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L'homélie dans la liturgie synagogale
Mario Gallo
Un moment important de la proclamation de la Parole de Dieu à la synagogue, comme à l'église d'ailleurs, est celui où cette Parole est expliquée, actualisée par la personne qui a mission de le faire. Le genre homilétique remonte très haut dans l'antiquité, comme le montre bien Maria Gallo dans son introduction à l'excellent petit livre intitulé: « Sete del Dio vivente » (éd. Città Nuova 1981). Il s'agit là d'un recueil, avec notes explicatives, d'homélies rabbiniques sur Isaïe extraites d'un très ancien recueil d'homélies suivant le cycle annuel des fêtes juives: la Pesiqta Rabbati. Nous ne saurions trop recomman¬der la lecture de ce livre. Nous voulons seulement ici, avec l'aimable autorisation de l'auteur, extraire ou résumer quelques éléments de l'introduction particulièrement intéressants pour notre étude.
L'origine de la proclamation de la Parole de Dieu et de l'homélie au cours de l'assemblée litur¬gique remonte très loin, c'est évident. L'israélite pieux la fait remonter à Moïse recevant et trans¬mettant au Sinaï les Paroles divines, comme nous le lisons en Ex 19,8.
« De par sa nature même, cette Parole divine a besoin d'être annoncée et expliquée de manière qu'on la comprenne et que quiconque la reçoit puisse se laisser modeler existentiellement par ses exigences et par son énergie transformante, afin que s'édifie en un corps unique l'assemblée des croyants ».
Moïse a été, certes, le premier maître, le pre¬mier faiseur d'homélies, le premier catéchiste et, selon Dt 31,9-13, c'est sur son ordre que se réunit pour la première fois l'assemblée d'Israël afin d'écouter la Parole de Dieu. Mais c'est en Ne 8 que nous trouvons le modèle presque parfait d'une liturgie synagogale: Aucun élément n'y manque et, pour les grandes lignes, le schéma de liturgie pro¬posé là est demeuré inchangé. Jalousement con¬servé au cours des siècles, il a eu aussi une in¬fluence non négligeable sur la liturgie chrétienne.
La lecture publique de la Torah par Esdras
La liturgie décrite en Ne 8 se déroule en deux moments:
Le premier consiste en une introduction solen¬nelle du Livre de la Loi et en la récitation de bénédictions.
Le second moment, le plus long, est consacré à la lecture, à l'explication et au commentaire de la Parole divine (v. 3-12).
Dans sa proclamation de la Parole, Esdras est aidé par des lévites qui s'appliquent à faire com¬prendre au peuple le texte lu (v. 7), c'est-à-dire qu'ils l'expliquent ou, tout simplement, le traduisent de l'hébreu en araméen pour le peuple qui, depuis le retour de l'Exil, ne comprend plus l'hébreu. Les termes employés en Ne 8,7-8 pour définir l'action des lévites peuvent avoir plusieurs sens: expliquer, interpréter, traduire, commenter... termes à retenir tous les quatre pour définir cette action complexe qui doit amener à une intelligence effective et exis¬tentielle de la Parole (y. 8) et à la joie, la recon¬naissance qui en découlent normalement (v. 12). Nous trouvons dans ce texte les origines de l'homélie et l'indication de ses caractéristiques permanen¬tes: la Parole proclamée doit être avant tout com¬prise; elle doit donc être traduite, paraphrasée, expliquée, chaque fois en fonction des circons¬tances. En Ne 8, les lévites sont là, aux côtés du lecteur proclamant la Parole, pour aider à l'inter¬préter. Ce rôle s'est maintenu sous différentes for¬mes dans le culte de la synagogue.
Faire comprendre la Parole... divers procédés
Souvent on a eu recours à des traducteurs qui traduisaient le texte lu, en le paraphrasant, dans la langue parlée par l'auditoire; de là sont nés les Targums, en araméen et en grec à l'origine, puis dans les diverses langues parlées par les juifs de la diaspora, targums qui n'ont d'ailleurs jamais sup¬planté la proclamation de la Parole dans son texte original. « Si nous considérons l'origine et le dé¬veloppement de l'homélie dans l'histoire du culte juif, le targum représente le premier pas dans l'explication et le commentaire du texte biblique; mais, en dehors de toute considération historique, quand on réfléchit à la valeur intrinsèque du tar¬gum pour l'exégèse, il reste le document essentiel pour toute exégèse de foi ».
Un autre élément important pour l'explication de la Torah, après la lecture du texte même et de son targum, est la Haftara ou lecture des livres prophétiques. Cette seconde lecture a été intro¬duite plus tardivement dans la liturgie synagogale, à une date qu'on ne saurait guère préciser, mais qui précède les écrits du Nouveau Testament com¬me le prouvent des textes tels que: Lc 4,16-30 ou Ac 13,15. Cette deuxième lecture, contrairement à celle de la Torah, n'a jamais été continue: il s'agit de péricopes, conçues toujours comme un com¬plément à la lecture de la Torah, choisies en fonction de la fête du jour ou de la Parasha de la semaine, et qui sont un élément important de l'explication de cette Torah.
