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SIDIC Periodical IV - 1972/3
Le rôle du judaïsme dans la civilisation (Pages 20 - 29)

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Le mistère d'Isräel - Semaine d'études
S. M. Bénédicte

 

C'est la seconde année que la maison « des Avents », par son directeur, le Père Favre, consacrait une Semaine d'études au « Mystère d'Israël ». Ces Semaines d'études s'adressent en priorité aux professeurs de l'enseignement public (chrétiens ou en recherche), aux étudiants et aux aumôniers de lycées, et celle-ci regroupa une bonne quarantaine de participants.

Le thème principal était « Particularisme et universalisme de la vocation juive ». Les animateurs : le Père B. Dupuy, secrétaire du Comité épiscopal français pour les relations avec le Judaïsme; le Père K. Hruby, professeur à l'Institut Catholique de Paris; Mr. F. Lovsky, secrétaire du Comité protestant « Eglise-Israël »; le Père Dalmais, O.P.; Sr. M. Bénédicte, de Notre-Dame de Sion, Sidic-Paris.

— Le Père Dupuy introduisit le thème de cette semaine sous forme d'une question : Comment se fait-il que le Judaïsme ait été appelé à être une Nation pour une confrontation avec les Nations? et traita de l'enseignement biblique sur le particularisme et l'universalisme de la vocation juive.

— Le Père Hruby apporta l'approfondissement de la tradition rabbinique dans son ensemble sur ce thème (de la pensée talmudique à la pensée moderne, en passant par l'étape médiévale). Il fit

— à sa manière, dense et chaleureuse — une initiation aux fêtes juives de la convocation d'automne, Rosh-Hashana, Souccot, tandis que le Père Dalmais, O.P., traitait de la Convocation d'automne dans la tradition chrétienne.

— Le Père Dupuy et le Père Dalmais situèrent Abraham dans la tradition juive et dans la tradition de l'Islam.

— Le Père Dupuy traita « L'exil et le retour » dans la pensée juive moderne.

— Mr. Lovsky, dans une conference intitulée « La déchirure de l'absence », fit partager aux auditeurs la méditation, qu'il approfondit sans cesse, sur la condition juive et l'attitude chrétienne vis-à-vis du Judaïsme et des Juifs. Il fit aussi un exposé sur « La prière chrétienne pour les Juifs », ou mieux, « sur la prière chrétienne, relative aux Juifs. »

— Sr. M. Bénédicte aborda un aspect concret du travail de redressement qui s'impose aux Eglises chrétiennes, en ce qui concerne les relations avec le monde juif, en traitant : « Les Juifs et le Judaïsme dans le langage catéchétique, aujourd'hui. »

Nous donnerons ici l'essentiel de quelques-unes de ces conférences.

Introduction (Père D. Dupuy)

« Comment se fait-il que le Judaïsme ait été appelé à être une Nation pour une confrontation avec les Nations? »

Quelques remarques :
Il est fait, aujourd'hui, au peuple juif, un procès de particularisme et même, certains Juifs — en crise d'identité — accusent les Chrétiens de faire peser sur l'ordre humain l'idée d'élection, déclarée « nocive ».

Nous avons, Juifs et Chrétiens, des lectures de la Bible différentes. Les Chrétiens lisent la Bible comme allant du particulier à l'universel (cf. introduction de la Bible de Jérusalem) : la vocation du peuple d'Israël s'est élargie avec le Christ, elle est devenue universelle. Nous pouvons aussi bien aller de l'universel au particulier : c'est le choix qu'a retenu la tradition juive. L'Alliance de Dieu est destinée à toute l'humanité. Pour des raisons historiques, surtout parce que les Nations n'ont pas été fidèles à cette Alliance, Dieu mit à part un Peuple destiné à Lui rendre témoignage parmi les Nations.

Nous constatons alors que le Juif est d'abord particulariste. Il rencontre cependant l'universalisme. Mais c'est, pour lui, une crise d'identité. Ce n'est que dans un second temps qu'il porte unmessage d'universalisme. Le Chrétien est d'emblée universaliste, et, quand il essaie de vivre dans un monde « de Chrétienté », il fausse inévitablement son message.

Aujourd'hui, Juifs et Chrétiens ne peuvent se comprendre — et leurs positions respectives —que s'ils saisissent ce qu'a été leur histoire. Ainsi, la prédication de Paul, son affirmation du Salut apporté aux Nations, c'est d'abord l'échec de sa prédication aux Juifs. Du point de vue juif (cf. Israël et l'humanité, « Introduction ») : pour Benamozeg, il y a une crise permanente et inéluctable, à l'intérieur de la religion; cette crise vient de ce que le Christianisme s'est proclamé la religion universelle : c'est sa grandeur. Mais a-t-il réussi? Le Judaïsme porte aussi cette tradition d'universalisme. Benamozeg pense que les difficultés des Eglises viennent de ce que « les religions n'ont pas vu que le Judaïsme est universaliste : il a produit des religions universelles. Il se présente comme particulier — mais il contient l'universalisme ». Nous confondons Judaïsme et Mosaïsme — mais Israël se sait élu pour les Nations.

