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Reflexion sur le Nouveau Catechisme de l'Eglise Catholique
Eugene J. Fisher
Le nouveau Catéchisme de l'Eglise catholique, selon toutes probabilités, marquera de son empreinte dans les années à venir l'éducation religieuse catholique. Son but, si je peux m'exprimer ainsi, est de fournir des « éléments de base » pour l'élaboration des programmes et du matériel pédagogiques nécessaires à l'éducation religieuse. Alors qu'il peut être utile à des adultes et fournir des bases aux enseignants, être utile même dans certains cas à des étudiants, il est impensable d'en utiliser directement le texte, sous sa forme actuelle, pour des classes élémentaires ou même secondaires. L'édition française a été publiée en novembre 1992, et, au moment où j'écris, on attend encore l'édition anglaise. Les commentaires qui suivent se réfèrent donc essentiellement à ma traduction personnelle de l'édition française (Paris, Mame et Plon), qui n'est sans doute pas la meilleure que puisse trouver le lecteur.
On peut dire, de manière générale, que le Catéchisme reflète plutôt bien le status questionis de l'enseignement catholique en ce qui concerne les juifs et le judaïsme. 11 ne cherche en rien à se distancer du Concile Vatican II, mais cherche plutôt à consolider l'enseignement conciliaire officiel. 11 tente d'intégrer les enseignements de 1974 et de 1985 de la Commission vaticane pour les relations religieuses avec les juifs. Ce faisant, il laisse paraître aussi les points sur lesquels ces documents sont moins clairs, sans chercher à faire avancer la discussion au-delà des documents officiels tels qu'ils sont dans leur état actuel. S'étant imposé de telles limites, on peut dire qu'il n'atteint pas toujours à la largeur de vues du Pape Jean Paul II en ce qui concerne les relations entre catholiques et juifs, mais qu'il est plutôt plus prudent en certains domaines que ne l'est le Pape qui, en plus d'une occasion, a consciemment fait des pas importants dans la ligne de la compréhension mutuelle (cf. E. Fisher et L. Klenicki: John Paul II on Jews and Judaism, USCC publications, 1987). Par honnêteté, il nous faut sans doute juger le Catéchisme à partir des objectifs qu'il s'est lui-même fixés plutôt qu'à partir de ce qui nous paraîtrait l'idéal.
Deux sections clefs du Catéchisme sont consacrées au développement d'éléments importants de Nostra Aetate N. 4, à la lumière des déclarations de la Commission pontificale de 1974 et 1985: Il s'agit d'abord de l'explication de l'article 4 du Credo (« Il a souffert sous Ponce Pilate », N. 574 à 600) puis, à la suite d'une réflexion sur la « catholicité » de l'Eglise, des paragraphes concernant « l'Eglise et les non-chrétiens » (839 à 848).
La responsabilité de la mort de Jésus, 574-576
Les pages qui, dans cette section du Credo, traitent de la responsabilité de la mort de Jésus nous offrent une argumentation développée réfutant sous des perspectives diverses toute idée d'une responsabilité collective des juifs dans cette mort. Cette réaction contre les incompréhensions rencontrées par le judaïsme en milieux chrétiens, et contre les stéréotypes religieux dont furent victimes les juifs en tant que peuple est à mon avis assez forte et devrait effectivement mettre fin à l'ancienne accusation de déicide, encore tenace dans les esprits. Les deux numéros initiaux de cet article du Credo (574-575), et plus spécialement le second, reprennent les principaux passages des Notes de 1985 même si, ce qui est plutôt curieux, le texte ne cite pas spécifiquement ce document. Il cherche ici à établir que, s'il y avait de réelles différences entre l'enseignement de Jésus et celui de ses contemporains, l'enseignement donné était en grande partie commun, cela étant spécialement vrai en ce qui concerne les Pharisiens. Cette idée, qui ne sera pas neuve pour les lecteurs de cette revue, surprendra peut-être certaines personnes en d'autres parties du monde catholique.
