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SIDIC Periodical XIX - 1986/3
La Loi, chemin de vie (Pages 17 - 19)

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La loi du Christ
Jacques Goldstain

 

Nous connaissons la fameuse parole du Christ en Matthieu 5,17:
«Je ne suis pas venu abolir la Loi ou les Prophètes, mais accomplir, car je vous le dis en vérité: avant que ne passent le ciel et la terre, pas un I, pas un point sur l'i ne passera de la Loi que tout ne soit réalisé ».

On peut penser, comme certains, que cette phrase reflète la situation de conflit dans laquelle se trouvaient les « judéo-chrétiens» de Matthieu et les «pauliniens». Certains pensent aussi que Jésus na pas prononcé ces paroles et lus attribuent à la communauté judéo-chrétienne qui ne voyait nulle contradiction entre la foi au Christ et la fidélité à la Loi: Jacques le souligne fortement lors de l'arrivée de Paul à Jérusalem. en Ac 21,20.

La question qui se pose d'emblée au lecteur de cette phrase, surtout dans le contexte du Sermon sur la Montagne est celle-ci. Cette Loi nouvelle:
«Il vous a été dit que moi je vous dis que... »
est-elle opposée à la Torah d'Israël?

Jésus et l'accomplissement de la Loi
A y regarder de près, il ne parait pas qu'il y ait opposition: même pas dans les antithèses du Sermon. Car la Loi de Jésus est comprise comme l'accomplissement de la Loi ou des Prophètes. Et cet accomplissement se trouve dans le sens d'une concentration sur la loi d'Amour. Ce que Paul explicite de son côté: l'accomplissement de la Loi, c'est l'Amour (Rm 13,10; Ga 5,14).

Or cette loi d'Amour provient de la tradition éthique d'Israël: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même» (Lv 19,18), cité expressément par Paul en Rm 13,9 et Ga 5,14.

De cette Loi de Jésus ainsi comprise, pas un i, pas un point sur ri ne doit effectivement passer. La parole de Mt 5,18 sur la Loi « qui ne passera pas» a son parallèle en Lc 16,17:
«Il est plus facile au ciel et à la terre de passer
qu'à un seul menu trait de la Loi de tomber».


Pour saint Luc, cela signifie bien que le Royaume de Dieu n'est pas « sans loi », même si les publicains et les pécheurs y pénètrent maintenant. Luc aurait-il admis cette parole de son évangile écrit pour des pagano-ohrétiens, s'il ne l'avait pas tenue pour étant de Jésus lui-même?

On constate donc chez Jésus une certaine intériorisation de la Loi. Ce n'est pas seulement l'action accomplie, mais l'intention qui décide. Il ne s'agit pas là d'un trait particulier à Jésus: la théologie pharisienne connaît la Kavana, l'intention qui seule donne valeur à l'acte accompli. On pourrait considérer Jésus, en ce qui concerne l'accomplissement de la Loi, comme un réformateur, et comme le réformateur le plus important et le plus radical que le judaïsme ait lamais fait naître. Mais la critique de Jésus, quant à l'observance de la Loi telle qu'elle était comprise dans le judaïsme palestinien de son temps, n'est pas sortie du cadre du judaïsme, pas plus que ne l'avaient fait les prophètes. Ce qui importait le plus à Jésus dans l'accomplissement de la Torah, c'est ce qui en Mt 23,23 est appelé a les points les plus graves de la Loi: la justice, la miséricorde et la bonne foi ».

Evidemment cela implique un déplacement des points fondamentaux dans l'accomplissement de la Torah. Mais, pour autant, Jésus n'est pas sorti du cadre du judaïsme. 1.1 se tient de fait dans la ligne des prophètes d'Israël. A vrai dire, ce n'est pas dans la question de la Loi, mais sur d'autres points que se situe le «non-judaïsme» de Jésus.

La libération à l'égard de la Loi: St Paul
Sous la plume de Paul, l'optique va s'infléchir: le programme de liberté proposé par le Christ est un programme qui implique une libération à l'égard de la Loi comme voie de salut. A vrai dire, la tradition juive, la piété et le mysticisme d'Israël ne peuvent se retrouver dans cette conception d'une Loi qui, faite pour la vie, conduirait à la mort (14m 7.10; Ga 3,12).

Pour Paul, le Christ n'approfondit plus seulement une loi pour en faire ressortir l'essentiel, mais II nous libère d'une loi qui, par son impossibilié à être accomplis, est devenus loi du péché et de la mort; cela parce que, curieusement, elle aurait excité en l'homme les passions du fait même de ses interdits. Paul, dans tout le Nouveau Testament, a l'exclusivité d'une telle thèse dans laquelle l'auteur du Deutéronome, entre autres, ne se serait guère reconnu, lui pour qui il y a convergence entre Grâce et Loi, obéissance à la Torah et amour de Dieu qui la donne; lui qui affirme si nettement, à l'encontre de Paul, que cette Loi n'est pas du domaine de l'impossible, mais qu'elle est toute proche, toujours à portée de main (Dt 30,14).

