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SIDIC Periodical XXXI - 1998/1
La croix dans la relation entre juifs et chrétiens. Nouvelles perspectives (Pages 13 - 17)

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La souffrance humaine dans les traditions Chrétiennes et Juives
Peter Stravinskas et David Zucker

 

Le christianisme interprète la souffrance humaine à la lumière de la passion, de la mort et de la résurrection de Jésus Christ, y voyant l’unique manière d’attribuer un sens à ce phénomène. Pour les chrétiens, le mystère pascal de Jésus est à la fois révélateur et salvifique. Qu’est-ce que cela veut dire?

La mort du Christ enseigne et sauve d’une manière auparavant inconnue de ceux qui ont été confronté à de telles questions. Son innocence et sa patience face à l’agonie et l’ignominie révèlent toute la profondeur de l’amour de Dieu envers l’homme - et cela parce que Jésus, Dieu et Homme ou bien Dieu-fait-chair, réunit en sa propre Personne la divinité et l’humanité. Ce n’est pas exagéré de dire que dans la Personne du Christ, Dieu aima l’humanité littéralement jusqu’à la mort. Ainsi cet amour, totalement libre, sans condition, absolu, est exemplaire; ce que Jésus accomplit n’était pas simplement un acte personnel, qui ne devait jamais se répéter (même si sa mort, tout comme sa vie, furent vécues une fois pour toutes). En effet, Jésus invite ses disciples, il exige même d’eux de le suivre sur la voie de la souffrance, et cela avec calme et même avec joie: «Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, se charge de sa croix chaque jour, et qu’il me suive» (Lc 9,23); «Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis» (Jn 15,13).

Les chrétiens sont fréquemment invités à méditer sur la mort du Christ, cette mort qu’il a offerte en réparation pour les péchés du monde entier, y compris les leurs; les conduisant ainsi à une plus profonde compréhension de la perversité du péché des hommes, et également de la profondeur de l’amour divin. Ce genre d’introspection, ce sentiment de responsabilité personnelle pour la passion de Jésus a pour but de conduire le croyant au repentir et à une communion d’amour avec son Sauveur qui se montra prêt à mourir pour les pécheurs proclamant ainsi toute l’immensité de l’amour de Dieu (cf. Rom 5,8).

A cause de l’identité de Celui qui souffrit et de la manière dont il l’accepta, cette expérience avait aussi un valeur rédemptrice, dans la tradition du Serviteur souffrant du Deutéro-Isaïe. Ce qui serait normalement attribué à la méchanceté des hommes ou bien à la tragédie humaine (par ex. la mort prématurée d’un homme juste) est au contraire considéré comme le plus grand événement de l’histoire humaine. Car dans la passion et la mort du Christ, et à travers elles, l’homme apprend à connaître la profondeur de l’amour de Dieu qui a le pouvoir de transformer; et de plus, ceux qui croient au Christ, deviennent capables de vivre et de mourir comme lui. Ce n’est donc pas un hasard que la croix soit devenue le symbole par excellence de la foi chrétienne, de sorte que les chrétiens commencent et terminent leur prière par le signe de croix; ils portent sur eux une croix et en placent une au sommet de leurs églises. Il est impossible au chrétien d’avoir honte de la croix, mais comme saint Paul, il déclare: «Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus Christ, qui a fait du monde un crucifié pour moi et de moi un crucifié pour le monde» (Gal 6,14). Ainsi l’Eglise catholique, selon son calendrier, célèbre le 14 septembre la fête intitulée «La Croix glorieuse», car les méchants n’ont pas eu le dernier mot: un Dieu aimable et aimant a saisi le péché et l’a cloué à la croix; selon la théologie chrétienne, c’est ainsi qu’il faudrait réagir à toute action, à toute situation qui implique le péché. A travers cette expérience qui semble négative rayonne l’amour de Dieu Tout-Puissant qui, comme le souligne la liturgie, se saisit de la croix - cet instrument de la défaite humaine - et la transforme en instrument de sa victoire: «Où la vie était perdue, là même la vie fut restaurée, par le Christ notre Seigneur».

Humainement parlant, la souffrance n’a jamais de sens, ce que saint Paul admet d’ailleurs franchement: «... nous prêchons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens» (1 Cor 1,23). On ne peut donc pas considérer la foi en dehors de cette perspective.

