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Avant-propos
Emilio Baccarini
Etant «ouvert», le symposium Le bien et le mal après Auschwitz: implications éthiques pour aujourd’hui n’espérait pas aboutir à des conclusions définitives. Il invitait philosophes et théologiens à entamer une réflexion théologique, anthropologique et éthique postérieure à Auschwitz. Il cherchait à affronter la tragédie sans en fuir la mémoire ni en ignorer les causes historiques, sociologiques, philosophiques et théologiques. Plus de trente sujets ont été abordés, sous l’angle de confessions et de disciplines fort diverses, qui doivent servir à inspirer et orienter la poursuite du dialogue «public». Ce symposium est donc inachevé. Ses conclusions sont désormais livrées à d’autres pour qu’ils en opèrent l’analyse et l’actualisation du point de vue philosophique, théologique, éthique et socio-pédagogique.
La plupart des exposés et, en particulier, celui de J.B. Metz, ont imposé aux regards l’aptitude intrinsèque et dangereuse de notre culture à avoir la mémoire courte et même souvent à ne pas en avoir du tout. Cela étant, ils ont soumis aux participants toute une réflexion théologique qui soulève des questions aussi bien sur la présence que sur l’absence de Dieu dans l’histoire.
De nombreux travaux ont évoqué l’impact métaphysique du mal, élément qui mérite d’être étudié dans sa dimension d’après-Auschwitz. Etant donné le thème du symposium, on a surtout mis l’accent sur les notions éthiques et anthropologiques. La nécessité absolue de reformuler des critères moraux à une ère scientifique qui tend à valoriser ce qu’Auschwitz représente, à savoir l’expérimentation eugénique et la manipulation humaine, le rejet de tout ce qui est différent, a fait retentir plus d’une fois l’expression «éthique de la responsabilité». Comprendre Auschwitz, c’est ressentir la «culpabilité» de nature à ouvrir des voies anthropologiques permettant à la communauté des hommes de trouver de nouvelles manières e vivre ensemble. Si le génocide, les manipulations génétiques et les formes aberrantes de purification ethnique continuent de s’auto-générer, c’est que nous n’avons rien appris de ce mal radical. Voilà pourquoi nous sommes plus responsables aujourd’hui que nous ne l’étions hier, car, aujourd’hui, nous savons.
Comme il fallait s’y attendre, on a porté une attention particulière aux relations judéo-chrétiennes qui se sont trouvées une fois de plus encouragées à diversifier et à rénover les moyens de parvenir à une compréhension mutuelle. juifs et chrétiens ont exprimé leur volonté nouvelle de se rencontrer réellement et de participer ensemble à l’effort destiné à humaniser le monde. juifs et chrétiens, c’est à cette immense responsabilité que nous appelle le même Dieu unique.
Le symposium a ménagé des moments de stimulation spirituelle profonde, qui ont dépassé le niveau pourtant remarquablement élevé des hypothèses scientifiques. Il n’a pas été simplement un grand événement intellectuel. Il a aussi permis un intense échange de perspectives et fourni de nouveaux moyens de composer avec les différences que fait surgir toute réflexion sur Auschwitz. Il a été pour les «enfants d’Abraham» l’occasion de se trouver ensemble devant la reconnaissance des fautes et la prise en charge de responsabilités nouvelles.
Etant donné le thème du symposium, bien des intervenants ont souligné la nécessité d’élaborer une éthique de la responsabilité. A ce propos, les professeurs I. Kajon, B. Dupuy, J. Halpérin et Emilio Baccarini ont fait écho à quelques grandes voix de la philosophie contemporaine comme celles de Néher, Lévinas, Jonas et Arendt. Diverses questions éthico-scientifiques ont été abordées de manière significative par P. Haas, D. Pollefeyt, P.J. Bernauer et E. Lepicard.
Les professeurs J. Bemporad, P.J. Pawlikowski, B. Carucci Viterbi et D. Ansorge ont explicitement posé la question radicale: Où était Dieu à Auschwitz ? et la question non moins essentielle: Où était l’humanité ? Le paradigme de «situations limites» a fait l’objet des exposés de A. Rigobello, S. Levi Della Torre et M. Giuliani, tandis que P.A. Roest Crollius et D. Blumenthal ont étudié ce que signifie éduquer après Auschwitz. La question théologique essentielle de la christologie a été abordée par Maureena Fritz.
L’exposé introductif du Professeur Emil Fackenheim, auquel est dédié le présent numéro de SIDIC, a été particulièrement remarquable. Ce philosophe juif canadien d’origine allemande, qui compte parmi les plus éminents penseurs contemporains, a contribué de manière décisive à l’effort visant à «penser Auschwitz» Son exposé serein, intitulé «L’alliance avec Abraham attaquée - la nécessité d’une théologie juive, chrétienne et, bientôt, musulmane , d’après Auschwitz» a apporté le témoignage d’une vie toute tendue vers la volonté de se remettre de la période de la Shoah. L’orateur y a évoqué le courant de pensée qui a été à l’origine de la tragédie, le potentiel diabolique d’Auschwitz et son projet d’annihiler «la mémoire même du judaïsme», ainsi que toute espérance, messianique ou autre. Le professeur Fackenheim a souligné que c’était contre le Dieu de l’alliance avec Abraham qu’était dirigée l’attaque - le Dieu commun aux juifs, aux chrétiens et aux musulmans, ce que ces derniers ne reconnaissent pas suffisamment. Hitler a cherché à remplacer le Dieu de la Bible par un «naturalisme aryen» dont la violence sanguinaire enlève aux êtres leur humanité. Dans un passage des plus évocateurs, l’orateur a rappelé l’expérience de l’exode, faite par le peuple juif: «Si l’Egypte est le lieu de naissance du judaïsme, Babylone est le berceau du sionisme, de la tenace espérance juive et de deux nouvelles espérances: celle du christianisme et celle de l’islam. Pour toutes les générations de juifs fidèles à l’Alliance, comme pour les chrétiens et les musulmans, cette fidélité et cette espérance ne peuvent avoir été vanité des vanités.»
Emilio Baccarini, professeur de philosophie à l’université «Tor Vergata» de Rome et directeur responsable de la revue SIDIC, a prononcé au symposium la conférence intitulée «Tra volonta di potenza e derelizione - Dire l’uomo dopo la Shoa». [Texte traduit de l’anglais par C. Le Paire]