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SIDIC Periodical XXXVI - 2003/1-3
Poursuivre la culture du dialogue (Pages 28-30)

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Pousuivre la culture du dialogue aux États-Unis: quelques réflexions aprés quinze ans de dialogue
Black, Sophie R.

 


Pendant 15 ans, de 1986 à 2001, à l’initiative d’un prêtre, Father Dan Montalbano, d’une religieuse Sr Mary Ellen Coombe nds et du rabbin Peter S. Knobel, un groupe de catholiques et de juifs d’Evanston, Illinois se sont rencontrés. Leur projet : dialoguer ensemble sur leurs fois respectives. Ils étaient 33 pour commencer et sont restés à 21. De l’expérience de ces 15 années, ils ont désiré faire mémoire dans des pages polycopiées et rassemblées sous le titre : Catholic-Jewish Dialogue Evanston, Illinois, 1986-2001.
Nous publions, avec l’autorisation de leurs auteurs, quelques-unes de ces pages.



Quand j’ai dit, à notre première rencontre il y a quinze ans, que le dialogue entre catholiques et juifs serait difficile pour moi à cause de ce que mon expérience a de particulier, je pensais seulement à faire connaître mon histoire personnelle. Et cela a été compris comme une manière de me définir et de dire dans quelle perspective je participerais au dialogue. Mon intention était simplement de donner un peu d’information sur mon passé.

Notre charte initiale était une approche assez générale de l’expérience du dialogue catholiques/juifs. Elle était écrite par des gens bien intentionnés ; mais pour la plus grande partie, semblait s’adresser à des personnes peu informées, ne sachant rien de l’histoire ; elle était remplie d’expressions chaleureuses et floues. Cela m’a mise mal à l’aise mais puisque je n’avais rien de plus consistant à suggérer comme point de départ, j’ai accepté ce texte comme tremplin. Cependant, dans ses directives, il y avait une déclaration qui me frappa. Comme je n’ai pas l’original sous les yeux, je suis obligée de le paraphraser ; l’essentiel était que pour arriver au dialogue, on doit être capable de se mettre à la place de l’autre et essayer de voir ce qui est à la base de ses croyances. C’était la première fois de ma vie que quelqu’un me demandait de réfléchir objectivement à la pensée d’un non juif.

Je réalise que cette déclaration peut être prise pour une remarque peu intelligente et pas très adaptée. J’avais alors bien conscience, et je l’ai toujours, des statistiques : partout en dehors d’Israël, les juifs sont une petite minorité. Il y a 15 ans, dans mon milieu professionnel, la plupart de mes collègues et de mes collaborateurs n’étaient pas juifs, et j’avais passé toute ma vie dans un monde peuplé d’abord de non juifs. Cependant je n’avais jamais été dans une situation où on me demandait de parler franchement et honnêtement à des non juifs de quelque chose qui était pour moi l’essence, le cœur même de mon existence, je veux dire : le fait d’être juive, et cette perspective me mettait plutôt mal à l’aise.

Bien que la psychologie soit une invention juive, elle ne faisait pas partie de mon éducation familiale : quand les Kowalewsky ressentaient de l’angoisse, ils buvaient du thé chaud et lisaient un livre. La religion était bonne pour ceux qui sont incapables de penser (quelques-uns d’entre nous ont changé d’avis plus tard, je crois). Se torturer, râler, si vous voulez, était considéré comme de mauvaises manières. Ainsi, j’ai recouru à l’héritage de mes parents : j’ai pris du thé, j’ai lu, et j’ai causé indéfiniment avec Sidney. Il m’écoutait jusqu’au bout avec sympathie et m’assurait qu’il n’arriverait rien que je ne puisse assumer. Je lui ai fait confiance, comme toujours, et le reste est histoire.
Quand nous avons décidé, au début de cette année, que le moment était venu de dire nos impressions sur le groupe, sur ses membres et sur notre croissance personnelle à partir de l’expérience, quelqu’un m’a questionnée sur la façon dont, dans mon adolescence, je m’étais adaptée à la vie dans un autre pays. Mon histoire n’est pas extraordinaire pour quelqu’un qui est né en Allemagne avant 1933. Je suis venue en Amérique à 12 ans, trois semaines après la Nuit de cristal (9 novembre 1938), encore sous le choc de l’expérience. Notre départ d’Allemagne ne s’est pas fait à l’improviste. Depuis 1933, mes parents cherchaient où nous pourrions émigrer.

