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SIDIC Periodical I - 1968/2
Israël: le peuple et la terre (Pages 03 - 08)

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Israël: Le Peuple et sa Terre - Etude sur la relation du peuple à sa terre dans la Tradition juive
Sr. Marie Noëlle

 

Qui peut se flatter de connaître l'âme d'un peuple, quand il n'est pas lui-même un membre de ce peuple, quand il ne le connaît que de l'extérieur, a travers une mentalité étrangère?

Et cependant, n'est-ce pas ce que nous faisons souvent comme allant de soi, spontanément, avec une assurance capable de déconcerter quiconque a essayé de se mettre à l'écoute du coeur d'un peuple?

C'est à écouter, quelques instants, battre le coeur du peuple juif que voudraient convier les lignes qui suivent.

Un peuple et son sol étroitement associés.

Chrétiens d'Occident, nous avons une tendance instinctive à distinguer, diviser, sérier, cela par souci de clarté, pensons-nous, mais ce faisant nous sommes bien souvent infidèles au réel, nous prétendons couper en tranches la vie. Les Orientaux sont différents, et les juifs sont des Orientaux. Peut-être est-ce un des motifs de l'incompréhension de beaucoup à leur égard.

L'être juif est chose singulière, réalité complexe et toute simple à la fois, où religion, terre, histoire, espérance, sont inextricablement mêlées. En particulier la tradition juive a tellement lié la Terre Promise, Eretz-Israël, à l'Alliance de Dieuavec Abraham, puis celle du Sinaï, qu'elle en est indissociable. Si elle a fait l'objet d'une promesse, si elle a été donnée par Dieu à un groupe d'hommes, descendants spirituels et aussi fils selon la chair du grand patriarche, c'est que, entre toutes, cette terre est éminemment adaptée à la réalisation de la tâche confiée par le Seigneur au peuple qu'il s'est choisi (Horeb I, p. 3 et ss.).

C'est ainsi que tout le système des mitzvot n'est possible en son intégrité que sur le sol, essentiellement Terre Sainte, où Dieu a placé les siens en sorte qu'ils y vivent d'une existence consacrée. Partout ailleurs, il est sans doute possible de plaire à Dieu par la fidédité à ses ordonnances, mais non à toutes, car nombre d'entre elles se réfèrent précisément à la Terre, promise à Abraham et à sa descendance.

C'est semblable conception qu'évoque le terme hébreu galout, en grec diaspora, en français dispersion, souvent rendu par exil, où s'exprime l'anormalité de l'existence juive en dehors de sa terre nourricière. C'est le sol qui, à l'origine, était le lien le plus fort de l'unité du peuple. Aussi le célèbre rabbin allemand Samson Raphaël Hirsch (1808-1888), fondateur de la néo-orthodoxie, pouvait-il dire:

Ce qui fait la singularité d'Israël c'est que, contrairement aux autres nations, la possession du pays et l'organisation subséquente de l'état n'était pas pour lui un but, mais uniquement un moyen, ordonné à un meilleur accomplissement de ses obligations. La Torah n'était pas pour l'Etat, mais bien l'Etat pour la Torah.

Et encore:
Ce n'est pas en sorte de briller entre les nations que nos prières comme nos espoirs tendent vers la• réunion dans notre pays, mais c'est afin d'y trouver un sol apte au meilleur accomplissement de notre vocation spirituelle... notre observance de la Torah.

Le fait qu'il est une terre autrefois donnée par Dieu, perdue ensuite, mais destinée à redevenir nôtre, ce fait contient aujourd'hui encore une signification sainte, savoir que Dieu est celui qui soutient notre existence physique et nous apprend à voir, en tout ce que nous possédons comme en tout ce dont nous jouissons, un don qu'il nous fait pour son service. (Horeb II, p. 606).

L'Alliance conclue avec Abraham, l'exode d'Egypte, la Révélation du Sinaï, ces dons de la munificence du Très-Haut, ne sont complets qu'avec la possession de la terre, le « propos de la délivrance étant l'accomplissement de l'Alliance... qui est de dédier tout son être à Dieu » (cf. Horeb II, p. 677 et I, p. 301-307).

Pays d'Israël et vie quotidienne juive.

Il a été mentionné que nombre de mitzvot ne peuvent être accomplies qu'en Terre Sainte; on les classe sous le terme générique de mitzvot hatelouyot baaretz. Telles les ordonnances relatives au service du Temple, l'agneau pascal, le droit des pauvres à glaner les épis non moissonnés au coin des champs, les trois pèlerinages annuels à Jérusalem, la sanctification de la nouvelle lune, les lois concernant les cités de refuge...

