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SIDIC Periodical XIV - 1981/3
Le pèlerinage en Terre sainte (Pages 08 - 12)

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Le pèlerinage chrétien
Alberto Casalegno

 

Le pèlerinage chrétien, comme le pèlerinage juif, se fonde sur la dimension historique de la révélation biblique. Il n'est pas possible que cette terre, qui a été le théâtre d'interventions particulières de JHWH au cours de l'histoire de son peuple, ne conserve pas pour l'homme de foi une valeur profonde et un sens particulier.

Entrer en contact avec elle à la lumière de la Parole de Dieu est un moyen très concret non seulement d'approcher avec vénération les grands événements qui ont marqué le dialogue de Dieu avec l'homme mais aussi, en même temps, de redécouvrir sa propre origine, ses propres racines. Les expériences vécues sur cette terre par le peuple de l'Alliance, celle de l'esclavage, de la libération, du péché, du don définitif de la grâce en Jésus-Christ, sont en effet des constantes qui modèlent l'existence de chaque croyant.

Aussi la terre de la Bible a-t-elle été, pour les chrétiens, un pôle d'attraction continuelle et, dès les origines du christianisme, le but de pèlerinages toujours plus fréquents. Leur premier motif était évidemment de visiter les lieux évangéliques, ceux où Jésus avait vécu. Cependant, la foi des pèlerins en Jésus Messie et accomplissement définitif des promesses, leur sens de l'unité des deux Testaments et de la valeur typologique de l'Ancien par rapport au Nouveau, contribuèrent à éveiller, particulièrement pendant les premiers siècles, un intérêt considérable pour les lieux ou pour les personnages de l'Ancien Testament. C'est de là qu'est né, chez les chrétiens, le désir d'une expérience globale, d'une documentation plus complète, plus directe.

Témoignages historiques

L'afflux des pèlerins commence déjà avant la paix constantinienne. Dans son Histoire Ecclésiastique, Eusèbede Césarée rappelle la visite en Palestine de Méliton de Sardes en 150 ap. J.C.; il était mû, dit-il, par le désir de faire des recherches sur le canon de l'A.T. et « de découvrir les traités de la Loi et des Prophètes qui concernent notre Sauveur et notre foi toute entière»! Eusèbe mentionne aussi le voyage d'un évêque de Cappadoce, Alexandre, se rendant à Jérusalem en 202 ap. J.C. « pour prier et visiter les lieux saints w? Ces deux pèlerins seront suivis par d'autres, dont Origène est un des plus illustres (216 ap. J.C.). Même si leur nombre est encore limité, le fait qu'il s'agisse de personnalités de premier plan prouve bien le vif intérêt porté, déjà dans les trois premiers siècles, au pays de la Bible.

Après l'édit de Milan, le voyage d'Hélène à Jérusalem (326 ap. J.C.) et le début des travaux de construction des premières basiliques,' le nombre des visiteurs augmente à tel point qu'on peut parler d'une affluence du monde entier.' Citons, parmi les plus illustres, Jérôme suivi de Paule et d'Eustochium, et de Mélanie avec sa fille du même nom; et encore Basile, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Gaudence de Brescia et Ambroise de Milan? A ces noms fameux viennent s'ajouter ceux d'inconnus comme le Pèlerin de Bordeaux (330 ap. J.C.), Ethérie et l'auteur du Bréviaire de Jérusalem à la fin du 4° siècle; puis, 200 ans plus tard, l'Anonyme de Plaisance (570 ap. J.C.).

Les Itineraria que nous ont laissés justement ces personnages de second plan, souvent inconnus, nous permettent de deviner tant soit peu les difficultés du voyage depuis l'Europe jusqu'en Palestine, sa longueur, ses incommodités, ses risques; mais, le but une fois atteint, la note dominante chez les pèlerins est l'enthousiasme d'être enfin arrivés, la volonté de visiter avec soin les sites bibliques, le désir de les parcourir à leur tour, de se rendre compte par eux-mêmes, de toucher, et tout cela avec une énergie que la fatigue même ne viendra pas entamer, poussés qu'ils sont par une extrême curiosité pour chaque site, chaque tradition. Cet enthousiasme se retrouve tout au long du Journal de voyage d'Ethérie; elle nous y apparaît comme douée d'une exceptionnelle puissance émotive et d'une intarissable capacité d'émerveillement. Déjà Paule avant elle, selon le témoignage de Jérôme, avait été envahie d'une profonde émotion à la vue de l'église du Saint Sépulcre, « prosternée devant la croix, elle l'avait adorée comme si elle avait contemplé le Sauveur suspendu au bois sacré... »2

