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VATICAN - 7 MARS 2000 - « MÉMOIRE ET RÉCONCILIATION », UN DOCUMENT DE LA COMMISSION INTERNATIONALE DE THÉOLOGIE
5.4 - Chrétiens et juifs
L’un des domaines qui exige un examen particulier est le rapport entre chrétiens et juifs. (Dans la déclaration Nostra Aetate, de Vatican II, le sujet est traité avec rigueur). « La relation de l’Eglise avec le peuple juif est différente de celle entretenue avec toute autre religion (cf. Jean Paul II Discours à la synagogue de Rome, 13 avril 1986) ». Pourtant, « l’histoire des relations entre juifs et chrétiens est une histoire tourmentée [...] En fait, le bilan de ces relations au cours de ces deux mille ans a été plutôt négatif. » (C’est l’avis du récent document de la commission pour les relations religieuses avec le judaïsme, Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoa, 16 mars 1998).
L’hostilité ou la méfiance de nombreux chrétiens envers les juifs est un fait douloureux, cause d’un profond regret de la part de chrétiens conscients que « Jésus était un descendant de David ; que c’est du peuple juif que naquirent la Vierge Marie et les Apôtres ; que l’Eglise se nourrit de la racine de l’olivier franc sur lequel ont été greffés les rameaux de l’olivier sauvage des Gentils ( Rm 11, 17sv.) ; que les juifs sont nos frères, chers et aimés, et que, en un certain sens, ils sont vraiment ‘nos frères aînés’ » (J.P. II, Discours à la Synagogue de Rome).
La Shoa fut certes le résultat d’une idéologie païenne, le nazisme, animée par un antisémitisme sans pitié, qui non seulement méprisait la foi, mais niait aussi la dignité même du peuple juif. Cependant « nous devons nous demander si la persécution nazie des juifs ne fut pas facilitée par des préjugés antijuifs, présents dans l’esprit et le coeur de certains chrétiens [...]. Les chrétiens ont-ils apporté toute l’aide possible à ceux qui étaient persécutés et, en particulier, aux juifs persécutés? » (Ibid., IV) . Il y eut, sans aucun doute, beaucoup de chrétiens qui risquèrent leur vie pour sauver et prêter assistance aux juifs de leur connaissance. Mais il semble également vrai qu’à « côté de ces hommes et femmes courageux, la résistance spirituelle et l’action concrète d’autres chrétiens ne furent pas celles que l’on aurait pu attendre de la part de disciples du Christ» (Ibid., IV). Ce fait constitue un appel à la conscience de tous les chrétiens d’aujourd’hui ; il exige un « acte de repentir (teshuva)» (Ibid., V), et devient un éperon pour que soient redoublés les efforts en vue d’être « transformés par un renouvellement de l’intelligence » (Rm 12, 2) et que soit maintenue la « mémoire morale et religieuse » de la blessure infligée aux juifs. Dans ce domaine, tout ce qui a déjà été fait pourra être confirmé et approfondi.
VATICAN - 12 MARS 2000 - CONFESSION DES FAUTES COMMISES DANS LES RELATIONS AVEC ISRAËL *(1)
Cardinal Edward I. Cassidy,
Président du Conseil pontifical
pour la promotion de l’Unité des chrétiens :
Prions pour que dans la souvenir des souffrances endurées au cours de l’histoire par le peuple d’Israël, les chrétiens sachent reconnaître les péchés commis par nombre des leurs contre le peuple de l’Alliance et des bénédictions, et ainsi purifier leur cœur.
Tous prient en silence quelques instants
Le Saint Père :
Dieu de nos Pères,
Tu as choisi Abraham et sa descendance pour que Ton Nom soit apporté aux peuples :
nous sommes profondément attristés par le comportement de ceux qui, au cours de l’histoire, les ont fait souffrir, eux qui sont tes fils,
et, en te demandant pardon, nous voulons nous engager à vivre une fraternité authentique avec le peuple de l’Alliance.
Par Jésus-Christ notre Seigneur.
Amen
ICCJ, AMITIÉ JUDÉO-CHRÉTIENNE INTERNATIONALE - 15 MARS 2000 -
DÉCLARATION EN RÉPONSE À LA DEMANDE DE PARDON DE JEAN PAUL II
L’ICCJ (Amitié judéo-chrétienne internationale), organisation regroupant dans le monde 31 organisations nationales de dialogue, prend acte avec respect de la démarche historique du pape Jean Paul II reconnaissant la culpabilité de l’Eglise catholique et demandant pardon pour les fautes commises dans le passé à l’égard de nombreux groupes et communautés.
