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Présentation
La rédaction
Depuis des années déjà, nous nous rendons compte que la vie moderne, avec la rapidité des communications, a transformé notre monde en une sorte de petit village. Ce qui importe, maintenant, c'est que les habitants de ce village apprennent à se connaître, à dialoguer entre eux. Tant que notre mon de avait des proportions immenses, nous pouvions rester à l'abri de nos murs et nous dispenser de communiquer vraiment les uns avec les autres; mais maintenant, réduits à un univers de plus en plus exigu, nous nous apercevons que nos murs ne tiennent plus. Nous voilà placés face à l'Autre ... mais le voyons-nous réellement? Que savons-nous de cet « étranger » face auquel nous nous trouvons?
Les 28, 29 et 30 juin 1981, le « Conseil International Chrétiens et Juifs » (ICCJ) organisait un Colloque intitulé « Images de l'Autre: présentation du judaïsme dans l'enseignement chrétien et du christianisme dans l'enseignement juif à la lumière des relations judéo-chrétiennes contemporaines », collo que dont le but était, par delà les préjugés conscients ou inconscients, d'introduire à une meilleur connaissance mutuelle. Le Colloque se proposait d'étudier, à la lumière de l'état actuel des relations judéochrétiennes, la présentation du judaïsme dans l'enseignement chrétien et du christianisme dans l'enseignement juif. Nous ne pouvons, malheureusement, donner ici un compte-rendu complet d'une rencontre aussi riche; son intérêt, en effet, et sa richesse ne se sont pas limités aux conférences données lors des sessions plénières; il faudrait y ajouter les travaux des divers séminaires et les réactions des groupes. Nous voudrions seulement, par les quelques textes reproduits ici, vous faire partager quelque chose de cette richesse, les idées-forces qui ont sous-tendu ces journées communes.
Comme son titre l'indique, le Colloque était organisé surtout pour des éducateurs ... mais ne sommes-nous pas tous, d'une manière ou d'une autre, des éducateurs, nous qui cherchons à promouvoir dans le monde le dialogue judéo-chrétien? Chacun de nous n'a-t-il pas le devoir d'« éduquer » au sens étymologique du mot, de « faire sortir » notre humanité, et chacun de nous d'abord, d'une gangue de préjugés et de méfiance pour l'amener à découvrir l'Autre dans ce qu'il est réellement, l'image même de Dieu?
Celui qui fait cette découverte doit aussi apprendre à en laisser transformer sa vie; s'il veut ménager à l'Autre un espace pour qu'il puisse être lui-même, il ne lui suffira pas de l'accepter ou d'accepter ce en quoi il diffère; non, ce qu'il doit accepter c'est qu'il y ait une « distance » entre cet Autre et lui, et cela, seul un grand amour peut le lui faire découvrir. De même, seul un grand amour peut amener les relations entre juifs et chrétiens de l'étape initiale qu'est la rencontre et la recherche d'une connaissance mutuelle à cette étape finale qui fait découvrir en autrui une telle profondeur qu'il ne reste plus qu'à s'incliner avec respect ou à s'émerveiller; car au-delà de cet Autre que je connais, j'ai à m'approcher du Tout-Autre mystérieux. Accepter pleinement cette distance entre lui et moi, c'est l'étape ultime du dialogue, comme l'exprime si bien le Prof. D. Hartman dans sa conférence donnée à l'ouverture du Colloque et intitulée: « Créer un espace pour que l'Autre puisse être lui-même ». C'est dans cette atmosphère d'ouverture mutuelle que se sont déroulés les divers dialogues et les discusions théologiques.
Ces journées ont permis, en effet, outre ce qui avait trait proprement à l'éducation, d'aborder certaines questions actuelles de la théologie. Ce que nous voudrions, c'est partager avec vous certains points de vue, certaines de ces questions importantes qui se posent et qui devront être sérieuse ment étudiées si nous désirons que le dialogue continue à progresser. Nous espérons que les quelques perspectives présentées ici contribueront à éclairer quelques-unes de ces questions essentielles, comme par exemple: - Le plan de Dieu comporte-t-il deux voies différentes pour un seul peuple de Dieu?
- L'Ancien Testament est-il totalement accompli dans le Nouveau, ou attendons-nous encore un « parfait achèvement » pour la fin des temps? - Comment juifs et chrétiens peuvent-ils répondre les uns et les autres à leur vocation propre et reconnaître en même temps que les uns comme les autres accomplissent la volonté de Dieu et répondent à leur vocation? A ces questions importantes nous ne trouverons de réponse, pensons-nous, que si nous acceptons la tension, une tension positive qui nous permet de vivre avec la conviction d'être nous-mêmes le peuple de Dieu, sans refuser aux autres le même privilège. C'est une attitude intérieure qui nous fait découvrir la richesse, la valeur unique de tout être humain, et finalement son mystère.
Une telle attitude exclut nécessairement toute théologie de la substitution; elle interdit tout sentiment de supériorité, tout mépris envers autrui; elle est le seul chemin pour un dialogue authentique, un dialogue qui exige d'être totalement ouvert, d'avoir finalement un tel respect qu'on laisse à l'Autre cet « espace », cette marge de liberté qui lui permet d'être vraiment lui-même et de répandre en toute vérité à l'appel du Seigneur, ce Seigneur que nous désirons, les uns et les autres, aimer et servir de tout notre coeur, de toute notre âme et de toutes nos forces. Alors, seulement, nous pourrons regarder cet Autre pour ce qu'il est réellement: une créature de Dieu, modelée à San image et à Sa ressemblance.