Parce qu’ils étaient apatrides, les Britanniques refusaient de donner une autorisation pour la Palestine, tandis que les parents que nous avions aux U.S.A. n’avaient pas trop envie de nous envoyer une invitation officielle qui les obligerait à prendre la responsabilité d’une famille de trois personnes. On avait pensé à l’Amérique du Sud et aussi à l’Afrique du Sud ; mais toutes les tentatives et les recherches pour aller dans ces pays avaient échoué.
Le fait d’être en Allemagne était plutôt une chance. Mes parents étaient nés tout deux en Ukraine, qui faisait alors partie de la Russie. A cause du numerus clausus appliqué aux juifs dans les universités russes, mon père n’avait pas été admis dans une institution académique. Mon grand-père l’avait donc envoyé étudier à l’université de Leipzig. Un an plus tard, la Première guerre mondiale éclata, et tous les étudiants russes furent expédiés à Chemnitz, ville au sud de Leipzig. Là ils étaient prisonniers du gouvernement allemand et mis au travail dans des fabriques de tricot. Mon père réussit aussi à finir ses études universitaires pendant cette période. Ma mère, pendant ce temps, passait ses examens à l’université de Kharkov (elle avait pu y être admise je ne sais comment). Après la fin de la guerre, ils se marièrent dans leur pays natal, en Ukraine. Après la Révolution et plusieurs pogroms qui suivirent, mon père persuada ma mère de quitter sa famille et de venir avec lui en Allemagne, où « de telles choses ne pourraient jamais arriver » ; et en 1920, après six mois de voyage à travers la Russie, la Pologne et l’Est de l’Allemagne, ils arrivèrent à Leipzig. Elle avait 26 ans, et elle n’a jamais revu ses parents ni sa sœur. Le voyage leur fit perdre aussi leur nationalité. Ceci se révéla une chance dix-huit ans plus tard quand l’immigration aux U.S.A. les mit dans le quota russe. J’étais née six ans après leur arrivée en Allemagne et j’étais leur unique enfant.

J’ai grandi dans des conditions assez confortables. Au début, j’allais à l’école publique, mais la nazification générale a fait que j’y ai souffert ; vers 1935 j’ai été transférée dans un externat juif, plus d’un an avant le retrait obligatoire de tous les enfants juifs des écoles allemandes publiques ou privées. Pour nous, enfants juifs, le monde devenait très petit : on nous gardait à l’écart des endroits où ce qu’on appelait « des choses désagréables » pouvaient arriver, tels que les parcs, les terrains de jeux, les théâtres, etc., et, à la maison et avec les amis, on ne parlait que de questions concernant l’émigration.

Le vrai départ d’Allemagne a été assez facile ; nous avons eu des visas de sortie, un permis pour entrer en Amérique, et nous avons juré que nous laissions derrière nous tous nos biens ; les quelques affaires que nous avions la permission de prendre avec nous furent laissées dans l’appartement sous la garde d’un ancien employé de mon père pour nous être envoyées plus tard, et la plupart arrivèrent effectivement en Amérique.

Mon père avait une sœur à Newcastle (PA) et c’est là que nous sommes venus vivre. Ce fut un vrai choc culturel : la dépression avait beaucoup appauvri la ville, qui n’avait jamais été une grande ville. Tout en étant une des quelques grandes villes d’Allemagne sans château, Leipzig avait au moins une belle architecture baroque, et je trouvais les bâtiments qui n’avaient rien d’artistique d’une cité charbonnière.

