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SIDIC Periodical XXXIV-XXXV - 2001-2002/1.3
L' Évangile de Jean. Conflits et controverses (Pages 39-54)

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Documentation

 

SAINT-SIÈGE – COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE,
Le peuple juif et ses Ecritures dans la Bible chrétienne – Novembre 2001


La Commission biblique pontificale vient de publier un important document portant sur « Le peuple juif et ses Ecritures dans la Bible chrétienne ». La préface est écrite par le cardinal J. Ratzinger, qui en est le président (1) Le texte original est en français, une traduction italienne existe et la traduction en allemand devrait paraître incessamment. Le document comprend trois parties : I. Les Saintes Ecritures du peuple juif, partie fondamentale de la Bible chrétienne ; II. Thèmes fondamentaux des Ecritures du peuple juif et leur réception dans la foi au Christ; III. Les juifs dans le Nouveau Testament. Dans l’introduction et la conclusion, la Commission émet le souhait que ce texte qui ne cède « pas à un irénisme facile » (Présentation du P. A. Vanhoye dans L’Osservatore Romano du 5 décembre 2001) « contribue … à faire avancer le dialogue entre juifs et chrétiens, dans la clarté et dans l’estime et l’affection mutuelles » (p. 6).


Nous en publions quelques extraits qui portent sur l’étude des « juifs » dans saint Jean, avec l’aimable autorisation des Editions de la Librairie vaticane (2)


III. B Les juifs dans les évangiles et les Actes des Apôtres
4. Evangile selon Jean

76. A propos des juifs, le quatrième évangile contient l’affirmation la plus positive qui soit, et c’est Jésus lui-même qui la prononce, dans son dialogue avec la Samaritaine : « Le salut vient des juifs » (Jn 4, 22).(3) D’autre part, à la parole du Grand prêtre Caïphe, qui déclarait « avantageux » « qu’un seul homme meure pour le peuple », l’évangéliste reconnaît une valeur de parole inspirée par Dieu et il souligne que « Jésus devait mourir pour la nation », précisant ensuite que ce n’était « pas seulement pour la nation, mais pour rassembler en unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 49-52). L’évangéliste manifeste une grande connaissance du judaïsme, de ses fêtes, de ses Ecritures. La valeur du patrimoine juif est nettement reconnue : Abraham vit le jour de Jésus et en fut heureux (8, 56); la Loi est un don, venu par l’entremise de Moïse (1, 17) ; « l’Ecriture ne peut pas être abolie » (10, 35) ; Jésus est celui de qui Moïse a parlé dans la Loi, ainsi que les prophètes » (1, 45) ; il est « juif » (4, 9) et « roi d’Israël (2, 47) ou « roi des juifs » (19, 19-22). Aucune raison sérieuse ne permet de mettre en doute que l’évangéliste était juif et que le contexte de base pour la composition de l’Evangile a été sa relation avec le judaïsme.

Le nom de « juifs » se rencontre 71 fois dans le quatrième évangile, habituellement au pluriel, 3 fois au singulier (3, 25 ; 4, 9 ; 18, 35). Il est appliqué en particulier à « Jésus » (4, 9). Le nom d’ « Israélite » n’apparaît qu’une fois ; c’est un titre d’honneur (1, 47). Un certain nombre de juifs se montrent bien disposés envers Jésus. Tel est le cas de Nicodème, un « chef des juifs » (3, 1), qui reconnaît en Jésus un maître venu de Dieu (3, 2), le défend devant ses collègues pharisiens (7, 50-51) et prend soin, après sa mort sur la croix, de sa sépulture (19, 39). A la fin, « beaucoup des chefs » croyaient en Jésus, mais n’avaient pas le courage de se déclarer ses disciples (12, 42). L’évangéliste rapporte assez souvent que « beaucoup » de personnes se mettaient à croire en Jésus.(4) Le contexte montre qu’il s’agissait de juifs, sauf en 4, 39.41 ; l’évangéliste le précise parfois, mais rarement (8, 31 ; 11, 45 ; 12, 11).
Le plus souvent, toutefois, « les Juifs » sont hostiles à Jésus. Leur opposition se déclenche dès la guérison d’un paralytique, effectuée un jour de sabbat (5, 16). Elle redouble après une déclaration où Jésus se fait « égal à Dieu » ; ils cherchent dès lors à le faire mourir (5, 18). Plus tard, comme le Grand prêtre de Mt 26, 65 et Mc 14, 64 au cours du procès de Jésus, ils l’accusent de « blasphème » et tentent de lui infliger la peine correspondante : la lapidation (10, 31-33). On a observé avec raison qu’une grande partie du quatrième évangile anticipe le procès de Jésus, à qui il donne la possibilité de faire sa propre défense et d’accuser ses accusateurs. Ceux-ci sont souvent nommés « les Juifs », sans autre précision, ce qui a pour résultat d’attacher à ce nom un jugement défavorable. Mais il ne s’agit nullement d’un antijudaïsme de principe, puisque – comme nous l’avons déjà rappelé – l’évangile reconnaît que « le salut vient des juifs » (4, 22). Cette façon de parler reflète seulement une situation de nette séparation entre les communautés chrétiennes et celles des juifs.
L’accusation la plus grave exprimée par Jésus contre « les Juifs » est celle d’avoir pour père le diable (8, 44) ; il faut remarquer que cette accusation n’est pas portée contre les juifs en tant que juifs, mais au contraire en tant qu’ils ne sont plus de vrais juifs, puisqu’ils nourrissent des intentions homicides (8, 37), inspirées par le diable, qui est « homicide depuis l’origine » (8, 44). Seul était donc concerné un nombre très réduit de juifs contemporains de Jésus ; il s’agit paradoxalement, de « juifs qui avaient cru en lui » (8, 31). En les accusant âprement, le quatrième évangile mettait en garde les autres juifs contre la tentation de semblables pensées homicides.


77. On a cherché à éliminer la tension que les textes du quatrième évangile peuvent provoquer entre chrétiens et juifs dans le monde actuel, en proposant de traduire « les Judéens » plutôt que « les Juifs ». Le contraste ne serait pas entre « les Juifs » et les disciples de Jésus, mais entre les habitants de la Judée, présentés comme hostiles à Jésus, et ceux de la Galilée présentés comme accueillants envers leur prophète. Le mépris des Judéens pour les Galiléens est assurément exprimé dans l’évangile (7, 52), mais l’évangéliste ne fixe pas de ligne de démarcation entre la foi et son refus selon une limite géographique et il appelle hoi Ioudaioi les juifs de Galilée qui rejettent l’enseignement de Jésus (6, 41.52).
Une autre interprétation de l’expression « les Juifs » consiste à identifier « les Juifs » avec « le monde », et se basant sur des affirmations qui expriment entre eux un lien (8, 23) ou un parallélisme.(5) Mais le monde pécheur a, de toute évidence, une plus grande extension que la collectivité des juifs hostiles à Jésus.
On a noté, d’autre part, qu’en plusieurs passages de l’évangile qui nomment « les Juifs », il s’agit plus précisément des autorités juives (Grands prêtres, membres du Sanhédrin) ou parfois des pharisiens. Une comparaison entre 18, 3 et 18, 12 pousse en ce sens. Dans le récit de la Passion, Jean nomme plusieurs fois « les Juifs » là où les évangiles synoptiques parlent des autorités juives. Mais cette observation ne vaut que pour un nombre limité de passages et on ne peut introduire cette précision dans une traduction de l’évangile sans être infidèle aux textes. Ceux-ci sont l’écho d’une situation d’opposition aux communautés chrétiennes, de la part non seulement des autorités juives, mais de la grande majorité des juifs, solidaires de leurs autorités (cf. Ac 28, 22). Historiquement parlant, on peut penser que seule une minorité de juifs lui fut hostile, qu’un petit nombre porte la responsabilité de l’avoir livré à l’autorité romaine ; un nombre plus restreint encore aura voulu sa mort, sans doute pour des motifs d’ordre religieux qui leur semblaient impératifs. (6) Mais ces quelques-uns réussirent à provoquer une manifestation générale en faveur de Barabbas et contre Jésus, (7) ce qui permet à l’évangéliste d’utiliser une expression généralisante, annonciatrice d’une évolution postérieure.
La séparation entre les disciples de Jésus et « les Juifs » se manifeste parfois dans l’évangile par une expulsion de la synagogue infligée à des juifs qui affirmaient leur foi en Jésus. (8) Il est probable que ce traitement était effectivement appliqué aux juifs des communautés johanniques, que les autres juifs considéraient comme coupés du peuple juif parce qu’infidèles à la foi juive monothéiste (ce qui en réalité, n’était pas le cas, puisque Jésus dit : « Moi et le Père nous sommes un seul » : 10, 30). En conséquence, il devenait en quelque sorte normal de dire « les Juifs » pour désigner ceux qui se réservaient à eux seuls ce nom, en s’opposant à la foi chrétienne.