Comme Ethérie, particulièrement, nous le décrit, il existe des modalités précises selon lesquelles se déroule son pèlerinage, comme celui des autres fervents pèlerins. La visite des lieux saints s'accompagne de prière et de la lecture de l'Écriture. «C'était notre coutume, chaque fois que nous pouvions accéder au lieu désiré, de dire d'abord une oraison, puis de lire le passage correspondant dans la Bible, de réciter aussi un psaume approprié, enfin de conclure en disant de nouveau une oraison »Y Le pèlerinage, de plus, ne se fait pas seul; chaque fois que c'est possible, on tâche de profiter des rencontres fréquentes avec les moines, les prêtres ou les évêques du lieu. Ce sont eux qui offrent l'hospitalité, et ils ne laissent pas partir la pèlerine sans lui offrir de petits cadeaux, des fruits, des douceurs (les « eulogie »); ils lui font connaître des traditions locales qui ajoutent au charme du voyage, même si elles ne correspondent guère à la véracité des faits. C'est grâce à un prêtre du lieu « auquel nous avions demandé de venir avec nous parce qu'il connaissait mieux ces lieux » 9 qu'elle arrive à cette eau jaillie du rocher par la main de Moïse. Le séjour prolongé auprès des lieux saints dont pouvaient jouir les pèlerins de l'Antiquité leur permettait une large participation aux temps liturgiques importants de l'année.

Ethérie, qui se fixe en Palestine pour environ trois ans, nous fait un compte-rendu émouvant des grandes célébrations du temps pascal à Jérusalem. Ainsi nous comprenons bien que la participation à la liturgie fait généralement partie intégrante du pèlerinage des premiers siècles, liturgie par laquelle le mystère, déjà contemplé à la lumière de la Parole sur les lieux mêmes de sa révélation, est réactualisé et rendu efficace.

Outre cet aspect plus spirituel, mis particulièrement en lumière dans le Journal de voyage d'Ethérie, ce qui frappe en général dans les récits des pèlerins, c'est leur sens aigu de l'observation, leur attention aux détails. Nous en avons de très nombreux exemples. Si les basiliques de Jérusalem et celle de Bethléem sont mentionnées dans tous les Itineraria, l'Anonyme de Bordeaux nous parle aussi de la piscine de Jérusalem à cinq portiques," des deux statues d'Adrien près du temple païen dans la région du sanctuaire juif." Dans les fragments d'Ethérie conservés grâce à Pietro Diacono, il est signalé qu'à Capharnaum « la maison du Prince des Apôtres a été transformée en église, mais que les murs en sont restés intacts ».12 Le Pèlerin de Plaisance nous parle de trois basiliques sur le Thabor et de celle de Jean Baptiste en Samarie." Ce qui frappe aussi, c'est l'exactitude des descriptions topographiques: « la montagne (du Sinaï), quand on la voit de près, semble être unique, mais quand on y pénètre, on se rend compte qu'elle est composée de plusieurs »," Tout aussi intéressantes sont les mentions faites de coutumes particulières: au mont de Moïse, « tous se coupent la barbe et les cheveux en signe de dévotion, et ils les jettent à terre »; les Sarrasins y vénèrent « une idole blanche ».'5 Une vraie mine d'informations utiles pour l'archéologie et pour la connaissance des coutumes de l'époque!

