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SIDIC Periodical XX - 1987/2
Marie juive (Pages 04 - 10)

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Beauté originelle d'Eve et son reflet sur la peuple au Sinaï, sur l'église et sur Marie
Aristide Serra

 

Nous présentons ici un passage seulement de la contribution apportée par le Père A. Serra au Symposium sur CI Marie dans le judaïsme et dans l'Islam aujourd'hui », intitulée: a Il Giudaismo antico, premessa per une !innovera comprensione dei rapporti Ira lsraele, Maria e la Chiesa ». Il s'agit dune étude assez longue, développant avec grande compétence six thèmes différents dont nous ne reproduisons ici que le premier, et en partie seulement. Oui voudrait lire l'article in extenso, avec toutes les références techniques, devrait se référer aux Actes du Vle Symposium mariologique international (cf. la Présentation).

L'auteur précise dés l'abord que, sous le nom de « judaïsme ancien », il n'entend pas les livres de l'Ancien Testament, mais toute la vaste littérature qui les commente et les actualise, une littérature qui lut florissante au sein du judaïsme du lie siècle avant au Ve après J.C., et comportant par exemple les Apocryphes de l'Ancien Testament, Philon, Flavius Josèphe. les écrits de Oum-/an, le Targum, le Talmud, la Tosefta, les Midrashim etc._ bref une littérature qui. à une époque où le judaïsme avait déjà fixé ses Ecrits canoniques, accompagnait ces derniers, les rendait vivants, les actualisait.

A. Serra rappelle par ailleurs une étude qu'il a faite en 1980 sur les or Mères d'Israël, si souvent célébrées par le judaïsme ancien, (Ille Symposium mariologique international, Ir Le matir; d'lsraele nell'antica letteratura, giudaica e la madre di Gesù• Prospettive di ricerce»). Il avait delà noté alors que, lorsque le judaïsme ancien parle des « Mères » du peuple, il use de thèmes et de concepts doctrinaux qui se rapprochent étonnamment de ceux qu'utilise le christianisme pour parler de la Mare de Jésus. On rencontre là. dit-a, des similitudes remarquables au niveau de la typologie, et on devrait se demander « si les auteurs chrétiens dépendent réellement de la pensée juive ou s'il s'agit de convergences spontanées ».



BEAUTE D'EVE AU PARADIS ET D'ISRAEL AU SINAI

On note, dans diverses traditions du judaïsme ancien, la tendance à mettre en rapport la première création de la Genèse (notamment l'événement de l'Eden) avec la révélation au mont Sinaï. Voici quelques cas, parmi tant d'autres, où nous constatons ce genre de rapprochement:
Dans la première création, nous trouvons une Semaine initiale (Gn 1,3-2,3) et l'homme esta créé n au a sixième jour n de cette semaine (Gn 126-30). La révélation du Sinaï se fait aussi par étapes, dans le cours d'une semaine. Au a sixième jour », Dieu «crée» Israël, faisant de lui son peuple et lui donnant la Torah de l'Alliance. 1

Au jardin d'Eden, Dieu fait croitre l'arbre de la vie et l'arbre de la connaissance du bien et du mal (Gn 2,9). Le Mont Sinaï, lui, est considéré comme un arbre produisant des fruits, à savoir les Paroles saintes de la Torah. Elles sont douces au palais de l'Epouse )Israël), comme les pommes du jardin d'Eden. C'est ce qu'enseigne le targum du Cantique des Cantiques (Tg Ct 2.3.5), 2 qui présente le Sinaï comme un second jardin d'Eden.

Lors de la première création, Dieu dit: « Faisons l'homme » (Gn 1.26), c'est-à-dire celui qui est appelé à répondre: « nous le ferons » d'abord, puis: « nous écouterons » (Ex 24,7). Les paroles de Dieu disant: « Faisons l'homme » (Gn 1,26), trouvent en effet un écho dans les paroles d'Israël disant au Sinaï: « Nous ferons et nous écouterons » (Ex 24,7)...3

Parmi les parallélismes évoqués ci-dessus, il en est un auquel nous allons nous attacher particulièrement, cherchant à l'approfondir: celui qui est fait entre la beauté d'Eve dans le jardin d'Eden et la beauté d'Israël devant le Sinaï au moment où il accueille la Torah.

