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SIDIC Periodical XX - 1987/1
Paraboles rabbiniques et enseignement de Jésus (Pages 16-17)

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Le bon samaritain - Interprétation des Pères de l'Eglise
Frédéric Manns

 

Le petit Larousse illustré conclut la présentation de la Samarie par ces mots: «Samaritain (le bon): parabole de l'Evangile enseignant la charité entre tous les hommes». Et c'est bien ce sens que l'homme de la rue donne à l'expression 7 bon Samaritain », qui est devenue synonyme d'homme charitable.
Mais est-ce bien là le vrai sens de la parabole? Lorsqu'on veut approfondir un texte évangélique, on peut s'y prendre de deux façons: la première consiste à consulter des ouvrages et des commentaires modernes de l'Ecriture, la seconde consiste, par contre, à se référer aux textes et commentaires anciens de l'Ecriture provenant des Pères de
se. Ces derniers ont l'avantage sur les premiers d'être plus proches dans le temps du texte évangélique lui-même et, s'il est vrai que la tradition orale jouait un grand rôle dans l'antiquité, ils pourraient conserver des interprétations originales. C'est cette deuxième méthode que nous allons suivre pour découvrir le sens de la parabole du bon Samaritain.
Le lecteur moderne qui aborde les commentaires des Pères risque fort d'être surpris. H doit accepter de se laisser dépayser quelque peu, d'entrer dans une problématique qui n'est pas la sienne, s'il veut dépasser l'écorce des mots pour trouver la moelle.

Origène
Nous avons la chance de connaître plusieurs interprétations traditionnelles de la parabole du bon Samaritain. La plus célèbre est celle qu'Origène, qui vécut à Césarée, a consignée dans son commentaire de l'Evangile de Luc:
« Selon le commentaire d'un ancien qui voulait interpréter la parabole, l'homme qui descendait représente Adam, Jérusalem: le Paradis, Jéricho; le monde, les brigands: les puissances ennemies, le prêtre: la Loi, le lévite: les prophètes, et le Samaritain: le Christ. Les blessures sont la désobéissance, la monture: le corps du Christ, l'auberge ouverte àtous ceux qui veulent entrer: [Balise; les deux deniers représentent le Père et le Fils, l'hôtelier: le chef de l'Eglise chargé de l'administrer. Quant à la promesse faite par le Samaritain de revenir, elle figure le second avènement du Christ.»

Dans ce commentaire qu'Origène tient d'un ancien de l'Eglise, tous les détails de la parabole ont une signification. On a l'impression que la parabole est devenue une allégorie.
S'agit-il réellement d'une allégorie? Il semble que l'ancien qui a transmis cette interprétation traditionnelle a bien saisi que la parabole n'était rien d'autre qu'une révélation des mystères du salut, en particulier la révélation de l'amour de Dieu pour les hommes, Il accentue l'interprétation théologique de la parabole et refuse de la réduire à n'avoir qu'un sens anthropologique. De cette façon il rejoint l'intention fondamentale de toutes les paraboles.

Deux petits détails de la parabole permettent de confirmer le fait que le commentaire habituel ne trahit pas le sens original. Luc affirme que le Samaritain fut « ému de miséricorde ». II reprend le même verbe qu'il avait utilisé en 7,13 pour parler de l'amour de Dieu. Et lorsqu'il parle du « retour » du Samaritain, il a recours au même verbe qu'il emploie pour évoquer le retour du Christ à la fin des temps en 19,15.

Origène affirme avoir reçu cette interprétation d'un ancien de l'Eglise. C'est dire que l'Eglise primitive, à l'exemple de la Synagogue, transmettait une interprétation autorisée du texte en même temps que le texte, une loi orale et uné loi écrite, pourrait-on dire.

Irénée
Bien qu'il soit difficile de remonter avec précision aux sources de l'interprétation traditionnelle, il n'en reste pas moins que d'autres traces de cette interprétation nous sont connues. Citons celle d'Irénée de Lyon dans son traité Contre les hérésies:
« Car le Seigneur a confie à l'Esprit Saint l'homme, son propre bien, qui était tombé entre les mains des brigands, cet homme dont il eut compassion et dont il a lui-même bandé les plaies, donnant deux deniers royaux pour que, après avoir reçu par l'Esprit limage et l'inscription du Père et du Fils, nous fassions fructifier le denier qui nous est confié et le remettions au Seigneur ainsi multiplié »

Irénée rapproche, dans la finale de son commentaire, la parabole du bon Samaritain de celle des talents. C'est là une façon originale de souligner l'unité de l'Ecriture. De plus, à l'interprétation traditionnelle de la parabole il ajoute une note personnelle: l'hôtelier n'est plus le chef de l'Eglise chargé de l'administrer, mais l'Eprit Saint qui en est l'âme intérieure.

Clément d'Alexandrie
Clément d'Alexandrie exploite également la lecture christologique de la parabole:
« Qui est le bon Samaritain sinon le Sauveur? Oui a eu plus pitié de nous que lui, de nous que les puissances de la ténèbre avaient à peu près tués par leurs coups, craintes, désirs, colères, peines, mensonges et plaisirs. C'est lui qui a versé sur nos âmes blessées le vin, le sang de la vigne de David. C'est lui qui a fourni en abondance l'huile, la pitié des entrailles du Père. C'est lui qui a établi les anges, les principautés et les puissances pour nous servir.»

L'interprétation ecclésiale et sacramentaire de la parabole est bien mise en relief.


Ce rapide coup d'oeil sur les interprétations traditionnelles de la parabole du bon Samaritain nous a convaincu que la lecture christologique des paraboles est ancienne. On se rappelle que Luc avait déjà montré dans son Evangile que le Christ est l'exégète de l'Ecriture. Sur la route d'Emmaüs. Il explique aux disciples que toutes les Ecritures se rapportaient à lui. L'Enlise primitive, assistée par l'Esprit, interprétera les paraboles à la lumière de la résurrection du Christ qui a manifesté l'amour du Père. Elle n'hésitera pas à appeler le Christ « bon Samaritain », puisque par sa vie livrée pour les hommes il a guéri l'homme tombé aux mains de l'ennemi.
La définition que donne le petit Larousse de la parabole du bon Samaritain, tout étriquée qu'elle soit, n'est pas fausse cependant. L'interprétation traditionnelle ne nie pas le sens obvie de la parabole, mais elle situe le commandement de l'amour à sa vraie place. La charité ne prend son sens que dans cet élan d'amour divin qui a poussé le Père à aimer le monde au point de lui envoyer son Fils. Ce même mouvement emporte l'Eglise animée et inspirée par l'Esprit Saint.



Extrait de « La Terre Sainte »
nov.-déc. 1986

 

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