Particularisme et universalisme de la vocation Juive
La Bible - et particulièrement les prophètes (Père Dupuy)


Il faut dénoncer un certain nombre de présupposés — et de clichés — de l'habituelle lecture chrétienne, qui déforme le sens juif du « prophète » et de l'Alliance. Les livres « prophétiques » des Juifs ne sont pas ceux que nous désignons ainsi, et l'idée de livre prophétique n'est pas liée à l'universalisme (la période de Josué à Samuel est restée, par exemple, celle des Nebihim - vrais ou faux); cf. Amos 2, 11. Le prophète est celui qui a reçu révélation des voies de Dieu à suivre (Gen. 18, 12), et qui « se met en route » pour affirmer ce dessein : Moïse est prophète. Les prophètes n'ont pas pour mission de faire connaître la Tora aux Nations, d'universaliser la religion juive, mais de rappeler à Israël les exigences de Dieu, par rapport au don de la Tora. Si beaucoup de leurs appels s'adressent aux Nations, c'est pour rappeler à celles-ci l'Alliance noachique (c'est par cette Alliance que les Nations sont incluses dans le plan de Dieu, et demeurent liées à Israël).

La mission essentielle des prophètes est de mettre en relief que l'Alliance (Berit) est aussi « Hesed » (grâce - pitié - miséricorde - et justice). Elle comporte des exigences, et le juridique ne peut donc s'opposer à la Hesed. Cette Hesed n'est pas le bien propre d'Israël, et, si le prophétisme combat l'idolâtrie chez le peuple d'Israël, il le combat aussi chez les Nations, mais il ne s'agit jamais, pour les Nations, d'une éventuelle conversion au Judaïsme.

La Révélation de Dieu s'adresse à l'humanité entière, mais à des niveaux différents, ce que la Tradition juive ne perdra jamais de vue. Le non-Juif qui se soumet aux exigences du noachisme, est considéré comme conforme à ce qu'il doit être. Cependant, si les Nations ne sont pas appelées à embrasser la voie d'Israël, à tout moment, tout homme a la possibilité de s'insérer dans le corps du Judaïsme (prosélytes). Seules, les circonstances historiques expliquent que le prosélytisme juif se soit beaucoup ralenti.

La tradition rabbinique (Père K. Hrube

La pensée talmudique reprend les perspectives bibliques en les approfondissant. Elle met l'accent sur le caractère de la relation unique entre Dieu et Israël, fils premier-né, et la permancence des rapports d'amour entre Dieu et son peuple.

Israël occupe une fonction centrale dans le projet de Dieu, fonction cosmique, mission universelle devant laquelle il s'efface. Il est le « nes amim » — étendard vers lequel doivent regarder les Nations, à travers qui elles doivent découvrir, dans la perspective prophétique, l'Emet Adonaï: la Vérité de Dieu. Or, en se manifestant comme ennemies de cette Vérité de Dieu, les Nations sont en inimitié avec Israël, témoin de cette Vérité.

La tradition rabbinique reproche aux Nationsde ne pas avoir accepté la Tora qui a été offerte d'abord à toutes les Nations : le Midrash explique de cette manière comment c'est Israël seul qui en a été dépositaire; la réflexion midrashique procède donc d'une optique universaliste. Dans cet événement capital de la Révélation, il y a une ambiguité dont le Judaïsme a bien conscience; et la littérature rabbinique a la préoccupation de situer Israël par rapport aux Nations; le particularisme est toujours orienté vers la fonction universelle.

Si Israël est engagé dans cette voie — qui n'est pas négative du rôle des Nations — quelle attitude doit avoir le peuple juif, vis-à-vis des Nations? Les affirmations de la tradition juive sont toujours conditionnées par les situations historiques. Ce sont, non des positions théoriques, mais des réactions vitales. Dans la tradition rabbinique, en Palestine, avec l'augmentation du milieu non-juif en Galilée, avec l'occupation des Romains et les exactions de l'occupant dans la vie quotidienne, naît une attitude de méfiance innée, vis-à-vis de tout ce qui n'est pas juif, à cause du danger de contamination par l'idolâtrie (souci d'identité).

N.B. : Les commentateurs des écrits rabbiniques méconnaissent ce fond historique, transposent dans le domaine des opinions théologiques.