Mentionnons encore l'année sabbatique ou shemittah, durant laquelle la terre mise en jachère observait, pour sa part, le sabbat du Seigneur (Lév. 25,2). Cela afin de rappeler qu'à proprement parler c'est Dieu lui-même qui est possesseur du sol (Lév. 25,23). S'il l'a confié à un peuple c'est pour que ce dernier y observe la Torah. Aussi bien l'infidélité à l'observance de cette Torah a-t-elle été traditionnellement considérée comme la cause de la galout (Lév. 26,34 et traité du Talmud: Shabbat, 33a). Mêmes remarques pour l'année jubilaire, yovel, qui revient tous les cinquante ans.

Voici quelques mitzvot qui ne pouvaient être accomplies qu'en Terre d'Israël:

les bikkourim, prémices des fruits de la terre, qui devaient être portés solennellement au Temple de Jérusalem à la fête de la Pentecôte. La Mishnah leur a dédié un traité spécial, appelé Zeraim. S'y trouve relatée la cérémonie de l'offrande des prémices à l'époque du Second Temple;
les maaserot, dîmes à remettre aux prêtres, dont la tradition remonterait à celle que paya Abraham à Melchisédech (Gen. 14,18-20);

la teroumah, premier et le plus important des présents qui devaient être mis à part pour l'offrande que les prêtres en état de pureté rituelle étaient seuls à pouvoir consommer;

la hallah, morceau de pâte, mis à part comme le maaser, pour en faire don aux prêtres (cf. Nb. 15,17-21). Jadis cette prescription, comme les précédentes, valait pour le seul pays d'Israël. Afin que le précepte ne tombât point en oubli les rabbins en étendirent plus tard l'obligation à la Diaspora. Ne pouvant plus être remis aux prêtres, ce fragment est brûlé, en signe de don à Dieu, tâche qui revient normalement à la maîtresse de maison (cf. traité Shabbat 2,27). A cette occasion elle récite une bénédiction spéciale, et c'est de cette coutume que vient le nom de hallah, donné aux pains de sabbat, car sa confection est l'occasion pour la femme juive d'accomplir cette mitzvah.

Ainsi s'accomplissent les humbles tâches journalières et se trouvent-elles rattachées à l'Alliance dont est bénéficiaire le peuple entier, et chaque foyer juif est-il relié à la Terre Sainte par un lien spirituel.

Mémorial d'une coutume très ancienne, cette mitzvah de la hallah préfigure aussi mystérieusement cette réunion effective, au jour qu'il plaira au Seigneur, de toutes les sections du peuple juif sur la terre de la Promesse.

Terre Sainte qui sanctifie ceux qui y demeurent.

La nostalgie des rabbins vers la Terre s'est exprimée en de nombreux passages du Talmud qui ont nourri l'imagination et l'espérance des générations de l'exil:

— Rabbi Yohanan ne déclarait-il pas que le parcours de six pieds en Eretz-Israël est gage d'une part dans le monde à venir (Tr. Ketoubot, 111a)?

— Le mérite de vivre en Israël, dit un autre, égale le mérite de l'observance de tous les commandements.

— Reb Hiyyah, lui, témoignait de sa dévotion en se roulant dans la poussière d'Eretz-Israël, en référence à la parole du psaume 102, v. 15: « Tes serviteurs en chérissent les pierres, pris de pitié pour sa poussière ».

— Rabbi José Ben Hanninah, arrivant au port d'Akko, en baisait les pierres et s'écriait: « C'est jusqu'ici que s'étend le pays d'Israël ».

Si sainte est cette terre qu'elle sanctifie ceux qui la foulent aux pieds, et que les péchés sont remis à ceux qui y demeurent. C'est pourquoi, au long des âges, de pieux juifs venus de partout ont-ils conflué vers la Terre Sainte pour y achever leur pèlerinage terrestre et bénéficier du privilège d'y être ensevelis.

Pour les générations juives successives ce sol a vraiment été « le pays dont le Seigneur prend soin, sur lequel ses yeux sont fixés depuis le début de l'année jusqu'à la fin » (Dt. 11,12).

Aussi bien cette terre a-t-elle été le pôle de convergence des esprits et des coeurs au long des siècles, et les juifs de la Diaspora, qui se considéraient en exil, ont-ils délégué sur la Terre des représentants, souvent âgés et pauvres, pris en charge par leur communauté respective, avec pour fonction essentielle de perpétuer la présence du peuple sur sa terre, et de prier pour le rassemblement dans leur pays des dispersés d'Israël.

