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SIDIC Periodical XI - 1978/1
Catéchése chrétienne et judaïsme (Pages 12 - 14)

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Y a-t-il une manière juive de transmettre la foi?
Colette Kessler

 

A la question posée, on pourrait presque répondre par une boutade: s'il n'y avait pas transmission de la foi, il n'y aurait pas de judaïsme! En disant ceci, j'ai conscience d'avoir cédé à l'emploi de la terminologie qui m'a été proposée, et de m'être éloignée, non seulement de la terminologie juive, mais, de ce fait, de la pensée qu'elle véhicule.

Pour le comprendre, je vous propose de réfléchir sur un texte bien connu de la littérature midrashique (Cant. Rabba I, 4 S 1) se référant à un des événements fondateurs du devenir des Hébreux, à savoir le ma'amad bar Sinaï: la révélation du Sinaï. Nous lirons ce texte dans la magnifique traduction qu'Edmond Fleg en a donné dans son livre: Moïse raconté par les Sages.

Et Dieu dit à Moïse: « Demande à Israël s'il veut ma Torah » ... Et les Hébreux dirent: « Nous la voulons, ce qu'elle ordonne, nous l'accomplirons ». « Mais, reprit Moïse, quels seront devant l'Eternel, les garants de votre promesse? » — « Que nos Anciens soient nos garants », dirent les Hébreux. « Vos Anciens vont mourir, comment seraient-ils vos garants? » — « Que nos Patriarches soient nos garants. » — « Vos Patriarches sont morts, comment seraient-ils vos garants? » — « Que nos Prophètes soient nos garants. » — « Vos Prophètes ne sont pas nés; comment seraient-ils vos garants? ». Alors, les femmes d'Israël dirent au Prophète: « Que nos enfants soient leurs garants; Dieu t'enseignera la Torah, tu l'enseigneras aux pères; ils l'enseigneront aux enfants et les enfants à leurs enfants, et les enfants de leurs enfants à leurs enfants. » Et Moïse demanda aux enfants: « Serez-vous les garants de vos pères devant l'Eternel? ». Ils répondirent: « Nous le serons ». Alors tous les Hébreux crièrent: « Nos enfants seront nos garants; tout ce qu'ordonnera l'Eternel, nous le ferons et nous l'écouterons... »

Ce midrash affirme quelque chose d'inouï: Israël acquiert sa distinction de peuple élu, il se revêt de sa vocation sacerdotale, grâce aux enfants et par les enfants. Le projet de Dieu sur le monde passe par les enfants. L'espérance née en Abraham acceptant l'Alliance, s'est vue suspendue aux lèvres et aux coeurs des petits enfants d'Israël. L'enclenchement de « l'histoire sainte », son déroulement et son ultime accomplissement se trouvent entre les mains de ceux qui n'ont à offrir que leur innocence. Ce midrash nous invite ainsi à saisir d'emblée le risque encouru par la révélation; c'est celui de l'échec, d'un échec qui se ferait jour par une rupture dans la transmission, dans une défaillance des « garants » de cette révélation. Et, du même coup, il met en lumière l'invincible espérance de tous ceux qui, de génération en génération et jusqu'à l'avènement messianique se sentiront responsables du déroulement de l'histoire.

Une deuxième remarque s'impose qui mettra en évidence l'originalité de la révélation biblique et du judaïsme. Assurés de l'acceptation des enfants, les Hébreux ne disent pas: « Nous croirons en l'Eternel », mais: « Tout ce que l'Eternel nous ordonne, nous le ferons et nous l'écouterons ». Ils s'engagent à agir, puis à comprendre. Ils sont unis par l'emounah que l'on traduit par « foi » mais qui n'est pas synonyme de croyance. L'emounah c'est la confiance, l'engagement et l'adhésion par l'acte. Cet enseignement fondamental du judaïsme est corroboré par un autre verset clé de la Torah (Gn. 18,19). Dieu dit d'Abraham: Car je l'ai connu, choisi, afin qu'il ordonne à ses fils et à sa maison après lui, d'observer la voie de l'Eternel en agissant selon la justice et le droit. »

Le foi ne s'exprime pas par l'aveu d'une croyance, la démonstration de l'existence de Dieu, ou l'élaboration de données théoriques sur son essence; la foi est témoignage de confiance et de fidélité par la réalisation d'actions justes pour bâtir sur cette terre, au fil des générations (en hébreu toldot), des engendrements, des cités de justice. La loi est décision d'accomplir les obligations de la Torah, parce que par la Torah, la Création s'achève. La foi passe donc par l'accomplissement d'actes moraux et de conduites rituelles. La foi ne se réduit pas à une relation privée entre Dieu et l'homme. Elle insère le juif dans une identité collective qu'il découvre et enracine en étudiant et scrutant les textes issus de ce Ma'amad Sinaï, de l'événement où ses ancêtres acceptèrent « l'infinie responsabilité du monde ».

