ordonna qu'on donne aux abeilles du miel et du très bon vin afin qu'elles ne meurent pas faute de nourriture pendant le froid de l'hiver. Il donnait à tous les animaux le nom de frère, même si, parmi toutes les espèces, les plus douces étaient ses favorites ».10
Dans le Cantique de Frère Soleil," St François nous offre un magnifique hymne de louange pour la création (ou, selon la manière dont on interprète l'italien, une exhortation à louer Dieu adressée à la création). Les légendes rapportées par les biographes dans la vie de St François (lorsqu'il fait taire les hirondelles, qu'il apprivoise le loup de Gubbio, qu'il chante en duo avec les rossignols ou donne un sermon aux oiseaux) nous offrent une vision eschatologique de la nature, rappelant le texte d'Isaïe (11,6...):
« Le loup habite avec l'agneau, la panthère se couche près du chevreau, veau et lionceau paissent ensemble...»
Armstrong 12 a fait remarquer que ces légendes n'étaient peut-être que le développement de récits similaires rapportés au sujet de saints celtiques ou de Pères orientaux. Sans vouloir être trop sceptiques, nous pouvons noter aussi que C.F. Andrews raconte une histoire récente du même genre, dans laquelle un léopard se trouve couché près du mystique chrétien Sadhu Sundar Singh tandis qu'il est en prière.13 L'attitude envers la nature dont St François a donné l'exemple a été qualifiée de «maîtrise contemplafive».14 Nous trouvons chez St Benoît de Nursie (480-550) une attitude un peu différente, que le môme auteur qualifie de «maîtrise co-opérativeii. Contrastant avec l'ascétisme souvent sévère des moines du 6e siècle, Benoît est a l'origine d'une forme de vie religieuse commune valorisant le travail manuel. Travaillant dans les champs à une époque où le travail manuel n'était guère tenu en estime, les moines bénédictins manifestaient concrètement une attitude positive envers la nature qui annonçait l'esprit contemplatif propre au monachisme celtique ou franciscain.
Dans les Eglises orientales
Quant à l'Eglise d'Orient, son attitude de révérence envers la création est évidente, et cela concorde bien avec sa vision cosmique du salut. St Isaac le Syrien écrivait:
Qu'est-ce qu'un coeur charitable? C'est un coeur qui bigle de charité pour toute la création, pour les hommes, les oiseaux, les animaux, les démons, toutes les créatures. Celui qui a un tel coeur ne peut voir ou évoquer une créature sans que ses yeux se remplissent de larmes, une immense compassion s'emparant de son coeur; un coeur qui s'est attendri et qui ne peut plus supporter de voir ou d'apprendre par d'autres qu'une souffrance quelconque la plus petite peine même, ait été infligée une créature».15
Dans la pensée protestante
Considérons maintenant comment se manifeste la sollicitude pour la création dans la pensée protestante. Même si le protestantisme européen est plutôt anthropocentrique, nous découvrons déjà chez Calvin cette notion classique que le chrétien joue dans le monde un rôle de gérance:
Nous possédons les choses que Dieu a remises entre nos mains à condition que, nous contentant d'en user avec frugalité et modération, nous prenions soin de ce qui reste... que chacun se considère comme l'intendant de Dieu face à tous les biens qu'il possède. Ainsi ne se conduira-t-il jamais de manière dissolue et ne se corrompra-t-il pas en abusant des biens que Dieu demande que l'on préserve.16
La tradition protestante nous a aussi transmis le principe du respect pour la vie qui lut celui d'Albert Schweitzer: celui-ci affirmait que notre comportement envers d'autres formes de vie doit s'enraciner dans une relation mystique. Pour ce qui est de la pensée anglicane, nous y découvrons un respect pour la création qui est bien en harmonie avec l'attitude sacramentelle qui est sienne devant la nature. Un théologien anglican du 19e siècle, F.J.A. Hort écrivait:
« Toute la vie chrétienne est sacramentelle. Ce n'est pas seulement dans l'acte sublime de la communion que nous participons aux puissances célestes àtravers des signes et des moyens terrestres. La foi qui n'est pas entretenue peut être ravivée par une plus grande sympathie pour la terre qui naît d'une plus profonde connaissance, par un amour résolu de toutes choses».17
