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Racines bibliques pour une compréhension Chrétienne de la sainteté
Paul Vandenbroeck
"La sainteté est l'ornement de ton temple, ô Seigneur"(Psaume 93,5)
Notre vocabulaire religieux est parsemé de mots familiers, comme gloire, rédemption, miséricorde ou sainteté: Familiers, mais pas nécessairement intelligibles ! Ainsi de la sainteté, qui voit se bousculer des notions très diverses et parfois contradictoires. Les chrétiens de Corinthe, par exemple, ont été "sanctifiés en Jésus-Christ" (1 Co 1,2), et ils sont pourtant plongés dans un désordre moral et spirituel que l'apôtre Paul devra fustiger (2 Co 1,23). Dieu seul est saint (Es 47,4) ; il "habite une lumière inaccessible" (1 Tm 6,16), mais pourtant il "habite au milieu des Israël" (Nb 35,34), qui doivent, à leur tour, "être saints pour lui" (Nb 15,40). C'est le Seigneur qui nous sanctifie (Ex 31,13), mais c'est à ses fidèles qu'il appartient de le sanctifier, lui (Es 8,13) ! Et c'est la prière que toute l'Eglise adresse au Dieu saint : "Que ton nom soit sanctifié !" (Mt 6,9)
Il est donc intéressant de tenter de résoudre ce qui paraît être divers ou ambigu dans les textes de la révélation. En hébreu, un même mot désigne les aspects multiples de la sainteté, c'est "Qadosh", dont le sens radical est en rapport avec une idée de séparation. Il est clair que cette séparation se comprend par rapport à ce qui est profane. Et l'idée de séparation restera en filigrane des quatre dimensions de la sainteté que l'on peut repérer dans la révélation.
Dieu est saint
C'est l'affirmation dominante de la théologie du premier Testament, mais elle doit être perçue d'emblée dans son ambivalence: Dieu est saint, en ce qu'il est unique, insaisissable, lointain et différent de toute autre réalité. Mais Dieu est saint parce qu'il entre en relation avec sa créature, il se communique, il veut rendre l'homme participant de ce qu'il est.
L'altérité de Dieu est largement exprimée, tant dans les textes narratifs que prophétiques. Elle suscite la crainte de ceux qui l'entrevoient. Ainsi Jacob, s'éveillant de son rêve de l'échelle, à Béthel, s'écrie : "Certainement, l'Eternel est présent dans cet endroit, et moi, je ne le savais pas !
Il eut de la crainte et dit: Que cet endroit est redoutable" (Gn 28,16-17) Dans son discours de Sichem, Josué met son peuple en garde: "Vous ne pourrez pas servir l'Eternel, car c'est un Dieu saint, c'est un Dieu jaloux, il ne pardonnera pas vos crimes et vos péchés" (Jos 2,19).
Par ailleurs, toute curiosité à l'égard de la sainteté divine est un crime de lèse-majesté. Au retour de l'arche du pays des Philistins, il est dit que: "l'Eternel frappa les gens de Beth-Chéméche lorsqu'ils regardèrent à l'intérieur de l'arche de l'Eternel; il frappa 70 hommes sur 50.000 parmi le peuple". (1 S 6,19)
La manifestation de la goire et de la sainteté de Dieu, au pied du Sinaï laissa une impression de terreur jusque dans la première Eglise: "Vous ne vous êtes pas approchés, en effet, d'une montagne qu'on ne pouvait toucher et qui était embrasée par le feu, ni de l'obscurité, ni des ténébres, ni de la tempête, ni du retentissement de la trompette, ni d'une clameur de paroles telles que ceux qui l'entendirent demandèrent qu'on ne leur adresse pas un mot de plus... Et le spectacle était si terrifiant que Moïse dit: Je suis épouvanté et tout tremblant" (He 12,18-19.21). Dans sa vision du trône de Dieu, le prophète Esaïe éprouve la même terreur: "Les séraphins criaient l'un à l'autre: Saint, saint, saint est l'Eternel des armées! Toute la terre est pleine de sa gloire! Les soubassements des seuils frémissaient à la voix de celui qui criait et la Maison se remplit de fumée. Alors je dis: Malheur à moi, je suis perdu..." (Es 6,3-5).