Beauté d'Eve dans le jardin d'Eden

Selon la tradition !juive, Eve est considérée comme la première des « mères » d'Israël.' Si l'on rappelle. à son sujet, la faute commise à l'instigation du serpent, on n'en célèbre pas moins d'une manière particulière la beauté dont Dieu l'avait dotée à l'aube de la création.

Les rabbins s'appuient pour cela sur le verset de Gn 2,22: « Le Seigneur Dieu forma ("construisit") une femme avec la côte qu'il avait tirée de l'homme; et il la conduisit à l'homme ». Ils ont commenté abondamment ce passage, exaltant la beauté d'Eve au moment où Dieu la créa pour la conduire à l'homme. Quelques-uns d'entre eux, par exemple, font remarquer que dans certaines bourgades côtières de Palestine les cheveux tressés des femmes portent le nom de finit, mot qu'on peut rapprocher du verbe hébreu bnh (construire), employé en Gn 2,22: « Et le Seigneur forma (construisit)... ». De l'analogie entre les deux termes, on en vient aux considérations que voici: Dieu n'a pas seulement créé Eve de la côte d'Adam, mais il lui a en même temps tressé les cheveux, il l'a ornée comme une épouse et, tel « l'ami de l'époux » (le « paranymphe »), il l'a présentée à Adam.' Rabbi Hama ben Hanina (260 de notre ère) continue :en disant:

Dieu l'a sûrement parée des 24 ornements précieux (ceux décrits en Is 3,8-24, pour les femmes de Jérusalem). puis il l'a amenée l'homme. Aussi peut-on lui appliquer ce que le Seigneur, par la bouche d'Ezéchiel, disait au prince de Tyr: « Dans l'Eden, jardin de Dieu, tu étais couvert de pierres précieuses: rubis, topaze, diamant, chrysolithe, onyx et jaspe, saphir, malachite et émeraude; et l'or dont sont ouvragés tes tambourins et tes flûtes a été préparé au jour de ta création » Ez 28,13; cf. v. 12: « Tu étais un modèle de perfection, plein de sagesse, d'une beauté parfaite ».°

Commentant toujours Gn 2,22, R. Jeremiah ben Eleazar (270) ajoute:

Ceci nous enseigne que le Saint, béni soit-il, a joué le rôle de « paranymphe» pour Adam. La Torah en tire une règle de conduite: le plus noble est appelé à remplir auprès du plus humble l'office de u paranymphe », et il doit faire cela volontiers.7

La beauté d'Eve, à ce que disent (au moins indirectement) les rabbins, était telle qu'elle séduisit le serpent qui, pour pouvoir se l'approprier, projeta de supprimer Adam." Rabbi Azariah (vers 380) et Rabbi Vonathan (vers 220) en vinrent à affirmer, au nom de Rabbi Isaac: « L'image d'Eve a été transmise aux beautés éminentes de chaque génération ». Ainsi, par exemple, la gràce de Sarah, au moment où Abraham l'emmena en Egypte, et celle d'Abisag, la Sunamite de David (1 R 1A), étaient le reflet de la beauté d'Eve.

Mais nous pouvons aller plus loin: La candeur dont Dieu avait imprégné toute la personne d'Eve devint le symbole de la conduite intègre de l'Israélite pieux vivant selon la Loi du Seigneur, dans une totale fidélité. Nous avons un écho de cette typologie dans le 4e livre des Maccabées, écrit à la fin du ler siècle apr. J.C. L'auteur de cet ouvrage insère, dans un passage pathétique, l'exhortation que la mère héroïque adresse à ses sept fils, leur disant:
J'étais une vierge intacte, et je ne m'éloignais pas de la maison de mon père, veillant sur la côte qui fut transformée (en Evel. Aucun séducteur du désert, aucun trompeur dans la campagne, ne m'a corrompue; le serpent retors et fourvoyeur n'a pu entacher non plus ma pureté quand j'étais jeune fille. J'ai vécu avec mon mari tous les jours de ma jeunesse... (18,7-9)10

Comme on le voit, la mère des Maccabées, évoquant l'intégrité morale de sa prime jeunesse, le fait à la lumière de celle d'Eve, à peine sortie des mains du Créateur; et comme l'auteur de Maccabées IV salue en cette femme la «Mère » de la nation, réparant l'offense faite à la Loi et défendant la piété »... (15,29)," on peut en déduire qu'elle incarne, en réalité, les sentiments et les idéaux du judaïsme du ler siècle. Levant le regard vers Eve, le peuple de Dieu (représenté par cette femme-mère des Maccabées), sent monter en lui la nostalgie du premier amour, du temps où Dieu se promenait dans le jardin d'Eden.