En réalité,, on tolère des écarts à cette tradition de refus de contact avec les non-Juifs. Dans la Diaspora hellénistique, on note une attitude d'ouverture à l'égard de la culture grecque. Les maîtres de la Tradition affirment que la Parole de Dieu, incarnée dans le génie hébraïque, n'est transposable que dans le grec (Gen. 9, 27). Mais, plus tard, à cause de la controverse judéo-chrétienne, la tradition rabbinique dira que « le jour de cette traduction fut aussi néfaste pour Israël que le jour du veau d'or au désert ».

La tâche d'Israël consiste à éclairer le monde païen sur la véritable portée des règles noachiques, pour gagner ce monde à une morale basée sur la reconnaissance du Dieu unique et sur des notions de pureté de moeurs et de justice; tous les non-Juifs sont appelés à devenir des « craignant Dieu ». Une telle attitude est aux antipodes d'un nationalisme étroit, d'un confessionalisme; elle rejoint la réalité biblique fondamentale: la reconnaissance du Malkout, c'est-à-dire de la domination souveraine de Dieu sur le monde.

Les penseurs juifs s'interrogent (Philon d'Alexandrie) : n'est-ce pas en fonction d'une disposition providentielle qu'Israël est en état de diaspora, pour être maintenant la « lumière des Nations »? N'approche-t-on pas de cette période, décrite par les prophètes, dans laquelle il faut oeuvrer? Les événements de 70 et 135 ne sont pas la fin théologique du peuple juif. Ils le font seulement passer à un autre mode d'existence.

La pensée juive médiévale

Avant le développement du Christianisme, l'existence du peuple juif et sa façon de concevoir sa mission n'est contestée, d'office, par aucun autre peuple. Mais, au Moyen-Age, le Judaïsme existe dans un monde qui devient chrétien, puis musulman. Les Chrétiens prétendent avoir assumé la succession du Judaïsme, qui apparaît comme une phase préparatoire et dépassée. Dans un temps linéaire, l'Eglise est conçue comme le « Nouvel Israël ». Ce point de vue va conditionner en profondeur les relations entre l'Eglise et Israël, et aussi les réactions du monde juif à l'égard du monde chrétien. Cependant, la communauté chrétienne primitive et la prédication des Apôtres ne contestent pas la mission d'Israël : elles se considèrent comme l'aboutissement de cette mission, l'unification du nouveau peuple de Dieu devant se faire autour de la personne de Jésus-Kurios, dans l'attente de son retour glorieux.

Quand on dit que les Juifs, dans leur grande majorité, ont méconnu cette place de Jésus, il faut se rappeler, d'une part, que la première communauté chrétienne était une communauté judéo chrétienne, et d'autre part, que les deux tiers du Judaïsme sont restés en dehors de cette vision des choses, parce que les événements qui deviennent centraux dans la perspective chrétienne ne sont, pour eux, qu'un fait divers de l'histoire palestinienne de cette époque, comme il y en eut tant!

Mais, au fur et à mesure que la doctrine chrétienne s'explicite, les Chrétiens apparaîtront comme ceux qui touchent au principe fondamental du Judaïsme, qui est l'unicité de Dieu. Par ailleurs, la déception chrétienne, face à la fin de non-recevoir que le Judaïsme oppose aux doctrines chrétiennes, va se transformer rapidement en antagonisme implacable.

L'aspiration de l'Eglise étant universelle, elle veut construire la civitas Dei; et toutes les nations que le Judaïsme doit affronter dans sa mission sont des nations gagnées par le Christianisme — et dont les réactions à l'égard du Judaïsme sont conditionnées par une orientation théologique. Il en sera de même jusqu'au seuil des temps modernes.

L'impact islamique

Au 8e siècle, l'Islam et la Chrétienté, se partagent l'oeucuméné. Tout comme le Christianisme, l'Islam est une religion dont l'aspiration est universelle, qui se réclame d'une révélation primitive présentée comme la religion d'Abraham. Mais, contrairement au Christianisme, l'Islam n'a pas la prétention de prendre simplement la relève du Judaïsme : il invite les Juifs à embrasser la religion du Prophète. Toutefois, l'Islam reconnaît la nécessité de réserver un mode d'existence au Judaïsme — ce que ne fait pas, pratiquement, la législation chrétienne. Entre l'Islam et le Judaïsme se développeront, par endroit, des échanges intellectuels poussés — phénomène que ne pourra connaître la société chrétienne, qui, dans la vision théologique, pouvait accepter le Juif dans son expression propre. Les grands penseurs juifs se demandent comment insérer l'événement chrétien et l'événement islamique dans sa vision propre; les premières tentatives cohérentes datent des 1 le et 12e siècles.

