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Le cantique de Salomon: Postface pour les enseignants
Mary Travers
Pourquoi cette postface? Parce qu'il faut avoir lu d'abord les autres articles! André Chouraqui donne l'interprétation juive traditionnelle du Cantique, mais dans le texte intégral d'où est tiré notre article, l'auteur se réfère aux écrivains de la Cabbale, qui voient, comme enchâssée dans le Cantique, la Révélation entière, de la première création jusqu'au jugement dernier:
« Le Cantique constitue le résumé de toute la Bible et de toute l'oeuvre de la création, le résu mé du mystère des Patriarches, de l'esclavage d'Egypte et de la délivrance d'Israël, celui du Cantique chanté lors du passage de la mer Rouge, il est le résumé du Décalogue et de la Théophanie du Sinaï, de tout ce qui s'est passé en Israël pendant son séjour dans le désert jusqu'à son entrée en Terre promise et jusqu'à la construction du Temple. Il est la synthèse du mystère du nom sacré d'en haut. Il est la synthèse de la dispersion d'Israël entre le nations et de sa délivrance. Il est la synthèse de la résurrection des morts et des événements qui se produiront jusqu'au jour appelé le Sabbat du Seigneur ». Le Zohar (II, 144 a)
Le Targum cité aux p. voit dans la Bien-aimée l'Assemblée d'Israël dont l'amant n'est autre que Dieu. Elle est la colombe qui se cache dans la fente du rocher, et les bijoux dont elle se pare sont les dépouilles prises aux Egyptiens au moment de l'Exode etc. etc.
C'est cette direction qu'a prise la pensée des Pères de l'Eglise, qui ont appliqué le symbolisme au Christ et à l'Eglise, comme nous le voyons dans les écrits d'Ambroise (333-397), de Grégoire de Nysse (335-394), entre autres. Ce type d'exégèse chrétienne fut florissant pendant tout le Moyen Age; malheureusement, plus l'Eglise s'éloignait de ses racines juives, plus son exégèse s'écartait de l'interprétation traditionnelle, jusqu'au moment où on en vint, au 'Sème siècle, à considérer le Cantique simplement comme un chant d'amour profane, et même assez risqué! On en vint vite à dire, comme l'a fait le prude 19ème siècle, que le Cantique était franchement érotique.
Comment on ré-apprend peu à peu
Mais maintenant nous commençons à retrouver l'interprétation traditionnelle du Cantique auprès de nus frères et de nos soeurs juifs, et, comme enseignants, nous avons à nous demander comment et quand nous pouvons y avoir recours pour mieux faire comprendre à nos élèves que la Bible est Parole de Dieu et paroles d'hommes. Commençons par l'aspect « paroles d'hommes ». Je pense que c'est une bonne méthode de présenter le Cantique comme on le ferait pour n'importe quel autre grand chant d'amour; cela quand les jeunes ont dépassé l'âge ingrat et sont prêts à apprécier la force et la complexité de l'amour humain. Les 16-18 ans étudient des poèmes et des romans d'amour anciens beaucoup plus explicites que le Cantique et font cela tout naturellement. On gagne à collaborer avec les professeurs de littérature car les poèmes d'amour de l'Ecole romantique peuvent être de bons points de référence.
Niveaux d'étude
L'étude du Cantique va cependant plus loin, car c'est la Parole de Dieu qu'on trouve dans ces « paroles d'hommes ». Au point de départ, on découvrira certainement une imagerie assez déroutante qu'on ne peut comprendre qu'en référence à Israël et à son Dieu. Le style du Cantique est analogue à celui d'une apocalypse au sens où lui aussi comporte une sorte de code qu'on ne peut interpréter que si on en a la clé. Déchiffrer le code grâce à cette clé est une chose passionnante.
Comme le décrit André Chouraqui, nous voyons se révéler les trois grands actes du drame, et nous pouvons, dans une certaine mesure, y ajouter des détails en recourant à la Cabbale. J'ai utilisé moi-même cette approche qui est celle du Cantique pour une révision complète du cours d'Ancien Testament donné à des 17-18 ans, et je m'en suis bien trouvée.
Mais attention! Les chrétiens sont toujours tentés de vouloir superposer l'analogie du Christ et de l'Eglise à celle d'Israël et Dieu, et cela n'est pas à recommander; en effet, si le professeur n'est pas très averti, il risque de donner l'impression que le Christ et l'Eglise sont venus, à un moment du temps, se substituer à Israël et son Dieu.
Un troisième niveau d'interprétation qu'il ne faudrait pas négliger, c'est l'itinéraire de la relation mystique entre Dieu et l'âme que constitue le Cantique. C'est un niveau très profond, qu'on peut aborder seulement avec les groupes qui sont préparés à faire un bout de chemin avec Thérèse d'Avila, Jean de la Croix ou d'autres mystiques. Il est sûr que beaucoup de jeunes aujourd'hui cherchent dans le Yoga ou dans le Zen un chemin vers Dieu, sans connaître la voie que leur offre la tradition mystique chrétienne, et il se peut très bien qu'une étude commencée pour des raisons purement scolaires aboutisse finalement à une rencontre de la personne avec son Créateur. C'est notre expérience à tous, et pas seulement celle de la Sulamite, de dire bien souvent: « Je l'ai cherché, mais je ne l'ai pas trouvé» plutôt que: cc Fais-moi entendre ta voix! ».