La rénovation eschatologique du peuple d'Israël se présente aussi comme un retour à la beauté resplendissante dont Eve fut privée, après la séduction par l'antique serpent. Je ne citerai à ce sujet qu'un seul exemple, aux résonances multiples.

La théologie juive affirme (et avec grande insistance) que, lors de l'Alliance et du don de la Loi au mont Sinaï, Dieu a opéré un renouvellement radical des Israélites. Et ce renouveau est considéré comme un prélude, une image, de la rédemption parfaite que le Seigneur accordera à son peuple à la plénitude des temps messianiques. Parmi les voix innombrables s'exprimant en ce sens, il en est une, attribuée à Rabbi Vohanan (mort en 279) qui se répète trois fois dans le Talmud de Babylone et dit ceci:
Quand le serpent s'approcha d'Eve, il éveilla en elle la convoitise. Mais, chez les Israélites qui se tenaient debout face au Sinaï. cette tendance à la convoitise disparut... ».13

Cette affirmation met clairement en relation la chute d'Eve au Paradis avec le « jour de l'Assemblée » (cf. Dt 4,10 en LXX), c'est-à-dire le jour où les tribus d'Israël se réunirent au pied du mont Sinaï pour recevoir la Torah. Les deux scènes sont en rapport antithétique: le comportement d'lsraél face au Sinaï est le contre-pied de celui d'Eve séduite par le serpent.

Mais il est naturel alors de se demander ce qui est arrivé à Israel en ce jour lointain, en ce « troisième jour » mémorable du Sinaï: Sur ce point, nous avons divers témoignages de la tradition juive."

Le Midrash fait des Considérations telles que celles-ci: Quand ils étaient en Egypte, les Hébreux adoraient de fausses divinités (cf. Ez 20,7; 23,3.8. 19.21.27...); c'est pourquoi ils souffrirent de discorde: le polythéisme avait en effet introduit des germes d'hostilité au sein du peuple de Dieu. Métre après la libération de l'esclavage d'Egypte, les diverses étapes de leur voyage vers le Sinaï furent troublées par des dissensions. Il est écrit, en effet, (disent les rabbins), que « les Israélites partirent de Ramsès et campèrent à Sukkot (Nb 33,5). L'usage du pluriel dans le texte hébreu (« partirent ro, « campèrent »), répété encore dans les versets suivants de Nb 33, indique qu'il y eut des inimitiés dans leurs rangs." De plus, enseignent certains rabbins (entre le Ile et le IVe siècle), les Israélites qui avaient quitté l'Egypte étaient presque tous diminués physiquement. Ils avaient subi de mauvais traitements durant leurs travaux forcés, et il y avait parmi eux des lépreux, des boiteux, des aveugles, des muets, des sourds etc..15

Mais tout changea quand ils arrivèrent au Sinaï Dieu voulut accomplir une totale transformation de son peuple." Il se disait en effet: « La Torah est parfaite... les jugements du Seigneur sont droits et justes (Ps 19,8.10); il ne convient pas que je la donne à une génération d'handicapés »21 C'est alors que Dieu décida de guérir tous les Israélites de leurs infirmités, tant spirituelles que corporelles.

Les infirmités spirituelles:

car ils se réconcilièrent entre eux. Nous lisons dans la Mekhilta de Rabbi Ishmaël: « Quand ils furent tous ensemble au pied du Sinaï pour recevoir la Torah, Ils ne turent plus qu'un seul coeur, accueillant avec joie le Règne de Dieu »." De cette concorde retrouvée, l'Ecriture elle-même rend témoignage quand elle dit: « Israël campa devant la montagne » (Ex 19,2). L'emploi du verbe au singulier (« campa »), et non plus au pluriel (« campèrent », comme en Nb 33,5), signifie que les tribus étaient devenues comme un tout." Au cours des deux jours qui précédèrent l'Alliance, écrit Flavius Josephe, ils firent des banquets et des repas plus somptueux:" le partage du repas était signe de fraternité.

