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SIDIC Periodical XXX - 1997/1
Le Séder pascal (Pages 12 - 13)

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Les Chrétiens devraient-ils célébrer le Séder?
Rabbi Dow Marmur

 

Lorsque des conférenciers sur le Judaïsme s'adressent à des groupes de chrétiens, il est courant qu'ils apportent avec eux des éléments visuels qui leur permettent d'illustrer leur propos: une corne de bélier à l'occasion du Nouvel An juif, une branche de palmier lorsqu'ils parlent des Tabernacles, des épices pour expliquer la cérémonie familiale concluant le Sabbat.
Les plus populaires de ces illustrations sont les symboles du repas de la Pâque Juive, le Séder: l'os du jarret qui rappelle l'offrande de l'agneau Pascal, l'oeuf brûlé qui représente le second sacrifice de la fête, les herbes amères qui rappellent l'âpreté du séjour des Israélites en Egypte, l'eau salée dont le goût rappelle les larmes, le charoset (un mélange de pomme, d'amandes et de vin), dont l'aspect évoque le mortier avec lequel les esclaves devaient construire les pyramides, et surtout, la matsah et le vin qui la plupart du temps sont distribués dans l'assemblée afin de donner "un avant-goût de la Pâque Juive".
A chaque fois que l'on me demande d'apporter de tels objets avec moi, je refuse, non pas parce que je souhaite priver les Chrétiens de cette expérience du Judaïsme, mais parce que je suis convaincu que ce type d'explication simpliste transmet une expérience fausse. En réalité, cela n'apporte pas plus que de distribuer du vin et des hosties à une audience juive pour leur donner un "avant-goût de l'Eucharistie".

Revivre l'Exode chaque année
Le fait que l'Eucharistie trouve peut-être ses origines dans le Séder célébré par Jésus est plus révélateur des différences entre les deux religions que de leurs similitudes. La seule façon dont les Chrétiens peuvent ignorer ces différences est en voyant dans ces célébrations de la Pâque Juive l'expression d'une tradition bizarre de temps anciens plutôt que de les voir de la manière qu'ils sont voulu: revivre chaque année dans l'aujourd'hui l'Exode depuis l'Égypte qui devient ainsi un paradigme de l'histoire des Juifs.

Le livre dont on se sert pendant le Séder, la Haggadah, est un Midrach (l’exégèse juive) sur l'Exode, et non pas une narration de l'histoire. Le but du Midrach est de combler l'écart qui existe entre des évènements du passé et la réalité présent. Pour un juif, l'Exode représente le début de la Rédemption et chaque célébrant se doit d'appliquer cette expérience à lui-même et à elle-même.
Revivre l'Exode a pour but de nous préparer à la Rédemption finale, aux temps messianiques reflétés dans le Séder par la coupe de vin supplémentaire sur la table - pour le prophète Elie, celui qui, d'après la tradition juive, annoncera l'avènement du Messie. Notre Rédemption a commencé en Égypte et pourrait trouver sa conclusion très prochainement. C'est pour cela qu'Elie peut apparaître à tout moment, et ceux qui célèbrent le Séder doivent être prêts à le recevoir.

Créer un environnement
Ces cérémonies bizarres que les Chrétiens semblent tant apprécier sont en effet des apports visuels, mais ils ne sont pas là pour illustrer le Judaïsme tel qu'il était du temps de Jésus. Leur but est de créer un environnement pour le Midrach, et celui qui est choisi est celui d'un symposium classique avec un repas au cours duquel les participants échangent sur des sujets sérieux.
C'est pour cette raison que ces symboles sont étalés sur un plateau et que le célébrant doit se pencher à gauche (à la façon des Romains libres) pour indiquer qu'après l'Exode, le Juif, lui aussi, est libre.
La connexion chrétienne entre Pâques et la Pâque Juive semble être un autre Midrach sur l'Exode et la Rédemption. Nous en savons maintenant suffisamment sur le Midrach pour ne pas vouloir adjuger une fois pour toutes lequel est authentique et lequel est faux. Tout ce que nous pouvons dire est qu'ils sont différents et que leurs différences proviennent du fait que les Juifs et les Chrétiens doivent bâtir des passerelles diverses afin de relier le passé au présent.

Ce n'est pas une relique bizarre
Voir dans la Pâque Juive une relique bizarre de la façon dont le Judaïsme était vécu du temps de Jésus ne consiste qu'à retirer à cette célébration toute pertinence contemporaine.
Conformément au véritable esprit de dialogue entre les religions, il est plus utile et plus sain pour les représentants de ces deux religions d'apprendre du Midrach de l'autre, plutôt que d'essayer d'incorporer l'un dans l'autre.
C'est pour cette raison que je préfère parler de la place qu'occupe la Pâque Juive aujourd'hui dans la vie des Juifs y compris les nombreux ajouts et allusions contemporains effectués dans les différentes versions de la Haggadah en circulation aujourd'hui, plutôt que de mettre l'accent sur des symboles des temps anciens. Ce qui est important est ce que ces symboles représentent de nos jours pour chacune de ces religions.

Des symboles exprimant des choses différentes
Le fait que les Chrétiens utilisent de la matsah et du vin à Pâques et les Juifs de la matsah et du vin pendant la Pâque Juive, indique sans aucun doute une origine commune. Mais ce qui est significatif est d'observer comment ces différents symboles ont été amenés à exprimer des choses différentes dans les deux religions, indiquant des notions totalement opposées à propos de l'ère messianique. L'étude des différentes traditions du Midrach représente probablement une contribution plus importante au dialogue entre Chrétiens et Juifs qu'une réflexion sur des origines communes.
Ces pour de telles raisons que j'ai été réticent à prendre un rôle de leader, ou même de "consultant", au cours de célébrations chrétiennes du Séder, non pas parce que je les estime représenter quelque offense que ce soit vis à vis du Judaïsme mais plutôt parce que je crois qu'elles peuvent donner une fausse idée de la réalité.
En même temps, j'ai néanmoins toujours essayé d'inviter des chrétiens à assister à un Séder chez moi, et j'ai encouragé d'autres juifs à faire de même car le fait de participer aux célébrations des autres, plutôt que de les imiter, est un moyen de créer des liens étroits.
De la même manière, je suis opposé aux célébrations de Noël dans des maisons juives mais j'encourage les Juifs à accepter les invitations de leurs amis chrétiens à célébrer Noël avec eux. Découvrir le Midrach de l'autre permet également de découvrir le sien, mais fusionner les deux dans un continuum ne fait que créer la confusion dans les esprits.


* Dow Marmur est un rabbin de haut rang au temple Holy Blossom de Toronto dans l'Ontario. Il est un des plus importants leaders du Judaïsme réformé. Traduction d'un article paru dans le Catholic New Times.

 

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