Maïmonide reconnaît que le Christianisme et l'Islam s'inspirent, à leur manière, de la Tora, qu'ils reconnaissent comme un document révélé.

Mais Jésus « a été cause de ce qu'Israël a été décimé par le glaive, et ses rescapés, dispersés et humiliés ». « Il les a réduits (Israël) à modifier la Tora. Et, à cause de lui, la majeure partie du monde a succombé à l'erreur, du fait qu'un autre est adoré à côté de Dieu ». — Mais il faut dépasser le plan historique:

« Aucun être humain ne peut sonder les intentions du Créateur béni... Le monde entier, grâce à la prédication chrétienne et islamique, sera rempli de la doctrine du Messie, de la Tora, et des commandements ».
Yehouda Halévy (Sefer Kusari):

« Le Christianisme et l'Islam préparent la voie du Roi-Messie et de son Règne. Les Chrétiens et lés Musulmans y participeront au même titre que les Juifs. Ils formeront alors, tous les trois, l'arbre unique qu'Ezéchiel contemple dans sa vision » (Ez. 37, 17).

Malgré l'attitude concrète du monde chrétien et du monde musulman, il a été possible aux penseurs juifs de s'abstraire du contexte historique pour élaborer une conception positive de la mission du Christianisme et de l'Islam. N'est-ce pas une invitation, qui nous est adressée en permanence, de faire, avec des siècles de retard, un début de réflexion, en ce qui concerne le rôle et la mission du Judaïsme aujourd'hui?

La pensé juive moderne

C'est seulement à partir de la fin du 18e siècle que, pour la première fois dans l'histoire juive, une possibilité paraît offerte aux Juifs d'Occident de chercher une intégration réelle dans l'environnement non-juif. Cette intégration, considérée comme un début de réalisations « messianiques » de fraternité universelle entre les hommes, est à double tranchant. On ne pouvait savoir que cette promotion allait aboutir dans les fours crématoires, 150 ans après. Et d'abord, le phénomène d'émancipation deviendra un phénomène de déjudaïsation; en effet, l'entrée dans la civilisation moderne affecte la vie de tous les jours ..., et, pour la première fois dans l'histoire du Judaïsme, on abandonne le concept de « peuple juif » pour celui de communauté religieuse (« Juif français de religion juive »).

Dans une ambiance où l'élément religieux est en perte de vitesse vertigineuse, l'identité juive résistera mal à la pression qui s'exerce sur elle.

Pourtant, dès que, périodiquement, se réuniront des conférences rabbiniques — surtout en Allemagne — pour étudier les réformes qu'il faudrait introduire, cela se soldera chaque fois par un échec, parce que personne n'ose prendre la responsabilité de porter atteinte à une tradition qui, depuis toujours, est considérée, dans le Judaïsme, équivalente, pour la conduite de l'homme, à la Parole des Ecritures. Ce problème reste actuel (cf. en France, les articles du R. Eisenberg dans L'Arche : « Judaïsme à réinventer? »).

L'éclatement du Judaïsme en orthodoxe et en libéral est l'expression de la grande tentative réformiste de la fin du 19ème siècle qui, essayant de détacher des Juifs du particularisme qui caractérise le Judaïsme, va susciter chez d'autres Juifs la volonté arrêtée de le protéger au maximum.

Les Réformistes, en même temps qu'ils parlent d'identité du peuple juif, déclarent que les Juifs ne sont pas une nation; ils rompront avec les attentes messianiques et toute l'espérance de retour vers Eretz-Israél (le sionisme naissant sera considéré comme un retour pur et simple à un passé révolu!).

Dans la pensée des représentants de la Réforme, l'humanité est arrivée à un niveau d'évolution qui ne justifie plus le maintien d'une existence particulière pour le peuple juif, puisque c'est l'heure de la fraternité humaine. Mais l'événement démasquera cette vaste illusion (cf. en Russie: les Juifs sont maintenus, jusqu'en 1915 dans un état médiéval; en France : les réactions de l'Affaire Dreyfus— l'assimilation est couronnée par un échec).

Ici se situe l'intuition de Herzl : il faut, pour que le Judaïsme retrouve l'expression de son identité comme peuple, qu'il y ait un foyer national juif. Echec de l'Ouganda : ce foyer ne peut être que la Terre promise par Dieu à Israël.

C'est l'événement qui met la conscience juive sur ce qui n'est pas une vision « particulariste », mais qui, à un moment donné, devient une nécessité pour le maintien de l'identité juive.