La dévotion aux reliques, même si leur authenticité est parfois plutôt douteuse, est un autre aspect de ces antiques pèlerinages: on vénère le calice de la dernière Cène, la colonne de la flagellation du Christ etc... et même la chitine de fer avec laquelle Judas s'est pendu et le lit du paralytique guéri par Jésus. Il semble qu'au cours des siècles ces reliques aient joui d'un prestige croissant et qu'on leur ait attribué toujours plus d'importance. A côté de ces dévotions, il y a aussi des gestes de piété personnelle, comme celui de l'Anonyme de Plaisance écrivant les noms de ses parents à Cana.16

Mais si l'élan religieux, la dévotion, est bien vivant, on ne porte pour ainsi dire aucun intérêt à la population du pays. Seul le Pèlerin de Plaisance mentionne occasionnellement l'hostilité des Samaritains envers les chrétiens comme envers les juifs: ceux-ci n'acceptent son argent qu'après l'avoir plongé dans l'eau et purifié;" rapportant la légende de la beauté particulière des femmes juives de Nazareth qui est un don de la Vierge Marie, il note que « même s'il n'existe pas d'amour entre les juifs et les chrétiens, celles-ci en sont par contre comblées »," ce qui est pour nous un témoignage sobre mais fort du fossé séparant les deux religions, de la division à laquelle se sont heurtés concrètement ces pèlerins.

Ce qui ressort des écrits de ces premiers visiteurs des sites bibliques, c'est le sens que leur expérience a quelque chose de rare et de grand prix: malgré ses imperfections, elle est pour eux l'occasion d'affermir leur foi, elle leur permet une meilleure compréhension de PEcriture, elle est source d'une véritable contemplation.

Mais à ce choeur de voix enthousiastes certaines notes plus critiques ne font pas défaut; elles donnent au pèlerinage sa juste dimension et mettent en garde contre les dangers qu'il comporte. Jérôme déclare à Paulin de Nole: « Ce n'est pas un titre d'honneur de résider à Jérusalem, mais cela peut l'être si l'on vit selon le bien »; en fait « de l'emplacement de la croix et de la résurrection ne tire profit que celui qui porte chaque jour sa croix ».'° Dans cette même lettre, Jérôme ajoute un commentaire amer au sujet de Jérusalem: il y a là ç un prétoire, une caserne militaire, des femmes de mauvaise vie, des mimes, des parasites, comme on en trouve généralement dans les autres villes »; il y a même « une foule d'hommes et de femmes qui sont contraints à supporter certains spectacles qu'ils réussiraient bien, ailleurs, à éviter ». Ces remarques assez dures, qui concordent avec celles de Grégoire de Nysse," ne diminuent d'ailleurs en rien l'importance que le même Jérôme attache à la visite ou à un séjour aux lieux saints; et il en donne une preuve évidente en invitant avec enthousiasme ses amis de Rome à venin" elles ne diminuent en rien non plus l'attrait que lui-même ressent pour ces lieux.

Rien ne pourra arrêter les pèlerinages, ni les controverses dogmatiques, ni les luttes des Pontifes contre les Patriarches, ni les invasions perses, ni la conquête musulmane. Au r siècle, le pèlerinage à Jérusalem va même être considéré comme une pénitence canonique et comme une occasion unique de s'amender pour toujours. C'est le but auquel tend St Aderald « désireux de passer du bien au mieux et de marcher de vertu en vertu », et St Silvin de même affirme « être né de nouveau et avoir été refait de l'intérieur ».32 A cette époque plus tardive, on voit se développer une véritable spiritualité du pèlerinage qui, de personnel, devient collectif. Nombreux sont alors ceux qui renoncent à leurs biens dans leur propre pays pour se contraindre à ne pas y revenir. Le désir suprême est, en effet, de mourir à Jérusalem, au lieu même de la mort du Rédempteur, dans l'espoir d'être plus sûrement sauvé. Alors qu'entre le 4e et le 6e siècle on pouvait parler d'une « tradition juive » du pèlerinage, consistant dans la visite à la fois des lieux saints chrétiens et vétéro-testamentaires, au cours des siècles qui suivent Jérusalem et les sites de la Passion concentrent peu à peu tout l'intérêt du voyage, d'autant plus qu'une visite plus complète est rendue impossible par les autorités musulmanes. Dans les âmes plus élevées spirituellement, prévaut la conscience que la Jérusalem terrestre n'est qu'un symbole de celle du ciel; on tend à voir, par delà les yeux de la chair, cette Jérusalem connue par les yeux de la foi. La perspective devient donc eschatologique.