Quand il mentionne spécifiquement la culpabilité concernant le peuple juif, le Pape a souligné une fois de plus les liens particuliers unissant l’Eglise et les juifs, « le peuple de l’Alliance ». Cette relation particulière, reconnue d’abord par le second Concile du Vatican, a été réaffirmée par l’Eglise catholique dans diverses déclarations. Par un processus véritablement révolutionnaire - dans lequel le pape Jean Paul II a joué un rôle décisif - l’image du juif s’est transformée dans l’Eglise catholique qui accepte comme des « frères aînés », dans une relation de parenté et de respect, ceux qui étaient auparavant regardés avec mépris et hostilité comme des étrangers.
Même si les paroles du Pape ne vont pas aussi loin que d’autres déclarations passées de l’Eglise, des conférences épiscopales et nationales et autres textes de Jean Paul II lui-même, leur importance vient de ce que le pape Jean Paul II a parlé au nom de la communauté chrétienne catholique, faisant un acte de contrition liturgique pour les péchés commis contre le peuple juif. Il reste que l’absence de références précises à la culpabilité de l’Eglise par rapport à des groupes particuliers de victimes dans ce langage liturgique entraîne, et cela se comprend, désappointement et critiques. On aurait souhaité en particulier que le document accompagnant l’acte de contrition cherche davantage à expliquer la difficulté apparente que l’Eglise éprouve à admettre aussi la culpabilité et la responsabilité historiques de ses institutions. Ce ne sont pas seulement les « chrétiens » en général, mais ce sont ceux qui avaient la responsabilité de guider l’Eglise au cours des siècles qui devraient être inclus dans ce défi d’un humble repentir s’étendant à l’enseignement et à la liturgie, « regardant les péchés du passé dans une purification authentique de la mémoire » pour arriver « sur le chemin d’une authentique conversion » teshuva. Ceci s’applique particulièrement à l’histoire de l’antijudaïsme de l’Eglise et spécifiquement au rôle de l’Eglise catholique pendant la Shoa.
Quelles que soient les critiques, nous apprécions le fait unique dans l’histoire catholique et de la papauté que le pape Jean Paul II montre clairement son désir d’amener son Eglise à admettre sa culpabilité et sa contrition en entrant dans le nouveau millénaire. Nous espérons que cela aboutira à améliorer les relations particulières entre l’Eglise catholique et le peuple juif dans toutes les parties du monde. Nous espérons aussi que l’effort évident du Vatican pour nouer une nouvelle relation durable avec le peuple juif encouragera des efforts semblables de la part des Eglises non-catholiques ainsi qu’une disposition à soumettre leur propre histoire à une réflexion critique. Il y a aussi pour les Eglises non-catholiques la tâche qui n’est pas terminée de réviser leur enseignement et leur liturgie.
Nous espérons d’autre part que cette attitude aboutira aussi à des contacts durables plus étroits et à une amélioration des rapports entre les Eglises catholiques et autres Eglises chrétiennes avec la communauté musulmane. Toutes ont à relever le défi de chercher une meilleure compréhension mutuelle entre le christianisme, le judaïsme et leur plus proche voisin, l’islam.
Rabbin Prof. David Rosen ; Président
Pasteur Friedhelm Pieper, Secrétaire général
PÈLERINAGE JUBILAIRE DE JEAN PAUL II EN TERRE SAINTE
Cérémonie de bienvenue à l’aéroport de Tel Aviv – 21 mars 2000 *(2)
Monsieur le Président et Madame Weizman,
Monsieur le Premier Ministre et Madame Barak,
Chers amis israéliens,
Excellences, Mesdames et Messieurs,
1. Hier, du sommet du Mont Nébo, j’ai regardé au-delà de la vallée du Jourdain vers cette terre bénie. Aujourd’hui, c’est avec une profonde émotion que je foule la Terre où Dieu a choisi de « planter sa tente » (Jn 1, 14 ; cf. Ex 40, 34-35, 1 R 8, 10-13) et permis à l’homme de le rencontrer de manière plus directement.
En cette année du deux millième anniversaire de la naissance de Jésus-Christ, j’ai ardemment désiré venir ici et prier dans les lieux les plus importants qui, depuis les temps reculés, ont vu des interventions de Dieu et des merveilles qu’il a accomplies. « Toi, le Dieu qui fait merveille, tu fis savoir parmi les peuples ta force » (Ps 77, 15).
Monsieur le Président, je vous remercie de votre accueil chaleureux, et à travers votre personne, je salue tout le peuple de l’Etat d’Israël.
