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Alliance, Torah et pèlerinage des nations au Mont Sion
Norbert Lohfink
Au cours d'un petit colloque à Rome, en 1989, le Professeur Norbert Lohfink a donné une conférence intitulée: L'Alliance et la Nouvelle Alliance de Jérémie dans le canon chrétien et dans la Bible hébraïque. Sa conclusion était que le terme de « nouvelle alliance » en Jérémie 31,31 ne désignait pas une alliance différente de celle du Sinaï, mais plutôt de nouvelles initiatives divines succédant à des crises dans l'histoire d'Israël L'une de ces crises fut l'exil de Babylone, et la promesse faite par Jérémie d'une « nouvelle alliance » eut, dans le retour des exilés, un début d'accomplissement. Ce qui constitue un élément de continuité dans toutes ces initiatives, c'est leur lien avec la Torah. Le texte ne parle pas d'une « nouvelle » Torah, mais d'une Torah « dans le coeur ». Le Nouveau Testament reprend ce texte de Jérémie dans le contexte de la dernière Cène de Jésus. Au lieu de porter toute l'attention sur le problème de la relation entre les alliances, le Prof. Lohfink suggérait de réfléchir sur la Torah, de se demander comment se situent les chrétiens par rapport à cette Torah, qui reste inchangée dans la Nouvelle Alliance annoncée par le texte de Jérémie. N. Lohfink a poursuivi cette étude au cours de la rencontre d'Ammerdown, en janvier 1991, dans la conférence dont nous reproduisons ci-dessous le texte.
Dans certains passages de la Bible hébraïque, nous trouvons comme une constellation de deux « alliances » qui se complèten l'une l'autre. Selon la tradition sacerdotale de la Bible, Dieu établit l'alliance noachique pour l'ensemble des créatures humaines et animales, et l'alliance avec Abraham pour Israël. A part ce doublet, cependant, l'« alliance » est une prérogative d'Israël; et la « Torah », elle aussi, semble être associée à Israël seul. En serait-il différemment pour la « nouvelle alliance » qui, en Jérémie 31, 31-34, est promise pour des « jours qui arrivent bientôt »? Là encore, cependant, le texte est sans équivoque.
Voici des jours qui viennent — c'est le Seigneur qui parle — où je conclurai avec la maison d'Israël et la maison de Juda une alliance nouvelle. (Jr 31,31).
Ainsi, lorsqu'il parle de cet avenir imminent, Jérémie ne mentionne qu'Israël seulement: il n'est pas question ici des « nations »; et il en est de même dans les passages suivants: Jr 32, 37-41; 50, 4-5; Ez 16, 59-63; 34, 23-31; 37, 21-28, passages qui traitent aussi d'une alliance à venir.
Quant, au texte essentiel concernant le pèlerinage des nations, il se présente comme si celles-ci, montant au Mont Sion dans « les derniers jours », n'étaient appelées qu'à y adorer le Dieu d'Israël et à y apprendre à établir la paix entre elles Os 2, 2-5, Mi 4, 1-4). Ce second aspect pourrait bien être en lien avec le thème noachique, mais il n'est pas fait mention ici d'une « alliance ».
En quelque lieu que ce soit, quand le dialogue judéo-chrétien devient théologique, il se centre assez souvent sur le terme d'« alliance ». Nous ne nous rendons souvent pas compte, nous chrétiens, combien cette conviction qui est nôtre (et qui nous paraît aller de soi) d'être enracinés dans la « nouvelle alliance » annoncée par Jérémie peut sembler étrange à nos partenaires juifs.
La question se pose, par exemple, de savoir si le passage de Jérémie parle réellement d'un événement « messianique » plutôt que d'une réalité qui trouverait assez vite son accomplissement dans l'histoire d'Israël et qui pourrait encore s'accompli- bien des fois (1); mais outre cette question, il y a aussi le fait que nulle part, en aucun des textes bibliques annonçant un pèlerinage des nations au Mont Sion, il n'est fait mention d'une intégration des nations dans l'alliance d'Israël, au Mont Sion.
Chaque fois que nous, chrétiens, appliquons malgré cela la promesse du livre de Jérémie aussi aux nations, nous le faisons parce que le Nouveau Testament lui-même le fait: celui-ci élargit en effet la Nouvelle Alliance (selon une conviction qui remonte à Jésus) à tous ceux qui se joignent à Jésus, même s'ils viennent des nations; et c'est avec les paroles de Jérémie 31 qu'il interprète la Cène du Seigneur, qui est célébrée par tous les chrétiens et pas seulement par les judéo-chrétiens. Si l'on fait remonter historiquement à Jésus le terme de « nouvelle » dans les paroles de l'institution, au cours de la dernière Cène, et si dès l'origine on considère cette dernière Cène dans un horizon de peuples s'étendant au-delà d'Israël, c'est que Jésus lui-même a déjà compris de cette manière le passage de Jérémie. Sinon, ce sont alors du moins ses disciples qui l'ont compris ainsi.
Théologiquement parlant, nous pourrions bien vivre, nous autres chrétiens venus des nations, avec le fait que l'universalité de la Promesse ne se soit manifestée qu'avec son accomplissement; et en réalité certains théologiens chrétiens, qui ne doutent nullement que la Bible d'Israël se soit elle-même déjà exprimée en termes d'universalisme, affirment souvent que le Nouveau Testament est le premier à universaliser l'Ancien.
En ce cas aussi, un dialogue théologique avec les juifs serait possible; car la Bible d'Israël parle d'un pèlerinage des nations au Mont Sion, et aussi d'une « nouvelle alliance », et elle promet ces deux réalités pour l'avenir. Ainsi, même en partant de la Bible d'Israël, on ne peut pas ne pas se demander dans quelle mesure les deux affirmations se correspondent et si, en quelque mesure, elles ne seraient pas liées.