Comment la foi chrétienne envisage-t-elle la participation des disciples de Jésus à la réalité de la souffrance? Les chrétiens ne l’évitent pas à tout prix; mais ils ne s’acharnent pas non plus à souffrir, comme le font les masochistes. Leur attitude devrait être celle même du Christ, telle que la décrivent les évangélistes dans une scène révélatrice pendant l’agonie de Jésus au jardin de Gethsémani, la nuit avant sa mort. Nous lisons dans l’Evangile selon St. Matthieu que par deux fois Jésus pria son Père céleste de lui épargner les tourments imminents, mais que chaque fois il terminait par une prière fervente de se soumettre en dernier lieu à la volonté du Père: «Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux» (26,39). De même au cours de sa vie et de son ministère terrestres, quand Jésus se trouvait confronté aux souffrances d’autrui, sa réaction instinctive était de soulager leurs souffrances et celles de ceux qui y avaient part; c’est ce qui lui valut la renommée de Celui qui guérissait les malades et même ressuscitait les morts, de sorte que les gens «rendaient gloire au Dieu d’Israël» (Mt 15,31).

Et les chrétiens? Quels effets en dérivent-ils? Tout d’abord, la souffrance est généralement considérée comme un mal, à éviter ou à éliminer chaque fois que possible. Deuxièmement, quand la souffrance est inévitable, on doit la considérer comme venant de la main de Dieu, lui qui, nous le croyons, veut tirer le bien du mal. Troisièmement, la souffrance nous permet de nous identifier de la manière la plus personnelle et dramatique, aux souffrances du Christ; encore une fois c’est saint Paul qui nous éclaire: «En ce moment je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ, pour son corps, qui est l’Eglise...» (Col 1, 24). Autrement dit, la rédemption du monde continue tant que chaque membre du corps mystique du Christ, son Eglise, souffre avec lui et en lui, pour le bien de tous. En fait, certaines écoles de spiritualité ont affirmé que de se voir chargé d’une croix est un signe de la faveur divine; sans doute cela peut être vrai en des circonstances particulières; toutefois la grande mystique espagnole du 16es., également théologienne, Ste Thérèse d’Avila, resta prudente sur ce point, tout en s’amusant de s’adresser ainsi au Seigneur: «Si c’est ainsi que tu traites tes amis, ce n’est guère étonnant que tu en aies si peu!».

Ainsi plusieurs choses en résultent dans le domaine pratique. Individuellement, les chrétiens suivent l’exemple de leur Seigneur qui n’alla pas à la recherche de la souffrance, mais une fois convaincu que c’était pour lui la volonté du Père, l’accepta volontiers et avec amour. Ceux qui mettent leur foi en Jésus acceptent eux aussi la croix sous ses formes diverses, en union avec le Christ; ils cherchent à faire le bien au sein de leurs difficultés, ou de laisser le bien en découler. Convaincus que certaines choses (par ex. la vérité, l’honneur de Dieu) valent plus que la vie même, les chrétiens acceptent le martyre plutôt que de trahir ces suprêmes réalités, suivant encore ici l’exemple de Jésus Christ. Il peut arriver que la souffrance soit une conséquence de péchés personnels, comme Jésus le rappelle au paralytique (cf. Jn 5,14); d’autre part souffrir peut être l’occasion de contribuer à ce que «se manifestent les oeuvres de Dieu» - en guérissant, ou en retrouvant la vie (Jn 9,3).

A part cela, nous sommes convaincus de ne jamais nous trouver seuls à souffrir, sachant que le Christ est intimement uni aux souffrances de ses frères et soeurs. Le Pape Jean-Paul II en est bien conscient: «S’il nous est donné de partager les souffrances du Christ, c’est parce que le Christ lui-même nous a permis d’y participer: souffrir pour notre rédemption voulait dire en quelque sorte pour lui partager les souffrances des hommes» (Salvifici Doloris, 20). Non seulement cela, mais «ceux qui ont part aux souffrances du Christ conservent grâce à leurs souffrances personnelles une parcelle précieuse du trésor infini que représente la Rédemption du monde, trésor qu’à leur tour ils peuvent partager avec d’autres» (ib. 27). Dans l’intérêt des autres, collectivement ou individuellement, les chrétiens sont appelés à soulager les souffrances des hommes, comme le fit leur Seigneur pendant son séjour terrestre. Il ne faut donc pas s’étonner que les organisations les plus répandues pour venir en aide aux veuves, aux orphelins, aux pauvres, aux opprimés, aux malades et aux mourants ont été initiées et fonctionnent sous les auspices des chrétiens. C’est bien là ce que pense Jean-Paul II lorsqu’il écrit: «...la souffrance est présente dans le monde pour faire ressortir l’amour, pour donner lieu aux oeuvres de charité envers le prochain, pour transformer toute la civilisation humaine en ‘civilisation d’amour’» (ib. 30).