Les différents qui existent à l'intérieur du Judaïsme au sujet de l'opportunité religieuse de l'existence d'un foyer national juif construit par des Juifs « impurs » seront de nouveau balayés par l'événement (le génocide de 6 millions de Juifs). La création de l'Etat d'Israël répond à la question : est-ce maintenant la fin du peuple juif?

Les grands penseurs : M. Buber - F. Rosenzweig

Dans toutes ces mutations, on recherche la place et la fonction du peuple juif, la nouvelle expression de son identité. On essaie de surmonter un ensemble de traumatismes qui s'est créé à cause de l'attitude chrétienne pendant tant de siècles. On recherche une nouvelle définition de la fonction du monde chrétien.

M. Buber découvre dans le Judaïsme un élément qui appelle l'évolution qui interviendra dans le christianisme, un élément qui, en fonction de ce jeu de l'•niversalisme au particularisme —et du particularisme à l'universalisme — est inscrit dans la nature même du Judaïsme.

Il y a, entre les deux religions, un état d'antagonisme permanent qu'il faut interpréter dans un sens positif, et qui permet à chacun de donner le maximum de ce qui lui est demandé du point de vue de la recherche de la promotion spirituelle de l'humanité.

Pour F. Rosenzweig (L'étoile de la Rédemption traduit en anglais et en hébreu moderne) le Christianisme est une profonde nécessité dans la maturation du plan de Dieu. Tandis que le témoignage du Judaïsme se fait en fonction d'un état d'acquisition, qu'il doit vivre aux yeux du monde un état de plénitude, le Christianisme est la voie nécessaire qui engage l'humanité en permanence dans la recherche de cette plénitude : un véritable dialogue peut ainsi s'instaurer entre eux.

Pour Y. Aviad l'identité juive doit se définir aujourd'hui en fonction du nouveau mode d'existence que le Judaïsme connaît avec la création de l'Etat d'Israël qui doit devenir un foyer de cristallisation de véritable spiritualité juive pour les centres juifs de la diaspora, ceux-ci devant eux-mêmes rayonner dans leur environnement.

Mais « si jamais cet Etat juif n'est pas capable de se hisser à ce niveau qui lui permet de trouver sa véritable dimension ... il vaudrait mieux qu'il n'existe pas ».

R. Kook pense que pour que le peuple juif puisse retrouver sa véritable mission universelle de régulateur permanent dans le plan de Dieu, il faut d'abord que le sanctuaire c'est-à-dire EretzIsraël soit reconstruit. Peu importe que cette reconstruction se fasse par des mains profanes : malgré l'imperfection des hommes, par cette action qui est vraiment providentielle, cette terre et le peuple juif retrouveront leur véritable place et leur véritable fonction dans la vie de toutes les nations de la terre, et ainsi dans le plan de Dieu qui continue.

La dichirure de l'absence Mir Lovsky)
La condition première de tout dialogue


Un des derniers colloques des intellectuels juifs de langue français a pris comme thème : le pardon. A moins de nous établir dans le rôle si facilement odieux des amis de Job, les Chrétiens n'ont rien à dire en présence de ce débat. Il suffit de comprendre à quel point, depuis deux millénaires, et au 20ème siècle particulièrement, les Juifs seraient en droit de ne pas pardonner l'inimaginable souffrance qu'ils ont subie. Si le seul mot de pardon, légèrement prononcé, les livre à toutes les séquelles de l'horreur, à qui la faute? Ne s'agit-il pas de nous quand les Juifs sont face au pardon?

Nous avons longtemps regardé Israël comme le peuple témoin de la messianité de Jésus, de la véracité de Dieu, voire même de l'existence de Dieu, c'était vrai; mais c'était, c'est, faire d'Israël un témoin trop commode de notre confort intellectuel et religieux. Peut-être était-il aussi dès le 4ème siècle et en tous cas, aujourd'hui, le peuple-témoin du pardon : sans doute parce qu'il est le peuple où s'est incarné le pardon de Dieu ... mais aussi parce qu'il se trouve dans une situation où le pardon semble impossible.

Le seul terrain de nos relations avec le peuple d'Israël, c'est le pardon. La rencontre et le dialogue exigent que les Chrétiens demandent d'abord pardon à Dieu et au peuple d'Israël. Les Chrétiens d'abord doivent persévérer aussi longtemps que, la gorge serrée, le peuple d'Israël ne pourra pas accorder le pardon.

Devant les Juifs, la pensée chrétienne n'a pas fait l'effort intellectuel et théologique que nous connaissons sur le terrain biblique, dans le domaine de l'ecclésiologie et surtout dans la christologie.

Jésus ne s'est ni fatigué, ni détourné, ni détaché de son peuple. C'est nous qui nous sommes si vite fatigués d'aimer le peuple de Jésus, et qui avons laissé St Paul dans la solitude de son amour pour les siens; le mystère d'Israël nous fait mesurer la fidélité de l'amour de Dieu.