L'homélie enfin, ou derasha, vient approfondir cette intelligence du texte, afin qu'elle illumine le coeur des auditeurs, le transforme et conduise à l'action (« Nous écouterons et nous ferons », Ex 24,7). C'est ce qui est décrit aussi dans l'assem¬blée d'Esdras: Néhémie, Esdras et les lévites (y. 9), tous sont attentifs à ce que la Parole écoutée pro¬duise son effet. L'intelligence formelle de la lettre ne suffit pas: il faut aussi l'illumination du coeur, puis la componction, et enfin la consolation et la joie qui pousseront à agir en conformité avec cette Parole (y. 9,10,12). Le banquet sacré qui se dé¬roule ensuite dans les maisons est comme le mo¬ment ultime de cette liturgie. Il confirme le doublerythme, à la fois public et domestique, du culte juif. Dans ce chapitre de Ne 8, nous trouvons en somme tous les éléments d'une véritable théologie de l'homélie.
Ce qu'est l'homélie
« L'homélie ne devrait jamais être une contem¬plation esthético-littéraire, ou philosophique, ou lin¬guistique, ou historique, du texte. Elle a un but précis, pratique, qui s'articule en quatre moments dont le but ultime est une manière nouvelle d'agir, transfigurée par l'énergie de la Parole ». « L'homé¬lie, donc, est une instruction, un véritable magis¬tère qui, à partir de la Parole, finit par embrasser tous les aspects de la vie présente, mais dans une tension constante avec les biens éternels qu'on espère ». En fait, les derashot (ou homélies) les plus anciennes restent très près du texte. Plus tard, elles prendront plus de liberté; mais toujours le darshan (celui qui fait l'homélie) se propose avant tout de confirmer la foi de l'assemblée par le moyen de l'Ecriture, d'affermir son attente des choses ultimes, attente du Messie et de la rédemp¬tion, et d'offrir ainsi « une parole de consolation » efficace, telle celle sollicitée de Paul et de ses compagnons à la synagogue d'Antioche de Pisidie (Ac 13,15).
L'expression la plus ancienne pour définir le lien de l'exégèse avec le texte est le verbe « en¬seigner », lelammed en hébreu, didaskein en grec. Le N.T. offre de très nombreux exemples de cet enseignement sur les Ecritures ou à partir des Ecritures, de Jésus ou de ses disciples: Lc 2,46; Mt 26,55 et pare.; Mt 4,23 et parall.; Mt 5,1 etc... et Ac 2,14; 5,21 et 42; 9,20 etc... Si la derasha est née dans l'assemblée liturgique en tant que partie inté¬grante de l'annonce et de l'exégèse de la Parole, elle a acquis au cours du temps plus de consis¬tance et elle est devenue pous ainsi dire autonome, moins liée au cadre liturgique, aussi peut-il exister des liturgies sans derasha, ou des derashot pro¬noncées dans un lieu public autre que la syna¬gogue et en dehors de toute célébration liturgique. De plus si, à l'origine, n'importe qui pouvait pro¬poser une derasha (cf. Lc 2,46 ou Ac 9,20; 13,15), depuis le second siècle de notre ère, l'homélie est réservée à des maîtres qualifiés.
La Pesiqta Rabbati
La Pesiqta Rabbati est un recueil d'homélies du genre midrashique qui, à la différence des autres grands recueils de midrash, n'offre pas le commentaire suivi d'un texte biblique, mais suit le cycle annuel des fêtes et fonde son commentaire sur un ou deux versets tirés de la péricope du jour, c'est-à-dire du texte de la Torah ou de celui de la Haftara fixé pour chacune des fêtes. Cela explique sans doute le nom de Pesiqta Rabbati qui signifie en araméen: « Grande section (ou péricope) ». Pe¬siqta Rabbati signifierait « Grande anthologie de péricopes bibliques commentées », ou « Anthologie de longues homélies ». Car il s'agit d'homélies, mais d'un genre tout à fait unique, quarante sept homé¬lies, les unes brèves, les autres très longues, dont la date reste encore incertaine, même si la langue, le style, les noms des maîtres cités (tous pales¬tiniens des 4e et 5e siècles), tout peut faire sup¬poser une origine palestinienne et un matériel mi¬drashique qui a dû s'élaborer au moment même où se formait le Talmud; quarante sept homélies embrassant tout le cycle liturgique des fêtes, sauf celle des Tentes, la dernière de l'année juive, ce qui fait supposer que la dernière partie du rouleau où elles étaient écrites a été perdue; par contre, pour d'autres fêtes, nous avons parfois plusieurs homélies ou morceaux d'homélies.
De toutes manières, il s'agit là du recueil d'homélies juives le plus ancien que nous pos¬sédions, des homélies dont la méthode exégétique nous déconcerte, parce qu'elles ont pour unique point de départ la Parole de Dieu et qu'elles jonglent, pour ainsi dire, avec d'autre Paroles divines qui s'éclairent mutuellement.
Le livre de Maria Gallo, qui ne présente que huit de ces homélies, toutes sur le livre d'Isaïe, peut grandement nous aider à entrer dans ce monde de l'homilétique juive qui, s'il nous déroute, peut aussi enrichir et rafraîchir notre foi en l'a priori de la Parole divine illuminée par l'Esprit Saint.
* Maria Gallo fait partie de la « Piccola Famiglia dell'Annunciazione » de Monteveglio, près de Bolo¬gne, communauté dont certains membres vivent aussi en Israël et étudient très sérieusement la tradition juive.