Quand le chrétien se trouve confronté à la souffrance, il ne lui est jamais permis de se montrer amer envers Dieu, ou de désirer se venger sur ceux qui le font souffrir. Envers Dieu, le croyant doit faire siennes les paroles confiantes de Jésus au moment de mourir: «Père, je remets mon esprit entre tes mains» (Lc 23,46). Quant aux malfaiteurs, il faut les laisser bénéficier de la prière du Christ pour eux sur la croix: «Mon Père, pardonne-leur: ils ne savent ce qu’ils font» (Lc 23,34). Dans l’ordre chrétien des choses, entretenir des sentiments de vengeance veut dire détruire le pouvoir de l’amour de transformer la souffrance en gloire; du point de vue psychologique, l’obsession du mal commis n’a d’autre effet que de permettre à l’ennemi de finir par triompher. Nous voyons dans la victoire du Christ une victoire totale, à cause de la qualité et de la mesure de son amour: il aima sans condition et sans limite.

Est-il difficile d’en arriver là dans notre vie personnelle? Bien sûr, et c’est justement pour quoi si peu de personnes y parviennent. «Dieu est fidèle; il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces. Avec la tentation, il vous donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter» (1 Cor 10,13), et encore «ma grâce te suffit: car ma puissance se déploie dans la faiblesse» (2 Cor 12, 9). Les chrétiens, en fin de compte, envisagent la souffrance sub specie aeternitatis; ce qui ne doit, ne peut vouloir dire entretenir une sorte de passivité en face de la souffrance (attendant avec inquiétude ‘des promesses en l’air’), mais cela fournit certes un unique point de repère - un point fixe même. Autrement dit, on fixe les yeux sur l’avenir, celui de la libération et de la gloire, comme le Christ lui-même: «le connaître, lui, (le Christ) avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, lui devenir conforme dans la mort, afin de parvenir si possible à ressusciter d’entre les morts» (Phil 3,11). Et tout cela en vertu d’une foi solide en la promesse de Jésus à ses disciples de tous les âges: «... et moi, élevé de terre: [sur la croix], j’attirerai tous les hommes à moi» (Jn 12,32). Pour les chrétiens, la souffrance est une force révélatrice et salvifique - à savoir: une valeur, avec un sens et un but, et cela à cause de Celui qui l’a endurée avant nous et nous en a indiqué le chemin.
Peter Stravinskas



Pour le judaïsme, la souffrance humaine est une question liée à celle plus vaste de la théodicée, c’est-à-dire de la relation entre Dieu et la présence du mal dans le monde. La Bible offre des réponses variées à la question de la souffrance. La rubrique dominante est celle de Dieu, Créateur universel, et qui en tant que Juge du monde, nous récompense selon nos actions. Amos, parmi les prophètes, adopte la position suivante: «Arrive-t-il un malheur ... sans que Dieu en soit l’auteur?» (3,6). De même Jérémie qui suggère: «Tu te demandes peut-être: pourquoi de tels malheurs m’arrivent-ils? (Et la réponse) Pour ta grande perversité» (13,22). Et les Lamentations observent: «N’est-ce pas de la bouche du Très-Haut que sortent les maux et les biens?» (3,38). Quand le Psalmiste soupire: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? Si loin de me sauver?» il conclut sûrement que Dieu est au courant de la souffrance humaine, et qu’Il la soulagera (Ps 22,1; he 22,2). D’autres passages nous apprennent que la souffrance n’est pas une fin en soi, mais plutôt que la récompense viendra (Is 40,1-2) une fois la punition complétée et l’expiation accomplie.

Le livre de Job débat longuement de la question des privations humaines, tout en considérant la foi de l’homme au sein même de ces souffrances. A partir du chapitre 38, Dieu «répond» à Job, mais ces réponses ne sont en réalité que des déclarations rhétoriques - «Où étais-tu quand je fondai la terre?» (38,4). «Le censeur de Dieu va-t-il répliquer,» (40,2). «Veux-tu vraiment casser mon jugement, me condamner pour assurer ton droit?» (40,8). Job apprend à accepter le fait que Dieu dont les responsabilités sont d’ordre cosmique, est néanmoins suffisamment préoccupé de la condition humaine pour fournir une réponse, même si cette réponse n’est pas nécessairement satisfaisante.

Le livre des Proverbes offre une explication encore plus laconique de la souffrance humaine: «Car le Seigneur reprend celui qu’il chérit» (3,12).