De plus, j’étais vraiment malheureuse à l’école. C’était le moment où l’on mesurait les capacités des gens et pour trouver quoi faire avec moi, le directeur et les professeurs pensèrent qu’il convenait de mesurer mon quotient intellectuel. Comme ma connaissance de l’anglais se limitait à quelques sentences comme celles-ci : « Le tram est toujours en retard », et « ma grand’mère tricote des chaussettes », le résultat de mon test était que je manquais de vocabulaire. J’ai été mise dans les sections les plus basses et je m’ennuyais à mourir en classe. Plus tard j’ai appris que j’étais placée quelque part parmi les enfants « modérément retardés », et bien que je me sois arrangée pour améliorer mon classement dans les tests suivants, ce quotient intellectuel a été pour moi une obsession pendant toutes mes années de classe. Il était inscrit sur ma fiche permanente, bien que entre parenthèses.

Nous ne sommes pas restés longtemps à Newcastle. Huit mois après notre arrivée en Amérique, nous avons déménagé pour Cleveland, où on a jugé que mon bas classement n’était pas exact. J’ai passé les examens du lycée et de l’Université « Western Reserve » avec des notes respectables. A Cleveland, nous étions dans un milieu majoritairement juif, dont la lingua franca était le yiddish, et les religions officielles le socialisme et le sionisme de gauche, dans cet ordre. Ma mère a trouvé sa place en Amérique ; mais mon père n’a jamais retrouvé la vigueur qu’il avait eue en Allemagne. Il a pu pourvoir aux besoins des siens d’une manière très respectable, mais il n’a jamais appris à parler anglais couramment. Moi, j’étais une adolescente solitaire ; je n’étais vraiment pas à l’aise avec les garçons et les filles de ma classe. D’abord il y avait la barrière de la langue. Une si grande partie de ce que je voulais dire se perdait dans la traduction, et les mœurs de la société américaine étaient pour moi une constante énigme. Dans la société dans laquelle je vivais, je n’avais pas de passé, et par conséquent je ne pouvais pas rêver pour moi un avenir ; le présent était étranger. C’est seulement en approchant de mes vingt ans, quand je suis entrée dans le Mouvement de la jeunesse sioniste que j’ai eu un certain sentiment d’appartenance. Mais cela aussi était fragile, car, même après être devenue une citoyenne américaine diplômée et entrée dans une carrière professionnelle, l’impression d’être une étrangère ne m’a pas quittée.

Il m’a fallu le mariage, la maternité et Beth Emet pour que j’arrive à m’épanouir. Mon cas n’est probablement pas si rare. Beaucoup de gens ne trouvent pas leur place jusqu’à l’âge adulte. Mais, même alors, j’ai vécu cela sans trouble. Je n’ai pas exploré des mondes différents ; mes contacts dans la société ont été uniquement avec des juifs, et, si, avant ces dernières quinze années on m’avait dit que je participerais à une expérience de dialogue avec des catholiques, j’aurais considéré cela comme impossible.

En regardant ce que nous avons fait pendant ces quinze années, je pense que nous avons fait de bonnes choses, mais que nous ne nous sommes pas encore attaqués à des questions fondamentales. Bien que nous ayons fait des grands pas dans la compréhension de nos héritages, j’ai l’impression que nous n’avons pas atteint une vraie compréhension de ce dont nous parlons. Peut-être que tout le groupe ne pense pas cela ; mais moi j’ai senti tout le temps et je continue à sentir que nous devons creuser jusqu’à quelques questions vraiment fondamentales et parvenir à quelques conclusions générales. Sur certains points nous différerons toujours, mais si nous voulons être en accord avec notre intention initiale, c’est ma conviction sincère que nous avons besoin de dialoguer davantage en profondeur.

A un niveau personnel, est-ce que cette expérience a changé quelque chose en moi ? Probablement. J’ai écrit tout cela volontiers et je ne suis pas ennuyée que vous le lisiez. Je n’ai pas non plus hésité à partager avec vous certaines de ces observations assez intimes. Vous me connaissez maintenant et vous comprenez d’où je viens. Aussi ce doit être dans la confiance. Peut-être ce n’est pas un grand pas pour l’univers, mais c’est un pas de géant pour moi. Et de cela je suis reconnaissante à vous tous.

21 août 2001


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* Traduit de l’américain par M.D. Gros nds

 

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