| |

SIDIC Periodical XV - 1982/3
François et le Hassidisme (Pages 21 - 22)

Other articles from this issue | Version in English | Version in French

Hassidisme et spiritualité franciscaine - Similitudes et divergences
Kurt Hruby

 

Une interview du P. Kurt Hryby par Renée de Tryon-Montalembert

Renée de T.M.
Lorsqu'on parle du hassidisme, on le présente souvent avec des caractères qui font penser à certains mouvements de réveil, et, plus précisément, à cette efflorescence spirituelle qui e donné naissance aux Ordres mendiants, à l'Ordre franciscain notamment.
Cette impression est-elle fondée?


K. Hruby
Oui cette impression est fondée dans la mesure ou on met les accents comme il faut. Parce qu'il faut bien reconnaître que la terminologie que nous employons et à très juste titre dans le domaine de la spiritualité est une terminologie informée par la théologie chrétienne.
Or dans le judaïsme les choses se passent un peu différemment.
Le hassidisme est un mouvement de réveil dans ce sens qu'il est l'héritier direct de ce revint spirituel qu'est 'le mouvement mystique, M mouvement cabbaliste. Il est, plus particulièrement, l'héritier de l'essor mystique de l'école de Safed autour de la personne de Rabbi Isaac Louria qui, comme vous M savez, est mort en 1572. Le hassidisme pourtant apporte une note qui lui est spécifiquement propre: tandis que Rabbi Lowie dans sa doctrine spirituelle, a mis l'accent sur une :purification permanente de l'homme qui prend un caractère très austère, le BAAL SHEM TOV, le fondateur du hassidisme, insiste particulièrement sur l'élément de joie et d'épanouissement spirituel dans le service du Créateur.
Etant donné que le judaïsme est, !par définition, une fidélité à la volonté de Dieu exprimée dans les comman mouvements autour des grands prophètes d'Israël —sont non pas tellement une réaction qu'une tentative de rétablir un équilibre mais je voudrais souligner que le hassidisme, comme tous les mouvements mystiques, comme tous les mouvements de réveil dans le judaïsme, est basé sur une absolue fidélité lui :aussi à cette législation de la Torah, à cette exigence divine qui est la base môme de l'Alliance.
Evidemment ce qui est nécessaire c'est un dépassement spirituel mais un dépassement en pleine fidélité. Alors je crois que étant soulignés les éléments essentiels, nous pouvons et très légitimement faire un rapprochement entre ce qui se passe dans le hassidisme d'une part et ce qui se passe dans la spiritualité franciscaine d'autre part pour la simple raison que tous les mouvements spirituels authentiques sous n'importe quel horizon et plus particulièrement les mouvements basés sur la Parole de Dieu telle qûelle pous est révélée dans la Bible présentent des similitudes, des affinités et des liens de parenté.

Renée de T.M.
Certains traits de la biographie du Baal Shen, Tov évoquent plus d'un épisode des FIORETTI, voir de la vie de SAINT SERAPHIN DE SAROV, qui, s'il n'était pas franciscain, demeure, sur plus d'un point, très proche de saint François.,
De tels rapprochements sont-ils légitimes?


K. Hruby
Oui, je reprendrai tout simplement ce que j'ai déjà dit en réponse à la première question que vous m'avez posée: II y a un trait particulier dans la vie du Baal Shem, c'est la redécouverte de la nature, Et cette redécouverte a été négligée à cause d'une interprétation traditionnelle qui remonte assez loin. En effet, il est écrit dans les Pirké Aboth, Ms maximes des Pères, que celui qui. chemin taisant, médite :les paroles de la Torah et qui s'arrête à un moment donné pour contempler un bel arbre ou bien un champ ensemencé, n'a aucune part au monde à venir parce qu'il a !accepté cette distraction causée par l'admiration de l'Univers créé. Or, la révélation mystique du Baal Shem (je crois qu'il s'agit d'une révélation mystique authentique et que nous pouvons effectivement utiliser ce terme), cette révélation avait lieu pendant son séjour dans les Carpathes. Pendant la semaine, sauf le jour du Shabbat. Il vivait donc en contact étroit avec la nature, c'est là une affinité très palpable, concrète, à la fois avec la spiritualité franciscaine et avec le grand personnage de la mystique orthodoxe qu'est Séraphin de Serov.

Renée de T.M.
La Iole des hassidim, la Iole franciscaine, n'est-ce pas là que les spiritualités hassidique et franciscaine peuvent, le plus authentiquement, trouver leur terrain de rencontre?