Les textes rabbiniques du Talmud et du Midrash continuent de se pencher sur la question (restée sans solution, peut-être même insolvable) de la souffrance humaine. Les déclarations rabbiniques sur la souffrance sont multiples. Une maxime célèbre commence par suggérer qu’on est peut-être soi-même en faute. Examinez votre conduite; peut-être êtes-vous cause de cette douleur dont vous souffrez. Si votre conduite est vraiment exemplaire, alors la souffrance est peut-être l’effet d’un décret de Dieu. «Quand vous vous trouvez face à la souffrance, examinez-vous... Si vous vous découvrez en faute, alors repentez-vous. Si par contre en vous examinant, vous ne croyez pas avoir commis de faute, alors votre souffrance vient peut-être d’avoir négligé d’étudier la Torah... Si après avoir attribué votre souffrance à la négligence de la Torah, et que cela n’aurait pu [être le cas], alors vous pouvez être sûr que cette souffrance vient de Dieu, que c’est un ‘châtiment de l’amour [de Dieu]’. ‘Car le Seigneur reprend celui qu’il chérit’ (Proverbes 3,12)» (Talmud de Babylone, Berakot 5a).

Une variation de cette idée voit la souffrance comme véritablement un don de Dieu. Cela est exprimé dans le Sifre du Deutéronome, Piska 32. Par la souffrance, Dieu fit trois dons merveilleux au peuple d’Israël: la Torah, la Terre d’Israël et le Monde-à-Venir. «Rabbi Simeon ben Yohai nous dit: Précieux sont les châtiments, car trois merveilleux dons enviés par les nations du monde ont été accordés à Israël, uniquement en raison de la souffrance. Ces trois dons sont la Torah, la Terre d’Israël et le Monde-à-Venir. La Torah, parce qu’elle est écrite pour connaître sagesse et discipline (Proverbes 1,2); et encore heureux l’homme que tu reprends, et que tu enseignes par ta Loi (Torah) (Psaume 94,12). La Terre d’Israël parce qu’il est écrit, Dieu te corrige... ton Dieu te conduit vers un heureux pays (Deutéronome 8,5,7). Le Monde-à-Venir s’explique comme suit, le commandement est une lampe, l’enseignement une lumière; remontrances et discipline sont le chemin de la vie (Proverbes 6,23). D’autres passages de la littérature rabbinique nous enseignent que Dieu souffre en contemplant les souffrances d’Israël (Talmud de Babylone, Hagigah 5b et Midrash Rabbah Lamentations, 1,45ss).

Au Moyen Age, des penseurs comme Saadia (9e siècle) et Nahmanide (13e siècle) font remarquer que les gens sont doués du libre arbitre, et que le problème de la souffrance dépasse nos connaissances et ne sera révélé qu’à la fin des temps, et/ou bien que les justes qui souffrent en ce monde trouveront leur récompense dans le Monde-à-Venir.

Passant au monde d’aujourd’hui, il y en a qui ont suggéré que les souffrances de l’Holocauste (la Shoah) sont liées à l’établissement de l’Etat d’Israël. Tout en servant de réponse à quelques-uns, cela ne reflète certainement pas le courant dominant de la pensée juive. Le philosophe moderne Richard Rubenstein, face à l’Holocauste, en conclut que du fait que «Dieu est mort», il est encore plus nécessaire d’insister sur l’existence de la communauté religieuse juive. Son contemporain, Emile Fackenheim, explique que nous ne savons pas, nous ne pouvons pas savoir ce que faisait Dieu à Auschwitz; il nous est également impossible de savoir pourquoi Dieu permit une telle horreur, mais il nous faut néanmoins insister que Dieu se trouvait à Auschwitz. Il y a un lien entre l’Holocauste et le rétablissement de l’Etat d’Israël, car ce que la Shoah semble nier, ce dernier l’affirme: la présence même de Dieu dans l’histoire. Comme l’explique William Styron dans son roman Sophie’s Choice (Le choix de Sophie) (1979), la question n’est pas: «Où était Dieu» à Auschwitz, mais plutôt: «Où était l’homme?».

