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Le pardon d’un juif
Mario Rojzman
Nous avons vu Jean Paul II face au Mur des lamentations, demandant une fois de plus pardon. Aujourd’hui, c’est nous qui demandons pardon, fidèles au précepte juif qui nous indique l’obligation de confesser non seulement les erreurs que nous avons commises en tant qu’individus, mais aussi les péchés collectifs de la société dans laquelle nous vivons.
e le fais en mon nom, représentant seulement ceux qui se sentent représentés dans cet écrit, convaincu que de demander un pardon sincère n’affaiblit pas mais fortifie celui qui confesse sa faute devant sa conscience et devant Dieu.
Nous avons besoin de demander pardon pour avoir fermé les yeux et avoir nié l’existence de la pauvreté juive.
Durant des siècles, un des mythes créés et diffusés par les antisémites soutenait que tous les juifs sont riches.
D’un autre point de vue, nous, nous avons embrassé ce discours en oubliant les poches de pauvreté qui affectent notre communauté et pas elle seulement.
Nous avons permis la fermeture d’écoles populaires en même temps que croissaient dans la communauté des projets liés à la distraction et au divertissement.
Nous nous sommes permis de continuer à célébrer des noces et des Bnei Mitzva fastueuses sans exiger la dîme des familles qui faisaient la fête, alors qu’il est de notre devoir de les encourager à multiplier leur joie en aidant le prochain.
Nous avons embarqué la communauté dans des disputes stériles tandis que se multiplient les demandes d’aide, et que l’AMIA(1) voit son budget déséquilibré par les besoins d’aide sociale, devant l’indifférence de ceux qui pourraient apporter des solutions.
Pour cela, Dieu, nous te demandons pardon.
Nous avons besoin de demander pardon pour la discrimination à laquelle la tradition juive a soumis la femme pendant des siècles.
La Tora, dans la Genèse (chap. 2) nous enseigne que la femme a été créée d’une côte de l’homme. La Genèse (chap. 1) insiste aussi sur le fait que l’homme et la femme ont été créés simultanément.
Ces deux sources ont cohabité pendant des siècles ; même si les maîtres juifs ont presque toujours préféré laisser de côté l’important apport des femmes. Ainsi furent-elles exclues du rabbinat, ne furent-elles pas prises en compte au début d’une prière communautaire, et furent-elles rendues inaptes à l’accomplissement d’une partie des préceptes divins. Chaque jour, elles durent écouter comment, nous les hommes, nous remercions Dieu « de ne pas nous avoir faits femmes ». C’est le moment de corriger cette erreur.
Pour cela, Dieu, nous te demandons pardon.
Nous avons besoin de demander pardon pour la conduite de beaucoup de nos frères pendant la Shoa.
Tous les survivants sont d’accord : « L’indifférence des Alliés et des amis fut aussi douloureuse que la cruauté des ennemis ».
Si, se trouvant dans les camps de la souffrance et de la mort, les juifs avaient su que le monde connaissait ces horreurs mais choisit de ne pas s’impliquer, je doute qu’ils eussent eu le désir et la force de survivre.
Des documents découverts par des chercheurs aux USA ou en Israël ne permettent pas le doute : « Les Alliés étaient bien informés au sujet de chacune des étapes de la solution finale ».
Elie Wiesel nous enseigne que « les noms de Treblinka et de Majdanek apparaissaient dans les nouvelles ; les gens n’ignoraient pas le sens tragique de ces lieux. D’une manière incroyable, on peut dire la même chose de la communauté juive : elle n’a pas répondu aux pleurs du cœur de ses frères et sœurs dans l’Europe nazie ».
Toute personne ayant lu le New York Times en décembre 1942, savait que deux millions de juifs avaient déjà été assassinés et que quatre autres millions couraient le même sort. Cependant la majorité des leaders des communautés juives croyaient que, dans un monde rempli d’ennemis, Roosevelt représentait le meilleur de ce à quoi les juifs pouvaient aspirer. Et l’histoire a déjà jugé que le président américain a trouvé plus d’intérêt à gagner la guerre qu’à sauver des juifs.