Pour ma part, il me semble que ce dialogue est déjà amorcé dans la Bible hébraïque elle-même: celle-ci s'occupe déjà de la question de savoir si, lors du pèlerinage eschatologique des nations, tous ceux qui afflueront vers Dieu au Mont Sion recevront aussi Sa Torah et seront admis dans Son alliance avec Israël; et, contrairement à toute apparence, la réponse pourrait bien être un « oui »: mais ce « oui » n'est pas éclatant; il est en fait tout juste audible; l'Ecriture ne le murmure qu'à peine, et cependant elle le fait. Autant que je puisse m'en rendre compte, la science biblique moderne n'a pas encore regardé cette réalité en face, et c'est ce dont je vais traiter dans ce qui suit.
Commençant par Jr 31, je considère comme acquis que Torah et Alliance sont étroitement liées, et cela dans la Nouvelle Alliance aussi. Par ailleurs, je fais une lecture synchronique de la Bible hébraïque, dans l'intertextualité de l'ensemble de ses livres. La tradition juive fait de même, même s'il existe certaines différences d'ordre herméneutique. C'est en tout cas l'approche du texte qui s'impose dans le contexte d'un dialogue entre juifs et chrétiens. J'analyserai d'abord les textes essentiels sur le pèlerinage des nations, puis je m'attacherai à une certaine suite de textes qui me conduira finalement au Psaume 25 (y. 14). Je n'exclus pas d'ailleurs qu'on puisse prendre d'autres suites de textes dans la Bible hébraïque. En ce qui concerne Is 56, 1-7 qu'on mentionne parfois à ce propos, je pense qu'il n'y est question que de personnes individuelles venant se joindre à Israël et que le mot Berith employé là ne s'applique qu'à la loi du Shabbat (cf. Ex 31, 13-17).
La Torah en Isaïe 2 et Michée 4
Tout comme le texte du Décalogue se retrouve deux fois dans le Pentateuque, le texte concernant le pèlerinage des nations au Mont Sion se retrouve deux fois dans le canon prophétique, et cela montre bien son importance. Comme on l'a déjà fait remarquer, ce texte ne contient pas le terme de Berith; mais on y trouve le mot Torah et auparavant, comme l'y amenant, le verbe yara (enseigner):
...Pour qu'Il nous enseigne Ses voies
et que nous suivions Ses sentiers,
car de Sion viendra la Torah
et de Jérusalem la parole de YHWH.
(Is 2, 3 Mi 4, 3).
L'image qui se dégage de l'ensemble du texte est logique. Dieu est Celui qui agit. Son enseignement (et donc Sa « Torah ») existe, ou se pour suit dans l'exercice d'un jugement de droiture (shafat) et dans la parole de Dieu appelant à une conduite nouvelle. Ce sont ensuite les nations qui agissent, mettant fin à leurs guerres et rendant celles-ci impossibles dans l'avenir grâce au désarmement et à la suppression de l'entraînement militaire. Le parallélisme indique que la Torah est la « parole de YHWH » qui est prononcée maintenant; ainsi, à première vue, le mot Torah ne désigne pas nécessairement la Torah d'Israël contenue dans le Pentateuque, et particulièrement celle que, dans la majorité des cas, la Bible appelle la Torah de Moise, et non pas la Torah de Dieu. Nous pourrions penser à un enseignement totalement nouveau de Dieu à Sion, qui réorganiserait à la fin des temps la structure sociale de l'humanité (ainsi H. Gese). Mais cet enseignement n'a-t-il vraiment rien à faire avec la Torah donnée à Israël au moment de l'Alliance?
En fait si, attentifs à l'accent mis dans ce texte sur le mot Torah, préparé par le verbe précédent yarah, nous considérons celui-ci de plus près, nous y découvrons une réelle cohérence. La mention du « pèlerinage des nations » est précédée par un « code figuratif » de montagnes et de collines. Le paysage change: le Mont Sion devient la montagne la plus haute et il n'y a plus autour de lui que des collines incapables d'atteindre sa hauteur. Que signifie cette image? Elle ne vise pas à décrire la réalité immuable du Temple, comme cela se rencontre par exemple dans certains passages correspondants de textes (Temple - consécration) mésopotamiens. En fait, ce qui est proclamé ne vaut pas pour maintenant, alors que le Temple existe. Ce n'est que dans l'avenir que quelque chose changera.
Habituellement, on comprend ce passage comme si le Mont Sion allait surpasser toute autre chose, car il deviendrait le plus important, ou même le seul lieu d'oracle divin dans le monde. Personne ne voit là de relation avec la réalité sociale du peuple d'Israël qui vit sur place. De ce fait, on est amené à considérer les collines plus basses, dont la place (dans le même verset) est tout naturellement occupée par les nations, comme analogues aux temples et aux oracles des autres dieux dans le monde, sans que cela implique une relation spéciale aux peuples vivant là. A cette heure anticipée de l'histoire, les divinités rendant leurs oracles en ces lieux auront perdu leur puissance. Aucun oracle salutaire ne sera plus prononcé là. Le point de départ de ces passages sur le pèlerinage des nations serait donc la future disparition des divinités, partout en dehors d'Israël. On sait qu'à partir d'Is 40, c'est un thème important. Mais est-ce bien cette perspective qui oriente aussi le texte en Is 2 et Mi 4?
En développant son thème, il ne fait pas de doute que ce texte touche à des problèmes de décadence sociale. Même si, au début, l'image peut rester ouverte à diverses interprétations, une lecture continue du texte montre bien que le Mont Sion, qui domine, a quelque chose à faire avec la paix que les nations ne peuvent trouver entre elles, mais qu'elles recherchent et finalement reçoivent du Mont Sion. La question n'est pas posée ici de savoir si, dans les temples du monde, réside une présence divine.
