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Présentation
Les editeurs
Le miracle est souvent une réalité qui nous gêne, à une époque marquée comme la nôtre par la science et la technique, par la possibilité offerte à l'homme, de plus en plus, de découvrir les lois de la nature et de s'en rendre en quelque sorte le maître.
Et pourtant il y a, et il y a toujours eu des miracles ou, disons, des faits surprenants (c'est le sens du mot « miracle » du verbe latin miror, « s'étonner »), des faits qui sont inexplicables dans l'état des connaissances scientifiques de l'époque, et dans lesquels le croyant a reconnu ou reconnaît l'action d'un Autre, celle de Dieu. Le miracle n'est pas seulement un fait extraordinaire, un prodige inexplicable pour nos facultés rationnelles: il atteint un autre pôle de nous-mêmes, qui nous incite à nous interroger sur le sens même de l'existence: il peut être le signe qui bouleverse une vie.
Les miracles les plus connus sont pour nous ceux de l'Ancien et du Nouveau Testament, mais il en existe beaucoup d'autres, attestés par la littérature gréco-romaine ou par les adeptes de diverses religions. S'il est difficile de savoir exactement ce qu'a été Apollonios de Tyane, ce sage qui, d'après Phiaostrate, chassait tes démons et aurait même ressuscité une jeune fille, il semble attesté, et cela par d'innombrables ex votos, que des miracles s'opéraient dans les temples du dieu Asclepios, dont le culte fut très répandu au cours de l'Antiquité. Des faits miraculeux sont attestés aussi chez les musulmans, au Maghreb par exemple, dans le cadre- de pèlerinages aux tombeaux de personnages vénérés. Ces faits ne sont-ils que des « prodiges » que la science sera un jour en mesure d'expliquer? Sont-ils les signes d'une action divine au coeur de l'humanité? S'il est difficile de répondre à une telle question dans l'état actuel des recherches, une chose est claire: de tels faits ne peuvent, en eux-mêmes, attester l'authenticité d'une croyance ou d'un envoyé divin: ils ont un autre propos, une autre signification.
Juifs et chrétiens, nous croyons au miracle, nous avons en commun les grands miracles de la Bible (depuis ceux de la sortie d'Egypte jusqu'à ceux des prophètes comme Elie et Elisée), et ils sont pour nous des signes de la présence de -Dieu au milieu de son peuple, de son action en faveur de l'homme, de sa Providence par laquelle le monde subsiste. Les uns et les autres, nous croyons que le spirituel est présent au sein de la création, et qu'il dépend de la foi de pouvoir le reconnaître, l'accueillir. Nous distinguons aussi. le miracle (qui est signe) du sensationnel qui n'est plus pour la foi un appel, mais une contrainte: nos deux traditions ont toujours eu à réagir contre le fond qui, en chacun de nous, reste attiré par la magie.
Pour le juif, le miracle premier est celui de la création, non posée une fois pour toutes dans l'existence, mais « inachevée », en perpétuel développement et confiée à la responsabilité humaine. Trois fois par jour, dans la prière du Votzer Or, il loue le Seigneur qui «dans sa bonté, renouvelle chaque jour les oeuvres de la création »; et chaque bénédiction est l'occasion pour lui de reconnaître que tout vient de la puissance du Créateur. Comme le dit Martin Buber: c Même le phénomène le plus banal est capable, à la lumière d'une heure de grâce, de dévoiler le miracle qui est en lui » (Moïse, chap. 8); mais ce dévoilement n'a lieu que pour celui qui a la capacité de voir, de s'émerveiller, et ce don, selon André Neher, relèverait de la prophétie.
Le judaïsme connaît d'autres miracles, de ces événements extraordinaires qu'il n'est pas possible d'intégrer dans le cours normal de la nature, ceux de l'Exode, ceux de certains maîtres du Talmud (assez rares d'ailleurs) ou du Hassidisme (cf. p. 15-17), celui de Hanukka aussi, analysé ici par Armand Abecassis (p. 5-9). Dans tous ces événements, le juif n'attache guère d'importance à la matérailité des faits, ce qui l'intéresse avant tout, c'est leur sens, le message qui, s'il est manifestation du divin, reste en même temps marqué par le mystère de l'Inconnaissable.
Pour le chrétien, la question du miracle prend plus d'importance. Les Evangiles comportent bon nombre de faits miraculeux, des guérisons surtout, corporelles et spirituelles, concrétisant, réalisant la Parole rédemp trice de Jésus Christ, manifestant la puissance salvifique agissant en lui et l'avènement des temps messianiques. La vue originale du miracle chrétien que nous offre Hubert Richards (p. 10-14) peut aider à dépasser la difficile question de l'historicité matérielle de certains faits relatés par les Evangiles pour rejoindre ce qui est l'essentiel: leur signification. qui ne se dévoile pour le chrétien que dans la foi post-pascale, dans l'expérience faite personnellement du Christ ressuscité.
Le même article nous rappelle que Jésus attendait de ses disciples qu'ils fassent des miracles, et «même de plus grands» que lui. En fait, de nombreux miracles se sont produits dans l'Eglise naissante, et n'ont cessé de se produire jusqu'à nos jours. Et tout chrétien est appelé, là où il est, à faire à la suite de Jésus des « miracles ».
~De son côté le juif, comme le montre A. Abecassis (p. 8), a conscience d'être témoin et porteur d'un miracle, celui de Hanukka, appelé 'a se répéter tt à chaque instant de la vie humaine ». II ne s'agit pas pour nous de poser des actes extraordinaires ou supranaturels, mais d'opérer chaque jour dans ta ligne des promesses messianiques dont nous voulons hâter l'accomplissement, ou la réalisation parfaite, en faisant que « les aveugles voient et les boïteux marchent », que « les lépreux soient guéris et les sourds entendent », que « les morts ressuscitent » et que « la Bonne nouvelle soit annoncée aux pauvres » (Mt 11,5)