Ces réflexions, non seulement préliminaires, mais aussi primordiales, nous permettent maintenant, de mieux situer dans la perspective juive la question de la transmission de la foi. Nous comprenons mieux, grâce au midrash cité, que l'existence de la communauté, en chacun des moments de son histoire était considérée comme dépendante de la diffusion de la connaissance. Qu'il nous suffise de rappeler que, lors du siège de Jérusalem, alors que le Temple était menacé d'être détruit, et avec lui le judaïsme dont il était le centre, un des plus grands maîtres de l'époque, Rabbi Yohanan ben Zaccaï sauva le judaïsme en allant créer une « Ecole » à Yavé. Un peu plus tard, Rabbi Akiba (vers 135 après J.C.) préféra mourir martyr plutôt que de cesser de commenter la Torah, dont les Romains avaient, entre autres, interdit l'enseignement. Mentionnons aussi, pour exemple, cet aphorisme percutant du Talmud (Shab. 119 b), le verset: « Ne touchez pas à mes oints et ne faites pas de mal à mes prophètes » (I Ch. 16,22) est ainsi commenté: « Mes oints, ce sont les enfants des écoles. Mes prophètes, ce sont leurs maîtres. Le monde n'existe qu'à travers le souffle des écoliers. Nous n'avons pas le droit de suspendre leur instruction, fût-ce pour reconstruire le Temple. Une ville où ne se trouverait aucun écolier sera détruite. »

Les verbes bibliques exprimant l'idée de transmission sont multiples: dire, répéter, enseigner, raconter, conter, transmettre. En proclamant soir et matin dans le Chema Israël (Dt. 6) l'Unité de Dieu, et en acceptant ainsi selon l'expression traditionnelle: « le joug du royaume des cieux », le juif énonce et accepte le commandement: « Ces paroles, tu les enseigneras à tes enfants ». Enseigner le judaïsme n'est pas un commandement, une mitzva comme les autres, mais, disent nos rabbins: « L'étude de la Torah équivaut à toutes les mitzvoth », talmud tora keneged koulam (Mishnah Peah), c'est-à-dire l'enseignement de la Torah aux enfants, aux adolescents et aux adultes est le plus important de tout les commandements du judaïsme. C'est pourquoi l'enseignement est d'abord délivré dans la famille — lieu privilégié — où dès le berceau, pourrait-on dire, chacune des observances, chacune des fêtes célébrées donne l'occasion au père, mais aussi et surtout à la mère de raconter, d'expliquer, d'illustrer par le rappel du passé les gestes du présent. Rappelons particulièrement la cérémonie familiale du Seder, de Pessah (Pâque) où le récit « mimé » de la sortie d'Egypte se fait comme en dialogue entre le père et les enfants qui ont spécialement le devoir et la possibilité de poser des questions et de prendre aussi une part active à cette cérémonie centrale de la liturgie familiale.

L'organisation d'un enseignement obligatoire dans le judaïsme à tous les échelons, primaire, secondaire, supérieur, remonte à des temps très anciens (vers la première moitié du ler siècle après Jésus-Christ) et certains des moyens pédagogiques alors en vigueur ne semblent pas tellement dépassés: l'enseignement pour 25 enfants, s'il y en avait plus, il devrait y avoir un assistant; au dessus de 40 enfants, il fallait ouvrir une seconde classe. De même ceux donnés (fin du XIIème siècle) par un certain Joseph Judah Ibn Aknin de Barcelone: le bon enseignant doit maîtriser totalement son sujet; il doit appliquer dans la vie les principes qu'il doit inculquer à ses élèves; il doit s'occuper de ses élèves comme si c'étaient ses propres enfants. Bien évidemment, cet enseignement n'était obligatoire, et parfois même n'était autorisé que pour les matières juives: Bible, Mishnah, Talmud, et ceci en hébreu. Remarquons que, de l'enseignement le plus élémentaire comme celui de l'alphabet, en passant par celui de la Torah, jusqu'à celui du Talmud, on avait soin de mettre en évidence l'aspect moral et éthique fondamental du judaïsme. Ainsi, nous dit un texte du traité Shabbat (104 a), l'ordre de l'alphabet était enseigné en attribuant à la succession des lettres, des vertus morales comme par exemple « guimel et daleth » qui signifient: « Sois bienfaisant (guimel) pour le pauvre (daleth). Pourquoi le pied de guimel est-il tourné vers daleth? Parce que l'homme bienfaisant court après le pauvre... »

Autre exemple: Pourquoi dans l'étude de la Torah, les enfants commencent-ils par le Lévitique et non par la Genèse? Le Saint (béni soit-il) a dit: « Puisque les enfants sont purs et que les sacrifices sont choses pures, que les purs commencent à s'occuper des choses pures » (Lev. Rabba 7,3).

