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La Revue SIDIC et le dialogue interreligieux (1967-2002)
Kelly, Mary
En un sens, tout dans Sidic concerne le dialogue. Sidic est un fruit de la Déclaration Nostra Aetate promulguée par le Concile Vatican II, texte qui apparaît comme un point-charnière dans la compréhension que l’Eglise a de son identité et de sa relation au peuple juif et au judaïsme. Près de quarante ans plus tard, il semble providentiel que la tempête que ce texte a soulevé au Concile ait abouti à un document qui a pour titre « L’attitude de l’Eglise à l’égard des religions non-chrétiennes » et qui contient des paragraphes sur le bouddhisme, l’hindouisme et l’islam en même temps que le paragraphe plus long sur le judaïsme.
Les chrétiens en général, et, on peut le dire vraiment, l’Eglise entière avaient tellement d’erreurs à rejeter et des vérités à apprendre au sujet du judaïsme – en même temps qu’il fallait, et c’était difficile, reconnaître nos fautes à l’égard de la communauté juive vivant au sein d’une société chrétienne – que les premiers numéros de Sidic traitent principalement des relations entre juifs et chrétiens. Naturellement, c’est déjà un dialogue interreligieux, et c’est la clé pour comprendre la relation avec les autres religions. Ainsi, dès ses débuts, Sidic a mis l’accent sur le dialogue.
Les réactions de l’Eglise à la Déclaration Nostra Aetate ont été encourageantes, et peu à peu les juifs ont pu commencer à faire confiance à ses motivations et à ses intentions. Cependant il y a eu des pas en arrière : face à la guerre des Six jours (1967), l’attitude des chrétiens et le silence de la hiérarchie ont été déconcertants pour les juifs ; les remous dans l’Eglise et les explosions d’antisémitisme en Europe appelaient aussi à agir. Cependant nous avons eu les excellentes « Orientations et suggestions pour l’application de la Déclaration conciliaire Nostra Aetate (n°4) », publiées en 1974, qui posaient clairement que le dialogue implique « d’apprendre comment l’autre se définit lui-même » et de ne pas en rester à nos définitions ou à quelque image héritée du passé. Depuis, on a compris de plus en plus les exigences du dialogue et sa nécessité pour que la paix advienne parmi les nations.
Dans les années 1970
Dans les années 70, on a pris conscience de la croissance des communautés musulmanes dans beaucoup de pays de l’Occident, ce qui commençait à modifier la société européenne. Les problèmes du Proche-Orient ont alerté juifs et chrétiens sur la nécessité de comprendre et de prendre en compte ce nouvel élément. On peut trouver des signes de cette évolution dans les articles de Sidic durant les presque quarante années de sa publication.
L’ « Etude sur la mission et le témoignage de l’Eglise » du professeur Tommaso Federici (Sidic Vol. XII, n°3, 1979), présentée à la sixième rencontre du Comité de Liaison entre l’Eglise catholique et le Comité juif pour les consultations interreligieuses, dit l’estime de l’Eglise pour les valeurs des autres religions et son désir de les connaître et de dialoguer avec elles. Ce texte explique ce qui a été le progrès le plus décisif dans l’évolution de la théologie et dans la compréhension de l’action de Dieu dans la vie de l’humanité et dans ses expressions religieuses.
Depuis 1979, on voit grandir l’intérêt pour le dialogue interreligieux dans les articles, les documents et les informations, qui témoignent d’un mouvement parallèle dans la société. Au huitième Comité de Liaison international (octobre 1979), les thèmes étudiés ont été : la liberté religieuse et l’éducation au dialogue ; les n° 2 et 3 du Vol. XIII, 1980, en ont rendu compte.
Dans les années 1980 – 1990
Durant ces années, l’évolution des peuples et des communautés montre que la société devient de plus en plus pluraliste et interdépendante. L’augmentation de la violence et la lutte pour la défense des droits de l’homme au sein des nouvelles minorités font comprendre que l’avenir de l’humanité dépend d’un monde plus attaché à la justice et à la paix ; Sidic reflète ce mouvement d’idées et y participe.
Abraham, le père des croyants, que juifs, musulmans et chrétiens revendiquent comme leur ancêtre commun, était le sujet du n°1 du Vol. XV, 1982. Sous le titre de « Perspectives », un article décrit les débuts de ce qu’on appelle le trialogue juif-chrétien-musulman, avec quelques-unes de ses démarches.
Dans le Vol. XVI, n°2, 1983, intitulé Le Témoignage : aspects juifs et chrétiens , Cos Schoneveld voit comme principale tâche pour le judaïsme, le christianisme et l’islam, d’arriver à développer une conscience de soi qui reconnaisse la validité des autres religions, car leur vocation à toutes est d’établir justice et paix sur la terre.
Violence et paix, titre du n°1 de 1988 (Vol. XXI), contient des articles importants pour la communauté mondiale à laquelle aspire le dialogue interreligieux. Je choisis celui de Ernesto Balducci, qui traite de la nécessité de passer d’une culture de guerre à une culture de paix si l’humanité doit survivre au changement culturel introduit par la découverte de l’énergie nucléaire. Les manières traditionnelles d’interpréter la Bible (lecture idéologique, moraliste, spiritualiste) ne sont plus adaptées à cette nouvelle situation ; on a besoin d’une nouvelle herméneutique qui tienne compte de cet actuel tournant de l’histoire dans lequel une culture de paix est la seule vraie condition de la survie de l’humanité. Aujourd’hui le commandement biblique « Choisis la vie » concerne la vie même de l’espèce humaine. Le dialogue entre les religions du monde pourrait être une préfiguration de cette nouvelle humanité unifiée.