78. Conclusion. Le ministère de Jésus avait suscité une opposition croissante de la part des autorités juives, qui, à la fin, décidèrent de livrer Jésus à l’autorité romaine pour qu’il soit mis à mort. Mais il se releva vivant, pour donner la vraie vie à tous ceux qui croient en lui. Le quatrième évangile rappelle ces événements, en les relisant à la lumière et à l’expérience des communautés johanniques, qui se heurtaient à l’opposition des communautés juives.
Les actions et les déclarations de Jésus montraient qu’il avait avec Dieu une relation filiale très étroite, unique en son genre. La catéchèse apostolique approfondit progressivement la compréhension de cette relation. Dans les communautés johanniques, on insistait extrêmement sur les rapports entre le Fils et le Père et on affirmait la divinité de Jésus, qui est « le Christ, le Fils de Dieu » (20, 31) en un sens transcendant. Cette doctrine provoqua l’opposition des chefs des synagogues, suivis par l’ensemble des communautés juives. Les chrétiens furent expulsés des synagogues (16, 2) et, du même coup, se trouvèrent exposés à des vexations de la part des autorités romaines, car ils ne jouissaient plus des franchises accordées aux juifs.
La polémique s’accentua de part et d’autre. Par les juifs, Jésus fut accusé d’être un pécheur (9, 24), un blasphémateur (10, 33) et un possédé du démon9.(9) Ceux qui croient en lui furent considérés comme des ignorants et des maudits (7, 49). Par les chrétiens, les juifs furent accusés d’indocilité à la parole de Dieu (5, 38), de résistance à l’amour de Dieu (5, 42), de recherche de vaine gloire (5, 44).
Ne pouvant plus participer à la vie cultuelle des juifs, les chrétiens prirent mieux conscience de la plénitude qu’ils recevaient du Verbe fait chair (1, 16). Jésus ressuscité est source d’eau vive (7, 37-38), lumière du monde (8, 12), pain de la vie (6, 35), nouveau Temple (2, 19-20). Ayant aimé les siens jusqu’à la fin (13, 1), il leur a donné son nouveau commandement d’amour (13, 34). Il faut tout faire pour que se répande la foi en lui et, par la foi, la vie (20, 31). Dans l’évangile, l’aspect polémique est secondaire. Ce qui est suprêmement important, c’est la révélation du « don de Dieu » (4, 10 ; 3, 16) offert à tous en Jésus Christ, spécialement à ceux qui « l’ont transpercé » (19, 37).


CAMEROUN – RENCONTRE INTERRELIGIEUSE
Yaoundé – 8-13 novembre 2001

Une première consultation avait eu lieu en Afrique, entre des juifs et des chrétiens africains, à Nairobi, au Kenya, les 10 à 13 novembre 1986, sous les auspices de l’International Jewish Commitee for Interreligious Consultations (IJCIC), du Conseil œcuménique des Eglises et de All- Africa Conference of Churches, sous les présidences du prof. Kofi Opoku et du Dr Gerhart Riegner (10)
16 ans après, une autre consultation a eu lieu au Cameroun, à Yaoundé.

Nous publions le message de cette consultation qui nous a été aimablement communiqué par le Pr. Jean Halpérin (Genève).


Message de la Consultation

Pour la première fois en Afrique francophone s’est tenue à Yaoundé (Cameroun), du 8 au 13 novembre 2001, sous les auspices de l’International Jewish Commitee (IJCIC) et le Conseil Œcuménique des Eglises (COE), une rencontre entre chrétiens et juifs, venus d’Afrique du Sud, du Bénin, du Burundi, du Congo Brazzaville et République Démocratique du Congo, de Côte d’Ivoire, des Etats-Unis, de France, d’Israël, du Kenya, de Suisse, du Togo, du Rwanda et du Cameroun.


La rencontre s’est déroulée à la Faculté de Théologie Protestante de Yaoundé dans une atmosphère chaleureuse et fraternelle, autour des thèmes :
« Shalom et Ubuntu » (11)
« Mémoire et expérience de la violence »
« Le défi des bâtisseurs de paix ».

L’originalité de cette rencontre a résidé dans la conjonction d’une recherche intellectuelle approfondie et d’une participation à l’expérience de nos fois respectives, célébration du shabbat et culte dominical chrétien.

Le séjour en commun a été un catalyseur d’échanges authentiques et joyeux, ce qui nous a permis d’apprécier la richesse de nos différences plutôt que de les envisager dans l’appréhension et la frilosité.

On a pu noter au cours des sessions une grande qualité d’écoute et d’attention, témoignant de la curiosité réciproque et du respect mutuel entre les participants.


II.

Nous avons dégagé notamment des convergences entre des concepts tirés du vécu de nos traditions et de nos histoires respectives :
• Shalom et Ubuntu.
• Le statut de la parole dans le judaïsme et celui de la palabre dans les cultures africaines.
• La notion de tikkun (réparation) et la Théologie de la reconstruction.

Délestée du contentieux bilatéral chargé qui sous-tend le dialogue entre juifs et chrétiens en Europe, la rencontre a pu ici s’établir sur des bases positives, dénuées de suspicion et de ressentiment, mettant en exergue :
• La centralité du texte biblique dans les traditions juives et chrétiennes de tous les participants.
• La convergence des mémoires juives et africaines.

III. Recommandations :

Chaque participant s’appliquera à donner un écho médiatique à cette consultation.

• Les participants s’engagent à transmettre le message dans leurs communautés religieuses respectives.
• Nous souhaitons que les actes de la consultation soient publiés afin d’en élargir l’audience.
• Nous pensons mener une recherche des sources bibliques, en hébreu notamment, faisant référence au peuple africain.
• Nous formons le projet de réaliser une anthologie judéo-africaine.
• Nous souhaitons un temps prochain de rencontre à Jérusalem.
• Nous encourageons les initiatives de conférenciers itinérants.
• Nous entreprenons une recherche de textes bibliques qui pourront être utilisés pour étayer des combats concrets tels que les injustices sociales diverses, la condition des femmes, le sida, les conflits etc…
• Nous proposons la création d’un réseau internet, ou forum permettant la circulation et l’échange de connaissances, de réflexions et d’informations.

Condamnant les préjugés racistes et antisémites, nous nous engageons à être ensemble, dans nos communautés et chacun où il se trouve, artisans de la paix.
« Détourne-toi du mal et fais le bien. Recherche la paix et poursuis-la » (Psaume 34, 15).

EUROPE – LA COMMUNION ECCLÉSIALE DE LEUENBERG
« EGLISE ET ISRAËL, CONTRIBUTION DES EGLISES PROTESTANTES D’EUROPE
À LA RELATION ENTRE CHRÉTIENS ET JUIFS » – Belfast, 19 au 25 juin 2001

102 Eglises protestantes en Europe et en Amérique du Sud font partie de la Communion ecclésiale de Leuenberg (CEL). Leur assemblée générale a eu lieu à Belfast du 19 au 25 juin 2001 sous le thème de « Diversité réconciliée – La mission des Eglises protestantes en Europe ». Trois documents ont fait l’objet d’un travail théologique depuis 1994 (dernière Assemblée générale), dont le document « Eglise et Israël ». « Les Eglises protestantes s’engagent pour la première fois de leurs histoires à la question de la relation entre chrétiens et juifs à l’échelle européenne. Dans le document, la nature permanente de l’élection du peuple d’Israël a été accentuée, et tous les efforts de convertir les juifs ont été rejetés », précise H. Rusterholz, le Président de la CEL.
Le texte « Eglise et Israël » comporte trois parties : I. Israël et l’Eglise; II. L’Eglise et Israël; III. L’Eglise en présence d’Israël.
Nous remercions le secrétariat de la CEL de nous avoir envoyé la version française de ce document et de nous autoriser à en publier des extraits de la deuxième partie.