Aujourd'hui, les circonstances de l'existence juive ont fondamentalement changé. En accédant à la modernité après l'émancipation, beaucoup de juifs avaient voulu vivre en Israélites plus ou moins assimilés, oubliant ainsi les trésors de leur passé qui pouvaient leur permettre de mieux affronter le présent. Mais les événements traumatisants ou exaltants qu'ils ont vécus dans ces dernières trente années leur ont fait reprendre conscience de la nécessité de redécouvrir leur identité juive. Ils ont alors compris que, faire donner à leurs enfants un enseignement juif le plus sérieux possible, même si le temps qui lui est réservé est relativement restreint (3 ou 6 heures par semaine), est aujourd'hui, plus encore qu'hier, un impératif majeur. Certes, vivre selon la Torah ne va plus de soi. Les enfants et les jeune d'aujourd'hui sont souvent témoins d'une actualité qui les attire, les effraire, les happe ou les rejette. Ils ont plus que jamais besoin de « trouver un sens à la vie -t à l'être », et par conséquent de retrouver des maîtres, qui leur permettront de « revenir aux livres ». Mais parfois, ils ne savent pas ce qu'ils cherchent, ou ne le savent pas encore. De ce fait, ils ont besoin de trouver des enseignants conscients de la nécessité de ne pas être seulement ceux qui transmettent des connaissances. Il leur faut amener leurs élèves à une réelle prise de conscience en ayant compris que « la vie spirituelle n'est pas dans les réponses mais dans les questions » (E. Levinas, Difficile Liberté, Albin Michel, 1963).

Face à l'inéluctable tension entre les mutations du monde juif contemporain et l'exigence retrouvée d'un enseignement qui s'enracine, se fonde et se justifie sur les grands textes du judaïsme, les enseignants doivent avoir présents à l'esprit quelques-uns des objectifs qu'ils doivent se proposer. Par exemple: éveiller chez ces enfants le sentiment d'un attachement au peuple juif en les rendant conscients et responsables de leur rôle de maillon actif dans la chaîne de la tradition; leur transmettre l'amour de l'étude juive et spécialement de l'hébreu qui est la langue de la Bible, qui demeure le véhicule de toute la pensée juive; les sensibiliser au fait que le judaïsme n'est pas seulement une culture, mais que c'est aussi une certaine manière de vivre et de penser; les aider à comprendre que leur destin d'homme ou de femme passe par leur prise en charge active et heureuse de leur singularité et de leur responsabilité de juifs; leur expliquer les liens existentiels qui unissent les juifs de la diaspora et ceux d'Israël; les aider à trouver les moyens d'un dialogue le plus fraternel possible avec les enfants et les jeunes non-juifs qui les entourent.

Certes, certaines techniques d'enseignement ont changé, mais si l'atmosphère créée dans une classe est d'une grande importance, l'emploi plus ou moins répandu des moyens audio-visuels importe peu. Ce qui compte toujours, c'est la personne de l'enseignant, l'authenticité de son engagement et son aptitude à « faire parler » les textes du passé, à susciter les questions pour qu'ils délivrent un sens pour le présent, car la Bible et ses commentaires ne livrent pas de réponses dogmatiques Ils sont prégnants des questions des hommes de tous les temps, et doivent les stimuler dans leur recherche de la vérité. Enfin, et cela n'est pas toujours le plus aisé en milieu plus ou moins assimilé, il faut faire prendre conscience aux enfants et aux adolescents de l'exigence et du sens de la mitzva. La mitzva, le commandement qui peut être rituel, est le symbole des exigences les plus fondamentales de la Torah — elle est, selon l'expression d'Abraham Heschel le « lieu où la terre et le ciel se rencontrent ». Accomplir les mitzvoth, c'est mettre en action les connaissances acquises et surtout élaborer un mode de vie qui réponde au projet de Dieu.

Susciter chez les enfants et les jeunes l'amour de l'étude et le goût de la mitzva, c'est avoir tenté de leur « transmettre la foi ». Développer et préserver l'éducation, c'est permettre à nos enfants, aujourd'hui comme hier, d'entendre la Parole du Sinaï et de dire à leur tour: « Nous serons vos garants ».

 

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