Ainsi, tandis que le texte dit que « quelques » Pharisiens, partisans d'Hérode, prêtres et scribes s'étaient réunis pour « accuser Jésus de blasphème et de faux prophétisme, crimes religieux que la loi châtiait par la peine de mort sous forme de lapidation » (574), le numéro suivant vise à bien distinguer entre « quelques-uns » et « le peuple » dans son ensemble:
Bien des paroles et des actes de Jésus ont donc été un signe de contradiction (Lc 2,34) pour les autorités religieuses de Jérusalem, celles que l'Evangile de Jean appelle simplement « les juifs », plus encore que pour le commun du Peuple de Dieu. Certes ses rapports avec les Pharisiens ne furent pas seulement polémiques. Ce sont les Pharisiens qui le préviennent du danger qu'il court (Lc 13,31). Jésus loue certains d'entre eux comme le scribe de Mc 2,34 et il mange à plusieurs reprises chez des Pharisiens. Jésus confirme des doctrines partagées par cette élite religieuse du Peuple de Dieu: la résurrection des morts, les formes de pitié (aumône, jeûne et prière) et l'habitude de s'adresser à Dieu comme Père, le caractère central du commandement de l'amour de Dieu et du prochain. (575)
Il est intéressant de noter que dans ces deux passages, qui font tant d'allusions à des croyances juives, le texte du Catéchisme cite des passages du Nouveau Testament seulement, et non pas les passages des Ecritures juives sur lesquels Jésus et les Evangélistes eux-mêmes s'étaient appuyés. Le N. 576 affirme (sans référence à aucun des deux Testaments) que « aux yeux de beaucoup en Israël, Jésus semble agir contre les institutions essentielles du Peuple de Dieu ». Même si l'on peut se demander si les trois exemples donnés ici sont pleinement en accord soit avec le Nouveau Testament,soit avec la « tradition orale » pharisienne ou rabbinique à laquelle ils ne se réfèrent que vaguement, le plus important est que le Catéchisme reconnaisse ici que la controverse n'existait qu'avec « quelques-uns » ou « beaucoup » en Israël, mais non pas avec le Peuple de Dieu, Israël, en tant que tel. J'aurais préféré que soit inséré ici le point si bien traité dans les Notes de 1985, à savoir que certaines des controverses énumérées dans ce paragraphe pourraient refléter en fait des controverses plus tardives survenues entre l'Église primitive et le judaïsme rabbinique naissant, à la fin du premier siècle, plutôt qu'au temps de Jésus lui-même. Toutefois le souci concret manifesté par le Catéchisme de détruire toute image collective négative des juifs et du judaïsme touche directement au coeur de la polémique, ce qui entraînera une réelle différence dans les manuels à venir. Cette dernière remarque est sans doute plus vraie pour des pays autres que les Etats-Unis où l'étude des manuels a montré que nous étions déjà bien avancés dans la révision de ces livres, en conformité avec ce qui a été demandé par les documents du Saint-Siège.
Jésus et la Loi, 577-586
La section intitulée « Jésus et la Loi » est d'un grand intérêt au regard des résultats d'une analyse des manuels plus anciens. Ici encore le Catéchisme semble avoir du mal à ne pas établir une simple dichotomie entre Jésus et le christianisme d'une part, les Pharisiens et le judaïsme d'autre part. Il cherche à faire cela d'une manière qui accentue l'autorité divine de Jésus sur « la Loi », tout en ne réduisant pas la croyance en Jésus « divin législateur » (580). En somme il veut éviter l'ancien piège consistant à opposer l'Auteur de la Loi et cette Loi, un modèle pour définir la relation entre les Testaments qui est simple, mais qui est, en fin de compte, source de confusion. Pour ce faire, l'un des moyens utilisés est d'user dans son exposition d'un langage très nuancé.