Il existe une réponse extrêmement convaincante à la question concernant Dieu et son lien avec la souffrance dans le monde: elle est formulée par Harold Kushner dans son livre When Bad Things Happen to Good People (Quand les Justes doivent souffrir le mal) (1981), où il écrit: «Je crois en Dieu [mais] ... je reconnais ses limites. Il est limité par ce que lui permettent les lois de la nature, ainsi que par l’évolution de la nature humaine et de la liberté morale de l’homme... Ce n’est pas Dieu qui cause nos malheurs. Certains sont causés par la malchance, d’autres par des personnes mauvaises, d’autres encore sont tout simplement la conséquence du fait que nous sommes humains et mortels, au milieu d’un monde gouverné par des lois naturelles inflexibles». Kushner poursuit sa pensée en déclarant que «Dieu a créé un monde où il se passe beaucoup plus de bonnes que de mauvaises choses». En outre, concernant la souffrance, Kushner soulève la question, qu’encore plus important que de savoir d’où vient la souffrance, est de se demander où elle conduit. Elle pourrait nous aider à apprécier le fait qu’autour de nous se trouvent des personnes nullement indifférentes; ou encore la souffrance pourrait en inspirer d’autres à agir de telle manière à renouveler le monde.

David Birnbaum dans son livre God and Evil: A Unified Theodicy/Theology/Philosophy (Dieu et le Mal: Une théodicée/théologie/philosophie unifiées) (1989) pose comme principe que «Dieu est dans un état de connaissance, contracté en temps réel dans un but plus élevé, choisi par l’homme, pour permettre à la totalité de l’humanité de grandir comme des personnes douées de liberté individuelle authentique, leur permettant de comprendre la totalité de leurs potentialités». Et il poursuit en disant qu’une «Déité qui exerce cette connaissance contractée en temps réel pour le plus grand bien, la liberté de l’homme et son potentiel, clairement - non pas de manière insondable - ne commet pas de crime contre l’alliance ou de complicité par son silence. Son seul crime consiste à augmenter la liberté de l’homme - ce qui fut le choix de l’homme dans le Jardin d’Eden».

Bernard Malamud aborda l’éternelle question de la souffrance dans son conte merveilleux intitulé «Angel Levine» (Collection The Magic Barrel, 1958). Le personnage central, modelé sur le Job de la Bible, est un vieux tailleur juif nommé Manischevitz, qui veut savoir la raison de son angoisse et de sa détresse. Il se demande pourquoi «on le fait tant souffrir . Un tailleur. Certainement pas un homme de talent. La souffrance ne gagnait rien à lui être infligée, à lui. Elle n’arrivait nulle part, n’avançait à rien: sauf à se multiplier». Et pourtant grâce à son affliction, Manischevitz apprend à avoir pitié des autres; de plus, il se rend compte que malgré tout ce qu’il a enduré, il croit encore en Dieu.

Il n’existe pas de réponses à la souffrance susceptibles de contenter tout le monde. Pour certains, la notion biblique que «le Seigneur châtie celui qu’il aime» sert de baume apaisant. D’autres se consolent à l’idée que la souffrance humaine des justes en ce monde trouvera son ultime récompense dans le Monde-à-Venir. Une autre réponse possible: le fait que Dieu souffre avec nous. Ou bien encore un Dieu qui a ses limites, ou qui se limite lui-même peut fournir une réponse. La souffrance peut être tout simplement le prix terrible que nous avons à payer pour être libres de faire un choix d’ordre moral. Dans le conte de Malamud, il n’est pas sûr que le tailleur trouvera la réponse quand il se demande pourquoi il lui faut tellement souffrir. Et pourtant, ce qu’il a vécu dans sa vie lui dit que malgré tout, Dieu n’est pas indifférent envers les hommes. «Ce que vous avez dit, c’est dit. Si vous croyez, il faut le dire. Si vous avez cru, vous avez cru». En dernier lieu, c’est une question de foi.

David Zucker


Cet article, sous une forme légèrement révisée, est celui qui a paru sous le titre «Suffering: Jewish View: Christian View» dans A Dictionary of the Jewish-Christian Dialogue, Collection Stimulus édité par Leon Klenicki et Geoffrey Wigoder, Paulist Press, 1995. Il est reproduit ici avec permission et traduit de l’anglais.
Peter M.J. Stravinskas est Administrateur de l’église romaine catholique lithuanienne, Holy Trinity à Newark, N.J. Le Père Stravinskas, auteur de dix livres et de nombreux articles, est professeur adjoint d’éducation à Seton Hall University, South Orange, N.J.
David J. Zucker, ordonné par le Hebrew Union College/ Jewish Institute of Religion, a reçu son Ph.D. de l’Université de Birmingham, Angleterre. Il est aumônier de communauté à Denver, Colorado, et membre de la faculté de Regis University. Il est auteur du livre Israel’s Prophets: An Introduction, et directeur de l’association pour le dialogue interreligieux, Bridges for Understanding.

 

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