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La typologie des pères de l'église - Quelques aspects valables pour notre temps
Francesca Cocchini
Un article de Sofia Cavalletti, paru dans un numéro de cette revue, présentait la typologie comme « une méthode de lecture qui cherche des ressemblances et des rapports entre les divers événements de l'histoire du salut, les empreintes dont ils se marquent réciproquement »; il rapprochait aussi cette méthode exégétique — que l'on trouve déjà dans les Ecritures mêmes — de celle qui est propre à la liturgie. Celle-ci, caractérisée dans la tradition juive comme dans la tradition chrétienne par le « mémorial», est appelée aussi à transcender les limites du temps et de l'espace pour éduquer M fidèle à « vivre dans le présent les événements passés »... « orientant en même temps vers l'eschatologie ». S. Cavalletti mettait aussi en évidence, dans cet article, les dangers d'un usage incorrect de la typologie et, au contraire, les valeurs positives d'une telle méthode quand elle est bien comprise et utilisée, méthode qui, dit-elle, est « essentielle pour approcher le Mystère
Selon les Pères, la typologie repose sur deux principes
La typologie peut, en effet, faire obstacle au mystère de la Parole de Dieu et le contredire, si
elle dit cette Parole en y discernant des correspondances qui, de l'Ancien Testament, passent au Nouveau, mais s'y arrêtent comme à un but désormais atteint; elle respecte au contraire le « mystère » et aide à le pénétrer si, discernant les rapports qu'ont entre eux les événements et les personnages des deux Testaments, elle y découvre les traits essentiels de cet unique projet divin qui ne sera accompli et totalement manifesté que lorsque « Dieu sera tout en tout » (1 Co 15,28).
Les auteurs ecclésiastiques des premiers siècles du christianisme ont fait grand usage de la typologie dans leur étude des textes scripturaires, et nous trouvons dans leurs oeuvres des applications très diverses de cette méthode ainsi qu'une grande variété de théories en ce qui la concerne. Les Pères laissent entendre que si la lecture typologique est autorisée et même nécessaire, c'est qu'elle s'appuie sur deux présupposés:
1 - La -Parole divine recèle un « mystère ni elle a donc un sens qui ne peut être saisi et épuisé de manière superficielle, mais qu'il s'agit de découvrir et d'approfondir, avec la conscience qu'on n'arrivera jamais à le comprendre pleinement, mais qu'on pourra le découvrir, du moins en partie, dans la mesure où chaque verset, chaque mot, sera interprété non seulement à la lumière qui lui est propre, mais à celle de tout le « champ » dans lequel u le trésor se trouve caché ».2
2 - La Parole divine a un Auteur unique, l'Esprit Saint: elle est donc cohérente dans tous ses éléments et fidèle à elle-même en chacune de ses expressions.
Irénée: une typologie qui reconnaît une progression dans l'économie du salut
Le terme de « typologie » vient de typos, que Paul utilise pour désigner le rapport entre Adam et le Christ, c'est-à-dire entre deux personnages dont l'un appartient à l'Ancien et l'autre au Nouveau Testament. Irénée (140-202 apr.J.C.) explique pourquoi l'apôtre voit en Adam un « typos » du Christ:
(En Adam) le Verbe, artisan de toutes choses, avait ébauché à l'avance ce qui s'accomplirait en lui-même, l'économie d'Incarnation, concernant le Fils de Dieu ».3
Sa réflexion se concentre ensuite sur la personne du Christ et sur son rôle de récapitulation et de salut mais, ce qui me parait intéressant à relever ici, c'est qu'Irénée fonde son parallélisme entre Adam et le Christ sur l'« économie », le projet de Dieu dynamique, global, orienté vers l'avenir et. en même temps, préfiguré déjà tout entier dans son premier instant (Adam)" et concentré dans son étape essentielle (le Christ). C'est 'renée encore qui, dans son commentaire de Mt 12,6 (« Il y a ici plus que le Temple »), cherche à expliciter ce mouvement vers un continuel progrès, caractéristique de toute l'histoire sainte. Il écrit en effet:
Or, le plus et le moins ne se disent pas de choses qui n'ont entre elles rien de commun, sont de natures contraires et se combattent mutuellement: mais de choses qui sont de même substance et communient l'une avec l'autre, ne diffèrent que par la quantité et la grandeur, comme l'eau diffère de l'eau, la lumière de la lumière, la grâce de la grâce... Il ne change pas Dieu pour autant, ni n'annonce un autre Père, mais celui-là même qui a toujours davantage à distribuer à ses familiers et qui, à mesure que progresse leur amour pour Lui, leur accorde des biens plus nombreux et plus grands. C'est en ce sens que le Seigneur disait à ses disciples: « Vous verrez des choses encore plus grandes que celles-ci » (Un 1,50). Paul dit aussi: « Ce n'est pas que j'aie déjà reçu le prix, ou que le sois déjà justifié, ou que le sois déjà parvenu à la perfection » (Ph 3,12); « car nous ne connaissons qu'imparfaitement et nous ne prophétisons qu'imparfaitement; mais quand sera venu ce qui est parfait, ce qui est imparfait sera aboli » (1 Co 13,9-10).5
Le passage de l'Ancien au N.T. n'est donc pas vu par Irénée comme une opposition, un changement de « nature ou substance » entre des réalités saisies « typologiquement celui-ci marque plutôt un « progrès » en « quantité et en grandeur », un progrès qui ne s'arrêtera que « lorsque sera venu ce qui est parfait».