Cela signifie que, dans la première image, les collines doivent représenter les nations. Elles représentent des réalités concernant la guerre et la paix, des réalités sociales. Mais si les collines sont synonymes des nations, pourquoi le Mont Sion qui les domine ne représenterait-il pas les habitants de Jérusalem? Et comme, dans le contexte, le mot Torah a été si nettement souligné, il devient évident que la Torah qui sera donnée de Jérusalem aux nations est à mettre en relation avec cette Torah de paix qu'Israël, vivant au Mont Sion, appelle sa Torah. Quand il arrive à Is 2 ou Mi 4, tout lecteur de la Bible sait bien de quelle Torah il est question ici.
Le fait que le Mont Sion domine toutes les autres collines parce que le peuple, à Jérusalem, obéit à la Torah devient encore plus évident quand on examine le verset qui vient conclure les paroles prophétiques. Is 2, 5 invite la « Maison de Jacob » à marcher à la lumière de YHWH. Il s'agit d'un langage métaphorique désignant le dieu-soleil qui est, également, le Dieu de justice. La Maison de Jacob doit commencer à se transformer en une société juste. L'invitation qui est prononcée maintenant est prononcée dans la perspective des promesses faites pour les « jours à venir » (2,2). La logique est celle-ci: il nous faut devenir maintenant une société juste afin que puisse arriver ce que Dieu a promis pour les « jours à venir ». La domination de la montagne, ainsi que de la Maison de YHWH, sur les autres collines dépend du sort fait à la Torah en Israël. Ce n'est que lorsqu'elle commencera à briller là qu'elle pourra pénétrer le monde des nations en tant que Torah de Sion. Et ici nous voyons clairement, du moins dans les paroles qui concluent le passage d'Isaïe, que la Torah de 2, 3 est intimement liée à la Torah donnée à Israël par son Dieu.
En 4, 4, Michée conclut l'oracle de manière différente; il explicite l'image de la paix des nations dans un contexte familial; et en même temps, le verset 5, qui suit la formule concluant l'oracle, est moins centré sur l'aspect éthique que le texte d'Isaïe 2, 5, et davantage sur le culte. Le point essentiel me semble être, pratiquement, une exhortation à la fidélité et à la persévérance aussi longtemps que ce qui a été promis pour les jours à venir ne se manifeste pas, puisque les autres nations continuent à adorer leurs divinités respectives. Aussi ce verset n'est-il pas une clé permettant d'interpréter les versets précédents (1,4); et même s'il l'était, le « nous » ( Jacob-Israël) doit jouer son rôle dans l'interprétation du Mont Sion dépassant tous les autres, même si cela n'est évoqué que formellement par une référence à la fidélité au Dieu de Jacob. La fidélité inébranlable d'Israël à YEIWEI est importante quand on considère 4, 1-4 comme quelque chose de véridique. On ne peut du moins pas dire qu'il n'y ait absolument aucune allusion dans ce texte à la « participation d'Israël à cet événement » (2).
Tout cela devient plus clair encore si l'on tient compte des indications données par les textes précédant notre passage prophétique, tant chez Isaïe que chez Michée. A partir du verset 1,21, le livre d'Isaïe traite de l'injustice qui règne dans la « cité », et à partir de I, 24, YHWH intervient pour rétablir la justice. Le thème de « Sion » est ensuite repris en 2,2: c'est notre texte, et il est introduit par la mention du Mont Sion dominant les autres montagnes.
En considérant cette suite de textes, peut-on interpréter cette image autrement que comme une image de « justice »? Et s'il en est ainsi, la Torah qui vient du Mont Sion doit, dès le début, être mise en relation avec cette Torah par laquelle les habitants de la cité ont appris comment vivre dans la justice.
Dans le livre de Michée, il est question dès le verset 2, 1 de l'injustice sociale, et tout cet ensemble culmine dans les versets 3, 9-11 qui sont une mise en accusation de Sion pour son injustice. Vient ensuite la sentence, en 3,12: Sion deviendra une terre de labour et, bien plus, Jérusalem se transformera en un monceau de décombres et « la montagne du Temple » en une hauteur boisée. Il n'y aura plus de mont du Temple dominant les autres, couronné par la « Maison ». Nous avons là, dans une image contrastée, le point de départ de l'oracle sur la « montagne » de la « Maison de YHWH » qui sera établie au sommet des montagnes « dans les jours à venir ». Insérées en 3, 11, nous trouvons rapportées les paroles de faux prophètes à gage qui insistaient sur l'idée que YHWH se trouvait au milieu de Jérusalem même si l'injustice y régnait. Les conditions sociales régnant à Jérusalem avaient donc été longuement discutées au moment où le texte de Michée 4, 1-4 était proclamé; et l'on avait alors reconnu l'impossibilité que YHWH demeure à Jérusalem si l'injustice régnait sur le Mont Sion. Si, selon 4, 1-4, dans les jours à venir YHWH doit se trouver sans aucun doute au milieu de Sion et si, pour cette raison, la Montagne sera établie au sommet des autres montagnes ( = les nations), cela est absolument inconcevable si la justice n'y règne pas de nouveau. La Torah que les nations recherchent doit avoir quelque chose à faire avec cette justice, et aussi avec la Torah d'Israël qui y conduit.
Nous pourrions dire en conclusion que le texte fondamental sur le pèlerinage des nations au Mont Sion promet à ces nations une Torah comme fruit de leur pèlerinage, et que cette Torah est en lien étroit avec la Torah d'Israël. Il n'est pas fait là mention d'une alliance, mais ce qui est affirmé est déjà beaucoup.