Nahum Goldman, principal leader de la diaspora d’alors soutient dans son autobiographie : « Nous sommes la génération non seulement condamnée à être témoin de la destruction d’un tiers de son peuple, mais aussi coupable de l’avoir acceptée sans une résistance digne ».
Tandis que des centaines de milliers de juifs étaient introduits dans les fours crématoires, la grande majorité de leurs frères aux USA n’ont pas trop modifié leur agenda, ne croyant pas nécessaire de marcher chaque jour vers la Maison Blanche avec des exigences concrètes, ni de suspendre leurs repas et leurs bals festifs ou leurs visites au théâtre et aux concerts.
« La solution finale ne pouvait être arrêtée par les juifs américains, mais elle aurait dû leur être insupportable et elle ne le fut pas » a écrit Kaskel Loostein en 1985.
Pour cela, Dieu, nous te demandons pardon.
Nous avons besoin de demander pardon pour la conduite de beaucoup de nos frères à l’époque du Procès en Argentine.
Le mal dans notre pays entre les années 1976-1983 fut possible non seulement parce que les commandants assassins prirent le pouvoir et violèrent systématiquement les droits de l’homme, mais aussi parce qu’il eut pour cadre le silence des « bons » ; « les bourreaux volontaires de Videla », selon les termes de l’écrivain Daniel Goldhagen.
Mon maître, le rabbin Marshall Meyer, dans son article : « Le judaïsme et le christianisme face à la violence d’Etat » écrit : « C’est un fait que, lorsque les disparitions commencèrent à se multiplier, les personnes chargées de s’occuper des parents et des familles des disparus juifs, leur conseillaient systématiquement de ne pas présenter de recours de Habeas corpus … je crois que cette recommandation était motivée par le désir de maintenir des relations ‘cordiales’ avec le gouvernement dictatorial, en croyant que de cette manière, ils réussiraient à sauver beaucoup plus de vies juives. Ma position fut que l’histoire avait prouvé, avec un excessive clarté il y a peu, que les relations pacifiques et cordiales avec le mal devraient provoquer un plus grand nombre de morts ».
Meyer nous a enseigné que le judaïsme exige de lutter contre toutes les forces qui prétendent profaner la vie humaine en général et que, lorsque les juifs s’occupent seulement des juifs, ils violent les bases mêmes de notre sainte tradition, et quand un être humain subit la privation de sa liberté, tous les êtres humains se trouvent menacés.
Bien des juifs, rabbins inclus, ont détourné leur visage, leurs regards, leurs cœurs.
Pour tout cela, Dieu, nous te demandons pardon.
Nous avons besoin de demander pardon pour avoir abandonné les principes de la Tora.
Tandis qu’un grand nombre d’entre nous, vivions avec passion notre tradition, des milliers, à chaque génération, abandonnent les principes du judaïsme.
Nous croyons que notre monde serait plus visible si nous retournions à l’esprit des lois millénaires comme :
• Éloigne-toi des chemins du mensonge.
• Ne reçois pas de « pots de vin » car ils pervertissent les causes justes.
• N’opprime pas l’étranger, ni l’orphelin, ni la veuve.
• Ne tords pas le droit du pauvre.
• Observe le shabbat.
• Aime ton prochain comme toi-même.
Pour toutes les fois où nous avons abandonné le chemin, nous te demandons pardon.
A la différence du catholicisme, dans les structures hiérarchiques de laquelle le pape inclut dans son pardon tout le corps de l’Église, nous les juifs, nous avons besoin de multiplier notre pardon car ce qui est à l’un ne se substitue pas à ce qui est à l’autre, et le collectif s’obtient seulement en additionnant tout ce qui est individuel.
Mario Rojzman est rabbin de la communauté Bet El à Buenos Aires. Il a publié avec Mgr Justo Laguna Todos los caminos conducen a Jerusalem. [Traduit de l’espagnol par Th. M. Croville].
Ce témoignage a été publié au mois de mai 2000 dans la revue Criterio (Argentine), qui nous autorise aimablement à le reproduire.
1 . AMIA : Asociacion de Mutuales Israelitas Argentinas. NDLR.