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SIDIC Periodical XX - 1987/3
Jésus et les prophètes d’Israël (Pages 22 - 25)

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Vocation Profhetique - Vocation de Jesus - Diverses perspectives
Daniel B.R. Stawsky

 

Le rôle du prophète

Le prophète est, dans l'acception usuelle, l'homme qui prévoie, qui prédit. Nous mettons tout l'accent sur le préfixe. Le voir ou le dire paraissent très secondaires, et semblent des modalités seulement du contenu substantiel de la prophétie qui serait de découvrir, de dévoiler, d'annoncer l'avenir. Or, la prophétie dont nous tentons de dégager l'essence n'est que très accessoirement anticipatrice. Sa voyance n'est pas nécessairement liée à—l'avenir; elle a sa valeur propre, instantanée. Son dire n'est pas un prédire; il est immédiatement donné dans l'instant de la parole. Vision et parole sont, dans cette prophétie, en quête de découverte. Mais ce qu'elles dévoilent, ce n'est pas l'avenir, c'est l'absolu...

Parmi toutes les tentatives, réelles ou illusoires. historiques ou mythiques, de relier le divin et l'humain, l'expérience prophétique a sa place, Elle implique, à quelque titre que ce soit, une relation entre l'éternité et le temps, un dialogue entre Dieu et l'homme...

Ce qu'il faut préciser, c'est que la prophétie ne se satisfait pas d'une révélation qui, lucide ou mystérieuse, resterait intime et cachée. Elle ne se contente pas de découvrir la voix divine, ou son silence, dans la nature extérieure et dans ses spectacles, ou bien encore dans la nature intérieure et dans ses émotions; elle n'est ni contemplation, ni prière, Dépassant le cadre d'une communion personnelle, l'expérience prophétique traverse l'homme pour se donner à d'autres. C'est ce qui caractérise la prophétie parmi les autres modes de révélation. C'est ce qui distingue le prophète parmi les autres hommes religieux. La révélation prophétique ne se borne ni à la réception, ni à l'acceptation. ni à l'interprétation. Elle exige la transmission. Le prophète participe au transcendant, non seulement pour communier avec lui dans l'intimité, mais pour partager avec lui l'effort d'affronter ce qui n'est pas de son ordre, Deux actes conjugués constituent donc la prophétie: celui de la révélation et celui de la communication. Le prophète assume la révélation qui lui fait ressentir l'apparition du transcendant, avec la même intensité que n'importe quel homme religieux. Mais, adopté par Dieu, il est, de plus, introduit avec lui dans l'affrontement du non-transcendant, dans une position de conquête
l'égard du temps, dans .une histoire.
Définissant leur expérience psychologique, les prophètes disent y jouer le rôle d'un organe, d'un instrument A travers eux, l'infini cherche à pénétrer dans le fini, l'éternité se fraie une voie vers le temps.

A. Neher: L'essence du prophétisme, éd. P.U.F., Paris 1955, pp. 1-3.


GEZA VERMES

Jésus... un Hassid charismatique


Une lecture impartiale des textes synoptiques révèle que des témoins sympathisants de son activité galiléenne tenaient Jésus soit pour Jean»Baptiste, soit pour Elie ou l'un des prophètes (Mc 8. 28 et par.)...

L'expression attribuée aux disciples sur la route d'Emmaüs — « un prophète puissant en oeuvres » — et les paroles qui suivent l'auto-évaluation prophétique de Jésus — « et il ne put faire là aucun miracle » (à Nazareth) (Mc 6,5; Mt 13. 58) — font penser que les termes «prophète » et « thaumaturge » étaient considérés comme synonymes, par lui-même et par ses disciples. Cette particularité est d'autant plus remarquable que l'élément miraculeux n'existe pas dans le concept de prophète lorsqu'il est utilisé sur le mode critique par les adversaires de Jésus. Pour l'hôte pharisien et les serviteurs moqueurs du grand prêtre, la prophétie n'est qu'un don intellectuel qui implique la connaissance de secrets.