Irénée écrit contre les hérétiques, identifiés avec /es gnostiques et les marcionistes, et la typologie lui sert avant tout à défendre l'A.T. Celui-ci etait en effet contesté, quant à sa valeur intrinsèque, par les doctrines des gnostiques et des partisans de Marcion qui le rejetaient, en le séparant nettement du N.T.
Il s'agissait donc d'en souligner la valeur et de démontrer aux chrétiens (qui venaient toujours plus nombreux du paganisme et risquaient de considérer les livres de l'A.T. comme superflus) combien il est nécessaire de le connaître pour pouvoir comprendre le Nouveau.
Irénée et Augustin: une typologie respectant la vérité historique
Le passage d'Irénée cité plus haut comporte cependant un autre élément, qui vient enrichir le sens de la méthode typologique: Si les réalités qui « communient l'une avec l'autre » doivent être « de même substance », cela implique qu'elles soient toutes également « historiques », « réelles ». C'est Augustin surtout (au début du Ve siècle) qui sentira la nécessité d'expliquer que s'il est vrai que l'A.T. est « ombre » et « figure » du Nouveau, cela ne signifie pas que cette « ombre » ou « figure » soit vidée de sa vérité historique et qu'elle n'ait qu'une valeur symbolique. Il écrit:
Nous ne croyons pas que ces choses (les faits de PAT.) aient été dites et écrites, mais ne soient pas arrivées; nous croyons au contraire qu'elles sont réellement arrivées, et arrivées telles que nous les lisons; cependant nous savons par l'enseignement de l'apôtre que les choses qui se sont produites étaient l'ombre de celles qui devaient se produire... Ainsi devons-nous avant tout chercher les sens attachés au fondament de la réalité des événements, pour ne pas donner l'impression de vouloir construire en l'air, en ayant évacué tout fondement.6
Origène, Ambroise, Augustin: une typologie liée à l'espérance
Si la lecture typologique que font les Pères de l'A.T. peut quelquefois — surtout quand elle est centrée sur le Christ — donner l'impression que. avec le NT, la force dynamique qui parcourt l'histoire est venue à extinction, il existe un texte d'Origène, christologique lui aussi, qui maintient bien cette perspective de progrès. L'un des signes eschatologiques les plus évidents est celui de la Pie: Eh bien, le Christ lui-même ne l'a pas pleinement atteinte. Commentant Mt 26,20. Origène Pans la première moitié du Ille siècle) écrit:
Mon Sauveur, encore maintenant, pleure mes péchés. Mon Sauveur ne peut goûter d'allégresse tant que je demeure dans l'iniquité. Pourquoi ne le peut-il? Parce que lui-même est « avocat pour nos péchés auprès du Père »... Comment donc lui, l'avocat pour mes péchés, pourrait-il boire le vin de l'allégresse, quand moi je le contriste en péchant?...
Aussi dit-il: «Je ne boirai plus du fruit de cette vigne, jusqu'à ce que je le boive de nouveau avec vous», II attend donc que nous nous convertissions pour pouvoir être dans la joie avec nous, dans le Royaume de son Père.7
Ce texte d'Origène montre bien que c'est dans l'eschaton seulement que l'histoire atteindra Sa « vérité » totale, plénière. Ambroise écrit de son côté:
L'ombre dans la Loi (Torah),
l'image dans l'Evangile,
la vérité dans les réalités célestes.8
Ces deux textes montrent que la lecture typologique n'a de valeur que si elle éduque à l'espérance. Augustin écrit, lui aussi:
Les juifs sortent de l'Egypte et, après la Mer Rouge, ils errent dans le désert: de même aussi les chrétiens, après le baptême, ne sont pas encore dans la Terre promise, mais vivent dans l'espérance. Le désert est le monde, et celui qui est vraiment chrétien, après son baptême, vit dans le désert; il comprendra qu'il vit en pèlerin, qu'il attend la patrie. Si son attente est longue, il vit dans l'espérance... Cette patience au milieu du désert est signe d'espérance. S'il se croit déjà dans la patrie, il n'arrive pas à la patrie. S'il se croit déjà dans la patrie, il restera en route. Pour ne pas rester en route, qu'il espère la patrie, qu'il la désire, sans quitter la route!»9
NotesFrancesca Cocchini est chargée de recherches d'histoire du christianisme auprès de Rome (département des Etudes historico-religieuses). Outre divers articles, elle a publié le commentaire d'Origène sur la Lettre aux Romains (éd. Marietti, coll. Ascolta Israele)
1. Cf. SIDIC, vol. XIX, N. 2 (1986), p. 38-39.
2. Pour l'application de la parabole matthéenne du trésor cachée à l’Ecriture, je me permets de renvoyer à ma article « Un discorso sulla Scrittura per Greci, Giudei, Gnostici et Cristiani : Mt 13 :44 », in SSR, VI, 1’2 (1982) 105-133.
3. Irénée: Adv. Haer. III 223.
4. On trouve des propos parallèles en Bereshit Rabba (sur Gn 1.11: «Le ciel et la terre... même ceux dont il est écrit: Car voici que je vais créer des cieux nouveaux » (Is 65.17). Ils ont déjà été créés depuis les six jours de la création, comme il est écrit: Car ainsi que les cieux nouveaux et la terre nouvelle.. (Is. 66,22); il n'est pas écrit: « des cieux nouveaux », mais « les cieux… »
5. Irénée, Adv. Haer. IV.9.2.
6. Augustin, Serin. 82. Ct. PL vol. 38, col. 68.
7. Origène, Hom. m Lev. Vii,2.
8. Ambroise, Enarr. 25 in Ps 38.
9. Augustin, Serin. 4.9. Cf. PL vol. 38, col. 37-38.