II. L’Eglise et Israël

1.2 La thèse de l’ « alliance non révoquée » et de l’introduction dans l’unique alliance
1.2.1
En 1961, lors du Kirchentag des protestants allemands à Berlin, la Commission « Juifs et chrétiens » a été mise en place pour traiter la thèse de l’ « alliance non révoquée », qu’on trouve chez Martin Buber. Dans de nombreuses déclarations des synodes d’Eglises régionales allemandes ainsi que dans plusieurs constitutions d’Eglises on parle diversement de l’ « alliance non révoquée ». Dans les lignes directrices du texte intitulé: « Nous et les Juifs – Israël et l’Eglise », adopté par l’Alliance réformée en 1990, il est dit au point II: « Dieu n’a pas révoqué son alliance avec Israël. Nous commençons à le reconnaître : dans le Christ Jésus nous, les femmes et les hommes issus des nations – alors que par notre origine nous étions éloignés du Dieu d’Israël et de son peuple – sommes rendus dignes et appelés à participer à l’élection – Israël ayant été élu le premier –, et à la communion dans l’alliance de Dieu ». On veut exprimer ainsi l’idée que la «nouvelle alliance » révélée en Christ (1 Co 11, 25 ; Hb 9, 15 ; 12, 24), n’est pas une seconde alliance, mais l’alliance renouvelée qui a été promise en Jr 31. Elle est une confirmation et un élargissement qui va au-delà de l’alliance conclue par Dieu avec Israël.


1.2.2
La pensée de l’alliance unique non révoquée souligne l’idée que la communauté de ceux qui croient en Christ doit son existence à l’élection de Dieu qui été inaugurée par l’élection d’Israël. Dieu fait participer à son salut ceux qui, issus des nations, croient en lui. L’Eglise ne peut dire cela qu’avec reconnaissance et en louant Dieu.
Mais la thèse de l’alliance unique non révoquée laisse ouverte la question de savoir comment le rapport d’Israël, peuple de Dieu, à l’Eglise, peuple de Dieu, peut être pensé théologiquement. Il est insuffisant de voir l’Eglise uniquement comme « Eglise issue des nations ». En revanche, le caractère du renouvellement de l’alliance promise dans Jr 31 et que l’on croit accomplie en Christ reste à définir. En outre, proposer de comprendre le terme « nouveau » seulement au sens de « renouvelé » quand il est question de la « nouvelle alliance » ne fait pas droit à la réception et à l’interprétation de Jr 31 dans le Nouveau Testament (cf. les paroles d’introduction de la Cène chez Paul et dans l’évangile de Luc, ainsi que Hb 8). On ne donne pas une réponse suffisante à la question du rapport de la ‘nouvelle alliance’ à l’ ‘ancienne alliance’.

2.2 La compréhension chrétienne des Ecritures saintes d’Israël
2.2.1
L’Eglise lit, comprend et interprète les Ecritures saintes d’Israël, c’est à dire l’Ancien Testament chrétien, à la lumière de la révélation en Christ. Dans le même temps, l’Eglise lit et comprend le témoignage néotestamentaire rendu au Christ à la lumière de son Ancien Testament.

2.2.2
Le fait que les Ecritures saintes d’Israël constituent, en tant qu’ « Ancien Testament », l’une des deux parties du canon de la Bible chrétienne ne cesse de rappeler à l’Eglise sa relation avec Israël. Les écrits vétérotestamentaires ont dans le culte, mais également dans la piété personnelle de chaque chrétien, une portée importante. Néanmoins toute référence chrétienne aux textes vétérotestamentaires, en particulier toute prédication, doit refléter le fait que ces mêmes écrits font aussi autorité dans le judaïsme.

2.2.3
La continuité en tension de l’agir unique de Dieu envers Israël et envers l’Eglise entraîne, pour cette dernière, une façon particulière de se référer à la tradition biblique de l’Ancien et du Nouveau Testament. Selon la compréhension chrétienne des Ecritures saintes d’Israël, la promesse qui y est exprimée pointe sur l’événement Christ, sur la croix et la résurrection de Jésus de Nazareth qui est le Christ et sur sa venue en tant que juge et sauveur eschatologiques. Mais à côté de cette compréhension chrétienne des Ecritures saintes d’Israël préexiste la lecture juive, qui ne voit précisément pas dans le TaNa’HK (Torah, Prophètes, Ecrits) l’ « Ancien » (ou « Premier ») Testament, mais l’Ecriture sainte en son entier. La question n’est pas quelle lecture des Ecritures saintes d’Israël est la « bonne ». Il convient plutôt de considérer qu’Israël et l’Eglise sont responsables, chacun pour sa part, de l’interprétation qu’ils font des textes qui leur ont été confiés.

2.2.3.1
Le canon de la Bible chrétienne, dont les Ecritures saintes d’Israël ne constituent qu’une partie, est un canon différent du canon hébraïque, qui ne comprend que le TaNa’KH. Pourtant il serait impropre de dire que le canon chrétien comprend le canon hébraïque, et que le canon hébraïque ne constitue donc qu’une partie du canon chrétien. Nous avons plutôt affaire à deux canons différents de deux communautés différentes. Bien que, en partie, les mêmes textes soient présents dans les deux canons, ils se situent respectivement dans des contextes de lecture et d’interprétation différents.

2.2.3.2
Lorsqu’on parle, dans le canon chrétien, des Ecritures saintes d’Israël comme de l’« Ancien Testament », le terme « Ancien » n’est pas employé au sens de « périmé » : mais « ancien » désigne ce qui est au commencement, ainsi que le fondement. Il existe aussi l’expression « Premier Testament », qui est employée de temps à autre, et précisément dans ce sens-là ; mais celle-ci peut être mal comprise, comme si elle désignait le premier tome d’une série qu’on peut compléter à volonté. De même, la conception chrétienne de l’unité des deux parties de la Bible serait plutôt compromise que sauvegardée par la juxtaposition du « Premier Testament » et du « Nouveau Testament ». Désigner la première partie du canon chrétien par les expressions ‘Bible juive’ ou ‘Bible hébraïque’ est également problématique, quand on veut nommer ainsi la première partie du canon chrétien. En effet, elles pourraient induire en erreur en laissant croire que le canon juif est une partie du canon chrétien. Par contre, ces expressions sont pertinentes quand elles rappellent que le texte de la première partie du canon de la Bible chrétienne est identique au canon juif dans son entier.

2.2.4
La communauté chrétienne primitive a conservé telle quelle la tradition biblique des Ecritures saintes d’Israël qu’elle a reçue, ce qui peut paraître étonnant si on l’examine d’un point de vue historique. Ces textes n’ont pas été modifiés, ni par des ajouts, des suppressions ou des « améliorations ». Ils n’ont pas été « réécrits » de façon chrétienne. Les communautés chrétiennes ont donc consciemment reçu le témoignage écrit pré-pascal en étant ouvertes à des possibilités de compréhension différentes, ouverture qui est propre à ce témoignage. Ainsi, par le double canon biblique, l’Eglise a déclaré plus tard que ce témoignage l’engageait pour sa propre prédication. Cependant, les changements intervenus dans l’ordre du canon de l’Ancien Testament en raison, entre autres, des décisions de la Réforme ont notablement accentué la relation des écrits vétérotestamentaires à l’événement de la révélation en Christ.

2.2.5
L’approche chrétienne de l’Ancien Testament doit toujours garder présent à l’esprit que les textes de l’Ancien Testament correspondent avec ceux des Ecritures saintes d’Israël dans la forme et le fond même s’ils ne sont pas le canon juif. La révélation de Dieu en Christ confirme l’histoire de l’alliance qui a commencé avec Israël. Elle attire donc l’attention sur le témoignage de la révélation à Israël et sur le témoignage de sa foi avant que l’Eglise existe. Elle conduit à reconnaître la vérité qui est contenue dans ce témoignage. Cependant l’Eglise ne doit pas oublier que sa propre mission est de lire les textes des Ecritures saintes d’Israël à partir de sa foi en Christ, et de laisser également les affirmations de l’Ancien Testament donner consistance à sa propre foi. Chaque rencontre de l’Eglise avec la lecture et l’interprétation juives du TaNa’KH restera marquée par le fait que son propre accès à l’Ancien Testament est déterminé par la foi chrétienne.