2. Ma visite est à la fois un pèlerinage personnel et un voyage spirituel de l’évêque de Rome aux origines de notre foi dans le « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » (Ex 3, 15). Elle fait partie d’un pèlerinage plus vaste de prière et d’action de grâce qui m’a conduit tout d’abord au Mont Sinaï, la Montagne de l’Alliance, le lieu de la révélation décisive qui a façonné l’histoire ultérieure du salut. A présent, je vais avoir le privilège de visiter certains des lieux les plus étroitement liés à la Vie, à la Mort et à la Résurrection de Jésus-Christ. Au long de chaque étape du chemin, je suis mû par un sens profond de Dieu qui nous a précédés et qui nous conduit, qui veut que nous l’honorions en esprit et en vérité, que nous reconnaissions les différences qui existent entre nous, mais également que nous reconnaissions dans chaque être humain l’image et la ressemblance de l’unique Créateur du ciel et de la terre.
3. Monsieur le Président, vous êtes connu comme un homme de paix et un artisan de paix. Nous savons tous combien le besoin de paix et de justice est urgent, non seulement pour Israël, mais aussi pour toute la région. De nombreuses choses ont changé dans les relations entre le Saint-Siège et l’Etat d’Israël depuis que mon prédécesseur le Pape Paul VI est venu ici en 1964. L’établissement de relations diplomatiques entre nous en 1994 a scellé nos efforts en vue d’inaugurer une ère de dialogue sur des questions d’intérêt commun comme la liberté religieuse, les relations entre l’Eglise et l’Etat et, plus généralement, les relations entre chrétiens et juifs. A un autre niveau, l’opinion mondiale suit avec une grande attention le processus de paix qui implique tous les peuples de la région, engagés dans la difficile recherche d’une paix durable et d’une justice pour tous. Grâce à une nouvelle ouverture réciproque, les chrétiens et les juifs doivent accomplir ensemble des efforts courageux pour éliminer toute forme de préjugés. Nous devons toujours et partout nous efforcer de présenter le véritable visage des juifs et du judaïsme, de même que celui des chrétiens et du christianisme, et cela à tous les niveaux des comportements, des enseignements et de la communication. (cf. Discours à la communauté juive de Rome, 13 avril 1986, 5).
4. Mon voyage est donc un pèlerinage, dans un esprit d’humble gratitude et d’espérance, aux origines de notre histoire religieuse. Il s’agit d’un hommage aux trois traditions religieuses qui coexistent sur cette terre. Cela fait longtemps que je voulais rencontrer les fidèles des Communautés catholiques dans leur riche diversité et les membres des diverses Eglises et Communautés chrétiennes présentes en Terre Sainte. Je prie pour que ma visite serve à encourager un approfondissement du dialogue interreligieux qui conduira les juifs, les chrétiens et les musulmans à rechercher dans leurs croyances respectives et dans la fraternité universelle qui unit tous les membres de la famille humaine, la motivation et l’espérance d’oeuvrer pour la paix et la justice que les populations de Terre Sainte n’ont pas encore, et auxquelles elles aspirent si profondément. Le Psalmiste nous rappelle que la paix est un don de Dieu : « J’écoute. Que dit le Seigneur ? Ce que Dieu dit, c’est la paix pour son peuple et ses amis et ceux qui reviennent à lui de tout leur cœur » (Ps 85, 8). Puisse la paix être le don de Dieu à la Terre qu’il a choisi de faire sienne ! Shalom !
Visite au Président d’Israël Ezer Weizman – 23 mars 2000 *(3)
Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres,
Messieurs les Membres de la Knesset,
Excellences,
Je vous suis très reconnaissant, Monsieur le Président, de l’accueil que vous m’avez réservé en Israël. Nous sommes, en cette rencontre, tous deux porteurs de longues histoires. Vous représentez la mémoire juive, qui remonte au-delà de l’histoire récente de cette terre jusqu’au voyage unique de votre peuple à travers les siècles et les millénaires. Je viens tel celui dont la mémoire chrétienne remonte les deux mille ans qui ont suivi la naissance de Jésus sur cette terre même.
L’histoire, comme le maintiennent les anciens, est la Magistra vitae, celle qui enseigne comment vivre. C’est pourquoi nous devons être déterminés à panser les plaies du passé afin que jamais plus elles ne s’ouvrent. Nous devons oeuvrer à une nouvelle ère de réconciliation et de paix entre les juifs et les chrétiens. Ma visite est le gage que l’Eglise catholique fera tout son possible pour assurer qu’il ne s’agit pas seulement d’un rêve mais d’une réalité.