K. Hruby
C'est incontestable. Et là encore je vous rappelle que le trait propre de la spiritualité hassidique par rapport à la spiritualité de la cabbale et à celle de Safed consiste en ceci que le Baal Shem, et à sa suite l'ensemble des grands maitres du hassidisme ont mis l'accent sur la nécessité de servir Dieu non pas dans la contrainte mais dans la joie en interprétant d'une manière nouvelle et en même temps ancienne, le verset du psaume ir Servez le Seigneur dans la joie».
Or je crois que toute attitude mystique authentique doit aboutir à la même conclusion, au même résultat, par un dépassement de tout ce qui est contrainte, de tout ce qui peut retenir l'âme encore dans les liens terrestres, la véritable libération spirituelle, qu'elle soit franciscaine, qu'elle soit hassidique, se traduit par cet élément de joie spirituelle et de joie permanente.

Renée de T.M.
Si les points communs entre la spiritualité hassidique et la spiritualité franciscaine sont multiples et certains, les divergences ne doivent pas être négligées non plus.
Comment se manifestent-elles?


K. Hruby
En ce qui concerne les divergences il faut encore remonter à la moine. Malgré tous les éléments communs. il y a des divergences essentielles entre la vision chrétienne d'une part et la vision juive d'autre part; parce que, quelle que soit la forme que prend une spiritualité chrétienne, le centre d'une telle spiritualité ne peut être que la personne du Christ.
Déjà cet élément d'union à Dieu doit être conçu très différemment dans le judaïsme, parce que dans la mystique on parle d'union à Dieu — et il existe une terminologie très concrète à cet égard — mais une telle union ne peut jamais, comme en certains courants de spiritualité chrétienne, aboutir à une véritable e fusion spirituelle» (le terme est trop fort, je le sais bien, c'est pourquoi je le dis entre guillemets).
Dans le judaïsme, la distance — je ne veux pas parler de tossé — la distance qui est de toujours entre le Créateur et la créature, cette distance qui est inscrite dans l'ordre et le mécanisme de la création reste sauve-gardée. Pour employer une terminologie chère à la mystique, le mystique »se colle à Dieu ». Il s'agit donc d'un mouvement d'union qui est très fort, mais qui respecte toujours certaines limites et une certaine distance. Il est vrai, par ailleurs, qu'en parlant da certains courants de spiritualité chrétienne, je pensais surtout à certaines formes d'une mystique chrétienne poussée dans ses derniers retranchements et peut-être pas tout à fait authentique, comme la mystique qui s'efface totalement pour se confondre presque avec la lumière divine émanant du Christ, telle qu'on peut la rencontrer chez Maitre Eckhart.

Renée de T.M.
On parle d'un renouveau actuel du hassidisme. En quoi ce renouveau de vitalité, ce grand mouvement de la spiritualité luive peut-il nous concerner en tant que chrétiens, et. plus spécialement en tant que disciple de saint François?

K. Hruby
Le renouveau hassidique est une réalité si nous tenons compte de ce fait que les centres de vie hassidique qui ont existé jusqu'au moment de l'Holocauste en Europe. surtout en Europe orientale, ont sombré dans la tourmente.
Il y a quelques maîtres qui ont survécu et qui ont réussi, d'une manière souvent admirable, à recréer de véritables centres de Vie spirituelle, particulièrement aux Etats-Unis, mais aussi partiellement en Israël.
faut faire abstraction, dans ce domaine, des éléments qui apparaissent folkloriques et s'attacher au véritable tond spirituel des choses. Personnellement, je crois que le hassidisme a un message encore très actuel. Je me permettrai de citer le mouvement de Loubavitch qui fait une adaptation nécessaire à notre monde actuel, qui tient compte de toutes les réalités de la vie moderne et qui essaye d'exercer une véritable influence spirituelle à tous les niveaux et de promouvoir de cette manière un réel ressourcement.
Je crois que toute spiritualité chrétienne actuelle — et à plus forte raison la spiritualité franciscaine — est concernée très directement par des phénomènes de ce genre dans le judaïsme pour la simple raison que, malgré les séparations historiques, malgré toutes les incompréhensions séculaires, le lien profond ce que l'apôtre Paul appelle la » racine commune» entre le judaïsme et le christianisme, ce lien n'a jamais été coupé. Nous savons que nous devons cheminer (et cela il faut ka dire encore une fois avec Paul) jusqu'à l'entrée de la plénitude des nations, c'est-à-dire le temps eschatologique. parallèlement avec le judaïsme, un judaïsme qui conserve toute son authenticité, sa mission et sa fonction au niveau du plan de Dieu. Et cette mission même comporte a toutes les époques, ce que nous avons dit des débuts mêmes du mouvement hassidique, ce retour à une spiritualité authentique dont nous avons grand besoin et dans le judaïsme et dans le christianisme.



Le Père K. Hruby est professeur de judaïsme à l'Institut Catholique de Paris; il est aussi un ami et conseiller de SIDIC depuis des années.

 

Home | Who we are | What we do | Resources | Join us | News | Contact us | Site map

Copyright Sisters of Our Lady of Sion - General House, Rome - 2011