Le pèlerinage de nos jours

Il est d'une importance fondamentale, aujourd'hui comme jadis, de prendre un contact personnel avec les sites bibliques et de lire l'Écriture sur les lieux mêmes où elle a pris naissance. Cette démarche présente beaucoup d'avantages. Le chrétien moyen, habitué trop souvent à ne lire que l'Evangile seulement, n'a guère conscience que l'annonce néo-testamentaire est le point culminant d'une longue histoire d'interventions salvifiques de Dieu en faveur de son peuple. De cette histoire, il n'a souvent qu'une notion confuse, il ne perçoit pas l'ampleur du développement historique, le sens théologigue des événements les plus saillants. Même en ce qui concerne les lieux évangéliques, il n'a que de vagues notions, souvent bien approximatives, ignorant leur localisation précise, la topographie de la région, le cadre dans lequel se sont déroulés les événements. Un voyage en Terre sainte vient donner une saveur nouvelle aux pages de la Bible qui, jusque là, souvent sont restées muettes, inexpressives. Le silence, l'étendue de sable, la solitude du désert, les oasis éparses, les tentes des bédouins évoquent concrètement la vie des patriarches. Peut-être Abraham vivait-il dans des conditions semblables quand il eut la certitude de son élection. La longue montée à Jérusalem, la beauté de ses murailles, le grouillement de la foule, nous donnent une bonne image, bien que pâle, de la Jérusalem du temps des prophètes ou de Jésus de Nazareth. Quant à la fertilité de la plaine d'Esdrelon, la solennelle majesté du lac de Galilée, la beauté de la Samarie, l'aspérité du Carmel, ils nous permettent de mieux comprendre non seulement les épisodes de la vie du Christ, mais aussi l'histoire des tribus, de la monarchie, des prophètes.

Souvent aussi, l'on n'a du Christ qu'une idée partielle, parce qu'on n'attribue pas toute sa valeur à sa véritable humanité. Même lorsqu'on le reconnaît comme Sauveur, souvent on ne le saisit pas dans l'humus concret de sa culture originelle. Le pèlerinage est l'occasion unique d'approfondir ce sens que l'incarnation du Fils de Dieu s'est faite dans un milieu humain et religieux juif, et d'en tirer les conséquences logiques.

Un parcours théologique

A la différence des pèlerinages anciens, où l'on était contraints par les difficultés de la route à un itinéraire précis et à la visite des lieux tels qu'ils se succédaient au long du parcours, il est possible, dans nos pèlerinages actuels, d'entrer en contact avec la Terre sainte en suivant un itinéraire plus conforme à la perspective théologique chrétienne. Le point de départ qui paraît préférable est la basilique du Calvaire et de l'Anastasis, là où a retenti la grande nouvelle: « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant? u (Lc 24,5). Faire un pèle. rinage signifie, en fait, relire l'histoire biblique, et particulièrement les récits évangéliques, avec cette certitude que Jésus de Nazareth, celui vers qui tend toute cette longue histoire, est ressuscité et est entré dans la gloire. Cette certitude fait lever le regard d'abord vers le ciel où il a été intronisé comme Seigneur; elle fait naître chez le croyant l'attente de l'eschaton, ce jour du retour du Christ où il instaurera le Règne dans sa plénitude: elle met au premier plan le désir de le connaître dans la foi, à la lumière de la Parole et par la puissance de l'Esprit. La visite des sites évangéliques, témoins éloquents de l'existence historique du Sauveur, même sielle ne perd rien de son importance, se trouve de ce fait en quelque sorte relativisée.

La perspective pascale permet en outre une véritable intelligence (intus legere) de bien des passages de l'Evangile, et d'en saisir vraiment la portée théologique, puisque c'est dans cette foi et à cette lumière qu'ils ont été écrits. Le pèlerin se libère ainsi de la tentation de considérer l'Evangile comme une chronique de la vie de Jésus. Une telle optique rend le visiteur plus disposé à apprendre, sans en être troublé, qu'on ne peut trouver pour chaque soi-disant lieu saint les éléments concrets prouvant son authenticité; et cela l'aide à fonder sa foi sur la seule Parole de Dieu et sur la véritable tradition de l'Eglise, sans qu'il ait besoin de rechercher de fausses sécurités et de s'abandonner à une crédulité facile.