Nous savons que la vraie paix au Proche-Orient ne pourra qu’être le fruit d’une compréhension et d’un respect mutuel entre les peuples de la région : juifs, chrétiens et musulmans. Dans cette perspective, mon pèlerinage est un voyage d’espoir : l’espoir que le XXIe siècle mènera à une nouvelle solidarité entre les peuples du monde, avec la conviction que l’on ne pourra obtenir le progrès, la justice et la paix que si on les obtient pour tous.
Bâtir un avenir plus lumineux pour la famille humaine est une tâche qui nous concerne tous. C’est pourquoi je suis heureux de vous saluer, Messieurs les Ministres du gouvernement, Messieurs les membres de la Knesset et Messieurs et Mesdames les représentants de nombreux pays qui devez prendre et appliquer des décisions qui influent sur la vie des gens. J’ai l’ardent espoir qu’un authentique désir de paix inspirera chacune de vos décisions. Ceci est ma prière, et j’invoque les abondantes bénédictions divines sur vous, Monsieur le Président, sur votre pays et sur vous tous qui m’avez honoré de votre prière. Je vous remercie.
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Visite aux Grands Rabbins au Hechal Shlomo – 23 mars 2000
Très Révérends Grands Rabbins,
C’est avec un profond respect que je vous rends visite aujourd’hui ici, et je vous remercie de m’accueillir au Hechal Shlomo. Cette rencontre unique et significative conduira certainement - je prie et je l’espère – à des contacts de plus en plus nombreux entre chrétiens et juifs, dans le but de parvenir à une compréhension toujours plus profonde de la relation historique et théologique entre nos héritages religieux respectifs.
Personnellement, j’ai toujours désiré être compté parmi ceux qui, des deux côtés, travaillent pour dépasser de vieux préjugés et pour obtenir une reconnaissance toujours plus grande et plus pleine du patrimoine spirituel partagé par les juifs et les chrétiens. Je redis ce que j’ai dit lors de ma visite à la communauté juive de Rome : nous chrétiens, nous reconnaissons que l’héritage religieux juif est intrinsèque à notre foi : « vous êtes nos frères aînés » (cf. Discours à la Synagogue de Rome, avril 1986, 4). Nous espérons que le peuple juif prendra note que l’Eglise condamne absolument l’antisémitisme et toute forme de racisme comme étant opposés tous les deux aux principes du christianisme. Nous devons œuvrer ensemble pour bâtir un avenir où l’antijudaïsme n’existera plus parmi les chrétiens et où il n’y aura plus de sentiment anti-chrétien parmi les juifs.
Nous avons beaucoup en commun. Il y a tant de choses que nous pouvons faire ensemble pour la paix, pour la justice, pour un monde plus humain et plus fraternel. Que le Seigneur du ciel et de la terre nous conduise à une nouvelle et fructueuse ère de respect mutuel et de coopération, pour le plus grand bien de tous ! Je vous remercie.
Visite à Yad Vashem – 23 mars 2000 *(4)
Les paroles du psaume montent de nos coeurs :
« Je suis oublié des coeurs comme un mort,
comme un objet de rebut.
J’entends les calomnies des gens, terreur de tout côté.
Ils se groupent à l’envi contre moi,
complotant de m’ôter la vie.
Et moi je m’assure en toi Seigneur.
Je dis : c’est toi mon Dieu ! » (Ps 31, 13-15).
En ce lieu de mémoire, l’esprit, le cœur et l’âme éprouvent un extrême besoin de silence.
Silence dans lequel on se souvient.
Silence dans lequel on tente de donner un sens aux souvenirs qui reviennent et submergent.
Silence parce qu’il n’y pas de mots assez forts pour déplorer la terrible tragédie de la Shoa. Mes propres souvenirs personnels sont ceux de tout ce qui est advenu lorsque les nazis occupèrent la Pologne pendant la guerre. Je me souviens de mes amis et de mes voisins juifs, dont certains sont morts tandis que d’autres ont survécu.
Je suis venu à Yad Vashem pour rendre hommage aux millions de juifs qui, dépouillés de tout, spécialement de leur dignité humaine, furent assassinés dans l’Holocauste. Plus d’un demi-siècle s’est écoulé mais les souvenirs demeurent.
Ici, comme à Auschwitz et dans beaucoup d’autres lieux d’Europe, nous sommes bouleversés par l’écho des lamentations déchirantes de personnes. Hommes, femmes et enfants crient vers nous des abîmes de l’horreur qu’ils ont connue. Comment pourrions-nous ne pas prêter attention à leurs cris ? Personne ne peut oublier ou ignorer ce qui est arrivé. Personne ne peut en diminuer l’ampleur.