Imaginez un auditeur juif parmi nous. Il ne manquerait pas d'observer que notre intérêt pour le peuple d'Israël demeure singulièrement utilitaire, pour ne pas dire égoïste. J'imagine qu'il pourrait dire: « C'est parce que vous avez besoin de nous, spirituellement, que vous nous marquez un si grand intérêt. Votre attitude profonde n'a pas changé bien que vous remplaciz la pression sociale par des égards et la violence par la prière ». Ce reproche inévitable, et même salubre, doit retenir notre attention; il faut que nous l'exprimions de nous-mêmes si on ne nous le faisait pas, afin d'entrainer un triple aveu.

Le premier de ces aveux prend son point d'appui dans le reproche lui-même pour s'interroger sur les motivations des Chrétiens quand ils se préoccupent du mystère d'Israël : est-ce parce qu'ils constatent qu'il est impossible de réduire la résistance juive par les moyens du passé, et qu'il faut en découvrir d'autres? Ne s'agirait-il pas, une fois de plus, et cette fois en intercédant, de prier contre Israël, plutôt que pour lui?

Le second aveu admet très simplement que toutes nos intercessions ont un point d'appui plus ou moins intéressé ou égoïste. Oui, on prie d'autant plus pour la paix au Proche-Orient ou au Vietnam qu'on redoute une troisième guerre mondiale; chrétiens ou non, nos coeurs sont ainsi faits. Au fond, quoi qu'en disent les théoriciensde l'éthique, il n'y a pas de parole plus vraie que celle de la loi royale : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Faire entrer le peuple d'Israël dans notre prière et dans la préoccupation « oecuménique », c'est pour l'Eglise aimer Israël comme elle-même. Car la pente profonde de cet amour conduit nécessairement à dépouiller un jour les motifs de ce qu'ils ont de plus égoïste jusqu'à ce qu'enfin, après un cheminement dont nuos ignorons les exigences et les étapes, on puisse dire, dans l'Eglise, au sujet du peuple d'Israël : « Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour les siens ». On n'en est pas encore là. Mais on n'y arrivera pas si l'on méconnaît, au point de départ, l'ambiguité de nos motivations.

Le troisième aveu s'exprime dans un rapport permanent d'inégalité qui humilie les Chrétiens et l'Eglise : « Je n'ai aucunement besoin de toi; je vue, déplaisants et irritants aux yeux des Juifs, puisque nous paraissons chercher à les annexer à notre espérance ou à les englober dans nos préoccupations, en leur assignant un rôle qu'ils n'ont pas choisi. Notre foi et notre espérance ne peuvent en effet, absolument pas se passer du peuple d'Israël alors que celui-ci rétorque, s'adressant à l'Eglise: « Je n'ai aucunement besoin de toi; je peux fort bien me passer de toi. Si j'ai besoin d'autrui, tu n'es nullement priviligiée; l'Islam appartient à ma postérité autant que toi; et je m'intéresse à l'Inde autant qu'à toi-même ».

L'Eglise apparaît alors en position de demandeur, quelle que soit son importance sociologique par rapport au peuple d'Israël. Je verrais volontiers dans cette situation une double illustration du rapport spirituel de l'Eglise avec le peuple d'Israël.

Indispensable à l'Eglise alors que celle-ci ne lui est pas nécessaire, le peuple d'Israël demeure ainsi, malgré les apparences, et malgré les statistiques, ce que Paul a voulu dire quand il soulignait que toute l'Eglise a été greffée sur Israël. Et puis nous devons accepter cette subordination et cette dépendance profondément symboliques. L'Eglise vit d'autant mieux sa condition de corps du Christ qu'elle se situe au-dessous des autres, à leur service. Subordonnée, à cause de son espérance, au peuple d'Israël, et dépendante, en fin de compte, de l'histoire spirituelle des Juifs, l'Eglise assume ainsi sa vocation de service auprès du peuple d'Israël; l'Eglise est enfermée, par la logique même de l'Incarnation, dans une situation où elle reconnaît que le peuple d'Israël lui est nécessaire, alors qu'elle lui parait inutile.

Accepter cette relation dans la foi, sans en concevoir d'amertume parce qu'on y discerne la condition chrétienne de l'Eglise, c'est se dépouiller de l'égoïsme et de l'intérêt qui se mêlent, il est trop vrai, à chacune de nos aspirations.

