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Enseignement et éducation - L'enfant doit-il a avaler la baleine?
Mary Travers
— Il y a bien longtemps, alors que l'enseignement biblique était encore très fondamentaliste, je me souviens avoir participé à un concours de poésie. Le gagnant, qui avait choisi son sujet, récitait avec aplomb un petit poème bien connu décrivant, avec maints détails comiques, les efforts de Jonas pour contraindre la baleine à le rejeter sur le rivage. Je me souviens de ce détail parmi d'autres: il s'était agrippé des deux bras aux molaires de l'animal et faisait une sorte de gymnastique, prenant la langue du monstre pour tremplin! Avec le recul, je vois dans ce poème un excellent antidote (qu'il ait été intentionnel ou non) contre cet enseignement qui traitait l'histoire de Jonas comme de l'Histoire véritable et nous faisait passer par des doutes terribles: Comment, en effet, soutenir la véracité de la Bible, alors que le Détroit de Gibraltar semblait rendre physiquement impossible l'existence de baleines dans la Méditerranée!
— Bien de l'eau a coulé depuis sous les ponts (ou dans la Méditerranée)! On explique maintenant les genres littéraires, et l'Ecriture est présentée comme a la Parole de Dieu exprimée en mots humains», et cela dès que tentant est en mesure de saisir qu'une même vérité peut être exprimée sous diverses formes... et parfois mieux par une image poétique, une fiction recelant une vérité de vie, que par le simple exposé de faits vérifiables. La question: « Est-ce que c'est vrai?» devrait signifier bien autre chose que simplement: « Est-ce que cela s'est vraiment passé exactement de cette manière?»
— Au plan purement humain, le livre de Jonas est une délicieuse fiction centrée autour d'un « antihéros» qui ne cesse d'être déplaisant, personnage centré sur lui-même, susceptible, à l'esprit borné, où même l'enfant pourrait bien se reconnaître parfois. Il nous arrive souvent, comme Jonas, d'essayer d'échapper à une tâche qui nous déplaît, de ne pas vouloir reconnaître nos torts avant d'y être forcés par les circonstances, de n'accepter de remplir une tâche qu'à la seconde ou à la troisième injonction, et cela de mauvais gré, en rechignant, de ne pas supporter d'être pris pour des fous, de faire passer notre bien-être avant celui des autres etc... Ce récit peut être le point de départ d'un bon examen de conscience. très concret, et cela en toute période de l'année (car notre «Jonas» intérieur, tout comme le pauvre, est toujours avec nous). même si les temps les plus indiqués sont, dans le calendrier juif comme chrétien, les temps pénitentiel. L'article de J. Magonet pourrait orienter dans cette ligne et aider à composer un rite pénitentiel qu'on célebrerait à l'école ou à la maison. La présentation par Th. Michel de «Jonas dans le Coran» aborde le sujet plus large de la miséricorde et du pardon divins qui sont, dans ce même contexte, les voies de la pénitence.
— Comme le fait remarquer B. Standaert, le livre de Jonas est l'un de ces récits qui ont contribué à la formation de Jésus alors qu'il était enfant et se rendait à la synagogue avec ses parents, dans la petite ville galiléenne de Nazareth. Il n'est donc pas étonnant que, plus tard, il se soit reconnu dans ce prophète galiléen du Royaume du Nord plutôt qu'en d'autres prophètes célèbres liés, eux, à Jérusalem et au Royaume du Sud. Les catéchistes et les éducateurs devraient lire attentivement cet article de B. Standaert, parce qu'il montre bien les relations qui existent entre le livre de Jonas et l'enseignement de Jésus, Trop souvent, certaines paraboles de Jésus ont, pour les enfants, été vidées de leur sens bien avant qu'ils soient en âge d'en apprécier la véritable signification: Lorsqu'ils ont 5-6 ans, on leur fait jouer la scène de l'Enfant prodigue, mais ils ont de la chance si on les aide à voir là l'histoire d'un père plein d'amour attendant le retour de l'enfant désobéissant qui a quitté la maison dans un accès de colère et a passé l'après-midi à bouder au fond du jardin! J'ai vu des enfants plus grands déployer, malheureusement, tant d'énergie à représenter l'Enfant prodigue en train de dépenser son argent dans une vie de plaisir qu'ils n'avaient pour ainsi dire pas un regard pour le Père, attendant avec patience, tandis que son fils apprend au prix d'une dure expérience que l'amour véritable (et donc le bonheur) ne peut s'acheter et qu'il est pur don. Trop souvent,. lorsqu'on mentionne cette parabole, la réaction est celle de l'ennui: a Oh! on la connaît déjà ». Dom B. Standaert suggère une approche nouvelle, lorsqu'il fait remarquer une similitude de relations « triangulaires », formant le tissu à la fois des deux paraboles et du livre de Jonas. Les jeunes peuvent se sentir engagés dans le drame et découvrir qu'ils se trouvent du côté du 3e personnage, celui qui est mécontent et met en question; ils peuvent se sentir appelés à prendre, avec Jonas ou le frère aîné, une décision qui pourrait transformer radicalement leur attitude envers autrui.
— On peut comparer de façon superficielle la Résurrection de Jésus le 3e jour à la sortie de Jonas des entrailles du gros poisson: Il est bon, certes, d'encourager les enfants à reconnaître le a signe de Jonas» dans l'événement de la Résurrection mais, comme le montre bien B. Standaert, il y a là tellement plus qu'une simple similitude d'images!
— Jonas .ne donne pas un signe, il est un signe. Jésus est un signe, parce qu'il donne sa vie jusqu'à la mort. Etudier le livre de Jonas en parallèle avec des textes comme Mc 4,35-41; Mt 12,38-40 et 16,21 peut donner une nouvelle dimension à notre catéchèse de préparation au Triduum pascal.
— Jonas est donc a chacun de nous », le miroir de notre moi pécheur et un puissant appel au repentir. Jonas est en chacun de nous le a frère aîné » qui résiste à l'invitation du Père à se réjouir du retour de son frère égaré. Jonas, le prophète, nous aide à comprendre comment un messager peut s'identifier à son message; il est son propre message, parce que celui-ci est inscrit dans sa chair: «II ne sera pas donné d'autre signe que celui de Jonas» (Mt 12,39).