Mais nous voulons aussi nous souvenir dans un but : nous assurer que jamais plus le mal ne prévaudra comme cela s’est produit pour des millions de victimes innocentes du nazisme.
Comment l’homme a-t-il pu faire preuve d’un mépris aussi absolu pour l’homme ? Parce qu’il en était arrivé au point de mépriser Dieu. Seule une idéologie sans Dieu pouvait programmer et mettre en œuvre l’extermination de tout un peuple.
L’honneur rendu à Yad Vashem par l’Etat d’Israël aux « justes parmi les gentils » pour avoir agi héroïquement afin de sauver des juifs, parfois au point de donner leur propre vie, marque que, même dans les heures les plus obscures, toutes les lumières ne se sont pas éteintes. C’est pourquoi les psaumes et toute la Bible, aussi conscients soient-ils de la capacité humaine à faire le mal, proclament aussi que le mal n’aura pas le dernier mot. Des abîmes de la souffrance et de la douleur, le cœur du croyant crie : « Je m’assure en toi Seigneur. Je dis : c’est toi mon Dieu ! » (Ps 31, 15).
Juifs et chrétiens partagent un immense patrimoine spirituel qui trouve sa source dans la révélation même de Dieu. Nos enseignements religieux et nos expériences spirituelles exigent de nous de vaincre le mal par le bien. Nous nous souvenons, mais sans aucun désir de vengeance, sans incitation à la haine. Pour nous, se souvenir signifie prier pour la paix et la justice et nous engager pour leur cause. Seul un monde en paix, avec la justice pour tous, pourra éviter la répétition des erreurs et des terribles crimes du passé.
En tant qu’Evêque de Rome et Successeur de l’apôtre Pierre, j’assure le peuple juif que l’Eglise catholique, motivée par la loi de vérité et d’amour de l’Evangile, et non par des considérations politiques, est profondément attristée par la haine, les actes de persécution et les manifestations d’antisémitisme dirigées contre les juifs par des chrétiens en tout temps et en tout lieu. L’Eglise rejette toute forme de racisme comme une négation de l’image du Créateur, inhérente à tout être humain (cf. Gn 1, 26).
En ce lieu de solennelle mémoire, je prie avec ferveur afin que notre douleur pour la tragédie subie par le peuple juif au XXe siècle conduise à une nouvelle relation entre chrétiens et juifs. Construisons un avenir dans lequel il n’y ait plus de sentiment antijuif parmi les chrétiens ou antichrétien parmi les juifs, mais plutôt le respect mutuel exigé de ceux qui adorent l’unique Créateur et Seigneur et regardent Abraham comme notre père commun dans la foi.
Le monde doit prêter attention à l’avertissement qui nous vient de l’Holocauste et du témoignage des survivants. Ici à Yad Vashem, la mémoire est vive et brûle dans nos âmes. Elle nous fait crier :
« J’entends les calomnies des gens, terreur de tous côtés !
Je m’assure en toi Seigneur.
Je dis : c’est toi mon Dieu ! » (Ps 31, 13-15).
Réponse du Premier ministre Ehud Barak à Yad Vashem – 23 mars 2000 *(5)
Votre Sainteté, Pape Jean Paul II
Permettez-moi de commencer par quelques mots dans notre propre langue, la langue d’Abraham, de Moïse et de l’Alliance, qui est redevenue la langue natale du pays d’Israël.
Au nom du peuple juif, au nom de l’Etat d’Israël et de tous ses citoyens - chrétiens, musulmans, druzes et juifs - je vous accueille dans l’amitié, dans la fraternité et dans la paix, à Jérusalem, la capitale d’Israël, la Ville éternelle et la ville de la paix. Dans ce cycle de 2000 ans d’histoire, nous retournons ici au point de départ originel, portant le poids du souvenir - sa richesse et sa douleur, sa lumière et ses ombres, ses chants et ses élégies. Vous n’êtes pas venu guérir les plaies du passé, mais le chemin qui vous a amené jusqu’ici mène vers de nouveaux horizons. Ce moment restera à jamais comme un moment magique de vérité et comme une victoire pour la justice et l’espérance.
Votre Sainteté,
Nous nous retrouvons aujourd’hui dans ce sanctuaire de la mémoire du peuple juif et de toute l’humanité. « Yad Vashem » - littéralement, « un nom et un lieu » - pour les six millions de frères et de soeurs, pour le million et demi d’enfants, victimes de la barbarie funeste du nazisme.