Ainsi, le paragraphe d'introduction à cette section (577) explique que « Jésus a fait une mise en garde solennelle, au début du Sermon sur la Montagne, ou il a présenté la Loi donnée par Dieu au Sinaï lors de la Première Alliance à la lumière de la grâce de la Nouvelle Alliance: N'allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes; je ne suis pas venu abolir mais accomplir... » Le Catéchisme cite alors en entier le texte de Mt 5,17-19, citation biblique bien plus longue que les autres citations ailleurs dans le texte, sans doute pour faire pénétrer profondément son message « anti-substitutionniste »: accomplir ne signifie pas abolir ni remplacer, mais « porter à sa perfection » et « donner l'interprétation définitive », comme le suggèrent les expressions en 582.
Le Catéchisme affirme, si je lis bien le texte, que Jésus seul pouvait observer la Loi complètement et parfaitement, étant Lui seul le Législateur « né sujet de la Loi en la personne du Fils », tandis qu'aucun être humain ne pouvait « accomplir » parfaitement, c'est-à-dire observer parfaitement la Loi qui est d'origine divine. La « parfaite observance » de la Loi par Jésus a servi à « préparer le Peuple à cette intervention de Dieu inouïe... » et ainsi révéler l'ultime signification de la Loi » (579).
Je crois qu'une explication catéchétique faite selon de telles orientations peut beaucoup contribuer à clarifier notre enseignement sur ce point. Elle permet, en effet, de mettre l'accent sur l'autorité divine de Jésus sans discréditer pour autant ce que le texte appelle « la Loi ». (On peut remarquer en passant que le concept de « Loi » dans le sens où l'utilise le Catéchisme, même s'il reflète fidèlement l'usage qu'en fait le Nouveau Testament, ne donne pas une idée adéquate de ce que signifie pour les juifs l'Alliance du Sinaï, et des implications de celle-ci en tant que Torah, pour le peuple de Dieu. Voilà un nouveau motif, pour les catholiques, de chercher à dialoguer avec les juifs).
Certaines autres expressions, au cours de cette explication généralement intéressante, aideront les enseignants catholiques qui veulent s'attaquer aux anciens préjugés, ainsi: « Ce principe de l'intégralité de l'observance de la Loi, non seulement dans la lettre mais dans l'esprit, était cher aux Pharisiens ». Dans les paragr. 447 et 993, les paroles employées pour parler des Pharisiens sont empreintes de sympathie, fait remarquable de nos jours, étant donné le triste portrait qui en était universellement fait dans les catéchismes de jadis. Nous lisons de même:
Jésus est apparu aux yeux des juifs et de leurs chefs spirituels comme un « Rabbi ». Il a souvent argumenté dans le cadre de l'interprétation rabbinique de la Loi. Mais en même temps, il ne pouvait que heurter les docteurs de la Loi, car il ne se contentait pas de proposer son interprétation parmi les leurs, « Il enseignait comme quelqu'un qui a autorité et non pas comme les scribes » (Mt 7,28-29) (581).
Même si, là encore, une prise de conscience de la perspective « post-Résurrection » de l'Evangile aurait pu aider les catéchistes, le point central de l'argumentation est d'une importance capitale. Le « problème » n'est pas « la Loi » (qui, après tout a été donnée par Dieu au peuple juif); il n'est pas non plus « le peuple » (qui, après tout, a été choisi par Dieu pour être le peuple de Dieu); c'est la divinité du Christ qui sépare le judaïsme du christianisme. Aussi la section se termine-t-elle par cette phrase, dont les termes sont soigneusement pesés:
Avec (cette) même autorité divine, il désavoue certaines « traditions humaines » (Mc 7,8) des Pharisiens qui « annulent la Parole de Dieu » (Mc 7,13).