Et les infirmités corporelles:

car au moment de la grandiose théophanie sur la montagne, il n'y eut plus personne parmi les Hébreux qui souffrit des infirmités de jadis." En cette heure solennelle, la communauté d'Israël apparaissait donc aux yeux de Dieu comme l'épouse toute belle et sans tache dont parle le Cantique des Cantiques…22

Moïse pouvait donc, tel un « paranymphe »," présenter à Dieu l'épouse-Israël, ainsi recréée de l'intérieur. Et là, face à la montagne, Israël prononçait le « Oui » nuptial: « Ce que le Seigneur a dit, nous le ferons » (Ex 19,8; cf. 24,3.7), promesse qui venait ratifier l'acte nuptial de l'Alliance. La désobéissance d'Eve était rachetée par le « Fiat » d’Israel


BEAUTE D'EVE SE REFLETANT SUR L'EGLISE ET SUR MARIE

Beauté de l'Eglise


L'auteur analyse ici trois textes pauliniens (2 Co 11,3; km 16,20; Ep 5.31-32) et le chapitre 12 de l'Apocalypse. Nous nous limitons ici à 2 Co 11,3.

Paul considère la communauté chrétienne de Corinthe comme une « vierge chaste » qu'il désire présenter au Christ; et il se considère lui-même comme le « paranymphe » de ces noces mystiques: son devoir est d'« offrir » l'Eglise-épouse, intacte et pure, au regard du Christ-Epoux (y. 2).

Le contexte de ce chapitre montre que la pureté, l'intégrité, dont se préoccupe l'apôtre, est celle précisément qui concerne la foi des chrétiens de Corinthe. De faux évangélisateurs se sont déjà introduits dans le sein de la communauté. Les néophytes de Corinthe, à peine venus au christianisme, risquent d'être ballottés à tout vent de nouvel/es doctrines. Avec une subtile ironie, Paul définit ces prédicateurs comme des « super-apôtres » 5); et il ne leur épargne pas les mots:

Ces gens-là sont de faux apôtres, des ouvriers perfides qui se déguisent en apôtres du Christ. Et rien d'étonnant à cela: Satan lui-même se déguise bien en ange de lumière. Il n'est donc pas surprenant que ses ministres aussi se déguisent en ministres de justice, mais leur fin sera digne de leurs oeuvres » (2 Co 11, 13-15).

La jeune communauté de Corinthe, exposée à un tel danger, se trouve dans la situation d'Eve tentée par le serpent. C'est cela le tourment de Paul:

«J'ai grand'peur qu'à l'exemple d'Eve, que le serpent séduisit par sa fourberie, vos pensées ne se corrompent et ne s'écartent de la simplicité et pureté envers le Christ » (2 Co 11,3).

Tant que l'Eglise de Corinthe persévère dans la foi authentique, semble dire Paul, elle ressemble à une vierge chaste, comme l'était Eve avant la chute;24 mais le jour où elle prêterait l'oreille aux paroles trompeuses des faux apôtres, elle ressemblerait à Eve fourvoyée par le serpent. Le récit de la Genèse, centré cette fois sur la figure d'Eve. vierge tout d'abord. puis corrompue, est relu par Paul en fonction de la communauté chrétienne de Corinthe.

La vierge Eve est prise comme symbole de la vierge-Eglise...

Beauté de Marie

Nous donnerons ici trois pistes pour d'éventuelles applications mariales:
• La révélation du Sinai, disions-nous, comme cela est attesté en diverses traditions du judaïsme, est comme un retour au Paradis. La beauté d'Eve, en particulier, « vierge» intègre avant la faute, resplendit de nouveau sur le visage d'Israël-épouse quand, au Sinaï, elle obéit à la voix de Dieu.
Il est fort probable que cette conception juive ait inspiré St Justin (mort en 165) quand il élabora le célèbre parallélisme entre Eve et Marie, en référence à la scène de l'Annonciation.'" Au Sinaï, le peuple d'Israël a racheté la faute d'Eve par sa foi en la parole de Moïse, l'envoyé du Seigneur. A Nazareth, la « vierge » Marie (qui personnifie, pour Luc, la « Fille de Sion ») change le destin d'Eve par sa foi aux paroles de l'ange envoyé par Dieu.26

Souvenons-nous que Justin descend d'une famille païenne de culture hellénistique, résidant cependant en Palestine, à Flavia Neapolis. Dans le Dialogue avec Tryphon, on voit bien qu'il connaît les doctrines des maîtres d'Israël. Nous ne devons pas oublier non plus que Irénée (mort en 202). un des premiers lui aussi à faire ce parallèle Eve-Marie," fut dans sa jeunesse en contact avec l'Orient chrétien en tant que disciple de Polycarpe."

