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SIDIC Periodical XXXI - 1998/2
Le Bien et le Mal après Auschwitz: implications éthiques pour aujourd'hui (Pages 13 - 15)

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Qui n’expérimente pas la face cachée (de dieu) ne fait pas partie d’eux (du peuple) - Le fait que Dieu se cache, le bien et le mal
Benedetto Carucci Viterbi

 

De l’épisode tragique de la Shoah, présentée comme l’épisode le plus sombre du Hester panim de Dieu, l’auteur cherche à déduire quelques orientations pour une action qui soit fondée théoriquement et moralement. Ne pouvant reproduire ici la conférence en son entier, nous donnerons seulement, à peu prés intégralement la partie essentielle (traduite de l’italien) sur la notion de Hester panim et, un peu plus résumée, la dernière partie qui cherche à dégager quelques hypothèses de travail et de réflexion.

Hester panim : le chaos de l’accidentel
«Dans la littérature rabbinique, nous trouvons plusieurs fois exprimée l’idée que la face de Dieu se cache, ce que Buber appelle «l’éclipse» de Dieu: il y est fait référence dans Job, les Psaumes. Le texte le plus clair est le passage du Deutéronome 31,17-18...

Une rapide analyse de ces versets nous permet d’en extraire quelques données: la face de Dieu se cache, elle ne regarde plus le peuple. L’absence de regard, due à une trahison, est à l’origine des malheurs qui frappent la collectivité qui, en guise d’explication, affirme qu’elle est abandonnée de Dieu, imagine qu’IL est absent, peut-être même inexistant. Le texte biblique est dur: il parle d’abandon. Le commentaire de Rashi explique que le fait de se cacher consiste, de la part de Dieu, à ne pas regarder les souffrances du peuple; en un certain sens - ce qui soulève une première question théologique - c’est l’interruption de cette attention pleine de sympathie, de cette providence que la tradition juive appelle Hashghahah pratit. Mais s’il s’agit là, comme il nous semble, d’une punition, ce l’est d’une manière particulière qui mérite un approfondissement: ce n’est pas une intervention divine directe, comme on le constate d’autres fois dans la Torah, c’est plutôt une «rétraction», une absence, comme le note le commentaire de Rabbi Levy ben Gershon. La différence n’est pas sans importance; dans le premier cas, la punition s’adresse directement aux coupables, dans le second c’est le hasard (Maïmonide souligne ce point) qui se déchaîne sur l’humanité, sur le peuple. Une trahison de l’alliance originaire donc, le fait que l’homme se soustraie en quelque sorte à ses responsabilités, déchaîne l’événement accidentel qui va engloutir tout et tous, les bons et les méchants, les coupables et les innocents.

Attention! il est inutile de chercher en amont de la Shoah, dans les moments qui l’ont immédiatement précédée, la faute qui est à l’origine de l’abandon; comme certains l’ont suggéré, ce moment originaire est à rechercher bien plus loin en arrière: à l’origine de l’Exil, dans la destruction du Temple, lieu justement du face à face Dieu-homme, lieu qui garantit la présence divine parmi les humains».

(Après la destruction du Temple) «la vision de la réalité, historique et aussi naturelle, tout comme la dimension de l’audibilité de la compréhension de Dieu, se réduit progressivement et tend au pire. Dans cette perspective, l’histoire juive après la destruction se situe (et peut-être n’est-il pas trop paradoxal de l’affirmer) sous le signe de l’accidentel -mais un accidentel avec certaines limites importantes. La Shoah, dans son énormité aberrante même, devient ainsi l’un parmi d’autres jours, le plus obscur - ici dans le sens littéral = privé de la luminosité de la face divine - du continuum» historique juif qui accumule les décombres; le pire certes, mais non pas isolé. C’est ce que pensent, dans le monde juif religieux et orthodoxe, ceux qui nient le principe de l’unicité de la Shoah».