Le N. 582 vise aussi à une approche moins dichotomique quand il présente les enseignements de Jésus sur les lois alimentaires rapportés par le Nouveau Testament:
Jésus accomplit la Loi sur la pureté des aliments, si importante dans la vie quotidienne juive, en dévoilant son sens « pédagogique » par une interprétation divine... Il s'est trouvé confronté à certains docteurs de la Loi qui ne recevaient pas son interprétation de la Loi, garantie pourtant par des signes divins qui l'accompagnaient. Ceci vaut particulièrement pour la question du sabbat: Jésus rappelle, souvent avec des arguments rabbiniques, que le repos du sabbat n'est pas troublé par le service de Dieu ou du prochain...
Même si, de nouveau, nous découvrons là plus d'un anachronisme, le point essentiel ressort clairement.
Jésus et le Temple, 583-586
La section sur Jésus et le Temple insiste sur le « respect » profondément juif de Jésus envers le Temple de Jérusalem, citant « ses pèlerinages pour les grandes fêtes juives » (583), sa conception du Temple comme « lieu privilégié de la rencontre avec Dieu » (584) et affirmant finalement que celui-ci « s'est identifié au Temple en se présentant comme la demeure définitive de Dieu parmi les hommes » (in 2,21; Mt 12,6). Ici la théologie est, bien sûr, très différente de celle du judaïsme, comme cela est normal. Ce texte pourra être aidant non seulement parce qu'il permet un approfondissement christologique, mais parce qu'il onne une interprétation profondément chrétienne de la destruction du Temple (585-586), qui n'a rien à voir avec l'ancienne idée que les juifs ont été châtiés par Dieu du fait de leur responsabilité collective dans la mort de Jésus. Voilà encore ici une explication qui sera très aidante pour la catéchèse et qui renvoie au thème traité dans les Notes de 1985, même si le texte n'est pas directement cité.
Jésus et la foi d'Israël au Dieu Unique et Sauveur, 587-591
Après avoir écarté plusieurs pseudodichotomies, le Catéchisme cherche à établir, dans la troisième section: « Jésus et la foi d'Israël au Dieu unique et sauveur », « ce qui a été véritable pierre d'achoppement... pour les autorités religieuses d'Israël ». Il voit celle-ci dans le rôle (joué par Jésus) dans la rédemption des péchés » (587). Faisant remarquer au passage que « Jésus a scandalisé les Pharisiens en mangeant avec les publicains et les pécheurs aussi familièrement qu'avec eux-mêmes » (588), il affirme que « c'est tout particulièrement en pardonnant les péchés que Jésus a mis les autorités religieuses d'Israël devant un dilemme. Ne diraient-elles pas avec justesse, dans leur effroi: Dieu seul peut pardonner les péchés? » (589) La section se conclut par une remarque homilétique: « Une telle exigence de conversion face à un accomplissement si surprenant des promesses permet de comprendre la tragique méprise des membres du Sanhédrin estimant que Jésus méritait la mort comme blasphémateur » (594). Même s'il faudrait développer cela beaucoup davantage pour le monnayer à l'usage des catéchistes ordinaires, nous y voyons une tentative claire et louable de dépasser les polémiques du passé, tout en préservant ce qui est le coeur même de la foi chrétienne.
Le procès de Jésus, 595.598
L'étude de la question clef qu'est le procès de Jésus commence par deux paragraphes denses rapportant de manière détaillée certaines dissensions «parmi les autorités religieuses de Jérusalem », les unes (595) en réaction aux enseignements de Jésus, les autres (596) au sujet de la conduite à tenir vis-à-vis de lui. Le N. 595 note que « parmi les autorités religieuses de Jérusalem », un « bon nombre » crut en lui, comme le Pharisien Nicodème et « le notable Joseph d'Arimathie »; et il se conclut par une référence au livre des Actes: «Une multitude » de juifs, parmi lesquels des prêtres et des Pharisiens, étaient devenus croyants en Jésus « au lendemain de la Pentecôte ». Les lecteurs juifs actuels peuvent ne pas se réjouir de ces conversions autant que les auteurs du livre; cependant, l'affirmation que Jésus avait à Jérusalem des admirateurs et même des disciples dans toutes les couches de la société, et pas seulement des détracteurs (énumérés, eux, au N. 596), est importante pour préserver les chrétiens de tout vestige de l'ancien préjugé selon lequel les juifs auraient une culpabilité collective en tant que peuple.