Nombreux aussi ont été les « sages », savantsrabbins, revenus au pays poursuivre l'étude de la Torah sur le sol où elle était née. Et telle était la réputation de certains de ces maîtres qu'au 11e siècle des délégations venaient d'Allemagne notamment pour leur soumettre des questions difficiles de halakhah.

Au 16e siècle ce sont des juifs chassés d'Espagne qui, sous la direction d'Isaac Louria l'AH, s'installent auprès de la tombe de Shim'on Bar Yokaï, à qui une ancienne tradition attribuait la paternité du Zohar, et y créent une école mystique demeurée célèbre.

C'est encore vers la Terre qu'en fin du 18e et dans les premières années du 19e siècle se dirigeaient les plus fameux Rebbes Hassidim de Pologne, disciples du Ba'al Shem Tov. D'autres illustres pèlerins s'y rendront plus tard, comme Moses Montefiore, le grand philanthrope juif anglais, Adolphe Crémieux, Edmond de Rotschild... et aussi des centaines d'humbles gens, des stettels d'Europe Orientale, Pologne, Lithuanie, Ukraine, Roumanie... venus y consumer les dernières années de leur existence dans une prière ininterrompue pour le retour définitif du peuple en sa patrie, puis y dormir leur dernier sommeil dans l'attente de la résurrection glorieuse, qui suivra la venue du Messie.

Car Eretz-Israël ce n'est pas seulement la terre des promesses, celle des gloires du passé, celle du Temple; c'est aussi, et plus encore peut-être, celle du retour aux jours paradisiaques du Messie.

Cette pensée a été présente à l'esprit des rabbins au long des âges, au point que les questions talmudiques dont on désespère de trouver la solution ont été désignées par le terme de tekou, et laissées à l'arbitrage du Messie lors de sa venue.

Ces temps messianiques se profilent toujours, comme le temps de l'espérance juive, et même chez les juifs les plus détachés de l'observance religieuse, le sens de la perennité du peuple juif, le vouloir survivre, agit comme une force incoercible qui pousse de l'avant.

Un midrash dit qu'Elie le Prophète apparaîtra alors sur les montagnes d'Israël. Précurseur du Messie et son héraut il s'écriera: « Montagnes d'Israël, combien de temps allez-vous demeurer désertes et désolées?... ». Puis il proclamera la paix universelle et le Salut de Dieu viendra (cf. Pesikhta Rabbati, ch. 36, d'après Philip Birnbaum: A Book of Jewish Concepts, 1964).

Mais il semble que l'on ne saisirait pas toute la profondeur de cet attachement des juifs à leur terre ancestrale si l'on négligeait une harmonique que souligne le traité Berakhot du Talmud:
Trois beaux cadeaux, y est-il dit, le Saint — Béni soit-il — a donné à son peuple Israël, et tous les trois c'est par la souffrance qu'il les a donnés.

Ce sont: la Torah, Eretz-Israël et le monde à venir.
(Ber. 5, d'après Israel: Volk und Land)

Admirable réflexion sur le mystère de la souffrance et le prix des dons de Dieu. Mais cette terre, objet de tant d'amour, elle a un coeur, un sanctuaire, qui occupe dans la tradition juive une place inégalée, c'est Jérusalem, la Cité sainte par excellence.

Jérusalem.

Cité de David et de Salomon, ville sainte vers laquelle « confluaient les tribus du Seigneur », en route vers le Temple, demeure de la Shekhina... Jérusalem, dévastée et ruinée, a survécu dans la mémoire des juifs dispersés par le monde, sans trêve au cours de deux millénaires, objet d'une nostalgie que la liturgie, tant synagogale que familiale, a soigneusement entretenue. L'an prochain à Jérusalem! souhait traditionnel qui revient comme un refrain aux grandes fêtes de l'année, et qui fait battre les coeurs de millions de juifs au long de 20 siècles.

Bien plus, c'est la vie quotidienne, la vie banale, si l'on peut dire, de chaque jour, qui, chez les juifs pieux, a été imprégnée du souvenir de la cité prestigieuse: un passage de la Tosephta (Ssoté 15) est éloquent à ce sujet: Voyant des hommes qui s'abstenaient de viande et de poisson, en signe de douleur pour la ruine du Temple, où désormais les sacrifices ne pouvaient plus être offerts, Rabbi Yehoshuah leur donna cet avis:

Mes fils, venez et je vous parlerai. Il est impossible sans doute de ne pas porter le deuil parce que le destin a été accompli; il est également impossible de porter un deuil démesuré, car le jugement (de Dieu) ne saurait dépasser ce que la communauté est capable de porter. Voilà donc comment nos sages ont parlé: Si quelqu'un badigeonne sa maison de chaux, qu'il en laisse un pan sans revêtement, en souvenir de Jérusalem; si quelqu'un prend un repas, qu'il en laisse un morceau en souvenir de Jérusalem; de même une femme sort-elle une parure, qu'elle en laisse une partie dans l'écrin, en souvenir de Jérusalem. Car il est dit: Si je t'oublie Jérusalem, que ma langue colle à mon palais, si je ne mets Jérusalem au sommet de ma joie (Ps. 137, 5-6).