Le Hester panim est à distinguer de la notion de Tzimtzum propre à la tradition mystique et philosophique juives.

«Selon la Qabbala de Luria, l’existence du monde n’est possible qu’avec la concentration de Dieu en un point: l’espace conceptuel, existentiel pour la réalité l’exige... La création, qui ouvre l’homme à la solitude de la responsabilité - presque immédiatement négligée - exige un éloignement de Dieu, une atténuation de sa présence comme garantie de la liberté humaine. Dans cette perspective, on pourrait mettre en parallèle «Hester panim» et «Tzimtzum»: le premier comme punition qui risque, du fait qu’elle est accidentelle, de livrer l’homme à la destruction des autres et de lui-même; le second comme ouverture inévitable à l’histoire autonome de l’humanité et à la nécessaire responsabilité qui en découle»...

S’appuyant sur un texte du Talmud (Tb Hagigah 5b), I’auteur montre que l’absence de Dieu (ou Hester panim) est une réalité nécessaire «constitutive de l’essence juive». Faire partie du peuple juif vous met dans la condition du Hester panim et vous expose «comme une proie à la voracité d’autrui; ce qui paraît être une nécessité dans le domaine de l’histoire». Un lien demeure cependant avec Celui qui se cache «ténu et onirique», mais orientant vers l’espérance que «pourra s’actualiser la triple bénédiction si souvent répétée à la synagogue par les Cohanim», et notamment sa 3e partie (Nbr 6,26) : «Que le Seigneur tourne vers toi sa face et te donne la paix!».
De cette réflexion sur le Hester panim, l’auteur tente de tirer des orientations:

Quelques indications de parcours

1- Ne pas abandonner le jeu de cache-cache avec Dieu, car «le rôle principal de l’homme est de chercher, de demander, non pas de trouver et d’avoir des réponses»... «C’est la certitude que l’alliance ne sera pas oubliée du peuple juif -l’alliance conclue au Sinaï - qui permet l’espérance. La fidélité à l’alliance représente dans la tradition juive la structure éthique fondamentale, le point de référence, et elle permet une attente qui peut se conclure par la bénédiction sacerdotale. En ce sens, le jeu dramatique de cache-cache doit être toujours tenu vivant, accompagné de l’étude et d’une conduite conforme à la Torah»...

2 - Vivre une éthique de la responsabilité qui « élargisse la sphère de la conscience de chacun au-delà de la simple dimension individuelle pour la projeter en même temps vers ceux qui vivent actuellement et ceux qui viendront après nous». Conserver aussi un système éthique ... « qui mette l’homme en garde contre la tentation de se faire la mesure de toutes choses, le paramètre du bien et du mal, le maître du vouloir divin. A l’entrée d’Auschwitz on pouvait lire, indice sinistre - et non accidentel - du délire de la toute-puissance: «Gott mit uns»!

3 - Vivre en solidarité avec l’ensemble de l’humanité ... «Job, le texte qui fait peut-être le plus écho à l’Hester panim, met en évidence l’importance de renouer les relations, de constituer une humanité solidaire. Le rabbin Soloveitchik voit dans le «solipsisme», le fait de se limiter à la dimension individuelle, ce qui est le point faible de la conduite de Job le juste, à l’époque qui a précédé sa disgrâce. A la fin du livre, par contre, celui-ci participe à l’humanité d’autrui, de ceux même qui ont cherché jusque là à lui faire endosser la responsabilité de fautes qui auraient causé ses maux. Les amis seront réprimandés par Dieu qui intervient en personne, et ils devront offrir un sacrifice; Job, lui, devra prier pour eux, et alors Dieu acceptera leur offrande. Et Job prie pour ses amis».


Le rabbin Benedetto Carruci Viterbi enseigne l’exégèse biblique et la littérature rabbinique au Collège rabbinique de Rome, et la liturgie juive à l’Institut Pontifical Saint Anselme. [Texte traduit de l’italien par M. Gilles.]

 

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