Le N. 596 nous dit que « les autorités religieuses n'ont pas été unanimes dans la conduite à tenir vis-à-vis de Jésus »: Les Pharisiens ont décidé « de menacer d'excommunication ceux qui Le suivaient (Jn 9,22) », tandis que d'autres, et notamment le Grand prêtre Caïphe, craignaient que « les Romains ne viennent détruire notre Lieu Saint et notre nation », aussi le Sanhédrin, « ayant déclaré Jésus passible de mort en tant que blasphémateur, mais ayant perdu le droit de mise à mort, livra Jésus » à ceux-ci.
Les deux numéros suivants ont été jugés assez importants pour avoir chacun un titre particulier:
«Les juifs ne sont pas collectivement responsables de la mort de Jésus » (597) et « Tous les pécheurs furent les auteurs de la passion du Christ » (598). Il est clair que la distinction entre Jésus en 597 et « le Christ » en 598 est adéquate ici puisque, dans le premier cas il s'agit d'une affirmation d'ordre historique, tandis que dans le second elle est proprement théologique.
Mettant en relief « la complexité historique du procès de Jésus manifestée dans les récits évangéliques » (597), le Catéchisme note même que « seul Dieu connaît le péché personnel des acteurs du procès (Judas, le Sanhédrin, Pilate) ». A plus forte raison — et le texte conclut par une remarque dans laquelle on peut reconnaître l'argumentation rabbinique du qal vahomer — ne pouvons-nous pas « attribuer la responsabilité (de ce qui est arrivé) à l'ensemble des juifs de Jérusalem ». D'ailleurs le Nouveau Testament lui-même attribue les actes commis à « l'ignorance » excusable (Le 23,24; Ac 3,17) de leurs auteurs. Encore moins, conclut ce paragraphe, pouvons-nous « étendre la responsabilité aux autres juifs dans l'espace et dans le temps », nous appuyant seulement sur la formule de ratification rapportée en Mt 27,25 car (et ceci est une citation de Nostra Aetate N.4) « ce qui a été commis durant la Passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les juifs vivant alors, ni aux juifs de notre temps... les juifs ne doivent pas être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits comme si cela découlait de la Sainte Ecriture ».
Ici de nouveau, un aperçu du déroulement chronologique des récits évangéliques tel qu'il a pu être reconstitué grâce aux études bibliques modernes aurait été utile pour appuyer sur ce point les arguments du texte; ce qu'il importe de retenir cependant, c'est que ce dernier place explicitement sous cette stricte rubrique du Concile bon nombre des passages les plus problématiques de l'Évangile de Jean, des Synoptiques, et particulièrement du livre des Actes qui est abondamment cité dans les notes du document (Ac 2,23-36; 3,13-17; 4,10; 5,28-30; 7,52).
Le N. 598 concentre sans ambiguïté l'attention sur l'enseignement essentiel de l'Eglise sur ce point (des auteurs de la passion du Christ) en évoquant et en citant longuement le passage du Catéchisme de Trente, celui-là même sur lequel Jules Isaac, dans ses écrits et au cours de son audience avec le Pape Jean XXIII en 1960, avait cherché à attirer l'attention de l'Eglise. Comme le dit de manière concise le Catéchisme: « L'Eglise n'hésite pas à imputer aux chrétiens la responsabilité la plus grave dans le supplice de Jésus, responsabilité dont ils ont trop souvent accablé uniquement les juifs ».