La résurrection du Christ devient aussi pour le chrétien une clé de lecture qui lui permet de découvrir le sens profond de bien des événements de l'A.T.; car même si ces événements ont leur autonomie propre et s'ils doivent être compris selon le sens qu'ils ont en eux-mêmes dans leur contexte historique, il est vrai aussi qu'à la lumière de l'événement de Pâques le voyage au Sinaï, lieu où Yahvé remporta sa première victoire (annonce prophétique de la victoire de la croix), acquiert une dimension nouvelle. De la même manière, la visite à Shekhem, à Beersheva ou à Mambré prend un sens différent lorsqu'on croit que la Promesse faite à Abraham a été réalisée dans le Christ. Lorsqu'on lit l'Ecriture dans cette perspective, on saisit mieux l'unité et la cohérence du grand dessein salvifique de Dieu.

L'archéologie

Il est souhaitable de faciliter au pèlerin, surtout quand il a l'occasion de faire plusieurs fois le voyage, une approche attentive et, dans la mesure du possible scientifique même, des récentes découvertes archéologiques. Cet intérêt pour l'archéologie, s'il reste équilibré, s'intègre bien à la dimension spirituelle du pèlerinage; il en devient même un élément indispensable, permettant de prendre conscience de la diversité et du concret des expériences vécues sur cette terre de la Bible. Les fouilles anciennes de Shomron et de Meggido nous mettent en présence des diverses cultures qui se sont succédé en Palestine à l'époque de l'A.T., culture cananéenne, juive, puis hellénistique. Un examen attentif des découvertes faites récemment lors des fouilles au Mur Sud du Temple de Jérusalem nous permet de mieux comprendre comment se présentait l'enceinte sacrée à l'époque de Jésus. Les vestiges constantiniens et ceux des Byzantins et des croisés, qui se retrouvent en couches successives dans les lieux les plus chers à la chrétienté, témoignent de la chaîne ininterrompue d'intérêt et d'amour dont ces lieux ont été continuellement entourés. Si les vestiges archéologiques de l'époque biblique n'ont pas le caractère grandiose de la civilisation gréco-romaine et s'il peuvent ne sembler, aux yeux du profane, que de simples tas de pierres, n'oublions pas que même les pierres peuvent parler, mais à condition que nous sachions les écouter.

Le dialogue œcuménique

Une nouvelle dimension vient s'ajouter au pèlerinage contemporain, celle du dialogue oecuménique. Dans cette nouvelle unité politique qu'est l'Etat d'Israël, une bonne partie de la population a voulu retrouver le rythme de la vie religieuse juive, faisant revivre les traditions liturgiques, célébrant les fêtes avec solennité. Un voyage en Israël peut être l'occasion précieuse, particulièrement pour le pèlerin déjà sensibilisé à ce genre de dialogue, d'entrer vraiment en contact avec le judaïsme religieux. Une telle rencontre peut véritablement aider le chrétien à reconnaître (peut-être à découvrir) la valeur des traditions juives liturgiques, targumiques, midrashiques, traditions capables d'éclairer, de rendre plus pénétrante sa lecture du NT.; il sera ainsi amené à mieux apprécier la signification théologique du judaïsme contemporain, ce qui l'aidera à approfondir le sens de sa vie chrétienne. Les juifs de leur côté, la vie en « Eretz Israël » leur permettant de mieux définir, conserver une identité si souvent menacée par de longs siècles de diaspora, se trouvent davantage enclins à se reposer le problème de Jésus de Nazareth que Martin Buber appelait affectueusement « le grand frère juif ».