Le Psaume 25 et le pèlerinage des nations
Je voudrais maintenant attirer votre attention sur une présentation des choses selon laquelle le rôle dela Torah et de l'Alliance, lors du pèlerinage eschatologique des nations au Mont Sion, est considéré d'une manière totalement différente. Je pense au psaume 25: là, le mot « Torah » est évité en ce qui concerne les nations, même si la réalité signifiée par ce mot est en fait mise en relief; par contre, il semble qu'il n'y ait pas de problème, dans ce psaume, à leur accorder une participation à « l'Alliance ». Mais avant de démontrer cela de manière plus détaillée, il me faut prouver dans quelle mesure le ps. 25 peut être lu dans la ligne de ce thème du pèlerinage des nations. Cela peut être considéré comme implicite si le psaume est lu dans le contexte des psaumes adjacents, même si la chose n'est pas évidente quand le psaume est lu seul.
Une personne lisant les psaumes consécutivement aura déjà lu dans le ps. 15 (v. 1) quelles sont les conditions pour entrer dans le sanctuaire de Sion: ainsi, il sera déjà familiarisé avec celles-ci quand il arrivera au ps. 24 (v. 3):
Qui montera sur la montagne du Seigneur et qui se tiendra dans Son lieu saint?
Ici, comme dans le ps. 15, les conditions sont énumérées sous forme de réponse, mais elles sont cependant moins nombreuses: en 15, 2-5a nous avions 10 conditions, tandis qu'en 24, 4 (en un seul verset) il n'y en a plus que 4 et, si les deux affirmations de la première ligne sont prises comme un tout, nous n'avons alors plus que 3 conditions, dont la seconde est la suivante:
Celui qui n'éléve pas sa voix (son âme) vers la fausseté.
Le verset introductif du ps. 25 correspond exactement à cette condition:
Vers toi, Seigneur, j'élève ma voix (mon âme)... »
Cela indique, avant tout, que le mot « fausseté » (en 24, 4) ne doit pas être compris comme de fausses paroles, mais comme de faux dieux, et surtout, en débutant de cette manière, le ps. 25 se présente comme une prière pour ceux qui, d'après le ps. 24, ont le droit de pénétrer dans le sanctuaire de Sion. L'intention du rédacteur de ces psaumes a été de montrer, grâce au ps. 25, comment ceux-ci prient en ce lieu ou pourraient y prier.
Et cela est vrai aussi du psaume qui suit. Comme il arrive si souvent, l'annonce d'une réalité et sa présentation sont sous forme de chiasme: le ps. 25 est annoncé par la deuxième des conditions d'admission en 24, 4, et la première condition mentionnée ici:
« Celui qui a les mains innocentes et le coeur pur » est reprise dans le psaume suivant (26), dont la première invocation est: « Sonde mes reins et mon coeur » (26,2), image dont le sens est le suivant: on demande à Dieu d'examiner la personne en prière (ses intentions les plus profondes).
Il y a une nouvelle reprise de ce thème en 26,6:
« je lave mes mains dans l'innocence ».
Dans le psaume 26, le fidèle est donc sûr de remplir les conditions énoncées en 24,4.
On peut aussi faire plusieurs autres observations qui montrent que les ps. 25 et 26 sont étroitement liés l'un à l'autre. Il devrait donc être clair que ces deux psaumes, au niveau de la rédaction du texte, avaient pour but de faire connaître, à qui fait une lecture priante du Psautier, ce qu'expriment dans leur prière les personnes qui, conformément au ps. 24, 3-6, sont admises au sanctuaire de Sion.
11 faut cependant se demander de nouveau, et plus précisément, qui sont ces personnes. Nous retournerons pour cela au ps. 24: Après avoir énuméré les conditions d'admission (y. 4) et après une promesse de bénédiction et de justification (y. 5), le psaume caractérise une fois encore les personnes dont nous parlons:
C'est la génération de ceux qui Le cherchent ( YHWH), qui poursuivent ta face, b Jacob. (24,6)
Le lecteur reconnaîtra là un accouplement de mots bien connu (3). Ici, cependant, ils ne sont pas parallèles dans leur objet: les seconds viennent décevoir l'attente du lecteur qui, après le premier refrain, attendraient le nom de Dieu. Si l'on ne va pas chercher une réponse dans la Septante qui nettement est embarrassée sur le sens de ce verset, les personnes admises au sanctuaire dont il est question ici ne peuvent être que des non juifs, ou, pour le dire autrement, des personnes venues des « nations »: si, en effet, elles poursuivent « ta face, ô Jacob », elles ne peuvent appartenir elles-mêmes au peuple de Jacob » ( = Israël). (4).
Nous trouvons de plus dans le ps. 24 diverses similitudes linguistiques qui nous orientent vers le pèlerinage des nations décrit en 1s 2 et Mi 4. Il nous faut donc conclure que, dans sa forme massorétique, le ps. 24 parle du pèlerinage eschatologique des nations au Mont Sion.
Cela explique que ce psaume débute par la reconnaissance de YHWH comme Maître de l'uni
vers entier et de tous ses habitants (y. 1-2). Cela peut aussi expliquer pourquoi les seules conditions requises sont la pureté du coeur et des mains, et le culte du seul vrai Dieu. Il n'est pas fait mention ici, comme c'est le cas dans le psaume 15, de réalités spécifiquement juives comme, par exemple, l'interdiction du prêt à intérêt.
De tout cela nous pouvons déduire que les ps. 25 et 26 sont les prières des peuples de la gentilité. C'est ainsi qu'ils s'exprimeront quand ils viendront au sanctuaire de Sion dans les « jours à venir ». Bien des expressions du ps. 25 peuvent par ailleurs nous sembler des images communes reprises de motifs psalmiques ultérieurs, mais à cette lumière elles prennent une coloration toute diverse. Nous avons, dans une certaine mesure, à apprendre à lire ce psaume d'une manière nouvelle.
