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SIDIC Periodical XXIX - 1996/2-3
Jérusalem, prophétie de paix (Pages 16 - 18)

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Vivre à Jérusalem en tant que Chrétienne - Témoignage
Donna Purdy

 

Rencontre avec les gens du pays

Israël est un pays plein de vie, d'énergie et de vitalité en dépit de tout ce que les gens ont vécu et des menaces continuelles de violences et de guerres. Ma vie n'est qu'une infime partie de la riche mosaïque qu'on découvre dans le pays. Je vis dans un couvent des soeurs de N.D. de Sion situé à Ein Karem, dans la banlieue de Jérusalem, où une présence continue des soeurs a été assurée depuis 1862. C'est une maison d'accueil entourée d'un beau jardin, sur une colline qui surplombe la vallée du Soreq. Des gens de toutes religions et nationalités sont reçus ici. La majorité des hôtes ou de ceux qui viennent visiter le jardin sont des Israéliens. Beaucoup sont intéressés actuellement à la visite des couvents ou monastères du pays pour des motifs de caractère éducatif ou culturel: Les activités intérieures d'un couvent ou d'un monastère les intéressent énormément, même si une telle forme de vie, avec des voeux excluant la fondation d'une famille, ou même la vie familiale, reste incompréhensible pour la majorité d'entre eux; mais en tant que lieu de prière, de silence, de solitude, de recherche de l'Absolu, d'une réalité dépassant le plan matériel, cette vie est comprise par un grand nombre.

Nous recevons aussi beaucoup de gens venant de tous les coins du pays pour passer un peu de temps dans la maison d'accueil. Pour beaucoup d'entre eux, c'est la première fois qu'ils pénètrent dans une maison chrétienne. Ils ne savent pas bien ce qui les attend et manifestent une certaine nervosité; mais après quelque temps, lorsqu'ils réalisent qu'ils sont bienvenus ici en tant que juifs, que nous ne voulons en aucune manière "faire de la mission" auprès d'eux, la confiance s'établit peu à peu. J'ai accueilli des centaines d'hôtes israéliens, j'ai parlé avec eux, j'ai écouté leur histoire. Histoires incroyables, la plupart d'entre elles liées d'une manière ou d'une autre à la Shoah: histoires de leur enfance en Europe pendant la guerre, lorsqu'ils étaient cachés dans des familles chrétiennes ou qu'ils passaient pour des enfants chrétiens dans des couvents de Pologne, ou histoires de ceux qui vivaient alors dans des camps ou dans les forêts, de personnes qui ont vécu dix vies en une seule. Et voilà qu'ils sont ici aujourd'hui, père, mères ou grand'mères: ils ont rassemblé les morceaux de leurs vies brisées et ont reconstruit en Israël.

Il y a quelques jours, un groupe de peintres est venu faire de la peinture ici, dans le jardin. Parmi eux, se trouvait un femme née en Pologne en 1946. Comme je lui disais: "Je suis sûre que vous avez toute une histoire!", elle m'a répondu: "Nous avons tous des histoires!".

Lorsque je les écoute, ces récits, je me sens bien petite en tant que chrétienne, mais je suis en même temps saisie de respect devant la ténacité de l'esprit humain; et je peux seulement prier pour que, du fait que l'histoire est racontée et accueillie dans le coeur d'une chrétienne, ou simplement du fait de la qualité de l'hospitalité offerte, se réalise une sorte de paix et de réconciliation. Tandis que j'écoute ces récits ou que j'accueille les visiteurs, je suis consciente aussi que j'appartiens à une Eglise qui, par sa théologie, les a stigmatisés et marqués d'infâmie au cours des siècles, les contraignant à vivre en marge de la société, et contribuant ainsi à créer les conditions qui permettraient les horreurs de la Shoah. Nos histoires sont liées.


Ce que nous recevons les uns des autres

Et, par ailleurs, je reçois tant du seul fait de vivre ici, dans le pays de la Bible! Vivre proche d'une culture qui est l'expression vécue du judaïsme et du peuple juif tels qu'ils sont actuellement, dans un pays dont la langue est celle même de la Bible hébraïque, permet de rencontrer la Bible de manière vivante, vitale. Les fêtes qui y sont mentionnées sont des fêtes nationales, vécues et célébrées dans le pays, en harmonie avec le cycle annuel des saisons, selon la législation biblique. Bien sûr, elles sont célébrées différemment selon qu'on est un juif religieux ou laïc.

Il est impressionnant de se trouver là au moment où le pays entier se prépare à la fête printanière de la Pâque (qui rappelle le "passage" des Hébreux hors de l'Egypte à travers la Mer Rouge et le désert du Sinaï) et au moment aussi où nous, chrétiens, célébrons l'expérience pascale de Jésus (rappelée et célébrée au cours de la Vigile pascale); et encore, cinquante jours plus tard, au moment de Shavuot (ou, en grec, de la "Pentecôte"), au moment où les champs sont dorés et prêts pour la moisson, de voir la communauté juive célébrer la fête de la première récolte et du don de la Loi au Sinaï, alors que nous, comme communauté chrétienne, nous célébrons la même fête, celle de l'Esprit écrivant sa loi dans nos coeurs (Jr 31).