Le trait caractéristique du peuple chrétien est d'être un peuple appelé par Dieu à cheminer vers la terre promise, vers le festin eschatologique. Sa spiritualité propre est donc celle de l'Exode. Ce trait essentiel est souligné par la Parole divine et il est vécu constamment à travers les signes de la liturgie chrétienne. A trois reprises, au cours de la célébration eucharistique: à l'entrée, à l'offertoire et à la communion, a lieu une procession dont le but est d'exprimer (même si souvent on ne la comprend plus ainsi) cette dimension de la vie du croyant en ce monde, celle d'un pèlerin en marche vers Dieu. Jadis cet aspect itinérant de la vie chrétienne était bien marqué aussi par les processions des stations du carême, auxquelles d'ailleurs s'ajoutaient des pratiques de pénitence. L'architecture de l'église latine classique elle-même, avec sa nef allongée dirigée vers l'abside dominée par l'image du Pantocrator, contribue à rendre sensible l'idée que nous sommes en route. Avec une telle conception, à la fois biblique et ecclésiale de la vie chrétienne, il est naturel que les pèlerinages en Terre sainte aient pris tout leur sens et qu'ils se soient développés comme temps forts de ressourcement spirituel, comme expérience fondamentale contribuant à développer une dimension essentielle de la vie du croyant. Mais, comme le rappelait déjà Jérôme, il ne suffit pas de faire un pèlerinage: la véritable réussite dépend de la disposition de chacun à parcourir avec foi, avec un coeur nouveau, avec une volonté de conversion, l'itinéraire d'un voyage qui, autrement, ne serait qu'un parmi tant d'autres.



* Le Père Alberti, Casalegno est professeur d'exégèse du N.T. à la Faculté Pontificale de Cagliari, en Sardaigne. Il guide en Terre sainte des voyages d'étude à la fois bibliques, archéologiques et oecuméniques.
1. Histoire Ecclésiastique IV, 26, 14. PG 20, 396.
2. H.F. VI, 11, 2. PG 20, 547.
3. Cf. Eusebius, De vita Constantine III, 25-43. PG 20, 1085-1106.
4. Hieronymos, Ep. 46, 10. PL 22, 489.
5. Leclercq H., « Pèlerinages aux lieux saints », in Dictionnaire d'Archéologie chrétienne et de Liturgie, XIV, Letouzey-Ané, Paris 1939, coll. 65-176.
6. Itineraria et alia geographica, in Corpus Cbristianorum, Serin Latina 175, (CCL), Brepols, Turnholt, 1965. N.B.: Les passages cités de l'Itinerarium Burdigalense, de l'Itinerarium Egeriae, de ]'Antonini Placentini Itinerarium, du Petri Diaconi liber de lotis sanctis, sont cités d'après cette édition et selon ses divisions.
7. Ep. 108, 9. PL 22, 183184.
8. Itinerarium Egeriae, in CCL, X, 7. N.B.: Dans le texte latin, on trouve le nom de Egeria qui correspond au nom habituel d'Ethérie en français.
9. Idem X, 8.
10. Itinerarium Burdigalense, in CCL, 589, 9.
11. Idem 591, 4.
12. Petri Diaconi liber de lacis sanctis, in CCL, p. 98.
13. Antonini Placentini Itinerarium, in CCL, 6.
14. Itinerarium Egeriae, in CCL, 11, 3.
15. Antonini Placentini Itinerarium, in CCL, 37. 38.
16. Idem 4.
17. Idem 8.
18. Idem 5.
19. Ep. 58, 2-4. PL 22, 580-582.
20. Ep. 2. PG 46, 1009-1015.
21. Ep. 47, 2. PL 22, 493.
22. Alphandery P. - Dupront A., La cristianità e l'idea di crociata, Mulino, Bologna 1974, chap. 1: « Pellegrinaggi e crociate », pp. 19-48, citent respectivement la Vita Aderaldi, chap. 11, in AASS, Oct. VIII, p. 992 et la Vita Silvini, chap, 1, 9, in AASS, Fevr. III, p. 30.
Outre les textes mentionnés, voir livres plus généraux:
Koop C., « Pèlerinages aux lieux saints antérieurs aux croisades », in Dictionnaire de la Bible Supplément VII, Letouzey-Ané, Paris 1966, coll. 586-605.
Koetting B., Peregrinatio religiosa, Wallfahrten in der Antike und das Pdgerwesen in der alten Kirche, Regensburg-Muenster 1950.
Oursel R., Pellegrini del Medio Evo, Jaca Book, Milano 1979.
Pietrella E., « I pellegrinaggi ai luoghi santi e il culto dei martiri in Gregorio di Nissa », in Augustinianum I (1981), 135-151.

 

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