Et quiconque porte le deuil de Jérusalem se doit aussi de soupirer vers elle et sa joie, comme il est dit: Réjouissez-vous avec elle, vous qui l'aimez, soyez remplis d'allégresse à cause d'elle vous qui portiez son deuil...
(Is. 66,10-11, et Tosephta, Ssoté 15).

A la synagogue comme à la maison, dans la prière officielle ou privée, c'est vers Jérusalem que l'on se tourne, en particulier à l'occasion de la prière par excellence, les Dix-Huit Bénédictions. Et les synagogues de tous les pays sont orientées vers Jérusalem, vers la ville du Temple, de la joie et de l'espérance d'Israël.

Au 10e siècle un Karaïte, Sahl Ben Mazliah, en accents émouvants, interpelle ses contemporains qui, eux, paraissent avoir laissé s'estomper le deuil de la ville sainte:

Frères, Jérusalem est dévastée, abandonnée, laissée solitaire! Et vous êtes indolents sur vos couches. Pour elle, elle est ivre, mais non de vin; elle crie après ses fils. Une assemblée de sages vêtus de sacs jeûne et se macère, leur tête se courbe; ils ont délaissé leurs boutiques et oublié leurs familles; ils ont abandonné leur pays natal. Quittant les villes ils ont élu leur domicile dans les montagnes; se nourrissant de pain, ils ont abandonné la viande et le vin; à sa Torah ils sont suspendus, et lui les protège. Pleurant, ils gravissent le mont des Oliviers. Ce sont vos frères, ceux qui habitent Jérusalem, les prisonniers de l'espérance, les pauvres du troupeau, ceux qui se sont rassemblés de l'exil, les affamés de la Torah, les assoiffés de lumière qui, dans leur détresse, implorent l'aide du Libérateur et escomptent sa grâce jusqu'à ce que, dans sa miséricorde, il regarde vers les abandonnés, ceux qui sont haïs, qui errent comme un troupeau à l'abandon... Habitants des ruines, ils essuient les larmes de leurs yeux... et disent: « Combien de temps encore devrai-je boire la coupe empoisonnée que me tend une main cruelle et amère? Combien de temps encore blasphèmera l'ennemi de Dieu... Combien de temps serai-je encore prisonnier de l'espérance?... »

Et Rabbenou Gershom au début du 11e siècle:
O Sion, Ville sainte, comment es-tu devenue la proie de l'ignominie? Dispersée a été ta coûteuse parure, et il ne nous reste rien que la foi en Dieu!

Mais les accents les plus célèbres, qui aient exprimé jusqu'à l'angoisse la nostalgie d'un coeur juif pour Jérusalem, sont sans doute les Sionistes de Yehudah Helevi (12e siècle), un recueil de chants dédiés à Sion. En voici un extrait, dans la traduction d'Edmond Fleg:

Sion, ne veux-tu pas savoir le sort de tes captifs, reste de tes troupeaux qui recherchent ta paix? De l'Occident, de l'Orient, du Nord et du Midi, qu'ils soient lointains ou qu'ils soient proches, ils t'envoient leur salut. Et te salue aussi le captif du désir, dont les pleurs sont pareils aux rosées de l'Hermon et qui voudrait en arroser tes monts.

Je suis comme un chacal pour pleurer ta douleur, mais quand je rêve à mon retour vers toi, je suis comme une harpe à chanter tes chants. Ton air est la vie que Pâme respire, tes grains de sable sont grains de myrrhe, tes fleuves de miel. Que je voudrais aller pieds nus et nu parmi le deuil et les décombres où se dressait le Temple Saint, où l'Arche Sainte était cachée au plus profond du Saint des Saints... Dieu t'a choisie pour sa résidence. Heureux celui qu'Il a choisi pour qu'il s'approche et qu'il demeure en ta demeure. Heureux celui qui attend et qui veille; et qui verra monter l'aube de la lumière. Heureux celui sur qui s'ouvriront tes aurores, pour, le salut de tes choisis et pour leur allégresse, quand ressuscitera ton ancienne jeunesse.
(extr. Jerusalem, Verse and Colour, Ed. Dr. Gershon Jagodnik, Armon, Jérusalem)

