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Les paraboles dans la catéchèse
Sofia Cavalletti
Ce qu'est la parabole
La parabole peut être considérée aussi comme une méthode d'enseignement et, du point de vue de la catéchèse. ce second aspect présente un intérêt particulier. La parabole est en effet la méthode d'enseignement de Jésus: « Il ne leur parlait qu'en paraboles » (Mt 13,34). Ce fait ne peut être négligé quand il s'agit de transmettre le message chrétien.
Elle est ouverture sur le Mystère
Dans l'enseignement catéchétique — particulièrement dans le cas des enfants, mais aussi dans celui des adolescents — il était courant de se servir de définitions, c'est-à-dire de formulations élaborées par certains théologiens, cherchant à condenser en peu de mots, et avec la prétention d'être exhaustifs, les principales vérités de la foi. Ces formulations étaient destinées à être apprises par coeur, telles quelles. Le terme même de » définition » exprime une limitation, le fait d'enfermer dans des frontières. Il semble étonnant que la définition ait été d'un emploi si courant, alors qu'il s'agit de transmettre ce qu'il est donné à l'homme de cormaitre du Mystère infini. Mystère infini et définition se présentent comme deux contraires, n'ayant aucun rapport entre eux: Alonso-Schokel ne demande pas qu'on essaie de trouver de meilleures formulations, mais plutôt que l'on prenne conscience du fait que la formule tend à restreindre et à déformer le donné scripturaire.(1)
La parabole, au contraire, « croit en quelque sorte avec les lecteurs, selon l'expression de St Grégoire le Grand; les personnes incultes la découvrent, les hommes cultivés la trouvent toujours nouvelle »(2) Contrastant avec la fixité de la définition, la parabole porte en elle-même une vitalité toujours nouvelle, un dynamisme jamais épuisé. Elle présente le message x comme une noix enfermée dans sa coque », selon l'expression de St Jérôme, c'est-à-dire comme une réalité précieuse qu'il faut chercher pour trouver. Nous pourrions multiplier les exemples ... et la comparer à un bijou enfermé dans un écrin et enveloppé de plusieurs épaisseurs de papier, ce qui exige un patient labeur avant qu'on puisse le contempler et en jouir pleinement; ou à une maison qui, derrière sa façade, cache un grand nombre de chambres, et dans laquelle on doit entrer lentement, sur la pointe des pieds, avec vénération.
Elle est composée de deux éléments
La parabole, en effet, se compose de deux éléments: l'un pris en général dans la vie ordinaire et rapproché de façon inattendue, le second se situant sur le plan métaphysique (par ex. « le Royaume de Dieu est semblable à une femme qui pétrit le pain »). Plus la différence est grande entre les deux plans, plus grand est « l'événement linguistique», c'est-à-dire la capacité, pour la parabole, d'ouvrir des horizons nouveaux sur le Mystère et de faire surgir de nouvelles possibilités dans la situation des auditeurs.
Les deux éléments de la parabole ne sont pas. en effet, rapprochés arbitrairement, à partir d'une ressemblance purement formelle et extrinsèque, de par l'imagination créatrice d'un auteur qui ne serait capable de susciter chez les auditeurs qu'un effet visuel, extérieur. Si nous disons qu'un homme est fort comme un lion ou qu'il tombe comme un arbre etc..., nous disons de cet homme quelque chose qui ne correspond pas à son être véritable. La comparaison est une création extérieure à l'élément comparé, quelque chose qui vient s'ajouter arbitrairement.
Le rapprochement des deux éléments constitutifs de la parabole est d'une toute autre nature: le lien qui les unit se situe au niveau ontologique, et il se justifie par la nature même des deux éléments. Il n'est pas le fruit de la fantaisie, de la part de qui le perçoit et l'exprime, mais d'une particulière pénétration de la réalité, d'une capacité à découvrir et à révéler un lien intrinsèque entre des éléments qui portent, mais à des niveaux divers, un unique mystère. Dans la pâte qui lève comme dans la semence se manifeste une loi qui, d'après le témoignage de la parabole, est fondamentale dans le Royaume de Dieu: un mystérieux passage du moins au plus, dépassant toute capacité humaine. L'élément pris dans la réalité quotidienne nous amène à découvrir un semblable « mystère » à ('oeuvre tout près de nous, et nous le fait toucher du doigt; le fait de le rapprocher du Royaume de Dieu nous ouvre des espaces infinis et sublimes où règne cependant /a même loi: celle d'un dépassement continuel tendant à la plénitude.