Gomme sa mission prophétique consistait surtout en une activité charismatique. Jésus se plaçait lui-même — et ses amis en faisaient autant à son sujet — du côté d'Elie et d'Elisée, deux personnages bibliques représentés essentiellement comme des thaumaturges dans le ludaisme inter-testamentaire (Foch 48,1-14). Laissons de côté l'évidente dépendance de plusieurs récits évangéliques à l'égard d'histoires parallèles du livre des Rois: le retour à la vie du fils de la veuve de Nairn peut être comparé à des actes similaires attribués à Eue (Sérepta) et à Elisée (Shunem) (Lc 7,11-17 et 1 R 17,17-24: 2 R 4,18-38); et la foule nourrie par Jésus rappelle les cent hommes pourvus de nourriture par Elisée (Mc 6,31-44 et par., et 2 R 4,42-44). Il reste qu'un lien particulier avec les deux prophètes est positivement reconnu par Jésus lorsque, en quittant Nazareth. il cite Elie et Elisée comme des exemples de prophètes méconnus chez eux:
« En vérité je vous le dis: aucun prophète n'est bien vu en son propre pays 1...), il y avait bien des veuves en Israël au temps d'Elie, (...) pourtant ce n'est vers aucune d'elles qu'Elie fut envoyé, mais vers une veuve de Sérepta du pays de Sidon. Il y avait aussi bien des lépreux en Israël lors du prophète Elisée; pourtant aucun d'eux ne fut guéri, mais Naaman le Syrien » (Lc 4,25-27; 1 R 17, 9; 2 R 5, 14).

Un tel parallèle, en particulier avec Die, soulève la question d'un rapport entre la réputation de prophète et la conscience prophétique qu'avait Jésus, et l'idée du hassid charismatique..

En fait, la croyance professée par ses contemporains, que Jésus était un prophète charismatique,. rend un son si authentique que la bonne question historique n'est pas de se demander si un concept galiléen aussi peu dogmatique fut jamais en vogue, mais plutôt de chercher comment il a reçu un gauchissement echatologique, et sous quelle influence.

G. Vermès: Jésus le Juif, éd. Desclée. Paris 1978, pp. 116-119.


SCHALOM BEN CHORIN

Jésus... dans la ligne des tannaïm


Depuis le XIXe siècle, une théologie libérale, elle aussi active dans le judaïsme, a volontiers présenté Jésus comme un prophète. Cette définition ne me parait pas non plus pertinente. Jésus n'a pas été prophète, au sens de l'Ancien Testament...

La parole prophétique commence souvent par des expressions telles que: « Ainsi parle le Seigneur », ou bien: a Ecoutez la parole du Seigneur.» Il peut aussi s'agir d'un ordre adressé au prophète: « Tu parleras aux enfants d'Israël », ou d'une affirmation du prophète lui-même: « Et la parole du Seigneur me fut adressée et je parlai...»

De telles expressions ne se retrouvent nulle part dans les paroles de Jésus. Il parle de sa propre autorité, sans avoir à transmettre ou à rendre publiques les sentences de Dieu.

De plus, le prophète a le don de voyance, et les visions font partie de ce qui le caractérise... Mais, là encore, on ne trouve pour Jésus nul témoignage de visions de cet ordre.

Chez les anciens prophètes Elle et Elisée, on rencontre des épisodes de résurrection, tout comme dans les récits concernant Jésus. Mais les évangélistes insistent alors pour préciser la différence entre les deux situations. Tandis que les anciens prophètes se mettent en prière pour implorer la résurrection, Jésus se contente d'ordonner à Lazare de sortir du tombeau, ou à la fille de Jade de se lever et de marcher.

Les traits caractéristiques des prophètes — au sens de l'Ancien Testament — ne se retrouvent pas chez Jésus. Jésus me semble plutôt se situer dans la ligne des Docteurs de la Loi de son époque, les Tannaïm. Le caractère tannaïtique réside dans le fait que Jésus — tout comme les Docteurs de la Loi de son temps — profère un enseignement en utilisant deux méthodes alors bien typiques: il commente les textes canoniques qu'il cite, et il utilise des « meshalim » (paraboles). Par là, Jésus demeure tout à fait dans la ligne des Docteurs de la Loi, ses contemporains.

Sch. Ben Chorin: Mon Frère Jésus, éd. du Seuil, Paris 1983, pp. 15-16.