L'Eglise et les non-chrétiens, 839-840
Dans la section « L'Eglise et les non-chrétiens », nous trouvons deux numéros intéressants pour notre étude: les N. 839 et 840. Ils affirment, d'un point de vue chrétien, le caractère particulier du judaïsme parmi les religions du monde, résumant le N. 4 de Nostra Aetate sous le titre « Le rapport de l'Eglise avec le peuple juif ». A la citation du Concile, il ajoute une référence au texte révisé de la prière du Vendredi saint pour les juifs, qui parle de ceux-ci comme du peuple « à qui Dieu a parlé en premier ». Il s'agit là d'un remaniement volontairement positif de l'ancienne prière pro perfidis judaeis: « A la différence des autres religions, la foi juive est déjà réponse à la révélation de Dieu dans l'Ancienne Alliance » (suivent alors les citations de Rm 9,4-5 et 11,29).
Le N. 840 évoque les Notes de 1985, en citant les passages clefs:
Par ailleurs, lorsque l'on considère l'avenir, le peuple de Dieu de l'Ancienne Alliance et le nouveau peuple de Dieu tendent vers des buts analogues: l'attente de la venue (ou du retour) du Messie.
A cela le Catéchisme ajoute:
Mais l'attente est d'un côté l'attente du retour du Messie, mort et ressuscité, reconnu comme Seigneur et Fils de Dieu, de l'autre celle de la venue du Messie, dont les traits restent voilés, à la fin des temps, attente accompagnée du drame de l'ignorance ou de la méconnaissance du Christ Jésus.
Là, le texte renvoie au N. 597 qui, nous l'avons vu, rejette toute idée de responsabilité collective des juifs pour la mort de Jésus, et aussi au N. 674.
L'avènement glorieux du Christ, 674
Ce dernier numéro se trouve dans la section traitant de l'article 7 du Credo, sous le titre: « L'avènement glorieux du Christ, espérance d'Israël ». Le texte n'est pas le plus clair du Catéchisme, du moins pour notre propos. Les paroles essentielles semblent être les suivantes:
« La venue du Messie glorieux est suspendue à tout moment de l'histoire (Rm 11,31) à sa reconnaissance par « tout Israël » (Rm 11,36 et Mt 23,39) dont « une partie s'est endurcie » (Rm 11,25) dans « l'incrédulité » (Rm 11,20) envers Jésus... L'entrée de « la plénitude des juifs » (Rm 11,12) dans le salut messianique, à la suite de la « plénitude des païens » (Rm 11,25), donnera au peuple de Dieu de « réaliser la plénitude du Christ » (Ep 4,13) dans laquelle Dieu sera tout en tous » (1 Co 15,28).
Pour moi il est clair que le document, pour d'excellentes raisons, essaie de rapprocher ce qui a été jusqu'ici un ensemble de voix plutôt discordantes dans l'interprétation de Rm 9 à 11, à partir de Nostra Aetate particulièrement. Il fait cela de manière créative et aussi utile, me semble-t-il: le Caveat eschatologique du Concile et des Notes de 1985 est préservé, ainsi que la tension dynamique entre le « déjà » et le « pas encore » soulignée par les Notes. Ce dont je ne suis pas sûr, c'est qu'il ait exprimé ces idées, si importantes du point de vue théologique, selon un mode catéchétiquement pratique, qui puisse être aidant dans les cours; mais, en fait, ces passages traitent de ce qu'on appelle habituellement les « mystères » essentiels, liés à la compréhension que l'Eglise a d'elle-même, aspects de notre doctrine qui n'ont jamais été, même pour St Paul, faciles à enfermer dans de simples paroles humaines.