2.2.6
En ce qui concerne la question du rapport de la lecture juive et de la lecture chrétienne, il ne s’agit pas d’abord de reconnaître, grâce à la possibilité de l’exégèse historico-critique par exemple la nécessité de distinguer entre le sens ‘originel’, du point de vue historique, des affirmations du texte, et la perspective herméneutique chrétienne du texte qui a été élaborée à partir de la foi pascale. La perspective est bien plutôt celle de la prédication, c’est-à-dire qu’il s’agit de la proclamation par l’Eglise du message des Ecritures saintes d’Israël en tant qu’Ancien Testament chrétien.
Ceci n’exclut nullement une interprétation historico-critique, mais la suggère plutôt. Mais on doit tenir compte du fait que même une interprétation apparemment purement historico-critique est déterminée aussi par une « pré-compréhension ». Elle dépend en effet d’une décision herméneutique fondamentale, qui précède toute interprétation. Cette décision herméneutique fondamentale est intrinsèquement différente dans le judaïsme et dans le christianisme. Le fait qu’il n’existe jamais d’interprétation de texte sans pré-compréhension a déjà été reconnu comme légitime, à la fois dans le judaïsme ancien et dans le christianisme naissant.

2.2.7
L’interprétation juive des Ecritures saintes d’Israël, c’est-à-dire celle qui n’est pas déterminée par la foi dans l’événement Christ, ouvre pour l’interprétation chrétienne une perspective aussi légitime que nécessaire. C’est la seule façon d’appréhender le sens donné aux textes des Ecritures saintes d’Israël. Sans en tenir compte, l’interprétation chrétienne ne trouverait rien de neuf dans les textes de l’Ancien Testament, elle ne pourrait que se retrouver elle-même. L’Eglise est enrichie dans sa théologie par la lecture de l’interprétation juive de l’Ancien Testament et par son dialogue avec des juifs.

2.2.8
C’est pourquoi il est parfaitement possible que la compréhension chrétienne de l’Ecriture connaisse l’interprétation juive des Ecritures saintes d’Israël et la respecte en tant que telle, et la prenne en compte dans sa propre interprétation. Cela est évident au niveau scientifique et dans la recherche historique en théologie. Il est également bénéfique pour la prédication et l’enseignement de l’Eglise que le témoignage de foi des Ecritures saintes d’Israël ne soit pas valorisé uniquement dans sa compréhension chrétienne, c’est-à-dire rétrospectivement à partir du Nouveau Testament. Il s’agit plutôt de rester ouvert à la compréhension juive de ces écrits, et à la tradition interprétative qui en résulte, c’est-à-dire à une compréhension non-chrétienne.

2.2.9
La Bonne Nouvelle de Pâques dit que l’événement Christ ne se contente pas de confirmer les promesses bibliques, mais qu’il les interprète en même temps à frais nouveaux. En même temps, la lecture juive de ces mêmes textes bibliques permet de clarifier ces deux points : nous reconnaissons que ces textes contiennent des promesses dont l’accomplissement est encore à venir ; par ailleurs, on voit plus nettement dans cette tradition biblique comment la vie en ce monde, dans toute sa diversité, son être et son devenir, est référée à Dieu.

2.2.10
Pour la prédication chrétienne le témoignage des Ecritures saintes d’Israël est une partie constitutive de l’histoire de la révélation qui lui est propre. Dans la doctrine des deux dieux que Marcion développa au 2e siècle, apparaissent les conséquences d’une théologie qui tente de rompre la cohérence du témoignage des Ecritures saintes d’Israël avec l’événement Christ. L’événement Christ lui-même fait obligation à l’Eglise de ne pas oublier que la révélation faite dans les Ecritures saintes d’Israël (« vétérotestamentaire ») est adressée à l’origine et de façon permanente à Israël. Il n’est donc pas possible de concevoir une différence entre le « Dieu pour Israël » et le « Dieu pour le monde ».




POLOGNE – EPISCOPAT POLONAIS : CÉLÉBRATION RELIGIEUSE EN MÉMOIRE DES JUIFS ASSASSINÉS À JEDWABNE ET EN D’AUTRES LIEUX
Varsovie – 27 mai 2001


Le 27 mai 2001, une célébration religieuse de prière et de demande de pardon pour les morts de Jedwabne a eu lieu, dans l’église de Tous les Saints à Varsovie, présidée par le cardinal J. Glemp, Primat de Pologne. De nombreux évêques étaient présents. Nous en publions des extraits ci-après. *(12)
C’est à Jedwabne, une petite localité de la Pologne orientale, qu’a eu lieu le 10 juillet 1941, dans les premiers jours de l’offensive allemande contre la Russie après le renversement de l’alliance germano-soviétique, un massacre de plus de mille juifs. Sans doute encouragés par les nazis, ce sont les habitants de cette petite localité qui l’ont perpétré. Le fait atroce était connu – un jugement avait eu lieu après la guerre – mais depuis, il avait été enfoui dans les mémoires. Un historien américain d’origine polonaise, Jan Gross, l’a fait resurgir dans un petit livre de témoignages : « Les Voisins », publié en 2000.
Le 10 juillet 2001, soixante ans après, une cérémonie, politique cette fois, a eu lieu à Jedwabne à laquelle a pris part le Président de la République polonaise, Alexandre Kwasniewski.


«A tes yeux, Seigneur, nous déposons nos fautes… »
L’ouverture de la célébration est faite par le cardinal Glemp.
Mgr Stanislaw Gądecki, président de la Commission épiscopale pour les relations avec le judaïsme, en donne le sens.

« Le XXe siècle, qui vient de s’achever, a été tragique pour l’humanité et pour le monde, de bien des manières. Marqué par l’empreinte de totalitarismes sanguinaires, il a englouti des centaines de millions d’êtres humains innocents qui ont souffert et qui sont morts. Dans cette multitude, il y avait de nombreux martyrs dont les noms nous sont connus, et plus nombreux encore sont ceux qui sont inconnus et dont le sacrifice s’inscrit dans le destin du Fils de Dieu qui, pour nous et pour notre salut, est devenu homme et a subi la mort sur la croix.
A l’invitation et à l’exemple de Jean Paul II pour l’année jubilaire 2000, l’Eglise a entrepris l’effort laborieux de « purifier sa mémoire ». Elle en assume la responsabilité.
Dans l’homélie prononcée le Mercredi des Cendres à la Basilique de Saint Pierre, le pape a prononcé ces paroles fortes : « Pardonnons et demandons pardon ! Tandis que nous rendons grâces à Dieu qui, dans son amour miséricordieux, a suscité dans l’Eglise une récolte merveilleuse de sainteté, d’ardeur missionnaire, de dévouement total au Christ et au prochain, nous ne pouvons manquer de reconnaître les infidélités à l’Evangile qu’ont commises certains de nos frères, en particulier au cours du second millénaire ». [O.R. 14 mars 2000]. Ces paroles de profond regret et de repentir sont devenues également les nôtres.

Durant la célébration du Grand Jubilé de l’An 2000, il est devenu évident que l’effort de « purifier la mémoire » devait aller plus loin encore et inclure également les événements dont auparavant nous n’étions pas conscients. Notre rassemblement en ce moment a lieu sous le motto : « La prière des évêques polonais pour les personnes assassinées à Jedwabne et en d’autres lieux ». En tant que pasteurs de l’Eglise de Pologne, nous voulons nous présenter devant Dieu et devant les hommes en vérité, dans le regret et le repentir, spécialement devant nos frères et soeurs juifs, à cause du crime qui a eu lieu en juillet 1941 à Jedwabne, et de ceux qui ont été commis ailleurs. Les victimes étaient juives, et parmi les auteurs il y avait des Polonais, des catholiques, des baptisé...
L’horreur du crime est d’autant plus grande que c’est le peuple juif, lui qui a reçu de Dieu le commandement : « Tu ne tueras pas », qui en a été la victime d’une manière particulière durant la période du national-socialisme, comme l’a dit Jean Paul II dans l’homélie prononcée dans l’ancien camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.

Nous sommes profondément affectés par le comportement de ceux qui, à certains moments, – particulièrement à Jedwabne et en d’autres lieux – ont fait souffrir des juifs et même dans certains cas, leur ont donné la mort. Nous dénonçons ce crime, et nous nous engageons à lutter contre tout le mal qui sévit aujourd’hui. L’effort de « purifier la mémoire » devient un devoir de « purifier les consciences ». Nous nous engageons à cela, comme un devoir et, une fois encore, nous condamnons toutes les manifestations d’intolérance, de racisme, d’antisémitisme, qui sont des péchés.
« A tes yeux, Seigneur, nous déposons nos fautes… ». Ce chant très ancien que nous chantons aujourd’hui, composé par le pape Urbain VIII, est bien connu dans la dévotion catholique en Pologne ; il supplie Dieu de pardonner les péchés des croyants et les nôtres.
A Jedwabne, et partout où un homme a fait violence à un autre, celui qui est le plus blessé, c’est Dieu lui-même. Quant à nous qui croyons en lui, « nous portons le poids des fautes et des culpabilités de ceux qui nous ont précédés » (Incarnationis mysterium, n̊ 11).
En essayant de nous réconcilier avec Dieu et avec les hommes , nous voulons commencer le nouveau millénaire avec davantage de foi et d’espérance encore.
Que jamais plus ne se répètent Katyn et Auschwitz, Kolyma et les camps d’extermination, ni Jedwabne…».