Lorsque l’obscurité du nazisme s’est abattue et que mon peuple a été conduit de toute l’Europe chrétienne vers les fours crématoires et les chambres à gaz, il semblait qu’il n’y avait plus de place pour aucun espoir en Dieu ou en l’homme. Selon les mots du prophète Joël : « le soleil et la lune s’assombrissent, les étoiles perdent leur éclat ». Et le silence n’était pas seulement celui des cieux. Pendant ce temps, ici sur la terre d’Israël, le poète Nathan Alterman écrivait ces mots perçants et tourmentés :
« Alors que les enfants criaient sous le gibet la colère du monde, nous n’avons pas entendu... »
Votre Sainteté, depuis les profondeurs de cette « longue nuit de la Shoa », ainsi que vous l’avez appelée, nous avons vu des éclairs de lumière briller comme des phares dans l’obscurité absolue qui les entourait. Ils étaient les nobles de cœur, pour la plupart des enfants de votre confession qui ont risqué leur vie pour sauver les vies des autres. Leurs noms sont inscrits sur le mur qui nous entoure, ici, à Yad Vashem ; ils sont gravés à tout jamais sur les tablettes de nos coeurs. Vous-même, Votre Sainteté, avez été un jeune témoin de cette tragédie et, comme vous l’écriviez aux amis juifs de votre enfance, vous avez eu l’impression, en un sens, de vivre vous-même le destin du peuple juif. Quand mes grands-parents, Elka et Shmuel Godin, sont montés dans les trains de la mort à l’Umschlagplatz, près de chez eux à Varsovie, allant vers le destin qui les attendait à Treblinka - le destin de trois millions de juifs de votre patrie - vous étiez là et vous vous souvenez.
Vous avez fait plus que quiconque pour le changement historique de l’attitude de l’Eglise envers le peuple juif, amorcé par le bon Pape Jean XXIII, et pour panser des blessures béantes qui ont suppuré pendant de nombreux siècles d’amertume.
Et je peux dire, Votre Sainteté, que votre venue ici aujourd’hui, dans la tente du souvenir à Yad Vashem, est l’apogée de ce voyage historique de cicatrisation. Ici, tout de suite, le temps lui-même s’est arrêté... Ce moment contient en lui deux mille ans d’histoire. Et leur poids est presque trop lourd à porter.
Juste avant d’entreprendre votre pèlerinage ici, vous avez hissé le drapeau de la fraternité tout en haut du mât en introduisant dans la liturgie de l’Eglise une demande de pardon pour les torts commis par les membres de votre confession contre les autres, et particulièrement contre le peuple juif.
Nous sommes extrêmement sensibles à la noblesse de cet acte.
Bien sûr, il est impossible de surmonter toutes les douleurs du passé du jour au lendemain. Votre Sainteté a souvent commenté les problèmes liés aux relations antérieures entre chrétiens et juifs. Notre voeu est de poursuivre un dialogue fécond à ce sujet, de travailler ensemble à éliminer les fléaux que sont le racisme et l’antisémitisme.
Votre Sainteté, ma nation est de celles qui se souviennent. Quel que soit le poids de la mémoire, nous ne devons pas nous y soustraire, car sans mémoire, il n’y peut y avoir ni culture ni conscience.
L’établissement de l’Etat d’Israël contre toute attente et le retour des exilés n’ont pas seulement permis de restituer au peuple juif son honneur et la maîtrise de son destin. C’est la réponse définitive et permanente à Auschwitz. Nous sommes rentrés chez nous, et désormais plus aucun juif ne sera abandonné ou dépouillé des derniers lambeaux de sa dignité humaine. Ici, dans le berceau de notre civilisation, nous avons rebâti notre foyer pour qu’il puisse prospérer dans la paix et la sécurité. Défendre notre Etat a exigé un très lourd sacrifice.
Nous sommes maintenant résolus à trouver les chemins d’une réconciliation historique. Nous sommes engagés dans un énorme effort pour assurer une paix globale avec nos voisins palestiniens, avec la Syrie et le Liban, et avec le monde arabe tout entier.
Votre Sainteté, nous avons entendu avec satisfaction les propos que vous avez tenus concernant les liens uniques entre le peuple juif et Jérusalem et je vous cite : « les juifs aiment Jérusalem avec passion... depuis l’époque de David qui l’a choisie pour capitale, et depuis l’époque de Salomon qui y a construit le Temple. C’est pour cette raison qu’ils se tournent vers elle lorsqu’ils prient chaque jour et qu’ils la désignent comme symbole de leur nation ».