C'est un pasteur anglican, le Rév. Arthur Broome, qui convoqua l'assemblée au cours de laquelle tut fondée la Société protectrice des animaux, société qui servit de modèle à bon nombre d'autres associations à travers le monde. Son premier président fut un quaker (Fowell Buxton), et c'est un autre quaker, Joseph Pease, qui en 1833 introduisit au Parlement britannique un projet de loi contre les mauvais traitements infligés aux boeufs et aux animaux domestiques. C'est ainsi que les quakers du 19e siècle mettaient en pratique les convictions exprimées par John Woalman dans son journal:
Comme, par son souffle, la flamme de vie se trouve allumée en tout animal, en toute créature sensible, dire que nous aimons Dieu qui est invisible et nous conduire en même temps avec cruauté envers la plus petite des créatures animée par sa vig ou par une vie qui vient de lui est, en soi, une contradiction».18
Le respect de la création dans l'Eglise moderne
L'Eglise actuelle se trouve confrontée à des problèmes éthiques sans précédents dans l'histoire du monde. Le genre humain est actuellement en mesure de manipuler le monde naturel et de créer des éléments nouveaux, des composés nouveaux et (grâce aux sciences génétiques) des organismes nouveaux. Dans bien des cas, nous ne connaissons pas encore les effets à long terme de ces nouvelles créations. Les sciences écologiques nous ont prouvé combien l'équilibre entre les espèces était délicat et combien ces dernières étaient dépendantes les unes des autres. Les études faites sur le comportement des animaux ont prouvé, par ailleurs, que nous ne sommes pas sur terre les seuls êtres intelligents. Il existe d'autres organismes capables de souffrance physique et psychologique.
Il y a aussi les problèmes sociaux liés à une distribution équitable des ressources naturelles de la terre qui vont s'épuisant. Les progrès technologiques menacent à la fais la vie sauvage et les moyens d'existence de pays qui, du fait de technologies moins sophistiquées, ne peuvent soutenir la concurrence. L'avenir môme de l'humanité et de la nature est menacé par la guerre et par l'engagement des ressources financiéres dans des préparatifs de guerres. La lien inextricable entre toutes ces réalités a été reconnu par le Conseil Mondial des Eglises lorsque en 1983, à l'Assemblée de Vancouver, il appelait à la préparation d'un Concile mondial sur la justice, la paix et l'intégrité de la création. Nous voyons par la que, au sein du mouvement oecuménique moderne, c'est à partir de l'enseignement social que s'est développé le souci de la création.
Nous résumerons la pensée actuelle de l'Eglise en disant que le genre humain se trouve doté d'une terrible puissance sur une bonne part de l'univers, et que cela le charge d'une terrible responsabilité. Celle-ci peut être considérée sous divers aspects:
1) Un aspect royal: nous sommes appelés à être les intendants, ou vice-gérants, de la création qui nous est confiée. Le Pape Jean Paul II exprime cela ainsi: «C'était la volonté du Créateur que l'homme communique avec la nature comme un maître et un gardien intelligent et noble, et non comme un exploiteur et un destructeur insouciant .I9 Ce rôle peut être comparé à celui des rois d'Israël qui exerçaient le pouvoir de manière responsable sur le peuple de Dieu,
2) Un aspect sacerdotal: nous agissons en médiateurs entre Dieu et la création. La Consultation inter-orthodoxe qui s'est tenue à Sofia en 1987 exprimait cela ainsi: «Par notre esprit et par notre corps, nous sommes appelés offrir à Dieu en retour l'ensemble de sa création comme un sacrement et comme une offrande intègre, purifiée et restaurée, afin qu'Il la sanctifie. Jurgen Moltmann s'exprime ainsi: •Considérés comme imago mundiles êtres humains sont des créatures sacerdotales et des êtres eucharistiques. Ils intercèdent devant Dieu pour la communauté de la créations 20
3) Un aspect prophétique: nous sommes appelés à percevoir l'état dans lequel se trouve la création. Jean Paul II parle de «la conscience qu'a l'Eglise, en tant qu'experte en humanité, de son devoir de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l'Evangile».21 Tels les prophètes d'Israël, nous sommes appelés à dénoncer les conséquences du péché de l'humanité qui contrarient l'accomplissement eschatologique des desseins divins sur la création.
