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Déclarations Concernant le Couvent des Carmélites à Auschwitz
Fin 1984 un petit groupe de carmélites déchaussées étaient venues vivre à Auschwitz, installant leur couvent dans un ancien théâtre désaffecté limitrophe au camp de concentration, bâtiment ayant servi d'entrepôt de gaz toxique pour l'extermination des juifs et autres victimes pendant la dernière guerre mondiale. Les religieuses désiraient vivre là une vie de pénitence et de prière dans un esprit de réparation, de paix et de réconciliation.
La présence de ces religieuses fut l'objet d'une âpre controverse dans Ms milieux juifs et chrétiens, lorsqu'on apprit le projet en cours de bâtir un nouveau couvent sur l'emplacement du camp. Auschwitz a, en effet, une signification très particulière pour les juifs: c'est en quelque sorte le symbole de toutes les souffrances, toutes les horreurs dont ils ont été victimes au temps de la Shoah (ou de l'Holocauste), aussi furent-ils très choqués par l'installation d'un couvent en ce lieu, sans consultation préalable aucune. De plus, le but de cette implantation, exprimé en termes chrétiens sans aucune référence à la signification particulière d'Auschwitz pour le peuple juif, rendait encore plus grand le malaise. Dans cette situation difficile, qui pouvait remettre en cause tous les progrès accomplis depuis 20 ans pour le rapprochement des juifs et des chrétiens, de nombreuses protestations s'élevèrent et de nombreuses démarches aussi furent faites, tant du côté juif que du côté chrétien, pour tenter de résoudre le problème.
Le 22 juillet 1986, se rencontrait à Genève un groupe officiel de catholiques et de juifs européens, réunissant de hautes personnalités tels les cardinaux Macharski (de Cracovie), Lustiger (de Paris), Decourtray (de Lyon), Danneels (de Bruxelles), le grand rabbin Sirat (de France), Mme Tullia Zevi (d'Italie) et d'autres. La décision était prise d'interrompre les travaux d'installation du Carmel, et une déclaration commune était faite, intitulée a Zakhor » (Souviens-toi) cf. ci-dessous.
Des pèlerinages s'organisèrent aussi: ainsi, le 21 septembre 1986, un groupe de 145 juifs (dont 3 survivants des camps et de nombreux enfants de déportés) et de 45 chrétiens (dont quelques prêtres et religieuses) se rendaient sur l'emplacement de l'ancien camp pour y prier silencieusement ensemble; ils voulaient aussi témoigner ensemble de leur désapprobation commune pour l'installation d'un lieu de culte catholique en ce camp qui est, pour tous les juifs, le symbole de l'entreprise du génocide nazi contre leur peuple. Sur l'emplacement des rampes de triage, la voix des chrétiens s'était fait entendre par l'intermédiaire du P. Bernard Dupuy, sous forme d'une déclaration chrétienne de repentance (Cf. Sens 9110 - 1986, pp. 282-288, récit détaillé de ce pèlerinage et texte de cette déclaration de repentance.). A cette déclaration, avait fait écho, le 22 octobre suivant, un beau sermon de Kippour du rabbin Daniel Farhi (du M.J.L.F. de Paris) intitulé: « L'attitude juive devant une teshuva chrétiennes.
Il y eut plusieurs autres pèlerinages à Auschwitz, entre autres celui d'anciens déportés juifs de Belgique. accompagnés d'amis chrétiens (131 personnes en tout), M 26 mars 1986; celui d'une centaine de chrétiens des U.S.A., accompagnés de 4 représentants juifs officiels et guidés par le Cardinal B. Law, de Boston; un groupe juif, qui organisa un service commémoratif dans le camp, sous la direction de Leonard Zakim, directeur de l'A.D.L. des B'nai B'rith in New England.( Cf. ADL Bulletin. déc. 1986.)
Le 22 février 1987, une 2e réunion avait lieu, réunissant le même groupe officiel de catholiques et de juifs que le 22-7-1986. Après une journée entière de discussions, on arrivait à un accord et à des décisions concrètes qui, lorqu'elles seront appliquées, pourront marquer une nouvelle étape dans les relations entre juifs et chrétiens (cf. ci-dessous).
Déclaration officielle du 22 juillet 1986, à Genève
Aux hommes et aux femmes de notre temps et à ceux et celles des temps futurs:
Zakhor - Souviens-toi!
Les sites isolés d'Auschwitz et de Birkenau sont reconnus aujourd'hui comme les lieux symboliques de la solution finale au nom de laquelle les nazis ont procédé à l'extermination (Shoah) de six millions de juifs, dont un million et demi d'enfants, seulement parce qu'ils étaient juifs.
Ils sont morts dans l'abandon et l'indifférence du monde. Recueillons-nous dans la mémoire de la Shoah et dans le silence de notre coeur.
Que la prière qui montera de nos lèvres muettes nous aide aujourd'hui et demain à mieux respecter le droit à la vie, à la liberté et à la dignité des autres, de tous les autres.
Souvenons-nous que chacun de ceux qui ont été assassinés à Auschwitz et à Birkenau: Juifs, Polonais, Tziganes, prisonniers de guerre russes, pouvaient chaque jour s'écrier avec le Prophète Sophonie (1,15): « Ce jour est un jour de fureur, un jour de détresse et d'angoisse, un jour d'extermination et de désolation, un jour de nuée et de brouillard ».
2e Déclaration officielle, le 22 fevrier 1987, à Genève
Après avoir rappelé les termes de la déclaration du 22 juillet 1986, reconnaissant qu'Auschwitz demeurerait éternellement le lieu symbolique de la Shoah qui a procédé de la volonté nazie de détruire le peuple Luit, dans une entreprise unique, impensable et indicible.
Dans le souci commun de voir respecter la mémoire des morts dans les lieux où se sont perpétrés les crimes nazis et particulièrement l'extermination de l'immense majorité des communautés juives d'Europe; rappelant cette période dramatique qui commande aussi le recueillement et le respect profond devant les souffrances subies par la nation polonaise, à cette époque et à cet endroit; les soussignés sont convenus solennellement de ce qui suit:
1) La délégation catholique déclare que, prenant une plus vive conscience de ses responsabilités pour les générations à venir, elle s'est engagée dans un projet qui relèvera des Eglises européennes, de créer un centre d'informations et d'éducation, de rencontres et de prières.
2) Ce centre sera créé hors des territoires des camps d'Auschwitz-Birkenau. A cet effet des démarches ont déjà été entreprises auprès des Eglises catholiques européennes et auprès de toutes celles susceptibles d'adhérer à ce projet. Il s'agira:
de susciter des échanges entre les Eglises européennes sur la Shoah et aussi sur le martyre du peuple polonais et celui des autres peuples d'Europe, du fait du déchainement totalitaire, tout au long et au terme de la guerre de
1939-1945;
. de lutter contre la désinformation et la banalisation de la Shoah et contre le révisionnisme;
. d'accueillir les groupes de visiteurs des camps en complétant leur information;
de favoriser des colloques entre juifs et chrétiens.
3) L'établissement de ce Centre constitue la continuation et la conséquence des engagements pris à la réunion de Genève, le 22 juillet 1986; il implique que l'initiative de prière des Carmélites trouvera, dans ce contexte nouveau, sa place, sa confirmation et son sens véritable, et qu'il soit ainsi tenu compte des sentiments légitimement exprimés par la délégation juive.
Il n'y aura donc pas de lieu de culte catholique permanent sur les territoires des camps d'Auschwitz et de Birkenau.
Chacun pourra s'y recueillir selon son coeur, sa religion et sa foi.