L'Eglise du Christ est située, par le peuple d'Israël, au creux de l'oubli, dans l'absence et la méconnaissance. Elle apparaît aux Juifs comme quelque chose qui n'a pas de rapport avec le destin de la Synagogue, ni avec le destin du peuple d'Israël. La Synagogue regarde cette absence comme un départ sans retour, voire même comme une fuite et, au mieux comme un échec définitif. Quant à l'Eglise du Christ, elle a trop longtemps relégué l'absence du peuple d'Israël au plus creux d'une chute si profonde et si irrémédiable qu'elle ne concevait pas de relèvement possible ou qu'elle n'y songeait — pour reprendre une expression d'André Neher — que pour situer le retour du peuple d'Israël dans le temps du réveil de la Belle au Bois dormant.

Cette absence mutuelle, née de l'histoire et confirmée par une volonté d'ignorance réciproque (avec vous savez quelles bouffées de violence de notre part), c'était, en ce qui nous concerne, et c'est encore le trépignement d'un adolescent ivre de liberté et d'orgueil spirituel, qui se montre incapable de construire son destin avec celui dont la vocation, reçue d'en-haut, Israël, consiste à le partager avec l'Eglise.

Les Juifs et le Judaïsme dans le langage catéchétigue aujourd'hui (S.M. Bénédicte)

Que pouvons-nous faire? Nous qui ne sommes ni exégètes, ni théologiens, mais qui avons à « rendre compte de la foi qui est en nous » — et à qui, dans les circonstances actuelles, on demande, de plus en plus de collaborer à la catéchèsedes jeunes et des adultes — mais qui vivons en France, pays de la plus forte communauté juive d'Europe (U.R.S.S. exceptée), communauté qui compte 550,000, dont 300,000 à Paris.

Il est certain, d'abord, qu'il nous appartient de préparer le climat dans lequel les travaux des exégètes et des théologiens pourront fructifier. Pour étayer ce travail, nous pouvons nous appuyer, en premier lieu, sur un fait, c'est l'existence du peuple juif et du Judaïsme, y compris cette modalité d'existence en Eretz Israël. Chaque fois que, dans un manuel de catéchisme, une homélie, une expression liturgique, nous percevons de quelque manière le mépris du Judaïsme (et le silence peut être une forme de ce mépris), il faut intervenir.

A défaut de thèses théologiques officiellement reçues sur la relation « Eglise-Judaïsme », nous avons, d'autre part, une hypothèse de travail que nous exprimerons ainsi : c'est à la théologie de d'Eglise de tenir compte de l'existence du peuple juif et du Judaïsme; ce n'est pas au peuple juif à s'adapter à la théologie de l'Eglise (à en faire les frais!). Dans cette perspective, nous avons quelques certitudes : 1) L'Eglise ne peut pas se définir comme le « vrai » Israël ou le « nouvel » Israël; 2) le peuple juif reste ce qu'il a toujours été, Israël, le premier partenaire de l'Alliance de Dieu avec les hommes; 3) il n'y a pas une « ancienne Alliance » qui aurait, un jour, passé la main à une « nouvelle Alliance »; il n'y a jamais eu qu'une seule et unique Alliance, déployée dans l'histoire du monde et des hommes. Et c'est dans le cadre de cette Alliance que doivent, évidemment, se situer les rapports entre le Judaïsme et l'Eglise.

Enfin, nous avons une espérance — celle qui s'exprime, par exemple, dans Jr 31, 35ss. et dans l'Epître aux Ephésiens 2, 14.

Il nous faut donc tenir ensemble, dans notre conscience, et faire passer dans notre langage, ce qui fait l'existence du Judaïsme, cette hypothèse de travail et les conséquences qu'elle implique, cette espérance de l'unité des deux, Juifs et Nations, en un seul Peuple.

Pratiquement, ce que nous avons à expliciter dans notre langage catéchétique peut s'exprimer én trois perspectives :

1. Il faut donner consistance, dans la conscience chrétienne, à l'existence du Judaïsme d'aujourd'hui. Cela commence par l'affirmation de la consistance du « fait biblique » pour nous (comme pour les Juifs), aujourd'hui, après l'événement Jésus-Christ. Les hommes de la Bible ne sont pas, d'abord, des « personnages », des « figures » (des figurants!), d'une histoire dépassée, mais des personnes (nos pères, et nos frères dans la foi), dont les expériences religieuses de Salut toujours significatives — nous instruisent à la fois sur Dieu et sur l'homme. Les institutions — par exemple, le repas pascal et la circoncision —demeurent pour nous et pour tous les hommes des signes, des annonces de salut et restent des instruments de salut pour les Juifs d'aujourd'hui en marche vers Dieu. Les événements-clés de l'histoire du peuple juif ne cessent de susciter sa fidélité, et d'habiter sa prière. L'Exode par exemple, si souvent évoqué dans la prière juive, garde, pour nous, sa signification première : c'est l'action éducative de Dieu sur son peuple; c'est, pour l'homme, pout tout homme, une expérience de croissance par arrachement et dépassement.
Cette affirmation de la consistance du fait biblique doit précéder l'initiation méthodique des Chrétiens au Judaïsme, tel qu'il se vit aujourd'hui. Il y aurait lieu, dans cette initiation, d'étudier la place qu'occupe, dans la conscience religieuse juive, la Terre d'Israël en lien avec cette élection.