Or, dans ces textes qui expriment la panique des hommes, même les plus remarquables, devant la sainteté divine, il s'agit paradoxalement d'initiatives de Dieu cherchant la communication avec l'homme! Les phénomènes naturels spectaculaires du Sinaï, les visions extatiques d'un Jacob ou d'un Esaïe, les signaux plus précis encore que sont les sonneries de trompette ou "les clameurs de paroles", tout cela est de l'ordre de la communication, nous parlerions aujourd'hui des "médias de la sainteté" ! Il est donc légitime de parler d'une altérité relationnelle, le projet divin étant de faire prendre conscience à l'homme de l'inaccessibilité de Dieu, en même temps que de sa volonté de faire participer les hommes à ce qu'il est.
Ainsi la sainteté de Dieu est-elle à la fois son incommunicabilité absolue et sa communicabilité relative, au travers du jugement porté sur l'homme et de la miséricorde exercée à son endroit. Ainsi se comprend la formule souvent répétée :"Vous serez saints, parce que je suis saint" (Lv 19,2; 20,7.26; Nb 15,40 et par.).
Si, dans le second Testament, il n'y a pas autant d'expressions de la sainteté de Dieu que dans le premier, c'est, d'une part, parce que les disciples de Jésus et la première Eglise adhèrent parfaitement à la théologie d'Israël, et d'autre part, parce que l'accent porte, dans cette partie de la Révélation sur la communication de la sainteté, assurée par l'oeuvre de Jésus.
Dans sa prière sacerdotale, Jésus s'adresse à Dieu, en faveur de ses disciples et il dit: "Père saint, garde-les en ton nom - (ce nom) que tu m'as donné..." (Jn 17,11). L'apôtre Pierre établit le rapport souligné plus haut: "De même que celui qui vous a appelés est saint, vous aussi devenez saints dans toute votre conduite..." (1 P 1,15).
Quant à l'Apocalypse, elle reprend la doxologie rapportée par Esaïe: "Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu, le Tout-Puissant, qui était, qui est et qui vient !" (Ap 4,8).
Jésus est saint
Les quelques textes du second Testament qui usent du mot "saint" à propos de Jésus, soulignent par là son appartenance à l'identité divine. Par lui s'accomplit l'oeuvre de jugement et de miséricorde qui caractérise l'aspect relationnel de la sainteté divine. Dès l'annonciation à Marie est établie cette qualité unique: "..la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C'est pourquoi le saint (enfant) qui naîtra sera appelé Fils de Dieu" (Lc 1,35). Le monde des ténèbres a aussi cette perception aiguë de la sainteté de Jésus, et le démoniaque de Capharnaüm s'écrie : "Je sais qui tu es: le Saint de Dieu" (Mc 1,24). Il faudra un certain temps aux Douze pour parvenir à la même conviction: "Nous avons cru, et nous avons connu que c'est toi le Christ, le Saint de Dieu" (Jn 6,69). Le Christ glorifié se présente lui-même à l'Eglise de Philadelphie en précisant : "Voici ce que dit le Saint, le Véritable" (Ap 3,7).
L'Esprit est saint
Le qualificatif "saint" associé à l'Esprit exprime aussi son appartenance à l'identité divine. Les expressions "Esprit saint" et "Esprit de Dieu" sont en principe équivalentes. Ainsi, le prophète Esaïe retrace-t-il les errances du peuple d'Israël, puis l'intervention de la miséricorde de Dieu : "Ils ont été rebelles, ils ont attristé ton Esprit-saint... L'Esprit de l'Eternel les a menés au repos" (Es 63,10.14).
Dans son enseignement, Jésus aura cette affirmation surprenante: "Tout Péché et tout blasphème sera pardonné aux hommes, mais le blasphème contre l'Esprit ne sera point pardonné. Quiconque parlera contre le Fils de l'Homme, il lui sera pardonné, mais quiconque parlera contre le Saint- Esprit, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle, ni dans le siécle à venir" (Mt 12,32-33).
Sans prétendre résoudre en deux ou troix lignes le mystère de ce péché sans rémission, relevons qu'il est cité dans un contexte plutôt explosif, l'attribution par certains religieux, des exorcismes pratiqués par Jésus à son commerce avec les puissances sataniques: "C'est par Béelzébul, le prince des démons, qu'il chasse les démons" (Lc 11,15).
On en a inféré la définition du "blasphème contre le Saint-Esprit", comme le fait d'attribuer au Prince des ténèbres une oeuvre que l'on sait être d'essence divine. Il s'agit donc d'une prétention insoutenable à refuser le témoignage explicite du Saint-Esprit. C'est une profanation et elle est sanctionnée avec la même sévérité que les atteintes à la sainteté divine relevées plus haut.