LAURENT GAGNEBIN

Le prophétisme « occulté » de Jésus


Au verset 19 du chapitre 4 de l'Evangile de Jean, la Samaritaine déclare à Jésus: « Je vois que tu es un prophète ». On remarquera que Jésus ne récuse pas ce titre. Peu de titres donnés à Jésus. excepté celui de Christ c'est-à-dire Messie, nous renvoient autant que celui de prophète aux origines juives de Jésus et à ses racines. Or, de tous les titres accordés par l'histoire de la pensée, la foi et la tradition chrétiennes à Jésus, ce titre de prophète est celui qui a été le plus oublié. Cette appellation inscrit tellement clairement Jésus dans la terre d'Israël, et elle seule, qu'elle a très probablement gêné les chrétiens toujours tentés d'accaparer Jésus, de le confisquer à son peuple.

tl nous faut faire une autre remarque. Appeler Jésus prophète, en soulignant ainsi ses racines juives, en marquant notre fidélité à une part fondamentale, et trop souvent sous-estimée, de l'Evangile, ce n'est pas opérer une réduction et diminuer Jésus, c'est, au contraire. aller droit à l'essentiel. Cette démarche et cette visée ne nous conduisent pas à une idée infériorisante de la personne, de l'oeuvre et de la condition de Jésus. Dire de Jésus qu'il est prophète, le prophète par excellence, c'est certes l'insérer dans une tradition et dans une histoire, mais c'est surtout saluer en lui la Parole de Dieu pour nous. Entendre en Jésus la Parole de Dieu, c'est le coeur de la foi et c'est — et on l'ignore trop souvent — reconnaître pour ce qu'elle est véritablement, dans un sens biblique. sémitique et non métaphysique, sa condition de Fils de Dieu.

L. Gagnebin. «Jésus prophète luit», en Sens 8-1985.


JESUS ASURMENDI

Y a-t-il un prophétisme dans l'Eglise?


La réponse ne peut être que positive. Non seulement il y a des prophètes dans l'Egilise, mais on ne peut pas s'en passer.

En effet, qui pourrait dire que la communauté croyante n'a plus besoin d'être édifiée par l'exhortation et la consolation, par le jugement et l'espérance? Oui oserait dire que l'Eglise est arrivée à un tel degré de perfection dans l'amour et la communion que cette exhortation critique et cet appel au dynamisme créateur de l'espérance n'aient plus de place en son sein?...

Le prophète chrétien e comme mission de rendre actuelle la Parole, autrement dit Jésus-Christ, non en la répétant mais en l'actualisant. En ce faisant, il montre nécessairement l'inadéquation, ladistance séparant la Parole de la « réalité» vécue par les croyants au niveau individuel et en tant que communauté. Evidemment, personne n'aime qu'on lui montre le décalage entre ses paroles et ses actes, et bien davantage encore lorsqu'il s'agit d'une institution!...

Dans l'Eglise, les prophètes ne sont institués par personne. Seul l'Esprit /es suscite. L'Eglise, la communauté des croyants, doit seulement les écouter, les discerner et les reconnaître. Sans se hâter mais sans trop tarder...

Le prophète chrétien, comme celui de l'Ancien Testament, sera souvent contesté pendant son ministère, rejeté ou écouté, et ce sera sa mort qui donnera le recul nécessaire pour le discernement définitif. Comme ses prédécesseurs, c'est toujours après sa mort que le prophète acquiert sa vraie dimension prophétique. La vie du prophète est toujours signe de contradiction.

Prophètes chrétiens dans l'Eglise d'aujourd'hui? Oui. Comme dans l'Eglise de toujours. Car croire à l'actualité de Dieu, c'est croire à la présence des prophètes parmi nous pour rendre actuelle sa Parole. Croire à la fidélité de Dieu à son Eglise c'est croire qu'a ne va pas la laisser s'endormir, s'engloutir, perdre sa force et la dynamique de l'espérance. Et pour cela Jésus Christ, « le » prophète, est présent par l'intermédiaire d'hommes et de femmes prophètes qui, chacun à sa façon en son lieu et en son temps, vont actualiser la Parole qui vivifie tous ceux qui croient en Lui.