2. Notre langage catéchétique doit faire percevoir le lien dynamique qui sous-tend le déploiement de l'unique Alliance de Dieu avec les hommes, jusqu'à la Parousie, dans sa progression vers la consommation des siècles.

L'Alliance, comme la Création, a un commencement, et n'a pas encore touché sa fin; elle se conjugue au présent, et donc aussi au futur, c'est-à-dire que la Création et l'Alliance sont à comprendre dans la perspective du messianisme, dans la dynamique du Règne qui vient. Selon F. Lovsky, «,Le Salut vient des Juifs, parce que le Christ revient ». Il est donc capital de faire per-cevoir, par le langage catéchétique, ce dynamisme de l'Alliance vers sa consommation.

En effet, si le dynamisme du projet de Dieu n'est pas suffisament perçu et affirmé par notre vie et la vie de nos Eglises, le sens de la réalité eschatologique s'affadit; le chrétien n'est plus « l'homme qui attend », et il se coupe ainsi de l'attente juive, qui ne représente plus rien pour lui. Léon Algazi aimait dire : « Si le Christianisme cessait de croire au retour du Christ, et si le Juif perdait le sens messianique, nous n'aurions plus rien à faire ensemble ».

La réalité eschatologique de la consommation de l'Alliance n'a d'existence dans notre vie que parce qu'elle a été, pendant des siècles (et continue d'être effectivement), vécue par nos « pères » dans la foi, aux différentes étapes de leur cheminement.

Dans cette perspective des « Jours du Seigneur », le Judaïsme relit sans cesse, dans les Ecritures, les événements de son Histoire du Salut, et ce n'est pas parce que nous croyons que Jésus a donné un « accomplissement » à ces événements que le Judaïsme a cessé de faire cette relecture : nous l'avons bien constaté, au moment, et depuis la Guerre des Six Jours, et la ré-unification de Jérusalem.

Enfin, on peut se demander si la perception insuffisante du dynamisme du projet de Dieu, c'est-à-dire de son unité à travers le temps, n'a pas pour effet de renforcer, dans la conscience chrétienne occidentale, ce besoin excessif de conceptualisation, et de systématisation du donné révéle — au detriment du sens du mystère de Dieu, à l'action dans l'histoire des hommes. Et l'on sait comment cette attitude d'appropriation de « la Vérité » s'est souvent dégradée en interprétations partielles et fausses de la réalité historique, et en explications « apologétiques » des textes, des paraboles, comme Mr Lovsky le relève, à propos, par exemple, des vignerons homicides, des invités récalcitrants et du figuier desséché.

3. Notre langage catéchétique doit faire passer, dans la conscience chrétienne, la grande espérance de l'unité (faite par Jésus, et à faire) entre les Juifs et les « Nations ».

Comme Chrétiens, nous devons affirmer que, de tous nos frères du monde, les plus proches, selon notre foi, ce sont les Juifs vivant aujourd'hui du « patrimoine commun », en route avec nous vers l'unité, dans l'espérance du Règne. Dans cette optique de re-connaissance du peuple juif, et de sa mission — et seulement dans cette optique — nous pouvons espérer faire exister l'unité des « deux peuples », telle que Paul l'annonce dans l'Epître aux Ephésiens. C'est, d'ailleurs, ce que pressentent les Juifs qui cherchent le dialogue avec nous : nous en avons des expériences répétées.

Il semble que le langage de nos liturgies devrait faire percevoir la relation vivante dans laquelle nous demeurons avec nos frères juifs; ainsi, l'on pourrait montrer comment le temps liturgique de l'Avent prolonge l'attente des Juifs d'avant le Christ, et comment, en même temps, il « double » l'attente des Juifs d'aujourd'hui, en même temps qu'il rejoint la grande espérance des hommes en la venue de « temps meilleurs ».

L'attente juive, en effet, est celle du Règne « de la Justice et de la Paix », ce Règne dont notre vie messianique (c'est-à-dire « chrétienne ») doit témoigner à la fois : qu'il est déjà présent dans la Pâque de Jésus-Christ, comme en son Principe; que nous le construisons dans le temps de l'Eglise, « jusqu'à ce qu'il vienne », et que nous l'attendons encore dans sa manifestation ultime.

 

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