Je souhaiterais rappeler que nous nous engageons de manière absolue à protéger tous les droits et les biens de l’Eglise catholique ainsi que ceux des institutions chrétiennes et musulmanes, à continuer à assurer une égale et complète liberté de culte pour les membres de toutes les confessions, et à garder Jérusalem unie, ouverte et libre, pour tous ceux qui l’aiment, comme elle ne l’a jamais été auparavant. Je sais que vous priez comme nous pour l’unité et la paix de Jérusalem :
« Priez pour la paix de Jérusalem... Paix en ton enceinte et prospérité dans tes palais, pour l’amour de mes frères et de mes compagnons, je dirai maintenant, que la paix soit avec toi ».
Votre Sainteté, vous êtes venu pour une mission de fraternité, de souvenir et de paix, et nous vous disons : soyez béni en Israël.
Rencontre interreligieuse à l’Institut Pontifical Notre Dame de Jérusalem – 23 mars 2000 *(6)
Illustres Représentants juifs, chrétiens musulmans
1. En cette année du 2000e anniversaire de la naissance de Jésus-Christ, je suis réellement très heureux de réaliser le souhait, que j’ai depuis si longtemps, d’effectuer un voyage sur les lieux de l’histoire du salut. Je suis très ému de suivre les pas des innombrables pèlerins qui, avant moi, sont venus prier sur les Lieux Saints liés aux interventions de Dieu. Je suis tout à fait conscient que cette Terre est Sainte pour les juifs, les chrétiens et les musulmans. Ma visite aurait donc été incomplète sans cette rencontre avec vous, illustres chefs religieux. Je vous remercie de votre soutien que votre présence ici cet après midi, apporte à l’espoir et à la conviction de tant de gens que nous entrons réellement dans une nouvelle ère de dialogue interreligieux. Nous sommes conscients que les liens plus étroits entre tous les croyants sont la condition nécessaire et urgente pour obtenir un monde plus juste et plus pacifique.
Pour nous tous, Jérusalem, comme son nom l’indique, est la « Cité de la Paix ». Peut-être qu’aucun autre lieu au monde ne communique aussi bien le sens de la transcendance et de l’élection divine que nous percevons dans ses pierres et ses monuments, et dans le témoignage des trois religions qui vivent côte à côte en son enceinte. Tout n’a pas été - ou ne sera pas toujours - facile dans cette coexistence. Mais nous devons trouver, dans nos traditions religieuses respectives, la sagesse et la motivation supérieures qui puissent assurer le triomphe de l’entente mutuelle et du respect cordial.
2. Nous sommes tous d’accord sur le fait que la religion doit vraiment être centrée sur Dieu, et que notre premier devoir religieux est l’adoration, la louange et l’action de grâce. La première sourate du Coran l’exprime clairement : « Louange à Dieu, maître de l’univers » (Coran 1, 1). Dans les chants inspirés de la Bible, nous entendons cet appel universel : « Que tout ce qui respire loue le Seigneur ! Alléluia ! » (Ps 150, 6). Et dans l’Evangile, nous lisons que, lorsque Jésus est né, les anges ont chanté : « Gloire à Dieu au plus haut des Cieux » (Luc 2, 14). A notre époque, alors que beaucoup sont tentés de gérer leurs affaires sans aucune référence à Dieu, l’appel de reconnaître le Créateur de l’univers et le Seigneur de l’histoire est essentiel pour assurer le bien-être des individus et le développement convenable de la société.
3. Si elle est authentique, la dévotion à Dieu implique nécessairement d’être attentif aux êtres humains, nos frères. En tant que membres de la famille humaine unique et enfants bien-aimés de Dieu, nous avons des devoirs les uns envers les autres que nous, croyants, ne pouvons ignorer. L’un des premiers disciples de Jésus a écrit : « Si quelqu’un dit : ‘J’aime Dieu’, alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne peut aimer Dieu qu’il ne voit pas » (1 Jn 4, 20). L’amour de nos frères et soeurs implique une attitude de respect et de compassion, des gestes de solidarité, une coopération au service du bien commun. Ainsi, le fait de se préoccuper de la paix et de la justice n’est pas étranger au domaine de la religion mais constitue, en fait, l’un de ses éléments essentiels.
Dans l’optique chrétienne, ce n’est pas aux guides religieux de proposer des formules techniques pour résoudre les problèmes sociaux, économiques et politiques. Leur tâche consiste surtout à enseigner les vérités de la foi et de la bonne conduite, à aider les gens - y compris ceux qui ont des responsabilités au niveau de la vie publique - à être conscients de leurs devoirs et à les remplir. En tant que guides religieux, nos aidons les gens à mener des vies équilibrées, à harmoniser la dimension verticale de leur relation avec Dieu avec la dimension horizontale de service envers leur prochain.