Prière : (Le Primat)

« Dieu Tout-Puissant et miséricordieux, Tu nous as rassemblés aujourd’hui au Nom de Ton Fils, pour que nous demandions Ton pardon et trouvions l’aide de Ta grâce. Illumine notre esprit, nous Te supplions, pour que nous puissions reconnaître le mal commis et que nous obtenions Ton pardon.
Que Ton amour unisse tous ceux que le péché a séparés ; que Ta puissance guérisse nos blessures et fortifie notre faiblesse ; que l’Esprit-Saint accorde une vie nouvelle à ceux qui sont morts et qu’il renouvelle l’amour en nous. Aide-nous à faire la vérité dans l’amour afin que nous puissions nous unir davantage à Jésus-Christ. Lui qui vit et qui règne dans l’unité du Saint Esprit, Dieu pour les siècles des siècles. Amen.


1ère lecture : Gn. 4,1-10.

Psaume 51
« D’un cœur brisé et broyé Tu n’as point de mépris, Seigneur ».

2e lecture : 1ère Lettre de St Jean 1,5 – 2,2

Alleluia
« Tu aimeras le Seigneur Ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit : et ton prochain comme toi-même »

Evangile : Luc 10,25-37

Silence

Temps de supplications à genoux avec le chant :
« A tes yeux Seigneur nous déposons nos fautes… ».
On récite ensuite le : « Je confesse à Dieu… ».

Le Primat introduit la Prière universelle :
« Frères et Sœurs, en suivant l’appel de Jean Paul II et son exemple, prions avec confiance Dieu, notre Père, miséricordieux et clément, lent à la colère, Dieu plein d’amour et de fidélité, qu’Il pose son regard sur son peuple confessant humblement ses péchés et qu’Il lui accorde Sa miséricorde ».

Ensuite des cardinaux et des évêques présentent des intentions de prière et les fidèles répondent : « Seigneur exauce-nous ».

Après la prière pour l’Eglise, le Pape et pour la Pologne, on poursuit :
(…)
« Prions pour les juifs, le peuple de la Première Alliance, qu’ils restent fidèles au commandement de l’amour de Dieu et du prochain et qu’ils ne soient plus jamais victimes de la violence ni d’aucune force de destruction. »
« Prions pour ceux qui n’apprécient pas à sa juste valeur l’apport des juifs dans la culture mondiale et dans notre culture nationale ; et prions surtout pour ceux qui éprouvent répulsion ou rancune à l’égard du peuple juif ; qu’ils accueillent de la main de Dieu la grâce de la conversion du cœur en vue d’une réconciliation vraie qui porte des fruits. »
« Prions pour les peuples juif et palestinien habitant la Terre sainte et le Moyen Orient, qu’arrête de verser le sang et que cessent au plus vite et durablement l’injustice, les conflits et la violence. »
« Prions pour toutes les victimes de la haine, et particulièrement pour les victimes de la haine dirigée contre le peuple juif, pour ceux qui ont été assassinés, pour ceux qui sont morts dans la douleur et le désespoir, qu’ils obtiennent la paix éternelle et le bonheur avec Dieu. »
« Prions pour les criminels et les assassins, pour ceux qui partout dans le monde et particulièrement ici, à Jedwabne, sur la terre polonaise, ont commis des atrocités et le mal ; que Dieu dans sa miséricorde leur accorde Son pardon. »
« Prions pour nous-mêmes ; pour que, fidèles à l’Evangile de Jésus-Christ, nous vivions attachés au commandement de l’amour de Dieu et du prochain et que nous prenions constamment la cause de ceux qui sont persécutés et qui souffrent. »

Notre Père…

Le Primat récite la prière de Jean Paul du Mercredi des Cendres 2000 [dimanche 12 mars] :

« Dieu de nos Pères,
Tu as choisi Abraham et sa descendance pour que Ton Nom soit apporté aux peuples :
Nous sommes profondément attristés par le comportement de ceux qui, au cours de l’histoire, les ont fait souffrir, eux qui sont Tes fils,
Et, en Te demandant pardon, nous voulons nous engager à vivre une fraternité authentique avec le peuple de l’Alliance.
Par Jésus-Christ Notre Seigneur ».


Tous répondent : Amen !


L’HÉRITAGE D’ABRAHAM, DON DE NOËL
Joseph, cardinal Ratzinger (13)