Ce n'est là qu'un fragment d'une oeuvre dont l'importance est sans égale dans la tradition poétique du judaïsme. Plus de 300 poèmes de Yehoudah Halevi ont été incorporés à la liturgie synagogale, et ce sont leurs accents qui expriment la douleur de l'exil comme l'espoir indéracinable qui l'accompagne, le deuil du 9 Av, jour de lamentations sur la destruction du Temple, et mille autres sentiments d'un amour que les siècles n'ont pas affaibli.
D'Espagne, cette poésie fulgurante a été transportée au loin, et les rituels de contrées aussi éloignées que les Indes en ont subi l'influence. Les Karaïtes eux-mêmes, qui par certains côtés s'apparentent aux Sadducéens dans leur refus de la tradition rabbinique, n'y ont pas échappé non plus. La vie du foyer à son tour, en toutes régions, en a été embellie, particulièrement à l'occasion du chant des hymnes du Sabbat.

On peut dire de Yehudah Halevi qu'en lui s'unissent de façon indissoluble l'ardeur religieuse et le nationalisme, caractéristiques du judaïsme de l'exil, et qui se résume en une tension ven. Jérusalem.

En série ininterrompue des pèlerins venus de toutes les parties du monde sont montés à Jérusalem pour y respirer l'air pur et sanctifiant de la Terre, et y vénérer le pan de mur kotel ha-Ma' aravi, dernier vestige du Temple disparu. C'est qu'en leur coeur vivaient les paroles des vieux sages:
Dix mesures de beauté ont été départies à Jérusalem, et une seule au reste du monde (Kiddushin, 49, b).

Qui n'a pas vu Jérusalem en sa gloire n'a jamais connu cité merveilleuse.

Et combien d'autres, familières aux étudiants du Talmud, aux amants de la Tradition.
Lorsqu'au 19e siècle le mouvement de retour vers le soi ancestral commence à s'esquisser, et cela bien avant la naissance du Sionisme politique, le rabbin Zwi Hirsch Kalisher (1795-1874) d'écrire à son tour:

C'est pour leur propre gloire que les peuples ont travaillé, mais nous c'est pour la gloire de nos Pères, et plus encore pour celle du Saint — Béni soit-il — qui a choisi Sion et l'a convoitée pour son héritage. C'est cette Sion là que nous cherchons... pour transformer son désert en paradis... Nous avons certes à aider nos frères qui sont dans la misère... mais ce qu'on leur envoie ne suffit pas à les maintenir en vie. Nous ne panserons leurs blessures que lorsque nous leur mettrons en mains des bêches, pour qu'ils abreuvent le sol altéré et gagnent le salaire de leur travail.
Ces paroles ne semblent-elles pas prophétiques? En même temps elles expriment le rêve de faire refleurir le sol par le travail agricole, elles esquissent déjà le programme des futurs pionniers pour qui la culture de la glèbe est moyen de régénération, tant de la terre que des hommes qui peinent pour la faire revivre et retrouver la fierté de gagner leur pain à la sueur de leur front.

Jusque là, et jusqu'à nos jours, les Schlikhé Zion, hommes chargés de faire la collecte pour les pauvres de Jérusalem auprès des communautés de la Diaspora, continueront à porter le montant de leurs quêtes aux juifs religieux établis à l'ombre des ruines du Sanctuaire, où ils perpétuent la fidélité, autant que faire se peut, à toutes les mitzvot chères à la tradition rabbinique. Ces envoyés forment aujourd'hui une organisation mondiale et continuent à entretenir chez les communautés de la Diaspora l'amour dEretz-Israël, comme ils l'ont fait par le passé.

Evoquant à l'Assemblée Générale des Nations Unies, le 25 novembre 1949, ce que représente Jérusalem pour les juifs, Mr Moshé Sharrett se faisant l'interprète de tous ceux en qui bat un coeur juif, disait:

L'universelle révérence pour Jérusalem ne saurait couvrir de son ombre la passion consumante d'un attachement particulier. Pour des millions d'hommes... Jérusalem a été source d'inspiration spirituelle. Pour le peuple juif elle a été le coeur même, le symbole de sa gloire passée, l'étoile polaire de son errance, le sujet de sa prière quotidienne, le but de ses espoirs d'une éventuelle rédemption.

(The Peace of Jerusalem. Israel Office of Information)

Ignorer, de fait ou délibérément, ces pulsations millénaires du coeur juif, c'est se vouer à ne rien comprendre au drame de millions d'hommes, aujourd'hui.

 

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