• On trouve cette conviction, diffuse dans le judaïsme que Dieu, au Sinaï, purifia Israël de toute imperfection, aussi bien physique que spirituelle, Puisque la Torah est parfaite, le peuple aussi devait être parfait. L'Eglise d'Orient, au Ive siècle, parlera d'une purification anticipée de Marie sous faction du Saint-Esprit en vue du Fiat » de l'Annonciation. Elle tut sanctifiée dans sa chair et dans son esprit, parce qu'elle devait accueillir le Verbe divin, Sainteté absolue.29

Se souvenant de cette tradition, Vatican II affirme:

Ainsi Marie, fille d'Adam,
donnant à la parole de Dieu son consentement, devint Mère de Jésus et, épousant à plein coeur,
sans que nul péché ne la retienne,
la volonté divine de salut,
elle se livra elle-même intégralement. comme la servante du Seigneur,
à la personne et à l'oeuvre de son Fils, pour servir dans sa dépendance et avec Lui, par la grâce du Dieu tout-puissant,
au mystère de la rédemption."30

• La mention de la « beauté» d'Eve s'accompagne naturellement du souvenir du « jardin » de l'Eden; il lui sert de cadre!

Il sera bon de faire observer ici que la pensée biblique judéo-chrétienne voit parfois dans le « jardin » d'Eden le prototype de trois autres « jardins»: le Sinaï, le Golgotha et la Nouvelle Jérusalem. Et dans chacun de ces quatre jardins, apparaissent régulièrement au moins deux éléments: un arbre et, au pied de l'arbre une figure de lemme, créée par la puissance divine comme une épouse-mère, extraordinairement belle. Nous essaierons ici de retrouver ces éléments en chacun des jardins mentionnés, et particulièrement au Golgotha, dont nous ne traiterons qu'en dernier lieu, afin de mettre davantage en relief les éventuelles applications mariales des thèmes traités ci-dessus, particulièrement celui de la « beauté » de Marie à la Croix.

Les quatre jardins

l'Eden: C'est, bien sûr le jardin planté par Dieu (Gn 3,8). En son milieu, Dieu fait pousser l'arbre de vie (On 2,9) Là. nous rencontrons la femme-Eve, que le Seigneur a créée à partir de la côte d'Adam et qu'il lui a présentée comme épouse; Eve est alors devenue. avec la collaboration d'Adam, la mère de tous les vivants (On 2,18-25; 320; 4,1). Le judaïsme, nous l'avons vu, exalte la beauté d'Eve à peine sortie des mains du Créateur.

le Sinaï: Selon certains courants de la pensée juive, la montagne sainte de l'Alliance est considérée comme la réplique du jardin d'Eden. L'arbre situé dans ce jardin est le mont Sinaï lui-même, considéré comme un pommier dont les fruits symbolisent les paroles de la Torah, source de vie. Auprès de cet arbre mystique, voici la Femme-Israël, que Dieu crée (constitue) en tant que son Epouse, la rendant ainsi mère de fils et de filles qu'elle lui enfante" La beauté d'Israël au Sinaï, comme nous l'avons dit, est un des motifs très souvent repris dans la réflexion juive.

la Nouvelle Jérusalem: Le voyant de l'Apocalypse la compare au paradis (l'Eden) de Dieu (Ap 2,74 En son milieu, et sur les rives du fleuve qui l'irrigue, croit un arbre de vie (Ap 2,7; 22,2)...

le Golgotha: L'évangéliste Jean a soin de noter qu'au Golgotha, (le lieu où Jésus fut crucifié, enseveli, et d'où il ressuscita), il y avait un jardin (Jn 1917. 41-42; 20,15)." Ce jardin semble évoquer soit le « jardin » du Cantique, soit le « jardin » d'Eden...

