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Paul et la Loi
Franz Mussner
Nous avons voulu montrer, dans ce numéro, l'importance de la loi morale tant pour les Mils que pour les chrétiens, et le fait que pour les uns et les autres la loi morale est expression d'amour, de sa part du Législateur et de la part de la créature humaine qui s'engage à suivre les préceptes. Nous n'avons pas abordé la question de Yetitude de St Paul envers la Loi, qui est à l'origine de cette polémique qui divise depuis des siècles nos deux religions.
Nous voulons cependant citer ici la réflexion d'un théologien contemporain, Franz Mussner (1), qui montre bien /a problème... et comment certaines convictions de foi qui nous divisent ne peuvent qu'être reconnues avec sérénité. Le vrai dialogue ne consiste pas dans une harmonisation n; il exige qu'on reconnaisse et qu'on respecte des positions ou des convictions qui ne sont pas les nôtres.
Nous partons, pour les réflexions qui suivent, de la phrase de Paul: «C'est pour que nous restions libres que le Christ nous a libérés» (Ga 5,1). D'après la théologie paulinienne, le « programme de liberté » du Christ est un programme intégral et complexe, un programme se rapportant au passé, au présent et à l'avenir (2) La liberté pour laquelle le Christ nous a libérés implique aussi, d'après Paul. la libération à l'égard de la Loi comme voie de salut... Nous ne pouvons passer à côté de cette doctrine, puisque la «Loi» est une donnée fondamentale de l'existence juive jusqu'à nos jours. Le juif éprouve de la joie à la pensée de la Torah, elle est pour lui ce qui mène à la vie.(3)
D'après la doctrine paulinienne, la Loi est cependant devenue un facteur de mort: «11 s'est trouvé que le précepte fait pour la vie me conduisit à la mort » (Rm 7,10; cf. Ga 3,12). La Loi est devenue « la loi du péché et de la mort », dont nous a libérés « la loi de l'esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus» (Rm 8,21. Par la « loi du péché et de la mort » est incontestablement désignée la Torah, qui sans doute, d'après Rm 7,12, est « sainte et juste et bonne», mais qui est en réalité devenue un facteur de mort, parce que l'homme sans la loi n'aurait pas «connu » la puissance du péché: celui-ci a pris la loi comme «occasion » (aphormê) de son attaque meurtrière contre l'homme et a suscité en lui toute convoitise. C'est ainsi que, d'après Paul, par la venue de la Loi, la puissance du péché s'est ranimée et a mené l'homme à la mort (Rm 7,7-101; le péché a « séduit D et « tué » l'homme « par le moyen du précepte » (7-11). La Lol est ainsi devenue une « force de péché» (1 Co 15,56).
Dans les énoncés de l'Apôtre sur la Loi, deux points ont un caractère « non juif »: d'abord l'appréciation particulière de la Loi comme d'une instance apportant la mort, ensuite la vision de l'homme qui est confronté à la Loi. Pour le juif, au contraire. la Torah est un enseignement qui donne la vie, et, d'après la conviction juive, l'homme est aussi capable d'observer les prescriptions de la Torah. Pour Paul, il en va autrement: pour lui, l'homme qui se voit confronté à la Loi est « chair », et par suite de la faiblesse de la chair, il lui arrive souvent de ne pas pouvoir remplir les exigences de la Loi (Rm 7.18-20). L'homme est pécheur: cela est certain pour l'Apôtre en vertu de l'expérience et de l'Ecriture Rm 1-3,21). L'homme ne peut pas se libérer par lui-même de cette situation, H n'a d'ailleurs pas non plus à le faire; car un autre le libère: c'est Dieu, car Dieu a « exposé » le Christ crucifié « comme instrument de propitiation» (Rm 3.25) et l'a fait devenir «malédiction pour nous » (Ga 3.13).
A l'instant où Paul avec l'Eglise primitive comprit dans la foi et attesta que le Christ est «mort pour nos péchés» (cf. 1 Co 15,3), il se vit placé devant une alternative totalement non juive...: le salut eschatologique ou par la Torah ou par le Christ crucifié et ressuscité. Eclairé par « l'événement de Damas », Paul s'est décidé pour le deuxième terme de l'alternative, et c'est à cette décision que sont liées ses formules, d'apparence si peu juives, sur la Torah et (corrélativement) sur la « justification » de l'homme. Sur la base de cette décision, Paul parvient à une opposition difficilement compréhensible à un juif: le salut « par la foi» (au Christ) et non par «les oeuvres de la Loi « Nous avons cru au Christ Jésus, afin d'obtenir la justification par la foi au Christ et non par la pratique de la Loi, puisque par la pratique de la Loi personne ne sera justifié» (Ga 2.16b). «Car si 1a justice vient de la Loi, c'est donc que le Christ est mort pour rien » (Ga 2,21b).
Devant cette alternative, Paul ne pouvait pas se dérober ou chercher une synthèse harmonisante, comme la cherchaient apparemment ses adversaires avec lesquels il dut se débattre déjà au « concile des apôtres» et, plus tard. dans l'épître aux Galates. Placé devant cette alternative, Paul se décida pour la voie de la foi en Jésus Christ. Mais par là. Il était forcé d'élaborer une «théologie de la Loi » nouvelle et différente de celle que défendait et défend encore le judaïsme. Mais si l'apôtre est parvenu à une nouvelle appréciation de la Loi, telle qu'il l'exposa dans les épîtres aux Romains et aux Galates, ce n'est pas parce qu'il aurait méconnu l'essence de la Loi comme H.-J. Schoeps et d'autres le pensaient, mais uniquement en vertu de ses convictions de foi christologiques et sotériologiques.4
L'Eglise primitive, même si ce fut en rencontrant parfois de violentes résistances surtout du côté judéo-chrétien. a assumé la décision de l'Apôtre, et rEglise confesse sa foi ainsi jusqu'aujourd'hui. La raison de cette décision se trouve dans la christologie et dans ses implications sotériologiques, et nulle part ailleurs. Mais cette décision implique pour toujours quelque chose qui sépare l'une de l'autre l'Eglise et le judaïsme.
Notes
1. Voir Franz Mussner: Traité sur les Juifs, éd. du Cerf, Paris 1981, chap. VI, sect. III: «La liberté chrétienne», par. 1.
2. Cf. à ce sujet par exemple K. Niederwimmer: Der Begriff der Freiheit im Neuen Testament (Berlin 196W; H. Schürmann: « Die Frelheitsbotschaft des Paulus — Mitte des Evangeliums?», in: Catholica 25 (1971), 22-62: F. Mussner: Theologie der Freiheit nach Paulus (Frelburg/Basel/Wien 1978).
3. Cf. à ce sujet plus en détail au chap. I, art. VI.
4. Cf. à ce sujet plus en détail F. Mussnen Der Galaterbrief, 188-204 (Exkurs 4: Hat Paulus das Gesetz "MISSverStanden"?»).