Le Psaume 25 et « l'alliance » pour les nations
Structure générale du ps. 25
Dans ce psaume, les versets sont groupés en ordre alphabétique, mais ce n'est pas là la seule structure, même si certains exégètes bien connus, tel Hermann Ounkel, le pensent. Dès 1932, (5) H. Teiller présentait une analyse structurale du ps. 25, magnifique et inégalée jusqu'à nos jours, que nous pouvons admettre sans hésitation. Le pointde départ permettant de bâtir cette théorie est avant tout une division tripartite, nettement prédominante, qui apparaît si l'on met à part les versets 1 et 22 qui sont particuliers: les v. 2 à 7 sont une pétition; les v. 8 à 15 sont davantage une réflexion; en 16-21, nous avons de nouveau des pétitions, les unes à la suite des autres. On peut ensuite découvrir aisément d'autres divisions avec le début du thème de la « voie » en 25,4, la reprise sous forme de question en 25, 12 et la conclusion du thème du péché en 25, 19. Nous arrivons alors au schéma suivant:
Psalm 25
Introduction (y. 1)
Pétition
Front-frame (n. 2-3)
CORPUS (vv. 4-19)
Section I (vv. 4-7)
confession de foi
Section II (vv. 8-11)
Section III (vv. 12-15)
Pétition
Section IV (vv. 16-19)
Back-frame (vv. 20-21)
Closing (y. 22)
On peut reconnaître plus nettement l'identité de chacune des sections auxquelles nous avons abouti en tenant compte de la distribution des mots-clés et de leur contenu, ce que Mailer a bien montré d'ailleurs. L'ensemble nous donne un psaume quantitativement bien équilibré et structuré par des images reprises sous forme de chiasme.
L'élément introductif détermine l'ensemble: un appel au secours face au danger couru du fait des ennemis, appel fondé sur la confiance (v. 2-3); mais en 25,4 cette prière passe brusquement à une autre prière qui naît d'un besoin plus profond: l'appel à être guidé par YHWH sur le chemin et à recevoir le pardon pour des péchés commis dans la jeunesse (v. 4-7). Cette prière des profondeurs une fois montée au coeur et exprimée, il semble que celle-ci apporte au fidèle le calme nécessaire pour réfléchir de manière objective sur ce que la prière confiante peut obtenir. La première des deux sections s'exprimant de façon objective, si elle n'est pas une louange lyrique, décrit la manière d'agir habituelle de Dieu (v. 8-11): Il introduit le pauvre et les pécheurs dans ses voies. C'est pourquoi la fin de cette section peut de nouveau s'adresser à Dieu: en vertu de ce « Nom » qui vient d'être décrit (et qui est en fait la nature même de Dieu), l'orant espère obtenir le pardon de ses péchés (y. I I).
Cela va déclencher, dans le système d'images se faisant écho qui caractérise le psaume, une deuxième section à la fois objective et lyrique, décrivant la même réalité du point de vue de l'être humain qui « craint » YHWH (y. 12-15). Celui-ci est comblé de bénédictions à un niveau toujours plus profond. A la fin de cette section, comme dans la précédente, l'orant revient à lui-même: il peut espérer qu'il sera sauvé (y. 15). Cela va déclencher une nouvelle section, qui correspond à 25, 5-7 et qui, de nouveau, n'est plus que supplique (y. 16-19). Et là, l'orant va se relever de l'abîme où l'avaient conduit les versets 4-7, et il va retourner au besoin concret du moment, la menace de l'ennemi. L'élément conclusif (v. 20-21) continue cette prière en reprenant le motif d'introduction, le transformant de nouveau en une prière de confiance.
Le psaume 251u comme prière des nations venues à Sion
Voilà donc une brève analyse du psaume, mais sans référence jusqu'ici à une interprétation concernant ce pèlerinage des nations indiqué par le verset introductif qui le relie au psaume précédent (le ps. 24). Il reste maintenant à montrer quel nouvel éclairage est porté sur le texte du psaume quand on le lit comme la prière d'une personne issue de la gentilité, ou même comme la prière des nations se rendant à Sion.
Tout d'abord, il est bien clair que le psaume 25 rappelle le psaume 24, non seulement par son verset introductif, mais aussi en deux autres endroits où les références sont bien reconnaissables:
en 25,5: « C'est Toi, le Dieu qui me sauve » (cf 24,5);
en 25,12: Qui est cet homme qui craint YHWH » (mi zeh...)
cf. 24,6: « C'est la race de ceux qui Le cherchent » (zeh dot...)
cf. aussi probablement 24, 8-10: « Qui est ce roi... » (mi zeh...).
Mais le psaume 25 va plus loin que le psaume 24, en reprenant les textes fondamentaux d'Is 2, 2-5 et de Mi 4, 1-5 sur le pèlerinage des nations à Sion. Bien sûr, on ne prend conscience de cela que lorsqu'on lit ces passages dans le cadre de notre interprétation. Après que l'orant se soit présenté lui-même, au y. 1, comme l'un de ceux qui pourraient venir des nations à Sion, il en vient immédiatement à un thème qui est réellement celui des textes concernant le pèlerinage des nations: l'inimitié entre les humains. En Is 2, ce thème n'apparaît pas avant la fin de l'oracle, quand il devient réellement prophétique (« de leurs épées ils forgeront des socs... »). Dans l'élément introductif du ps. 25, il revêt immédiatement la forme traditionnelle des poèmes d'Israël de lamentation et de confiance (y. 2-3). C'est ainsi, pouvons-nous imaginer, que les nations d'Is 2 pourront, elles aussi, prier quand elles viendront à Sion et se tourneront vers le Dieu de Jacob.