A l’occasion de Noël, nous échangeons des cadeaux pour nous donner de la joie les uns aux autres et pour participer ainsi à la joie annoncée aux bergers par les anges ; nous faisons ainsi mémoire du don par excellence fait par Dieu à l’humanité, celui de son Fils Jésus-Christ. Mais cela a été préparé par Dieu dans une longue histoire au cours de laquelle, selon les paroles de saint Irénée, Dieu s’habituait à vivre avec l’homme, et l’homme s’habituait à la communion avec Dieu. Cette histoire a commencé avec la foi d’Abraham, Père des croyants, Père aussi de la foi des chrétiens et notre Père selon la foi.
Cette histoire se poursuit dans les bénédictions accordées aux patriarches, dans la révélation faite à Moïse et dans l’Exode d’Israël vers la terre promise. Une nouvelle étape débute avec la promesse, faite à David et à sa descendance, d’un règne qui n’aura pas de fin. Les prophètes, à leur tour, interprètent l’histoire, appellent à la pénitence et à la conversion, préparant ainsi le cœur des humains à l’accueil du don suprême. Abraham, Père du peuple d’Israël, Père de la foi, est la racine de la bénédiction, en lui «se diront bénies toutes les familles de la terre » (Gn 12,3). Le rôle du peuple élu est donc de faire don de son Dieu, le Dieu unique et vrai, à tous les autres peuples et nous, chrétiens, sommes réellement les héritiers de sa foi au Dieu unique. Nous sommes donc reconnaissants envers nos frères juifs qui, en dépit des difficultés de leur histoire, ont conservé, jusqu’à nos jours la foi en ce Dieu et témoignent de Celui-ci face aux autres peuples qui, privés de la connaissance du Dieu unique «se trouvent dans les ténèbres de la mort » (Lc 1,79).
Le Dieu de la Bible des juifs qui – Nouveau Testament inclus – est la Bible des chrétiens, tantôt d’une tendresse infinie, tantôt d’une sévérité inspirant la crainte, est aussi le Dieu de Jésus Christ et des apôtres. L’Eglise du deuxième siècle a dû résister au refus de ce Dieu de la part des gnostiques, et surtout de Marcion, qui opposaient le Dieu du Nouveau Testament au Dieu démiurge, créateur, émane l’Ancien Testament, alors que l’Eglise a toujours maintenu sa foi en un seul Dieu, créateur du monde et auteur des deux Testaments. La conscience néo-testamentaire de Dieu, qui atteint son apogée dans la définition johannique « Dieu est Amour » (1 Jn 4,16) ne contredit pas le passé, mais résume plutôt toute l’histoire du salut, dont Israël a été le protagoniste initial. C’est pourquoi dans la liturgie de l’Eglise, depuis ses débuts jusqu’à nos jours, résonnent les voix de Moïse et des prophètes ; et le Psautier d’Israël est aussi le grand livre de prière de l’Eglise. L’Eglise primitive ne s’est donc pas opposée à Israël, mais elle a cru en toute simplicité en être la continuation légitime. La splendide image d’Apocalypse 12, la femme vêtue de soleil et couronnée de douze étoiles, enceinte et souffrant des douleurs de l’enfantement, c’est Israël donnant naissance à celui « qui doit gouverner toutes les nations avec un sceptre de fer » (Ps 2,9) ; et cependant cette femme est aussi l’image du nouvel Israël, mère de nouveaux peuples, qui est personnifiée en Marie, la Mère de Jésus. Le fait d’avoir tenu ensemble ces trois significations – Israël, Marie, l’Eglise – montre combien, pour la foi des chrétiens, Israël et l’Eglise étaient et sont inséparables.
On sait que tout enfantement est pénible. Depuis les débuts, la relation entre l’Eglise naissante et Israël a certainement été bien souvent de caractère conflictuel :l’Eglise a été considérée par sa mère comme une fille dégénérée, et les chrétiens ont considéré leur mère comme aveugle et obstinée. Au cours de l’histoire de la chrétienté, ces relations déjà difficiles ont dégénéré par la suite et, dans bien des cas, ont même été à l’origine d’attitudes antijuives qui aboutirent à des actes de violence déplorables. Même si les exactions récentes de la Shoa, si abominables, ont été perpétrées au nom d’une idéologie antichrétienne qui cherchait à atteindre la foi chrétienne dans sa racine abrahamique – le peuple d’Israël – , on ne peut nier que le peu de résistance des chrétiens à de telles atrocités s’explique en partie par l’héritage antijuif subsistant dans le cœur de bien des chrétiens. C’est peut-être justement à cause du caractère dramatique de cette dernière tragédie qu’aura commencé à se manifester une vision nouvelle de la relation entre l’Eglise et Israël, une volonté sincère de surmonter toute forme d’antijudaïsme et de s’engager dans un dialogue constructif, de connaissance mutuelle et de réconciliation.
Un tel dialogue, pour être fécond, exige que nous nous tournions d’abord vers notre Dieu pour lui demander de nous accorder, avant tout à nous chrétiens, une plus grande estime et un plus grand amour de ce peuple, le peuple des juifs à qui « appartiennent l’adoption, la gloire, les alliances, la Loi, le culte, les promesses, et les patriarches ; eux de qui, selon la chair, est issu le Christ qui est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement. Amen » (Rm 9,4-5) ; et cela non seulement dans le passé, mais encore maintenant « car les dons et l’appel de Dieu sont sans irrévocables » (Rm 11,29). Nous Le prierons également de donner aux enfants d’Israël une meilleure connaissance de Jésus de Nazareth, qui est leur fils et le don qu’ils nous ont fait. Puisque, les uns et les autres, nous sommes en attente de la rédemption finale, prions pour que notre chemin puissent un jour converger.
Il est évident que pour nous, chrétiens, le dialogue avec les juifs se situe à un plan différent de celui que nous avons avec les autres religions. La foi dont témoigne la Bible des juifs, l’Ancien Testament des chrétiens, n’est pas pour nous une autre religion : elle est le fondement de notre foi. C’est pourquoi les chrétiens – toujours davantage en collaboration avec leurs frères juifs – lisent et étudient avec une réelle attention, comme partie intégrante de leur propre patrimoine, ces livres de la Sainte Ecriture. Il est vrai que l’Islam aussi se considère comme descendant d’Abraham et qu’il a reçu en héritage, d’Israël et des chrétiens, le même Dieu, mais il suit une voie différente qui nécessite, pour le dialogue, des paramètres différents.
Pour en revenir à l’échange des cadeaux de Noël, ce par quoi j’ai commencé cette méditation, il nous faut d’abord reconnaître que tout ce que nous avons ou faisons est un pur don de Dieu, qui s’obtient par une prière humble et sincère ; ce don, nous avons à le partager avec des ethnies différentes, avec des religions aspirant à une plus profonde connaissance du mystère divin, avec des nations qui recherchent la paix, et des populations qui désirent instaurer une société où règnent la justice et l’amour. Tel est le programme proposé à l’Eglise de l’avenir par le Concile Vatican II, et nous catholiques, nous demandons au Seigneur de nous aider à persévérer dans cette voie.


COMITÉ INTERNATIONAL DE LIAISON, ICL, 17e RÉUNION
NEW YORK, 1-3 mai 2001 – « Dissiper les malentendus »
Conférence du cardinal Walter Kasper sur la Déclaration Dominus Iesus (14)


Au cours de la 17e réunion du Comité international de Liaison entre catholiques et juifs qui a eu lieu à New York du 1er au 3 mai 2001, lors d’échanges d'informations, le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’Unité des chrétiens et président de la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec les juifs et le judaïsme, a prononcé la conférence publiée ci-dessous.


1. La déclaration Dominus Iesus, publiée en septembre 2000 par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a déclenché des réactions diverses de la part de différentes personnes et de différentes communautés, y compris des juifs.
Evidemment, il y a eu quelques malentendus. Le langage très technique de ce document pour l’instruction des théologiens catholiques - document dont la rédaction est peut-être trop dense - a donné lieu à des malentendus sur la signification et l’intention mêmes du texte, chez les gens qui ne sont pas familiarisés avec le «jargon» théologique catholique et avec les règles de son interprétation correcte. Un bon nombre de ces réactions semblent fondées sur une information que les mass-médias séculiers, évidemment non-informés, ont jetée dans l'arène de l'opinion publique.
Par ailleurs, on peut davantage comprendre la réelle difficulté qu’ont pu ressentir des juifs au fait des questions théologiques à l’égard d’un document qui s’exprime sur des sujets - telle la saisie de Jésus comme Fils de Dieu - sur lesquels le chemin des juifs et celui des chrétiens se sont séparés, il y a de nombreux siècles. Ces différends exigent un respect mutuel. Mais, en même temps, ils ravivent de douloureux souvenirs du passé. Aussi ce document a-t-il souvent été douloureux pour les juifs. Il n’était pas dans son intention de blesser ni d’offenser. Mais tel a été le cas, et pour cela je ne puis qu’exprimer mon profond regret. La peine de mes amis est aussi la mienne.