C'est précisément vers de telles questions qu'un dialogue spirituel plus profond entre juifs et chrétiens s'orientera un jour, je crois, mais peut-être pas avant plusieurs générations. En effet, comme nous le rappellent les Notes, ce à quoi nous sommes tous appelés par Dieu en tant que juifs et que chrétiens, c'est à préparer la voie pour le Règne de Dieu, le Malkhut Shamayim, le Règne pour lequel Jésus a enseigné aux chrétiens à prier dans le « Notre Père ».
Le Sabbat, 2165-2195
Un passage du texte qui peut donner matière à un dialogue plus immédiat est celui qui traite du précepte de « se souvenir » (Ex 20) ou « d'observer » le sabbat. Bon nombre de savants datent la « séparation des voies » entre judaïsme et christianisme au moment précis où, dans la communauté chrétienne, on est passé de l'observance du sabbat à celle du dimanche. Le texte même est remarquablement direct, et très utile, à mon avis, car il maintient les distinctions propres:
Le dimanche (jour de la Résurrection: de la nouvelle création) se distingue expressément du sabbat auquel il succède chronologiquement chaque semaine, et dont il remplace, pour les chrétiens, la prescription cérémonielle. Il accomplit, dans la Pâque du Christ, la vérité spirituelle du sabbat juif et annonce le repos éternel de l'homme en Dieu; car le culte de la Loi préparait le mystère du Christ, et ce qui s'y pratiquait figurait quelque trait relatif au Christ: « Ceux qui vivaient selon l'ancien ordre des choses sont venus à la nouvelle espérance, n'observant plus le sabbat mais le Jour du Seigneur, en lequel notre vie est bénie par Lui et par sa mort » (2175).
La dernière phrase se réfère à la fois à St Ignace d'Antioche et à St Thomas d'Aquin. Même si la référence aux préfigurations (c'est-à-dire la typologie) peut laisser certaines personnes mal à l'aise, je crois que le dialogue rend un telle affirmation tout à fait nécessaire. Le texte est bien clair, faisant précéder l'affirmation de ce qui est, après tout, l'essentiel du culte chrétien par cette incise: « pour les chrétiens ». Il laisse donc, comme il me semble logique de le faire, un « espace » théologique aux juifs pour qu'ils continuent à observer le commandement exactement comme Dieu leur a prescrit de le faire, c'est-à-dire non pas le jour que le Catéchisme reconnaît comme celui qui suit le sabbat, mais le jour du sabbat même. C'est pour nous, les chrétiens, que l'événement de la Résurrection et de la nouvelle création est devenu si absolument central qu'il au coeur même de notre culte, tout autant que le sabbat l'est pour les juifs. Ainsi compris, le texte sera très aidant, même s'il eût été plus riche, dans ce cas du sabbat, si l'on avait suivi la suggestion des Notes de 1985 conseillant de tenir compte de la tradition juive post-biblique.
J'ai par contre une difficulté devant le mode d'expression du « En bref » qui, en ce cas, ne semble pas avoir été aussi soigneusement élaboré que dans le texte du Catéchisme lui-même. Le N. 1286, qui est supposé résumer le texte précédent, donne le raccourci suivant: « Le sabbat, qui représentait l'achèvement de la première création, est remplacé par le dimanche qui rappelle la création nouvelle, inaugurée par la résurrection du Christ ». Le mot « remplacer » est malheureux. Nous avons toujours 7 jours dans la semaine, et non pas 6, comme le souligne le N. 1275; et, en fait, dans le diocèse même de Rome, on dit en italien « sabato » pour « samedi », et non pas pour « dimanche ». Peut-être une édition ultérieure pourra-t-elle corriger cette petite inexactitude.
Quelques autres thèmes
Pour finir, je voudrais mentionner quelques autres thèmes qui sont développés utilement, dans les sections appropriées du texte. Ce sont en bref:
1. L'appartenance de Jésus et de Marie à la race juive, qui est soulignée par exemple dans les N. 423, 39, 488, 531. L'analyse des manuels a montré que ce point est un des critères les plus importants pour juger si telle collection de manuels catéchétiques va faire naître ou non chez les jeunes une attitude positive envers les juifs et le judaïsme.