Mais, selon Is 2, 3, les nations sont conscientes de ce qu'il ne s'agit pas seulement de trouver une aide immédiate face aux menaces de l'ennemi, mais aussi de réapprendre un enseignement fondamental:
Il nous instruira de Ses voies
et nous apprendrons à marcher dans Ses sentiers.
Dans le ps. 25 (y. 4) la prière, née d'un danger concret face aux ennemis, se transforme en une prière qui y correspond, largement développée maintenant, pour obtenir d'être instruit des voies de YHWH (y. 4-5). L'espérance de voir cette prière exaucée se fonde sur la confession de foi des y. 8 à 11, dans laquelle réapparaissent les mots-clés correspondants. Ces derniers permettent, en fait, de déterminer aussi la 3ème section (v. 12-15). En fait, la manière dont le thème du « chemin » est traité (qui est étonnement concentrée, même pour des psaumes) ne devient intelligible que dans le contexte des chapitres sur le pèlerinage des nations.
Un second thème vient s'ajouter aux versets 4 à 7: celui des « péchés de ma jeunesse ». D'après la brève phrase allusive au y. 2, qui demeure ouverte et inexpliquée (« ceux qui trahissent pour rien »), et d'après 25,1 et 24,4, nous pouvons affirmer que cela doit être compris dans le sens du culte rendu précédemment à d'autres dieux par les nations qui viennent à Sion. Un coup d'oeil sur Mi 4,5 vient renforcer cette impression: car, d'après ce verset, si les nations ne viennent pas en pèlerinage à Sion, c'est que celles-ci continuent à invoquer le nom de leurs dieux. Ce thème du péché se prolongera dans les . 8 et 11 et se retrouvera encore dans les y. 16 à 19, comme avant-dernière supplication, en cette position où il répond comme en écho aux versets où il était apparu pour la première fois.
Les deux thèmes des versets 4 à 7 — découverte des sentiers de Dieu et pardon des péchés —se trouvent fondus dans la prière de la personne venue des nations, aux versets 8 à 11 qui introduisent la section suivante; car c'est justement aux pécheurs que YHWH enseigne la voie.
Entrée des nations dans l'expérience d'Israël
Dans cette section (8 à 1 1), c'est comme si les nations s'appropriaient l'expérience d'Israël en se rendant dans son sanctuaire. Les juifs de l'époque post-exilique se reconnaissaient comme des « pauvres ». On peut constater dans les Hodayot de Qumran que la description faite de soi-même en tant que « pauvre » fait originellement partie de l'enseignement sur la justification du pécheur; et le mot, là, n'est plus employé seulement pour caractériser le pécheur après sa faute, mais il apparaît d'abord au moment où Dieu justifie celui-ci par la grâce et le met sur une voie nouvelle. Il en est de même ici (y. 9): les pécheurs passent en jugement en tant que « pauvres », mais c'est ainsi justement qu'ils apprennent à connaître la voie de Dieu, une voie que nous appelons de nos jours l'« alliance ». Ici, les deux aspects de celle-ci sont décrits: du point de vue de Dieu, c'est Hesed ve Emet; du point de vue d'Israël, c'est la fidélité à Beritho ve Edotav (y. 10).
Ainsi Israël est-il conduit, sur la voie de la justification, de la pauvreté à l'alliance. Et quand on a appris, à partir de l'expérience d'Israël, que Dieu agit ainsi, on connaît alors le « Nom » de Dieu. C'est en vertu de ce Nom que l'homme venu des nations et priant maintenant espère, lui aussi, le pardon de ses péchés, une justification analogue (v. 11).
Cela nous amène immédiatement à la seconde section objective correspondant à celle-ci (y. 12-15), qui fait maintenant une description positive de ce que l'orant étranger peut espérer pour lui-même en s'appuyant sur l'expérience faite par Israël du « Nom » de Dieu. La problématique est clairement exposée sous forme de question. L'orant se décrit lui-même comme yeré Y HWH, expression qu'on peut traduire à peu près par «craignant-Dieu » (y. 12). Serait-ce là déjà un cas de l'emploi de ce nom qui sera donné plus tard aux personnes de la gentilité venues se joindre à Israël? (6) De toutes façons, il n'est pas question ici de juifs, car le chemin que Dieu enseigne est «choisi » par ces « craignant-Dieu »: « Il lui enseigne le chemin qu'il choisit »; ils participent cependant maintenant à la bénédiction d'Israël.
Le verset 13, dans une claire allusion à un thème central du Pentateuque, et particulièrement du Deutéronome, promet que « sa lignée possèdera la terre », (et donc, par là, celui-ci est comparé à Abraham). Il lui est accordé une participation au sod de Dieu, Son secret (conseil) ou Ses « mystères » (révélés à Israël seulement), et même Son «alliance » (y. 14). Ce verset est à l'origine de toute notre recherche, et nous allons l'examiner par la suite de façon plus détaillée. Il s'agit là de la «pointe » du psaume. Un cycle s'achève, car l'orant (en 25,4) avait prié afin de « connaître les voies », tandis qu'il s'agit ici de « connaître son alliance ». Tout ce qui suit, à la fin de cette section, est un retour de l'orant à une réflexion objective sur lui-même et, en même temps, une sorte d'introduction au verset suivant qui est, de nouveau, une supplique (y. 15).
Dans la section des versets 16-19, l'orant issu de la gentilité retourne des profondeurs de l'existence au besoin concret qui est à l'origine du pèlerinage des nations: les conflits de la société humaine. Il prie clairement à la fin pour obtenir d'être sauvé de ses ennemis (y. 19); et nous avons là déjà le mot-clé des deux versets d'inclusion (20-21) qui manifestent une sécurité pleine de confiance. Nous arrivons alors au dernier verset: l'orant venu des nations qui prie, qui est entré dans l'expérience d'Israël et qui en vit dorénavant, élève maintenant une prière pour qu'Israël soit sauvé du danger (y. 22). C'est la première et unique fois que le mot « Israël » apparaît dans ce psaume, et cela d'une manière bien allusive si on lit celui-ci comme la prière d'une personne venue des nations!