J. Asurmendi: Le Prophétisme, éd. Nouvelle Cité, Paris 1985, pp. 164-167.


ANDRE CHOURAQUI

Le prophétisme, contestation universelle


La contestation hébraïque est l'essence du prophétisme. l'essence de l'existence hébraïque et l'essence même de toute foi au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, qui puisse être conséquente. Ou bien dire: je crois au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ne signifie rien, ou bien cela signifie une contestation universelle. Contestation universelle des pouvoirs, qui ne soient pas de justice et d'amour, mais aussi une contestation qui va au-delà des puissances. Les prophètes, lisez la Bible, contestent les nations de la terre, mais ils contestent leur peuple, ils contestent leurs rois...

Mais leur contestation va plus loin, ils contestent l'homme en tant que tel, l'homme qui ne soit pas une réplique de ce Créateur du ciel et de la terre, qui ne soit pas aux dimensions de l'universel. La Bible ne parle pas du juif, elle ne parle pas de l'Hébreu, elle parle de l'homme. Prenez toute la Bible, c'est l'humain qui est en cause, et l'humain conçu, conjugué au masculin-féminin...

Les prophètes contestent l'injustice, la guerre. tout ce qui n'est pas amour, justice et vérité. Mais leur contestation va encore plus loin. Vers 750, Isaïe est sans doute le premier homme sur terre à annoncer le règne de la paix universelle. Il est le premier pacifiste, le premier annonciateur du règne de la paix, interprète en cela de tout le mouvement prophétique Qui le précède et qui le suit...

Je pense qu'il n'est pas possible d'être un fils de Dieu, un ben Elohim, un témoin du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, sans une contestation universelle, aujourd'hui plus évidente et plus nécessaire. à mesure que les peuples et les hommes s'éloignent de leurs sources, oublient leur vocation divine, pour devenir les ouvriers de la mort. Oubliant leur nature divine, les hommes sont victimes de toutes les morts et de toutes les pollutions, voués,vendus à toutes les idolâtries, celles de la pornographie, du sexe, de l'argent, de la puissance, de la guerre. L'homme est arrivé à transformer la divine liturgie de la création en menace de suicide universel dont l'imminence n'est plus contestée par personne. La contestation devrait, elle aussi, devenir universelle et définir les voies nouvelles qui pourraient la rendre efficace. Je souhaite que mon peuple d'Israël, dont les tâches et la vocation sont écrasantes, redevienne le peuple de la contestation universelle. Mais tous les hommes, et d'abord les chrétiens et les musulmans, s'ils veulent seulement survivre, ont l'urgent devoir de préparer leur universel retour au service de la vie, ce qui ne se fera pas sans la révolution universelle qu'annonçaient déjà les prophètes et les apôtres de la Bible.

A. Chouraqui: Retour aux racines, éd. Le Centurion, Paris 1981, PP. 184-189.


REFERENCES UTILES

Dans la Torah


Définition du prophète: Nb 12; DI 18,18-19.
Premier emploi du mot . prophète »: Gn 20,7.
Moise, modèle biblique de prophète: Nb 12,6-8; DI 34,10
Aspiration biblique à une prophétie collective: Nb 11,29. Lévirat et prophétie, 1 Ch 25,1-4.
Définition du faux prophète. Dt 13,1-6; idem 18,19-22.
Exemples de prophètes acceptant et remplissant leur rôle: Is 6,8; Ez 2.
Ex. de popheles refusant leur rôle, mais à qui il est imposé: Ex 3,11-13 et id. 4,1-11; Jr 1,4-7; Jon 1-2.
Retour de la prophétie classique avec le retour du peuple d'Israël sur sa terre de nos jours: DI 30: Is 27 et 49-54: Ez 10 et 36-37 et 40-45: Za 8: JI 3,1-4.

Dans le Talmud de Babylone:

Nature de la prophétie: Sanhedrin 93b, 87a: Hagigah 13b; Megillah 14a: Vevamot 49b.
La prophétie pendant le Second Temple: Bava Baba 12a, 15a; Voma 9b, 21b; Sotah 41b; Sanhedrin 11a; Nedarim 22b: Hullin 137.
Temple et prophétie: Hagigah Meed Katan 2: Kiddushin 71a: Ta'anit 20: Sotah 48b; Bava Baba

 

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