Dans les énoncés de l'Apôtre surgit une expression nouvelle qui, cependant, va rejoindre une certaine tradition juive. il parle de a la Loi du Christ». On peut plus heureusement traduire: « la Loi du Messie» ou « la Torah du Messie». Cette expression vient du judaïsme dont un texte dit:
« La Torah qu'un homme apprend en ce monde n'est rien
en face de la Torah du Messie
(Midrash Qoheleth 11,8.52a).

La Torah du Messie ne signifie pas une nouvelle Torah qui relaierait l'ancienne, mais seulement le dernier perfectionnement de le même Torah. Paul emploie la formule rabbinique de « Torah du Messie» en traduction grecque. Pour lui, le Messie Jésus est le « Législateur» de sa communauté, et en cela il rejoint finalement l'évangile de Matthieu qui comprend le Discours sur la Montagne comme la nouvelle Torah du Messie. Contrairement à ce qu'on lui a parfois reproché, le christianisme — même paulinien — ne pose pas le Messie sans Torah.

La Loi du Christ
A y regarder de plus près, et sous certains rapports, les prescriptions du Messie Jésus sont encore plus exigeantes que celles de la Torah de Moïse parce que moins limitées, peut-être moins clairement définies.

La liberté chrétienne que proclame et célèbre Paul est une liberté régie par la « Loi du Christ». La liberté chrétienne est loin d'être une liberté anarchique: elle n'a rien de commun avec un messianisme sans loi.

Aussi bien les nombreux passages parénétiques des Epîtes, les fines analyses psychologiques sur la triple structure de l'être humain et sur le choix qui, de ce fait, s'impose à lui (1 Co 2.11-14), les diptyques sur les oeuvres de ia chair et les fruits de l'esprit (Ga 5,16 sri) prouvent, s'il en était besoin, que la vie chrétienne selon saint Paul demeure bien régie par les impératifs catégoriques du Décalogue a récapitulé » dans l'unique commandement de l'Amour (Rm 13.9).

ll est vrai qu'une telle Loi est moins explicite que celle du Sinaï, et qu'il n'est guère aisé — tout compte fait — de dresser la liste précise de ces commandements du Christ dont il est question tout au long du discours après la Cène (Jn 14,15.21.31); car la grande différence entre ce que nous appel Ions les deux Testaments, c'est que le premier est centré effectivement sur une Loi et le second sur. une personne. A vrai dire, e la Loi du Christ» n'est pas un texte, tût-ii fait d'appels et non d'imper& tifs, et en tout cas pas uniquement une simplification — fût-elle onéreuse — de la Loi du Sinaï. C'est bien plutôt la propre personne du Christ qui devient norme. Le chrétien devra lui emboîter le pas (Lc 23,26), agir comme il a agi Jn 2,6); avoir ses sentiments (Ph 2,5) et cheminer à sa suite (Jn 8.12): tel il fut dans le monde, tel flou devons être, nous y comporter (1 Jn 4.17).

C'est la personne de Jésus qui devient Loi pour le chrétien. Ce qui est normal puisqu'il est la Parole incarnée. Aussi n'a-t-il pas laissé de texte. d'écrits, mais seulement un souvenir, le souvenir d'une vie, de faits et gestes auxquels le croyant doit se référer pour y trouver ce que le croyant du judaïsme trouve dans la Torah: la voie, la vérité et la vie (Jn 14,6).

Cette intériorisation de la Loi et de sa compréhension, qu'annonçaient déjà les prophètes (Jr 31.31-34), elle se réalise pour le chrétien par l'onction qu'il reçoit de Jésus, qui est son Esprit etqui lui enseigne toute chose (1 Jn 2.27), qui lui donne cette psychologie de Fils et tend à le rendre conforme à son image (Rm 8,15-17 et 30).

Aussi le chrétien doit-il se laisser conduire par l'Esprit et résister aux emportements de la chair. Mais I/ se trouve être comme un terrain d'affrontement entre deux forces antagonistes, si bien qu'il ne fait pas ce qu'il voudrait (Ga 5,16-17), et cela parce que l'Esprit l'entraîne bien souvent, ei! sait lui être docile comme Pierre à la fin de sa vie, « là où il ne voudrait pas aller» (Jn 21,18).


Don Jacques Goldstain est un moine bénédictin de l'Abbaye Ste Marie de Paris. Il est bien connu pour ses recherches bibliques et sa connaissance de la tradition juive. Citons, parmi ses nombreux livres ou articles: Le monde des Psaumes, éd. de le Source 1964 et Les valeurs de la Loi: la Thora lumière sur la route, éd. Beauchesne 1980.

 

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