Il est, sans aucun doute, possible de lire ce psaume de la sorte, comme nous venons de le démontrer, et cela même si ce n'est pas dans ce sens qu'il a été composé originellement: certains détails suggèrent cependant que le psaume ne commence vraiment à parler que lorsqu'on en donne cette interprétation. Ce serait ainsi l'unique texte dans tout l'Ancien Testament où se trouverait promise aux peuples, même issus des nations, une participation à « l'alliance » d'Israël au terme de l'histoire.
Participation des nations à la Torah et à l'Alliance
A regarder les choses de plus près, on constate tout d'abord que le complément de l'Alliance, la Torah, n'est pas mentionné dans le ps. 25; et cela est surprenant si l'on considère le grand nombre de termes rappelant Is 2 (où la Torah est donnée aux nations sur le Mont Sion). Dans le ps. 25, seul le verbe yarah, qui est la racine du mot Torah, est employé; mais c'est pour cela précisément que l'absence du mot Torah doit être considérée comme un indice. En ce qui concerne la réalité de la Torah, celle-ci est constamment présente sous l'image du chemin ou de la marche. L'orant hésite cependant à demander à Dieu d'être instruit de la Torah et cela, apparemment, ne semble pas être considéré comme nécessaire.
Il est par ailleurs possible de dire que le thème de la « Torah » se trouve déjà lié à l'image du chemin dans le psaume 1 (y. 1-2-6), si bien qu'on ne peut plus rencontrer cette image dans le Psautier sans le mettre de quelque manière en référence avec la Torah d'Israël. De plus, le mot Torah n'est pas commun dans le Psautier: on ne le rencontre qu'une seule fois avant le ps. 25 (19,8). C'est dans le ps. 25 que le verbe yarah apparaît pour la première fois au Hiph'il, et comme il est si étroitement lié à l'image du chemin, il peut vraiment nous amener à l'idée de la Torah d'Israël. Il reste cependant que le mot lui-même n'apparaît pas dans ce passage. On pourrait peut-être songer à une hésitation à vouloir imposer la totalité de la Torah, sous sa forme connue en Israël, aux peuples des nations. Tout comme le ps. 24 faisait un pas en arrière (au y. 4) par rapport au ps. 15 (2-5), nous pourrions ici aussi nous trouver devant une ambiguïté voulue sur la forme que pourrait prendre concrètement la voie de Dieu pour les nations.
Quelle qu'elle soit, cette voie divine conduira les nations à Y« alliance ». Le mot Berith, employé 21 fois en tout dans le Psautier, n'apparaît pas avant le ps. 25. Ici, nous le trouvons deux fois, et chaque fois dans un contexte différent et inusuel.
L'emploi du mot Berith dans le ps. 25: relations avec Ex 33-34
Dans le ps. 25 (y. 10), le mot Berith est suivi de Edotav (ses témoignages). L'alliance des deux mots ne se retrouve que deux autres fois dans la Bible: en 2 R 17,15 et en ps. 132,12. Tenant compte de cette double récurrence, on pourrait présumer qu'au temps du Psautier cette expression ne faisait plus spécifiquement référence à une réalité littéraire et institutionnelle, mais simplement à la volonté de Dieu telle qu'elle est contenue dans la Torah d'Israël. Mais pourquoi est-ce justement cette alliance de mots inusuelle qui a été choisie ici? Le désir d'éviter le mot Torah ne peut être une explication suffisante. La chose est même plus compliquée, car les dispositions de Dieu envers ceux qui « gardent son alliance et ses témoignages » sont définies comme Hesed ve Emet (fidélité et vérité). Le lien étroit établi entre « alliance et témoignages » et « fidélité et vérité » a quelque chose d'unique.
Si l'on cherche un texte où ces 4 termes se trouvent relativement rapprochés et aient quelque relation entre eux par rapport au contenu, on ne peut découvrir qu'un seul exemple: le chapitre décrivant le renouvellement de l'alliance après la faute,au Sinaï (Ex 34). Là, au moment où 11 pardonne au peuple, Dieu se proclame Lui-même devant Moïse comme « El, riche en fidélité et en vérité », Lui dont les préceptes vont être inscrits dans les tables de l'Alliance qui, immédiatement, sont qualifiées aussi de tables du Témoignage (edut), Ex 34,6.10.27.28.29.
Le fait que le ps. 25 (y. 10), par cette formulation inhabituelle, ait l'intention de rappeler au lecteur la scène du pardon et du renouvellement de l'alliance au Sinaï est confirmé par le verset 11 qui suit immédiatement: c'est en mettant sa confiance dans le Nom divin révélé en Ex 34,5-8 que l'orant adresse sa prière dans le ps. 25 (y. I la) et, au y. I lb, il reprend exactement la formule employée par Moïse après la révélation: « pardonne mes péchés » (Ex 34,9).
Une fois reconnue cette dimension du ps. 25 (y. 10 et suiv.), on peut reconnaître dans l'ensemble du psaume d'autres alliances de mots qui sont peut-être déterminées par ce même arrière-plan. En Ex 33,13, dans le passage où il implore le pardon de Dieu pour Israël, Moïse dit: « Fais-moi connaître tes voies »; et c'est justement ce que demande le début du psaume 25 (y. 4-7). La prière pour le pardon des péchés en ps. 25, 6-7, construite autour du mot zakhar, « se souvenir », contient un certain nombre de mots-clés qui sont importants aussi en Ex 32-34 (7).