Dans les années 90, le n°3 du Vol. XXV, 1992, avait pour titre L’étranger parmi nous. Le message de la Bible, comme de la Tradition rabbinique, toujours actuel, est clair : l’amour seul peut faire que le rêve prophétique de l’ultime shalom devienne une réalité.
Juifs, chrétiens et musulmans partagent une foi commune en Dieu ; ils ont la même conception du monde et de la vocation de l’homme dans le monde et ils se réclament tous de la paternité d’Abraham. On pourrait s’attendre à ce qu’ils aient entre eux des relations étroites ; mais en réalité elles sont marquées par l’ignorance et le soupçon, et quelquefois par l’hostilité et la violence. Le n°2 du Vol. XXVI, 1993, traite de ces relations et de leurs exigences d’hier et d’aujourd’hui. Alors qu’elles devraient être un modèle de dialogue interreligieux, elles sont une menace pour la paix du monde. Sidic cite des initiatives prises dans différents pays pour changer cette situation, notamment le remarquable Neve Shalom (Oasis de paix), rêve du dominicain Bruno Hussar : dans ce village de paix, des familles juives et musulmanes vivent et travaillent ensemble pour la paix en Israël ; et elles organisent une « Ecole pour la Paix » où viennent de jeunes juifs et musulmans d’Israël qui partagent ces aspirations.
Abraham J. Heschel fut un maître incomparable, savant et mystique. Le n°3 du Vol. XXVII, 1994, montre que, à ses yeux, la diversité religieuse est voulue par Dieu et le pluralisme représente l’effort difficile de la société pour accueillir et estimer ce qui fait sa richesse. Le dialogue entre les religions est absolument vital dans la pensée de Heschel et en découle. Il reste un grand maître pour aujourd’hui.
En même temps qu’il décrit les possibilités et les limites du dialogue entre les religions, le n°2 du Vol. XXVIII, 1995, qui commémore le trentième anniversaire de Nostra Aetate, revient sur l’histoire de ce texte : partie de la lutte, importante et toujours actuelle, contre l’antisémitisme, elle en est arrivée à atteindre les relations de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes. Nous avons encore beaucoup à apprendre du premier schisme dans le contexte de ceux qui ont suivi. Nostra Aetate est un document qui a une vie et une histoire.
Transformations par le dialogue est le titre du n°1 du Vol. XXXIII, 2000. De cette transformation, ce qui se passe entre l’Eglise et le peuple juif depuis le Concile Vatican II est un exemple remarquable. Ce numéro de la revue donne plusieurs témoignages personnels. Les efforts des penseurs cherchent à passer d’une théologie de substitution et de remplacement à l’estime, à l’appréciation et au respect de l’autre. L’éducation à tous les niveaux et le dialogue sont toujours les moyens les plus puissants pour atteindre ce but. Le n°2-3 du Vol. XXXV, 2002, donne le texte du Décalogue d’Assise pour la paix, qui a été proclamé par les représentants des différentes confessions religieuses à la fin de la journée de prière pour la paix.
Conclusion
Le dialogue entre les religions du monde est relativement jeune. On est encore en train de découvrir à quoi il tend et ce qu’il exige. Cependant il a déjà évolué d’un simple échange de paroles vers un niveau plus exigeant et plus profond. Deux noms ressortent : Martin Buber peut être présenté comme « l’homme du dialogue » ; ses écrits et son action sont bien connus. Pour lui, vivre, c’est rencontrer « l’autre » dans une relation « Je – Tu ».
Le second, plus récent que Buber, est Emmanuel Levinas : pour lui, c’est dans le visage de « l’autre » que l’on découvre le visage de Dieu ; et c’est dans cet « autre » qu’on discerne la révélation. Chacun de nous est, dans les termes de Levinas, « otage pour l’autre ». En découvrant cette grave responsabilité, nous sommes confrontés au mystère de la Révélation. Levinas trouvait un parallèle à cet enseignement dans les paroles de Jésus en Mt 25.
Bien que ces deux noms aient été mentionnés dans Sidic, il n’y a pas eu d’articles marquants sur leur pensée. Peut-être ce sera fait dans un autre numéro.
On a rappelé qu’Abraham peut être considéré comme le modèle du dialogue interreligieux. Dans la tradition juive, il est le destructeur des idoles, mais il a accueilli et nourri l’étranger ; et c’est en le faisant qu’il a accueilli le Seigneur son Dieu.(1)
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* Mary Kelly, religieuse de Notre Dame de Sion a co-dirigé le Centre de relations judéo-chrétiennes de Londres. De 1988 B 1997 elle a été responsable de l’édition anglaise de Sidic. Elle fait maintenant partie de l’équipe du Sion Centre for Dialogue & Encounter ouvert cette année par les SÉurs de Notre Dame de Sion B Londres.
Texte traduit de l’anglais par M.D. Gros nds
1. Bereshit Rabba ; Midrash ha Zohar.
François de Béthune osb, Par la foi et l’hospitalité, Saint André (Belgique), Cahiers de Clerelande n°4, 1997.