Vivre un Shabbat en Israël, et particulièrement à Jérusalem, nous apprend à nous chrétiens ce que cela signifie de "respecter la sainteté" de ce jour. Le pays, les saisons, l'expression religieuse et culturelle du peuple juif qui vit ici sont par eux-mêmes des moyens, pour nous chrétiens, de saisir le lien qui nous unit à la Bible et au peuple juif, celui du passé comme celui du présent.

Essentielle pour nous, chrétiens, est la personne de Jésus ou "Yeshua" comme on l'appelait lorsqu'il vivait ici. Celui-ci a vécu dans le quotidien, comme juif religieux, ce que je vois vivre autour de moi actuellement, avec certaines modifications cependant liées au passage du temps. Il y a des chrétiens qui apprennent déjà de savants juifs quelque chose sur Jésus le juif. Et il n'y a pas personne en ce pays qui ignore que Jésus fut un juif. Le peuple a conscience ici de ce fait plus que la plupart des chrétiens.

Ayant vécu parmi eux, ayant eu avec eux des relations vivantes qui furent une vraie grâce, j'ai conscience que ce Yeshua leur appartient d'une manière qui ne sera jamais la même pour moi, qui suis issue de la gentilité. Je le connais par la foi, mais il est pour eux "os de leurs os", une part de leur histoire, de leur tradition religieuse qui est demeurée, jusqu'à nos jours, ce qu'il a pu connaître et vivre en son temps. Et peut-être qu'avec le temps, en tant que nation juive vivant de nouveau en relation quotidienne avec le pays qui l'a vu naître comme peuple religieux, ceux-ci pourront-ils regarder avec d'autres yeux ce Yeshua qui fait partie de leur histoire; et peut-être saurons-nous aussi, en tant que chrétiens, apprendre d'eux ce qu'ils ont à nous enseigner.


Mémoire et espérance

J'ajouterai un petit mot de la situation actuelle. Les juifs sont revenus dans ce pays, le pays biblique d'autrefois, et ils l'ont trouvé, comme ce fut le cas lorsqu'ils y entrèrent pour la première fois, encore "inhabité" par les gens du pays. Notre couvent a été jadis un orphelinat pour les enfants des villages environnants. Puis sont venus les troubles de l'automne 1947: grèves, routes fermées, attaques soudaines et violentes et à la suite de tout cela le vote à l'ONU, en novembre de cette même année, pour le partage de la Palestine. Les parents, craignant pour la sécurité de leurs enfants, sont venus les chercher avant Noël, cette année-là... et les enfants ne sont jamais revenus.

Ces mêmes troubles ont fait que les habitants arabes de ce village vinrent d'abord chercher refuge par centaines dans notre maison puis, finalement, s'enfuirent eux aussi, pour ne jamais revenir.

Et voilà que pendant l'hiver 1948 le village se repeuple, de familles juives cette fois, dont beaucoup arrivent du Maroc ou du Yémen, tout à fait désorientées, perdues, essayant de refaire leurs vies dans un village qui avait souffert de la guerre et où il n'y avait ni électricité, ni eau, ni travail. Une fois encore les soeurs, malgré leur peine d'avoir perdu leurs élèves qui ne sont jamais revenues, ouvrent tout grand le portail de fer de la maison, et aussi leur coeur, pour partager la souffrance de ces familles qui, elles aussi, ont tout perdu.

Dans ce pays, tous les gens ont des souvenirs qui leur sont propres. Comme membres d'une communauté qui a maintenu une présence vivante ici pendant 140 ans, et d'une communauté de religieuses qui a vécu au service de la population arabe de ce village, puis de la population juive qui lui succéda après la fondation de l'Etat d'Israël, nous avons nous aussi notre mémoire en tant que communauté. Et la mémoire est source d'espérance pour l'avenir.

Ecrivant aux soeurs, à la lumière de sa longue expérience en Terre sainte Alphonse Ratisbonne, le fondateur de ce couvent exprimait - avec les mots de son temps - à la fois son espérance et son respect des personnes et de leur identité propre par ces paroles:

"Nous devons élargir nos coeurs... et ne pas faire de distinction entre catholiques latins et Grecs orthodoxes, entre musulmans et juifs... mais les embrasser tous dans l'amour".

De telles paroles ont encore pour nous tout leur sens de nos jours; et si la réalisation d'un tel programme nous paraît impossible, rappelons-nous que ce pays est justement celui où l'impossible devient réalisable!


Donna Purdy est une soeur de N.D. de Sion qui vit à Jérusalem depuis plus de vingt ans. Elle est actuellememt responsable de la maison d'Ein Karem. - Cet article est traduit de l'anglais.

 

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