Le peuple de Dieu est saint
La sainteté de Dieu n'est pas seulement une altérité statique, mais aussi une communicabilité dynamique : c'est toute l'histoire du peuple élu qui en est l'expression. Les prêtres "seront saints pour leur Dieu... il sera saint pour toi, car je suis saint, moi, l'Eternel qui vous sanctifie" (Lv 21,6.8). Mais tout le peuple participe de cette sainteté, qui est séparation, mise à part, au coeur d'une alliance dont la réciprocité est vertigineuse: "Aujourd'hui, tu as fait promettre à l'Eternel d'être ton Dieu, afin que tu marches dans ses voies... et aujourdphui, l'Eternel t'a fait promettre d'être un peuple saint pour l'Eternel, ton Dieu..." (Nb 26,17-19).
Cette dimension d'appartenance est fondamentale pour la compréhension de la sainteté: Dieu est saint et tout ce qui lui appartient sans réserve est aussi saint, que ce soit le peuple, un de ses membres affecté à une tâche particulière, le temple ou les untensiles du temple! La sanctification est donc un triple mouvement.
Dieu sanctifie son peuple
Il s'agit d'une appropriation, liée au choix souverain de Dieu, l'élection et à la rédemption qui s'inscrit dans les interventions de Dieu dans l'histoire, par exemple, la sortie d'Egypte.
Le peuple élu se sanctifie
La réponse aux "saintes convocations" (Lv 8,3; Nb 1,18; 8,9; 20,7 etc.), la mise en condition physique et spirituelle pour le culte (Ex 19,10; 20,8; 28,41; Lv 6,11; Jos 3,5 etc.), le bain rituel (Nb 19,12; Es 1,6 etc.), et les sacrifices (1 R 8,62; Ps 50,5), le respect du sabbat et des fêtes (Ex 16,23; 31,15; Nb 10,10; Dt 16,1-17), les offrandes (Jos 1,8;Ps 1,2; 119,97; 148), la méditation de la Thorah, sont autant d'aspects essentiels de la sanctification à laquelle le peuple élu est appelé. Un écueil s'est toujours dressé contre cette sanctification en action : Le formalisme qui sera dénoncé vigoureusement par les prophètes : "Qu'ai-je à faire de la multitude de vos sacrifices? dit l'Eternel..." (Es 11,1-15; Jr 6,20). Et le corollaire du ritualisme est l'indifférence du coeur, qui prend le contre-pied de la sanctification :"Je veux la loyauté et non le sacrifice, et la connaissance de Dieu plus que les holocaustes" (Os 6,6). Paradoxalement donc, les moyens de sanctification donnés par Dieu à son peuple peuvent devenir, à cause de l'indifférence et de l'endurcissement humains, de véritables abominations aux yeux du Dieu saint.
Le peuple élu est appelé à sanctifier Dieu
Cette vocation est étroitement liée à la précédente : dans la mesure où le peuple de Dieu se sanctifie, en actes, en paroles et en pensée, il rend manifeste la sainteté de Dieu. Moïse dut un jour rappeler à son frère Aaron la solennité de cette sanctification réciproque, alors que deux de ses fils avaient profané le feu sacré du tabernacle: "L'Eternel a déclaré : je serai sanctifié par ceux qui s'approchent de moi" (Lv 10,3). Et les deux frères furent privés de l'entrée en Terre promise, parce qu'ils n'avaient pas sanctifié Dieu "aux yeux des Israëlites" (Nb 20,12; 27,14; Dt 32,51). Plus tard, la sanctification de Dieu est reliée à l'éthique, comme dans la prédication d'Esaïe: "le Dieu saint est sanctifié par la justice" (Es 5,16). Sanctifier Dieu est aussi l'antidote à la crainte de l'ennemi qui est aux frontières: "C'est l'Eternel des armées que vous devez sanctifier, c'est lui que vous devez craindre" (Es 8,13).
Voilà de quoi rendre à l'oraison dominicale son sens profond : "Que ton nom soit sanctifié!" (Mt 6,10). Cette requête suppose l'intention profonde de l'orant, d'inscrire, dans tous les aspects de sa vie, l'obéissance à la volonté de Dieu.