2. A plusieurs reprises, et bien à propos, sont rappelées au lecteur les racines juives de la liturgie catholique. Alors que de nouveau, ce qui est compréhensible, le Christ est présenté comme donnant son « sens définitif » à la liturgie juive (comme par ex. pour le repas pascal), le langage choisi évite soigneusement d'être « substitutionniste » et, dans son ton, cherche à respecter l'intégrité de la liturgie juive (cf. par ex. les N. 1096, 1226, 1334, 1340, 2175, 2767).
3. La section sur les normes éthiques concernant la guerre et la paix contient une condamnation directe du génocide:
« Les actions délibérément contraires au droit des gens et à ses principes universels, comme les ordres qui les commandent, sont des crimes. Une obéissance aveugle ne suffit pas à excuser ceux qui s'y soumettent. Ainsi l'extermination d'un peuple, d'une nation ou d'une minorité ethnique doit être condamnée comme un péché mortel. On est moralement tenu de résister aux ordres qui commandent un génocide » (2313).
Je pense qu'il s'agit là d'une réflexion éthique sur l'Holocauste.
4. En plusieurs endroits, le texte condamne, en tant que péché, la persécution et la discrimination pour des motifs raciaux ou religieux. Il est bien clair que l'antisémitisme y est inclus, même si je n'ai pas trouvé le mot cité explicitement dans le texte.
Si, dans l'ensemble, le document réussit bien à éviter le langage de la substitution, certains passages doivent être lus avec soin pour ne pas être mal interprétés. Cette remarque porte particulièrement sur la section intitulée « Les étapes de la Révélation » (N. 54 à 64), texte qui est intéressant aussi du fait de l'interprétation qu'il donne de « l'alliance avec Noé ».
En ce qui concerne les relations entre catholiques et juifs, les lecteurs pourront se demander s'ilfaut ou non lire le N. 60 à la lumière du N. 63. Ce dernier est clairement et consciemment au présent: « Israël est le peule sacerdotal de Dieu... le peuple des frères aînés dans la foi d'Abraham », tandis que le N. 60 est ambigu lorsqu'on le lit en lui-même. Je pense plutôt que le choix conscient du présent au N. 63 pour parler du peuple d'Israël d'aujourd'hui doit déterminer le sens de l'ensemble du passage, car les mots employés sont très forts. S'il en est ainsi, il s'agit, au N. 60, d'une affirmation eschatologique plutôt que d'une simple prédiction historique quand on mentionne ce jour « du rassemblement de tous les enfants de Dieu dans l'unité de l'Eglise »; en d'autres termes, c'est la manière dont Nostra Aetate interprète ces références bibliques. S'il en est ainsi, la nature de l'Eglise eschatologique et la forme d'unité qui sera la sienne après le second Avènement pourraient bien être impossibles à imaginer d'avance à « l'étape » du pèlerinage où nous sommes actuellement.
Si nous lisons soigneusement les N. 61, 62 et 64, nous pouvons les regarder comme assez conséquents et relativement positifs quant à la relation entre l'Eglise et le peuple juif, sans en eux-mêmes exclure une ouverture aux autres religions; je suis cependant un peu inquiet à l'idée de ceux qui pourraient lire certaines de ces lignes en dehors de leur contexte.
Je dirai, pour conclure, qu'il nous faut éviter une interprétation « fondamentaliste » du Catéchisme lui-même.
* Eugene J. Fisher est Directeur-responsable du Secrétariat pour les relations entre catholiques et juifs au sein de la Conférence nationale des évêques des Elats-Unis. Cet article, traduit de l'anglais, a été publié dans la revue PACE (Professional Approaches for Christian Educators) par Brown Publication - ROA Media, Dubuque, Iowa, U.S.A., n° d'avril 1994, vol. 23.