Et même l'évocation de la « descendance » qui va « prendre possession de la terre » promise (ps. 25,13) se retrouve en Ex 32,13 et 33,6. Et surtout la prière du ps. 25 (y. 18b): « Remets tous mes péchés » est, sous forme de pétition, un condensé de la description que YHWH fait de Lui-même: un Dieu plein de miséricorde qui pardonne.
Ainsi la première mention du mot Berith dans le psaume 25 est-elle sans aucun doute à mettre en relation avec Ex 34. On peut présumer que de telles associations sont évoquées par la répétition du mot en 25,14, car l'emploi du mot seul évoque tout le contexte. Mais nous constatons avant tout, dans ce verset 14, un problème linguistique; on le traduit habituellement ainsi: L'amitié du Seigneur est pour ceux qui Le craignent, Il leur fait connaître Son alliance.
Cela suppose cependant une sorte de conjugaison périphrastique et ne tient pas compte des indications du parallélisme. Si nous lisons ces versets comme un réel parallélisme, les deux membres de la phrase doivent être des propositions principales, et les mots introduits par un lamed doivent avoir la même fonction. Cela est en réalité possible si l'on considère le second mot introduit par un lamed (« il leur fait connaître ») comme une phrase relative introduite sans pronom relatif. Cette explication me paraît meilleure que toute autre.
L'objet de cette connaissance, qui n'est pas exprimé, est sans doute la« voie » de YHWH. Nous retrouvons donc dans les deux descriptions introduites par un lamed le premier et le dernier trait qui, en 25, 4-14, caractérisent la personne s'approchant de Dieu, et cette fois les deux se trouvent unis: « Fais-moi connaître Tes voies », (v. 14) et « l'homme qui craint YHWH » (y. 12). Je traduis alors le v. 14 ainsi:
L'assemblée de YHWH est ouverte à ceux qui Le craignent et Son alliance à ceux auxquels II donne la connaissance.
Le mot sod est poétique et n'est communément utilisé qu'assez tardivement. Il signifie l'assemblée céleste de Dieu qui est présente lorsque la communauté d'Israël est réunie pour le culte. Celui qui participe au pèlerinage des nations et s'achemine vers Sion en fait maintenant partie. Notons que cette communauté est déjà constituée dans le livre de l'Exode. On peut donc s'attendre à ce que le texte qui est parallèle à celui-ci veuille désigner ici l'introduction dans cette relation avec Dieu qu'on peut appeler « alliance », relation établie au Sinaï et renouvelée dans le pardon.
Le texte qui est à l'arrière-plan de ce psaume, Ex 33-34, n'est pas le récit de la première conclusion de l'alliance au Sinaï, mais celui de son renouvellement, ce qui porte finalement notre attention sur le texte originel de la « nouvelle alliance », celui de Jérémie 31, 31-34. Ce n'est sûrement pasune coïncidence si l'expression, « pardonne le péché », qui est relativement rare, rapproche Ex 34,9 de Jr 31,34: (8) Dans le texte d'Ex 34, Israël lit toujours dans sa Torah la possibilité que Dieu offre une « nouvelle alliance ». Si le ps. 25 promet maintenant la participation future des nations aux événements-archétypes d'Ex 34, ceci est à mettre en relation avec la promesse d'une nouvelle alliance future pour Juda et Israël. En Jr 31,31-34, lorsqu'il est question de « nouvelle alliance », le thème central est celui d'une Torah enseignée par Dieu et non plus par les hommes, celui d'une connaissance de YHWH communiquée par Dieu et non plus par les hommes. Peut-être l'insistance sur le thème de l'enseignement divin, dans le ps. 25, indique-t-elle que celui-ci veut évoquer, chez celui qui le lit dans la prière, non seulement le texte d'Ex 34, mais aussi la promesse de la Nouvelle alliance.
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La promesse d'une ouverture de l'alliance d'Israël aux nations qui se trouve dans le ps. 25 est, si je ne me trompe, un cas unique dans toute la Bible hébraïque. C'est un filon du récit qui ne devient clair qu'au niveau de la critique rédactionnelle, et cela explique que l'interprétation biblique moderne ne semble pas l'avoir remarqué du tout. Il n'est venu au jour, au cours de cette recherche, qu'après beaucoup d'efforts; mais si cette démarche, décisive en vue d'une meilleure compréhension, que nous présentons ici est correcte, le psaume 25 pourrait devenir un texte important pour un futur dialogue entre juifs et chrétiens.
Norbert Lohfink est un jésuite, professeur d'Ancien Testament à St Georgen, Institut Théologique de Frankfurt. Le texte de cette conférence est traduit de l'anglais. a publié de nombreux livres et articles.
(1) Cf. mon livre: Der niemals gekandigte Bund, éd. Herder, Freiburg in Brisgau, 1989. Trad. ital. aux éd. Queriniana, Brescia - 1991.
(2) Cf. W. Gross.
(3) Cf. Dt 4,29; Jg 6,29; h 65,1; Jr 29,13; Ez 34,6; So 1,6; Ps 38,13; Ps 105,4; Jb 10,6; Pro 11,27; I Ch 16,11.
(4) L'ensemble de la question a été discuté par N. Tromp: « Jacob in Psalam 24: Apposition, Aphaereses or Apostrophe? » AOAT 211, 271-282.
(5) In ZAW 50, pp. 252-256.
(6) B. Duhm, dans son commentaire, se posait la question dès 1899.
(7) Cf. Ex 32,13; 33,19; 34,6-7.
(8) On retrouve cette expression seulement en Ex 34,9; Nb 14,19; Jr 31,34; 33,8; 36,3; 50,20; Ps. 25,11; Ps. 103,3.