L'élément quotidien, éclairé par la Parabole, devient ainsi comme un point de lumière diffuse, capable d'illuminer la réalité entière dans sa globalité. Y fixer le regard nous fait entrer dans le Mystère.
Elle enseigne par allusion- elle ne s'explique pas
De ces espaces infinis et sublimes, la parabole nous rapproche seulement par des allusions. Elle n'explicite jamais son contenu, mais elle se limite à y faire allusion, avec la conviction que seule est permise une approche indirecte, consciente de ne pas ëtre exhaustive, quand H s'agit de certaines réalités. Nous pourrions dire que la parabole est une pauvreté qui englobe une grande richesse: c'est une pauvreté, parce que l'un de ses éléments peut sembler absolument banal; mais c'est justement en contemplant ce dernier que nous pouvons rejoindre le niveau plus métaphysique de la réalité.
La « pauvreté» de la parabole peut apparaître comme un défi: A qui lui de-mande ce qu'est le Royaume de Dieu, Jésus montre «la plus petite de toutes les semences». Mais ce défi comporte un très haut degré de sagesse pédagogique, Car nous sommes amenés à porter constamment le regard sur la semence, dans une attitude de surprise croissante, nous ouvrant en même temps à des horizons toujours plus vastes par une sorte de gymnastique intérieure qui, peu à peu, nous fraye un passage vers !l'infini.
La sagesse pédagogique de la parabole est bien grande; aussi, malheur au catéchiste qui se hasarde à « expliquer » les paraboles! Elles ne sont pas faites pour être expliquées, mais pour être contemplées et méditées. Les expliquer serait en limiter lia portée à l'interprétation que nous en donnons, alors que — la tradition juive nous l'enseigne — la Parole de Dieu est proclamée en 70 langues; et si cela est vrai de la Parole de Dieu en général, cela l'est encore plus de -la parabole en particulier. Ses deux éléments sont comme des rails pour notre méditation, rails qui nous empêchent de quitter la route, de tomber dans l'arbitraire, mais qui nous portent toujours plus avant dans notre voyage vers la réalité totale. Expliquer les paraboles signifierait interrompre le voyage, le réduire à la pauvreté d'une définition; ce serait comme fixer le papillon avec une épingle, l'empêcher de voler de toutes ses ailes.
Quand nous présentons les paraboles, le maître est vraiment le seul maître: adultes et enfants. nous sommes tous également à l'écoute d'une Parole insondable. celle de la révélation. Notre façon de présenter la parabole doit en respecter la nature et ne peut donc être qu'une méditation commune, scandée de nombreux points d'interrogation, et sans aucun point final.
Présentons les paraboles, dans nos catéchèses, sans attendre de réponse immédiate, si ce n'est une attitude de recherche, de surprise devant ce qui nous dépasse; n'attendons pas de réponses sous forme d'explications qui, trop rapides. prouveraient que la personne vit au niveau de la superficialité et empêcheraient peut-être un approfondissement ultérieur. Présentons les paraboles à ceux que nous instruisons comme on présenterait un trésor, pour qu'ils puissent en jouir plus tard, quand ils en auront besoin. Aidons-les seulement à prendre conscience qu'il y a en elles un infini à découvrir, et que c'est seulement en « vivant avec » les paraboles que nous en pénétrerons peu à peu l'immense portée.
L'enseignement en paraboles devient ainsi un instrument éducatif de grande valeur, qui aide à ne pas limiter son horizon au monde sensible. A travers les paraboles, nous apprenons à ne pas nous arrêter à ce que les yeux voient ou à ce que nos mains peuvent toucher, nous habituant ainsi à contempler au loin une réalité toute autre.
Les paraboles sont un moyen d'éduquer la foi, si l'on entend par foi une sorte de connaissance qui va au-delà du sensible.