Dans le jardin du Golgotha, s'élève un arbre, qui est la croix de Jésus (Jn 1225). Près de l'arbre se tient la Femme-Marie. Elle qui est déjà mère de Jésus (Jn 2,1; 19,25) est aussi créée (proclamée) par Jésus mère de tous ses disciples, représentés par le disciple bien-aimé qui se trouve là, présent. Les paroles de Jésus: « Voici ton fils... voici ta mère...» (Jr' 19,26-27a) sont elles aussi esprit et vie (Jn 6,64). Elles créent ce qu'elles disent. Cette fois, le Fils crée la Mère! Recevant ce disciple comme son fils, Marie tout comme Eve peut s'exclamer: «J'ai acquis un homme de par le Seigneur!» (Gn 4,1). Elle qui, un jour, était devenue mère du Verbe non du vouloir de la chair, ni du vouloir d'un homme (Jn 1,13 est au singulier), est maintenant constituée « mère » de tous les disciples du Verbe incarné...

Dans cette dernière scène (Jn 1925-27), nous pourrions nous demander s'il y a quelque allusion à la beauté du visage de Marie. La demande ne semble pas hors de propos si nous nous souvenons que dans les trois autres « jardins » décrits ci-dessus (l'Eden, le Sinaï, la Nouvelle Jérusalem), la « beauté» de la femme, épouse et mère créée par Dieu, était un thème obligatoire, en rapport étroit avec la personne d'Eve.

Pour répondre à une telle question, je crois qu'il nous faut ètre attentifs au « sang » et à l'« eau» qui jaillissent du côté du Christ (Jn 19.34). Le « sang » est le symbole de la passion et de la mort de Jésus, tandis que n eau» signifie l'énergie de l'Esprit, fruit du sacrifice que le Christ a fait de sa propre vie jusqu'au sang. Or. l'un et l'autre de ces éléments ont une vertu purificatrice qui enlève les souillures, qui fait renaître à une vie nouvelle. Jean affirme dans sa première Lettre (1.7): «Le sang du Christ... nous purifie de tout péché »; et dans son Evangile: «Si quelqu'un ne renaît de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le Royaume de Dieu » (Jn 3,5) et «Jésus souffla sur eux et dit: Recevez l'Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis » (Jn 20,22)?33

En Marie aussi, se font sentir les effets rédempteurs et sanctificateurs de l'Esprit transmis par Jésus au moment suprême où il scellait de son sang le don de sa vie: « Et, inclinant la tête, il rendit l'Esprit » (Jn 19,30). La tradition de l'Eglise comprendra plus tard que la Vierge, en son Immaculée Conception, fut rachetée « d'une manière plus sublime » (sublimiori modo).34 Mais le fait demeure: elle aussi ne peut resplendir de toute sa beauté qu'en vertu du « sang et de I'« eau » jaillis du côté de son Fils.

En conclusion du thème que nous venons d'étudier, il semble que l'on puisse dire que la beauté d'Eve dans le jardin d'Eden constitue comme la référence idéale chaque fois qu'Israël se renouvelle, depuis le Sinaï jusqu'à l'ère messianique; et dans l'oeuvre du Messie Jésus, l'Eglise apostolique a pu voir s'accomplir ce à quoi elle aspirait. La splendeur d'Eve brillera de nouveau de tout son éclat quand la Nouvelle Jérusalem sera investie de la gloire radieuse du Seigneur Dieu et de l'Agneau. En ce jour, brillera de tout son éclat la beauté que, déjà sur le Golgotha, le Seigneur crucifié répandait sur l'Eglise, représentée là avant tout par la personne de sa Mère. Nous pouvons ainsi mieux identifier dans la Bible les racines probables du thème « Eve-Marie », non seulement dans la scène de l'Annonciation, mais aussi dans la présence de Marie au pied de la Croix.

Une étude du judaïsme ancien comme celle que nous présentons ici, conclut l'auteur, peut aider à approfondir la connaissance réciproque entre juifs et chrétiens, à éveiller l'estime mutuelle pour nos deux traditions qui « sont M parentes quelles ne peuvent s'ignorer ». Elle peut aussi contribuer, pour les chrétiens, à une connaissance plus juste, plus riche, de Marie, la replaçant dans la lignée de ce peuple auquel elle appartient en tant que a fille d'Abraham » et ei fille de Sion s.



Notes
* Le P. Aristide Serra est un prêtre servite de Marie. Il est professeur Cr ECIltUre Sainte à la Faculté théologique pontificale du n Marianum », à Rome.