4. Chacune de nos religions connaît, sous une forme ou une autre, la Règle d’Or : « Fais pour ton prochain ce que tu souhaiterais qu’il fasse pour toi-même ». Aussi précieuse que soit cette règle pour nous guider, l’amour authentique du prochain va bien au-delà. Il se fonde sur la conviction que lorsque nous aimons notre prochain, nous montrons de l’amour pour Dieu, et que lorsque nous blessons notre prochain, c’est Dieu que nous offensons. Cela signifie que la religion est l’ennemi de l’exclusion et de la discrimination, de la haine et de la rivalité, de la violence et du conflit. La religion n’est pas et ne doit pas devenir un prétexte à la violence, en particulier quand l’identité religieuse coïncide avec l’identité ethnique et culturelle. Religion et paix vont ensemble ! La croyance et la pratique religieuses ne peuvent être séparées de la défense de l’image de Dieu dans chaque être humain.
En faisant appel aux richesses de nos traditions religieuses respectives, nous devons faire prendre conscience que les problèmes actuels ne pourront être résolus si nous continuons à nous ignorer les uns les autres et à rester isolés les uns des autres. Nous sommes tous conscients des malentendus et des conflits antérieurs, et ceux-ci continuent de peser fortement sur les relations entre juifs, chrétiens et musulmans. Nous devons faire tout notre possible pour transformer cette conscience des offenses et des péchés antérieurs en la ferme résolution de construire un nouvel avenir dans lequel il n’y aura de la place que pour une coopération respectueuse et fructueuse entre nous.
L’Eglise catholique souhaite poursuivre un dialogue interreligieux sincère et fructueux avec les membres de la foi juive et les disciples de l’islam. Par un tel dialogue, nous n’essayons pas d’imposer nos idées aux autres. Ce que cela exige de chacun de nous, c’est que : fidèles à nos croyances, nous nous écoutions respectueusement les uns les autres, que nous cherchions à discerner tout ce qui est bon et saint dans ces enseignements réciproques, et que nous coopérions pour soutenir tout ce qui favorise la compréhension mutuelle et la paix.
5. Les enfants et les jeunes, juifs, chrétiens et musulmans présents ici sont pour nous un signe d’espoir et une motivation. Chaque nouvelle génération est un don divin accordé au monde. Si nous leur transmettons tout ce qui est noble et bon dans nos traditions, ils le feront éclore en des fraternités et coopérations plus intenses.
Si les diverses communautés religieuses de la Cité Sainte et de Terre Sainte réussissent à vivre et à travailler ensemble de manière fraternelle et harmonieuse, cela sera d’un très grand intérêt non seulement pour elles-mêmes mais aussi pour la cause de la paix dans cette région. Jérusalem sera une authentique Cité de Paix pour tous les peuples. Puis, nous redirons tous les paroles du Prophète : « Venez, montons à la montagne du Seigneur... qu’Il nous enseigne ses voies et que nous suivions ses sentiers » (Is 2, 3).
Nous atteler à nouveau à cette tâche, et le faire dans la Sainte Cité de Jérusalem, c’est demander à Dieu de se pencher avec bienveillance sur nos efforts et de les mener vers un heureux aboutissement. Puisse le Tout-Puissant bénir abondamment nos efforts communs !
Prière au Kotel, le mur occidental de l’Esplanade du Temple – 26 mars 2000
Au Kotel (le mur occidental), le Pape Jean Paul II a d’abord récité le psaume 122 en latin : « J’étais dans la joie quand je suis parti vers la maison du Seigneur ».
Puis il a redit les paroles qui avaient déjà été prononcées le 12 mars à Rome lors de la liturgie de demande de pardon :
Dieu de nos pères,
Tu as choisi Abraham et sa descendance
pour que Ton Nom soit apporté aux peuples :
Nous sommes profondément attristés par le comportement de ceux qui, au cours de l’histoire les ont fait souffrir,
eux qui sont tes enfants, et,
en te demandant pardon,
nous voulons nous engager à vivre une fraternité authentique
avec le peuple de l’Alliance.
Ensuite il a glissé la prière dans un interstice du mur
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1. Texte original italien. Cf. La Documentation Catholique, 2 avril 2000.
2. Texte original anglais. Cf. La Documentation catholique, 16 avril 2000.
3. Texte original anglais. Cf. La Documentation catholique, 16 avril 2000.
4. Texte original anglais. Cf. La Documentation catholique, 16 avril 2000.
5. Texte original anglais. Cf. La Documentation catholique, 16 avril 2000.
6, Texte original anglais. Cf. La Documentation catholique, 16 avril 2000.