Expériences pratiques
L'Evangile nous a conservé un grand nombre de paraboles qui, pour la plupart, ont trait au Royaume de Dieu. On peut s'étonner de trouver tant de paraboles, diverses dans la forme, centrées sur le même point: C'est un fait qui montre combien est insondable cette réalité du « Royaume de Dieu» dont on ne peut s'approcher que par approximations, et des approximations qui ne peuvent être que multiples, justement parce qu'elles ne sont pas exhaustives.
Classer les paraboles est chose délicate et d'un intérêt tout à fait provisoire. Nous pouvons dire cependant que certaines d'entre elles ont un caractère de révélation plus accentué et exigent plus particulièrement, de la part des auditeurs, une attitude contemplative.
Le coeur de la révélation... pour les plus petits
Telles sont, par exemple, les paraboles (si tant est que le terme soit exact) où Jésus révèle le mystère de sa personne et de son rapport avec nous: Le Bon Pasteur (Jn 10,1 sq.) et la vraie Vigne (Jn 15,1 sq.); telles sont aussi les paraboles qui nous décrivent la nature mystérieuse du Royaume 8e grain de sénevé: Mt 13,31 sq.; le levain: Mt 13, 33; le grain de bilé: Mc 426) ainsi que sa valeur inestimable (la perle précieuse: Mt 13,45 sq.; le trésor caché: Mt 13A4). Ce sont des paraboles dans lesquelles l'action des protagonistes, l'intrigue, est réduite au minimum. Au cours de nos expériences catéchétiques,3 nous avons pu constater que ces paraboles étaient accueillies avec une joie particulière par les plus petits (les enfants de moins de 6 ans). Nous croyons, en effet, que certains textes de la Bible, considérés habituellement comme plus adaptés aux enfants du fait qu'ils comportent de nombreux éléments narratifs, peuvent au contraire les empêcher d'en recueillir le message religieux profond. L'auditeur est porté à s'arrêter sur des détails particuliers ou sur le déroulement de « l'histoire», sans être capable d'ailler plus avant. « Qu'est-ce qui est arrivé aux porcs? » a demandé un petit de quatre ans à qui on avait raconté lia parabole de l'enfant prodigue!
Le contenu des paraboles que nous avons citées est certainement des plus profonds, mais l'observation des enfants nous a amenés à la conviction que l'on doit transmettre aux plus petits les réalités les plus grandes. Les transmettre aux plus petits ne signifie pas qu'on doit les limiter au temps de l'enfance mais que, dès l'enfance, les petits doivent être familiarisés avec elles, afin qu'elles deviennent — pour toute leur vie — un élément précieux de leur rapport avec Dieu.
L'enseignement moral vient ensuite... il découle du premier
Il y a aussi un bon nombre de paraboles qui visent à enseigner certains comportements. Ainsi l'enfant prodigue: Lc 15,11 sci,; les deux débiteurs: Mt 18,24 sq.; le pharisien et le publicain: Lc 18,9 sq.; l'ami importun: Lc 11,5 sq. etc... Elles doivent être transmises aux enfants au moment où leur intérêt moral s'éveille au plan du comportement, c'est-à-dire après 6 ans.
Nous ne devons cependant pas oublier qu'elles visent avant tout à nous révéler Dieu, nous faisant Germanie sa disponibilité à pardonner, le genre de prière qui lui plaît, sa fidélité à nous exaucer, même au temps de ce que nous appelons « le silence de Dieu »... et bien d'autres choses.
Dans ces paraboles, l'enseignement moral est étroitement lié à la connaissance de Dieu, et il en dérive. Le catéchiste devra être très attentif à ne pas oublier cet aspect essentiel, à ne pas souligner seulement le premier; ce serait priver l'exhortation morale de ses racines, lui enlever son fondement: une connaissance de Dieu qui va s'élargissant et s'approfondissant peu à peu.
NotesDr. Sofia Cavalletti, membre du Comité directeur du SIDIC, a fondé à Rome une école de catéchistes selon la méthode Montessori. Elle donne régulièrement des cours ou des sessions, tant en Italie qu'en Amérique.
1 - L. Alonso Schokel: ll dinamismo della tradizione, éd. Paideia. Brescia 1976, p. 265 sq.
2 - 2 P.L. 76, 135.
3 - S. Cavalletti: Il potenziale religioso del bambin, éd. Città Nuova. 2e éd., Rome 1980.