La véritable intention du document
2. Mais où était et où est le vrai problème? Le problème soulevé par ce texte est lié à l’intention du document. La Déclaration traite principalement du dialogue interreligieux. Mais elle n’entre pas elle-même en dialogue avec les hindous, ni avec les musulmans, ni avec les juifs. Elle s’en prend à certaines théories relativistes et quelque peu syncrétistes qui ont cours chez des théologiens chrétiens. Ces théories, répandues tant en Inde que dans ce qu’on appelle le monde occidental postmoderne, préconisent une vision pluraliste de la religion et classent les religions juive et chrétienne dans la catégorie des « religions du monde ». La Déclaration s’en prend aux théories qui nient l'identité spécifique des religions juive et chrétienne, sans tenir compte de la distinction entre la foi en tant que réponse à la révélation de Dieu, et la croyance en tant que recherche humaine de Dieu et sagesse religieuse humaine. C’est ainsi que la Déclaration défend également le caractère spécifique de révélation [qui est celui] de la Bible hébraïque - que nous, chrétiens appelons l’Ancien Testament -, à l’encontre de théories qui prétendent, par exemple, que les livres saints de l’hindouisme sont l’Ancien Testament des hindous.
Mais cela a provoqué des malentendus. Certains lecteurs juifs ont tendance à penser que l’attitude de l'Église envers les juifs et le judaïsme est une sous-catégorie de son attitude envers les religions du monde en général. Mais une telle supposition est erronée, et il en est de même de la supposition selon laquelle (je cite ici le commentaire d’un savant juif) le document représente « un pas en arrière qui s’inscrit dans une tentative concertée de revenir sur le dialogue instauré entre catholiques et juifs au cours des dernières décennies ».
Ce malentendu peut être évité si la Déclaration est lue et interprétée - comme n’importe quel document magistral doit l'être - dans le contexte plus large de tous les autres documents et déclarations officiels, qui ne sont en aucun cas annulés, révoqués, ni invalidés par ce document.
Lu dans ce contexte plus large, nous devons dire, par rapport à la supposition mentionnée ci-dessus, que les relations entre catholiques et juifs ne sont pas un sous-ensemble des relations interreligieuses en général, ni en théorie ni en pratique. Pour ce qui est de la pratique : souvenez-vous que notre Commission pour les relations religieuses avec les juifs n’est pas rattachée au Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, mais au Conseil pontifical qui est responsable de la promotion du dialogue oecuménique. Pour ce qui est de la théorie: souvenez-vous que, dans l’esprit de l’Église, le judaïsme est unique parmi les religions du monde, parce que, comme l’affirme Nostra aetate, 4, il est « la racine du bon olivier sur laquelle ont été greffées les branches de l’olivier sauvage des Gentils » (cf. saint Paul, dans sa Lettre aux Romains, 11, 17-24). Ou encore, comme le Pape Jean-Paul Il l’a affirmé en plus d’une occasion, « nos deux communautés religieuses sont unies et étroitement liées au niveau même de leurs identités religieuses » (voir ses allocutions du 12 mars 1973, et du 6 mars 1982). De même, lors de sa visite historique à la Synagogue de Rome, le 13 avril 1986: « La religion juive ne nous est pas ‘extrinsèque’, mais elle est, d’une certaine manière, ‘intrinsèque’ à notre religion. Nous avons donc, avec le judaïsme, un rapport que nous n’avons avec aucune autre religion. Vous êtes nos frères chèrement aimés et, d’une certaine manière, on peut dire que vous êtes nos frères aînés ».
Le 6 mars 1982, le Pape a fait référence à « la foi et [à] la vie religieuse du peuple juif, telles qu’elles sont encore professées et pratiquées aujourd'hui ». En fait, les Notes pour une présentation correcte des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l'Eglise catholique, publiées par notre Commission, le 24 juin 1985, ont également à coeur que le judaïsme ne soit pas présenté, dans l'enseignement catholique, comme une simple réalité historique et archéologique. Ce document fait mention de « la réalité permanente du peuple juif » - « le peuple de Dieu de l’Ancienne Alliance qui n'a jamais été révoquée » (Jean-Paul II, 17 novembre 1980, Mayence) - comme étant une « réalité vivante étroitement associée à l’Église ». En fait, les Notes nous rappellent, à nous, catholiques, qu’« Abraham est vraiment le père de notre foi (cf Rm 4, 11-12; Canon romain: patriarchae nostri Abrahae) ». Et il est dit (1 Co 10, 1) : « Nos pères étaient tous sous la nuée, et tous ont traversé la mer ».
En fait, Dominus Iesus aussi reconnaît spécifiquement la révélation divine contenue dans la Bible hébraïque, ce qui n’est pas le cas des livres sacrés d'autres religions.
Contrairement à certaines théories relativistes, qui classent les religions juive et chrétienne dans la catégorie des religions du monde, ce document, déclare, en se référant au Concile Vatican II: « Cependant, la tradition de l’Église réserve l’appellation de textes inspirés aux livres canoniques de l’Ancien et du Nouveau Testaments, parce qu’ils sont inspirés par l'Esprit Saint ».
Le document Dominus Iesus n’affecte donc pas de manière négative les relations entre catholiques et juifs. En raison de son objectif, il ne traite pas du problème de la théologie des relations entre catholiques et juifs, inaugurée par Nostra aetate, ni de l’enseignement subséquent de l’Église à ce sujet. Ce que le document essaye de « corriger » est d’un autre ordre, à savoir les tentatives, faites par quelques théologiens chrétiens, de définir une espèce de « théologie universelle » des relations interreligieuses, ce qui, dans certains cas, a conduit à l’indifférentisme, au relativisme et au syncrétisme. Contre de telles théories, nous, en tant que juifs et que chrétiens, sommes du même côté, à bord du même bateau; nous devons lutter, discuter et témoigner ensemble. Notre compréhension mutuelle est en jeu.
Je pense que le cardinal Joseph Ratzinger, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, a clarifié ces questions dans son article, L’eredità di Abramo (L’héritage d'Abraham, paru dans l'Osservatore Romano, du 29 décembre 2000), (15) où il écrit: « Il est évident que le dialogue entre nous, chrétiens et juifs se situe à un niveau différent de celui qui a trait au dialogue avec les autres religions. La foi dont témoigne la Bible des juifs, l’Ancien Testament des chrétiens, n’est pas, à- nos yeux, une religion différente, mais le fondement de notre propre foi ». C’est là, me semble-t-il une déclaration claire, à laquelle je n’ai rien à ajouter.


La réalité vivante de l’alliance avec le peuple juif

3. Outre le problème principal déjà mentionné, causé par Dominus Iesus, il y a d’autres questions que je ne puis traiter dans cet exposé, car elles nécessiteraient une discussion beaucoup plus approfondie. Ces questions ont déjà été l’objet de notre dialogue et devraient être à notre programme dans l’avenir. Dans ce contexte, je puis seulement les mentionner, sans prétendre les résoudre. Ce n’était pas non plus l’intention de Dominus Iesus que d’aborder ces questions: elles vont au-delà de son propos intra-théologique et intra-catholique.
Voici l'une de ces questions: comment concilier l’alliance avec le peuple juif - qui, selon saint Paul, n’a ni cessé ni été révoquée, mais reste toujours en vigueur - avec ce que nous, chrétiens, appelons la Nouvelle alliance? Comme vous le savez, l'ancienne théorie de la substitution n’a plus cours depuis le Concile Vatican Il. Pour nous, chrétiens d’aujourd'hui, l’alliance avec le peuple juif est un héritage vivant, une réalité vivante. Il ne peut y avoir une simple coexistence entre les deux alliances. Les juifs et les chrétiens, de par leur identité respective spécifique, sont intimement liés les uns aux autres. Il est impossible d’aborder maintenant le complexe problème de la manière dont cette parenté intime doit, ou peut être définie. Une telle question touche le mystère de l’existence juive et chrétienne, et devrait être discutée dans l’un de nos prochains dialogues.
La seule chose que je souhaite dire est que le document Dominus Iesus n’affirme pas que tout le monde doit devenir catholique pour être sauvé par Dieu. Au contraire, il déclare que la grâce de Dieu - qui, selon notre foi, est la grâce de Jésus-Christ - est à la disposition de tous. Par conséquent, l’Église croit que le judaïsme, c'est-à-dire la réponse fidèle du peuple juif à l’alliance irrévocable de Dieu, est salvifique pour eux, parce que Dieu est fidèle à ses promesses.
Ce qui nous amène au problème de la mission à l’égard des juifs, un sujet que les conversions forcées de jadis ont rendu douloureux. Dominus Iesus, comme d'autres documents officiels, a relancé cette question en disant que le dialogue est un aspect de l’évangélisation. Ce qui a éveillé la suspicion juive. En fait, c’est un problème de langage, car le mot évangélisation, dans les documents officiels de l’Église, ne peut pas être compris dans le sens qu’il a généralement dans la langue de tous les jours. En stricte terminologie théologique, évangélisation est un terme général et une réalité très complexe. Il connote présence et témoignage, prière et liturgie, proclamation et catéchèse, dialogue et action sociale. Mais la présence et le témoignage, la prière et la liturgie, le dialogue et l’action sociale, qui font tous partie de l’évangélisation, n’ont pas pour but d’augmenter le nombre de catholiques. Ainsi l’évangélisation, comprise dans son sens approprié et théologique, n’implique aucune tentative de prosélytisme.
D'autre part, le terme mission, dans son sens approprié, renvoie à la conversion de la foi en de faux dieux et idoles à la foi en Dieu unique et véritable, qui s’est révélé dans l’histoire du salut par son peuple élu. Ainsi, mission, au sens strict, ne peut pas être utilisé à propos des juifs, qui croient au Dieu unique et véritable. Par conséquent - et ceci est caractéristique - il n’existe aucune organisation catholique de mission à l’égard des juifs. Il y a dialogue avec les juifs, mais ils ne sont l’objet d’aucune activité missionnaire, au sens propre du terme. Mais qu’est-ce que le dialogue? Certainement - comme nous l’avons appris des philosophes juifs, tel Martin Buber – c’est davantage qu’une conversation futile ou un simple échange d’opinions. C’est aussi quelque chose de différent d’une discussion académique, même si la discussion académique peut jouer un rôle important dans le dialogue. Le dialogue implique des engagements personnels et le témoignage de sa conviction et de sa foi. Le dialogue [permet à chacun] de communiquer sa foi et, en même temps, il requiert un profond respect pour la conviction et la foi du partenaire. Il respecte la différence de l’autre et contribue à l’enrichissement mutuel.
C’est le genre de dialogue que nous, catholiques, poursuivrons à l'avenir; c’est le genre de dialogue que nous pouvons poursuivre après Dominus Iesus. Dominus Iesus n’est pas la fin du dialogue, mais un défi pour un dialogue ultérieur et plus intensif encore. Nous avons besoin de ce dialogue pour notre propre identité et pour le monde. Dans le monde d’aujourd'hui, nous, juifs et chrétiens, avons une mission commune: ensemble nous devrons donner une orientation. Nous devons être des ambassadeurs de paix et amener au Shalom.