1. Shabbat 86b et suiv.
2. Cf. l'oeuvre de l'auteur: w Dimensioni ecclesiali della figura di Maria nell'esegesi biblica odierna », in Maria e la Chiesa oggi, Actes du 5e Symposium mariologique international, Rome oct. 1984, Marianum-Dehoniane. ROMaBolagna 1985, PP, 234-235.
3. Shabbat 88a.
4. Erubin 53a.
5. Aboth de Rabbi Nathan 19b, Gen. Rabbah 18,1-2: Berakhot 61a.
6. Cf. Baba Bava 75a
7. Berakhot 61a.
8. Soteh 9b.
9. Gen. Rabbah 40,5.
10. IV Macc 18,6-9 (R Charles, éd. The Apocryphe and Pseudo-Apocrypha cf the 01(1 Testament. vol. II, Clarendon Press, Oxford 1964. p. 684.
11. OP. Cit., P. 681.Beauté d'Israël au Sinaï
12. Shabbat 146e: Yebamoth 103b. Avodah Zarah 22b.
13. Les lignes qui suivent reprennent de façon synthétique certains points déjà traités par l'auteur à d'autres occasions. Cf. Contributi dell'antica letteratura giudaica per rasages! di Gy 2,1-12 e 19,25-27, Herder, Roma 1977, pp. 358-362: « Maiia segno operante di unità dei dispersi figli di Dlo (Jn 11,52) ». in II ruolo di Maria nell'oggi della Chiesa e del mondo, Marianum. Roma 1979. pp. 7779; « Eva. Donna dell'Alleanza E in Parole, Spirito e Vita, N. 13, Janv.-Juin 1986, pp. 173-175.
14. Lev. Rabbah 9.9.
15. Nombres Rabbah 7.1.
16. Livre des Jubilés 6,19 in Charles, op. C
17. Nombres Rabbah 7a
18. Mekhdta de Rabbi Ishmael. Ba Hodesh 5.
19.. Lev. Rabbah 9.9.
20. Les Antiquités Juives, III. 5.1-2.
21 Nombres Rabbah 7.1. p. 22
22. Cent Rabbah 214.
23. Deut Rabbah 3,12.
24. Lettre à Diognète (150 apr. J.C.) XII.7-8 (A. Guetquarelli: I Parsi Apostolmi, Città Nuova. Rama 1978, p. 363).
25. S. Alvarez Campos: Corpus Marianum Patristicum. I, éd. Aldecoa. SA., Burgos 1970, pp. 30-31, N. 34-35.
26. Pour les liens passibles entre l'annonciation à Marie et les traditions du Sinai, cf. voir la note 112 du texte complet auquel nous avons fait référence dans l'introduction à cet article.
27. Alvarez Campos, op. cit., pp. 46-52. N. 79-95.
28. Eusèbe. Histoires Ecclésiastiques V,20. 4-8 (SC N. 41, pp. 61-63).
29. Cf. E. Toniolo. a La presenza dello Spirite Santo in Maria seconde l'antica tradizione cristiana (Ile-IVe siècles)», in Maria e lo Spirito Santo, Actes du 4e Symposium mariologique international, Rome, oct. 1982, éd. Marianum-Dehoniane. Roma-Bologna 1984, pp. 218-228.
30 Concile Vatican IL Constitution dogmatique sur l'Eglise. chap. VII, par. IL Le rôle de la bienheureuse Vierge dans l'économie du salut. N. 56. (Documents Conciliaires, t. éd. du Centurion, Paris 1965. p. 144).
31. Ez 16,8-20. Pour d'autres citations concernant Sion-Jérusalem comme Epouse et Mère de l'Alliance, cf. Serra: Contributi dell'antica letteratura pp. 3316325 (cf. note 13 pour référ)
32. M.R. James: éd. The Apocriphal New Testament, The Gospel of Peter, 24 (the garder, of Joseph) Oxford, Clarendon Press 1972, p. 92.
33. On trouvera les références dans l'étude de l'auteur: «Dimensions ecclesiali...» (cf. note 2). p. 318, note 290.
34. Art cit., pp. 334-341; et aussi «Eva, Donna delPAlleanza », pp. 186-188 (cf. note 13).
35. Art. cit.. pp. 339-341.

 

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