Il en ressort que la sainteté, dans le second Testament, est substantiellement identique à ce qu'elle est dans le premier. Néanmoins, dans la nouvelle Alliance, c'est Dieu qui est l'auteur de la sanctification, par le sacrifice accompli une fois pour toutes par Jésus-Christ. La prière sacerdotale a cet accent remarquable: "Et moi, je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu'eux aussi soient sanctifiés dans la vérité" (Jn 17,19). Aux Corinthiens, dont nous avons relevé qu'ils n'étaient pas... "en odeur de sainteté" par leurs dérapages moraux, l'Apôtre Paul peut néanmoins écrire: "Mais vous avez été lavés, mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés, au nom du Seigneur Jèsus-Christ et par l'Esprit de notre Dieu" (1 Co 6,11). En réponse à la sanctification ainsi opérée par Dieu, le croyant est invité à sanctifier Dieu par un culte qui lui soit agréable: "Je vous exhorte donc, frères, à offrir vos corps comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce qui sera de votre part un culte raisonnable" (Rm 12,1).
Autre similitude, la dimension chrétienne de la sainteté est nettement d'ordre communautaire. L'Eglise est formée de tous ceux qui sont au bénéfice de l'oeuvre rédemptrice du Christ, et, à ce titre, ils sont saints. Plus de cinquante références du second Testament parlent des saints, là où nous aurions usé peut-être le mot "chrétiens" (Rm 12,13; 15,25; 1 Co 6,2; 2 Co 1,1; 13,12; Ph 4,21; Phm 7 etc.)!
Ainsi, la sainteté n'est pas tant le couronnement de ceux qui auraient pratiqué les vertus chrétiennes de manière exemplaire, que la mise au bénéfice de l'oeuvre sanctificatrice de Dieu, opérée en Jéus-Christ.
Les exhortations à la sainteté procèdent du même principe que dans le premier Testament et qui peut s'exprimer ainsi : "le Dieu saint vous a appelés à faire partie de son peuple; vous êtes saints parce que vous lui appartenez; mettez donc votre sainteté en action et vous rendrez ainsi manifeste la sainteté de Dieu dans le monde où il vous a placés".
Les appels à la sainteté, à la sanctification du Seigneur et à la sanctification personnelle se comprennent parfaitement dans cette optique : "En Christ, Dieu nous a élus avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et sans défaut devant lui" (Ep 1,4). "Le Christ a aimé l'Eglise et s'est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier après l'avoir purifiée par l'eau et la parole" (Ep 5,25). "De même que celui qui vous a appelés est saint, vous aussi devenez saints dans toute votre conduite" (1 P 1,15). "Sanctifiez dans vos coeurs Christ, le Seigneur : Soyez toujours prêts à vous défendre face à quiconque vous demande raison de l'espérance qui est en vous" (1 P 3,15).
La sainteté n'est donc pas d'abord à considérer comme la récompense d'efforts ascétiques, mais comme un don de Dieu qui doit générer un comportement conforme à l'excellence du don reçu.
Enfin, tout comme pour le peuple de Dieu de la première alliance, la sainteté ne peut trouver son plérôme qu'au grand jour des accomplissements ultimes, comme l'apôtre Jean l'exprime dans un passage enthousiasmant : "Voyez quel amour le Père nous a donné, puisque nous sommes appelés enfants de Dieu ! Et nous le sommes. Voilà pourquoi le monde ne vous connaît pas : c'est qu'il ne l'a pas connu. Bien-aimés, nous sommes dès maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n'est pas encore évident; mais nous savons que lorsqu'il sera manifesté, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est. Celui qui a cette espérance en lui se purifie (se sanctifie?), comme lui, (le Seigneur) est pur" (1 Jn 3,1-3).
Cette dimension eschatologique est aussi présente chez les prophètes d'Israël : "Il y aura une alliance éternelle avec eux ; je les établirai, je les multiplierai et j'établirai mon sanctuaire au milieu d'eux pour toujours. Ma demeure sera parmi eux; je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple, et les nations reconnaîtront que je suis l'Eternel qui sanctifie Israël, lorsque mon sanctuaire sera pour toujours au milieu d'eux (Ez 37,26-28).
Pasteur Paul Vandenbroeck est Professeur à l'Institut Jean Calvin à Bruxelles, auteur de plusieurs contributions chrétiennes à des revues israélites et adminstrateur du CID (Centre d'Information et de Documentation - Moyen Orient).