COMMISSION DES ÉPISCOPATS DE LA COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE (COMECE)
BRUXELLES - Déclaration de la présidence : Un appel à la justice, à la responsabilité
et à la conversion des cœurs - 17 septembre 2001 (16)


1. Un profond deuil s’est abattu sur le monde depuis le 11 septembre. Au début de ce nouveau millénaire, il s’avère que le mal continue de côtoyer l’humanité. En Europe, la population a exprimé de multiples façons sa sympathie à l’égard des parents des victimes et son amitié pour les États-Unis d'Amérique. Dans un grand élan de solidarité avec ce pays, l’Union Européenne s’est jointe à ce mouvement.
2. En tant qu’évêques, nous sommes aux côtés de ceux qui sont endeuillés et désespérés. Sous la croix et face aux victimes, nous appelons à la prière et à la solidarité. La religion ou la foi ne peut en aucun cas justifier les attentats en Amérique. Celui qui vise la mort d’êtres humains, qui couvre ou qui tolère cette attitude ne peut pas prétendre agir au nom de Dieu. Rien dans le christianisme, dans l’islam, dans le judaïsme ne peut justifier la violence et l’anéantissement. Il n’y a pas de théologie de la terreur. Nous condamnons ces actions.
3. En ce moment de profond deuil et de grandes préoccupations, nous nous tournons, en tant que membres de la présidence de la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (COMECE), vers les responsables politiques de l’Union Européenne et de ses États membres avec un triple appel à la justice, à la responsabilité et à la conversion des coeurs:

Justice

4. Tous ceux qui sont responsables des attentats doivent être identifiés et punis. Notre sentiment collectif de la justice serait sévèrement bafoué si, face à la souffrance indicible, on ne demandait pas des comptes à ceux qui l’ont causée et y ont incité. Les critères habituels semblent inadéquats pour prendre la mesure des attentats terroristes de New York et de Washington. L’emploi massif de la force n’est pas la réponse appropriée pour rétablir le droit et la justice. Les responsables politiques se trouvent ici face à des cas de conscience d’une extrême difficulté. C’est pourquoi nous prions les responsables politiques au sein de l’Union Européenne d’essayer de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour nous empêcher de sombrer dans la spirale de la revanche et de la guerre.
5. Une injustice terrible et inouïe a été commise. D’autres injustices existent de par le monde; elles sont à la source de bien des conflits politiques et sociaux. Le monde se divise avant tout entre riches et pauvres, et non entre religions et cultures. Le défi actuel réside dans une nouvelle politique de développement des pays les plus pauvres. Un moyen d’établir de nouvelles structures mondiales plus justes et de réduire les inégalités matérielles peut se trouver dans la recherche de nouvelles formes de « gouvernance mondiale ». Le plus grand danger serait de renoncer à la vision d’un monde juste et réconcilié. Le but de la mondialisation n’est pas le bien-être de quelques-uns, mais la justice pour tous.



Responsabilité

6. Nous mettons en garde contre toute accusation collective. Les attaques en Amérique ont été barbares - elles sont dirigées contre la civilisation tout court qui est d’inspiration judéo-chrétienne et musulmane. Nous refusons avec force tout jugement global contre la foi islamique et sa culture. Notre solidarité dans la foi en un Dieu unique nous incite à poursuivre le dialogue entre chrétiens, juifs et musulmans. De nombreux musulmans résident en Europe, l’islam fait aussi partie de l’héritage religieux de l'Europe.
7. Le terrorisme - quelle que soit sa motivation représente un danger réel et mortel. La communauté internationale doit collaborer en toute confiance pour endiguer la menace du terrorisme. Nous accueillons positivement l’annonce de la Commission européenne de soumettre dans les plus brefs délais, sur la base d’une définition commune du terrorisme, des propositions pour renforcer la coopération des polices et des tribunaux. Europol, la police de l’UE, a besoin d’une coopération encore plus énergique des États membres.


Conversion des coeurs

8. La puissance et la richesse occidentales et leurs symboles ont fait naître l'inimitié et la haine. Ces symboles de richesse et de puissance contrastent fortement avec la misère et l’impuissance de beaucoup d’hommes pour lesquels l’Occident semble avoir un coeur de pierre. C’est pourquoi nous sommes convaincus, qu’en dernier lieu, il n’y aura pas d’autres voies vers la paix qu’une conversion à la solidarité.
9. Nous proposons que l’Union européenne intensifie la coopération avec les pays de la Méditerranée au sein du « processus de Barcelone ». Israël ne doit en aucun cas être exclu de ce processus. Les efforts en faveur du dialogue interreligieux dans cette région doivent être intensifiés et méritent plus de soutien politique. De plus, nous demandons à nos chefs d’Etats et de gouvernement de déterminer, lors du Conseil européen de Laeken en décembre prochain, un calendrier et une méthode pour atteindre l’objectif des 0,7 % du PIB devant être consacrés à l’aide au développement.
10. Notre communauté de valeurs universelles va bien au-delà de la richesse matérielle et de la force militaire, dont les symboles viennent d'être attaqués. Elle se fonde sur des valeurs communes qui sont fortement enracinées dans nos croyances et nos confessions. L’un des éléments essentiels de ces valeurs est « d’exercer sincèrement la compréhension mutuelle afin de défendre et de promouvoir ensemble, pour tous les humains, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté »1. (17) C'est pourquoi nous nous tournons vers tous ceux qui, en tant que poètes ou penseurs, en tant qu’artistes, en tant qu’écrivains ou journalistes, en tant que théologiens ou chercheurs, portent une responsabilité dans l’expression des symboles qui représentent notre civilisation. Se tourner à nouveau vers cette richesse spirituelle et l’exprimer constitue la conversion la plus importante.
11. Dans ces heures et ces jours sombres, de nombreux hommes et femmes se sont tournés vers Dieu dans une prière spontanée pour demander la consolation et la paix. Nous aussi nous prions pour que le Dieu de Jésus-Christ « aide l’homme à ne pas succomber à la tentation de la haine et de la violence, mais à œuvrer au service de la justice et de la paix »2. (18)

[NDLR. Le président de la COMECE est Mgr Josef HOMEYER, évêque de Hildesheim (Allemagne)]


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1. En sont membres : le P. A. Vanhoye sj, secrétaire, les PP. W.A. Beuken sj (Belgique), J. Beutler sj, (Rome), J. Briend (France), P. Buetubela Nzazi Balembo (Zaïre), A. Fuchs (Autriche), les PP. G. Ghiberti (Italie), M. Girard (Canada), M. Hogan sscme (Irlande), A. Levoratti (Argentine), J. Loza Vera op (Mexique), J. Raja sj (Inde), R. Rubinkiewicz sdb (Pologne), L. Ruppert (Allemagne), A. Schenker op, (Suisse), J. Sanchez Bosch (Espagne), U. Vanni sj (Italie) J.-L. Vesco op (France), H. Wansborough, osb (Angleterre).
2. On trouvera par ailleurs aussi le texte complet publié par les Editions du Cerf
3. Voir II, B, 3, b, n̊ 32.
4. Jn 2, 23 ; 4, 39.41 ; 7, 31 ; 8, 30-31 ; 10, 42 ; 11, 45 ; 12, 11.42.
5. Jn 1, 10.11 ; 15, 18. 25.
6. Jn 5, 18 ; 10, 33 ; 19, 7.
7. Jn 18, 38-40 ; 19, 14-15.
8. Jn 9, 22 ; 12, 42 ; 16, 2.
9. Jn 7, 20 ; 8, 48.51 ; 10, 20.
10. Cf. Christian Jewish Relations [London], Vol. 20, n°1, 1987. [Cette revue a cessé de paraître
11. NDLR. « générosité, humanité ».
12. Texte original polonais. Traduction : Lila Banderonek-Licari
13. Méditation du cardinal Ratzinger, publiée en italien à la une de L’Osservatore Romano du 29 décembre 2000.
[Traduction non officielle de Mireille Gilles]
14. Texte original anglais de « Chrétiens et juifs pour un enseignement de l'estime » (CJE) www.chretiens-et-juifs.org. Traduction française de Menahem Macina pour CJE, revue par la DC. Titre et sous-titres de La documentation catholique, 7 octobre 2001.
15. Voir dans ce numéro de Sidic p. 48-49.
16. Texte original allemand. Traduction française de la COMECE, revue et publiée par La documentation catholique, 7 octobre 2001.
17. Nostra Aetate, Déclaration du Concile Vatican Il sur les relations entre l’Église et les religions non-chrétiennes, 3.
18. Jean-Paul Il lors de la prière de l'Angélus, 16 septembre 2001.

 

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