Pour les chrétiens, c'est à travers le Christ que ce rôle s'accomplit. Unis à Lui, nous participons à son rôle à la fois prophétique, sacerdotal et royal. C'est dans un tel contexte, et dans celui d'une espérance eschatologique concernant le cosmos, révélée dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament et aussi dans l'Eglise au cours de l'histoire, qu'il nous faut actuellement élaborer une éthique chrétienne du respect de la création.
Notes
* Après avoir obtenu un diplôme en zoologie de l'Université d'Oxforcl, Dennis Richards a fait entre 1977 et 79 des recherches dans le domaine écologique à l'Université d'York. A la suite d'une profonde expérience religieuse en 1984, il a passé la plus grande partie de son temps à l'étude de la théologie de la nature. Méthodiste, il travaille actuellement à la programmation d'ordinateurs tout en étudiant les sciences religieuses à l'Université de Londres. il e publié en février 1989 un livre intitulé, Green Theology (Audenshaw Paper, The Hinksey Centre, Oxford).
Cet article est traduit de l'anglais.
1. Dodd C.H.: Les Paraboles du Royaume de Dieu, éd. du Seuil, 1977.
2. Marsh J.: St John, éd. Pelican 1968.
3. Augustin: La cité de Dieu, 11,22.
4. Irénée: Contre les hérésies 3, 16, 6.
5. Perspectives orthodoxes sur lactation. Rapportde la Consultation inter-orthodoxe de Sofia (Bulgarie) du 24 oct. au 2 nov. 1987, Conseil Mondial des Eglises, Genève.
6. Calvin J.: Commentaire sur Romains 8,21.
7. Thomas d'Aquin: Summa contra Gentiles.
8. Thomas d'Aquin: Summa Theelogica 2, 2, 25.
9. Gaudium et Spes par. 37.
10. Celano: Vita Secunda, 165.
11. Pour une analyse de ce Cantique, cf. Frizzell L.: «Thèmes bibliques dans le cantique de frère Soleil• in revue SIDIC XV-3 (1982) p. 17-20.
12. Armstrong E.A.: St Francis: Nature Mystic, Univ. of Califomia Press 1973.
13. Andrews C.F.: Sadhu Sunder Singh, éd. Hodder and Stoughton 1937, p. 87.
14. Santmire and H. Paul: The Travail of Nature, Fortress Press 1985, p. 79.
15. Isaac le Syrien: Traités mystiques, cité par Lossky V.: The Mystical Theology of the Eastern Church, éd. Clarke and Co. 1957, p. 111.
16. Calvin J.: Commentaires sur le premier livre de Morse, appelé Genèse, vol. 1, 2: 15.
17. Hm/ F.J.A.: The Way, the Truth and the Lite, éd. Macmillan 1893, cité in Montefiore (ed.): Man and Nature, éd. Collins 1975.
18. Moulton Phillip (éd.): The Journal and Major Essays of John Woolman, OUP, New York 1971, p. 28.
19. Jean Paul II: Redemptor Hominis par. 45.
20. Moltmann Jürgen: Godin Creation, SCM Press 1985, p. 190.
21. Jean Paul D: Sollicitude Rei Socialis, par. 7.