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SIDIC Periodical XXXV - 2002/2-3
« Une lampe sur mes pas, ta parole, une lumière sur ma route » (Ps 119, 105) (Pages 39-41)

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Ce qu'un chrètien peut attendre d'une lecture juive de la Bible
Dubois, Marcel

 


Lire la Bible en Israël

Les chrétiens qui ont quelque peu fréquenté la communauté juive et étudié sa tradition, découvrent de plus en plus clairement que la lecture juive de la Bible pourrait apporter à l’Eglise un exemple vivifiant. Tel est en particulier le sentiment de ceux qui vivent en Israël.
Lisant la Bible dans le pays où elle fut écrite, au milieu du peuple qui l’a reçue, lue et transmise, le peuple dont ce livre est l’histoire et dont l’hébreu est la langue, les chrétiens d’Israël sont non seulement convaincus que la Parole de Dieu contient la réponse, la plus actuelle et la plus permanente, aux problèmes qui agitent l’homme de notre temps, ils sont également persuadés que l’écoute juive de cette Parole est un modèle pour toute approche dans la foi. Il y a une sagesse juive dont pourrait bénéficier la lecture chrétienne de la Bible.

De même en effet que la sagesse philosophique trouve sa santé dans un consentement à l’être et au vrai antérieur à toute attitude critique, de même la sagesse de la foi et de l’existence chrétienne repose sur une lecture candide de la Parole confirmée par la Tradition, c’est-à-dire en définitive par la vie de la communauté ecclésiale et par l’existence des saints. Les méthodes d’analyse et d’exégèse peuvent certes critiquer les conditions de cette lecture, elles ne pourront jamais la supprimer car elle leur est antérieure. Cette lecture était celle des Pères de l’Eglise, c’est aussi celle que propose la liturgie. Telle est aussi, justement, la lecture qui renferme le secret de la tradition juive. C’est là, pour les chrétiens d’Israël, une certitude qu’est venue confirmer la vie en ce pays et au milieu de ce peuple, sur les lieux de la Bible, au cœur du Peuple d’Israël.

Des chrétiens de plus en plus nombreux ont découvert ou pressenti cette richesse. Ils viennent à Jérusalem et en Terre Sainte pour lire la Bible sur le terrain, dans les paysages de l’Histoire Sainte, au milieu du Peuple dont elle est le Livre, et ils y retrouvent tout ensemble les racines de leur foi et le langage originel de la Parole de foi.
Mais ceci n’est pas assez dire. Lire la Bible en Israël, c’est la comprendre dans le contexte de l’histoire humaine qui en a été le support, c’est apprendre à interpréter la Parole dans le miroir de l’existence : liber et speculum, comme disait Saint Bernard. Or, on découvre en ce pays à quel point la lecture juive de la Bible, liée à l’expérience de vie et à la foi du peuple dont elle est l’histoire, peut être exemplaire pour l’Eglise.

On a parfois comparé la Bible à un compte-rendu de psychanalyse, la psychanalyse que Dieu même aurait faite de son peuple : le dévoilement et la cure, l’éclairement et la purification, inlassablement renouvelés, des passions et des réactions d’Israël. Ceci est vrai quant au destin d’Israël pour toute conscience juive mais chaque aventure humaine, chaque situation d’humanité peut retrouver dans cette histoire les traits de son propre destin. Psychanalyse si l’on veut, mais psychanalyse divine, pour ainsi dire intégrante et ouverte à l’universel ; aventure terrestre d’un peuple, certes, mais qui est en même temps discours divin et histoire du salut pour tout homme prêt à y reconnaître l’image de sa propre destinée spirituelle.
Bien plus, on peut dire que c’est la manière même dont ce peuple particulier, avec son élection et sa destinée particulières, raconte, interprète et fait mémoire des événements de son histoire, qui prend d’emblée une valeur universelle, exemplaire et intégrante tout ensemble. C’est pourquoi la lecture chrétienne de la Bible peut trouver une règle et un modèle dans la manière selon laquelle la tradition juive a inépuisablement reçu et porté le « kerygme ». Je me contenterai simplement ici d’en proposer trois exemples qui me paraissent particulièrement caractéristiques et qui sont d’ailleurs étroitement liés l’un à l’autre.

Le premier exemple pourra surprendre, car on le présente d’ordinaire comme la pierre de touche qui sépare la tradition juive de la tradition chrétienne. Je veux parler de la distinction, fondamentale en judaïsme, entre la Torah she bikbtav et la Torah she be-alpe, la loi écrite et la loi orale. Il est vrai qu’aux yeux de nos frères juifs la lecture chrétienne de la Bible apparaît comme congénitalement infirme et mutilée, parce qu’elle ne considère que la loi écrite. Le juif fidèle, pour sa part, attache autant d’importance au Talmud et à la tradition des sages qu’à la lettre du texte écrit. Cette différence originelle recouvre un immense et difficile problème dans lequel je n’entrerai pas ici, car telle n’est pas la pointe de mon argument. Si j’ai rappelé cette distinction fondamentale c’est, paradoxalement, pour inviter à réfléchir sur la valeur exemplaire de cette dichotomie. Elle éclaire en effet les conditions de toute approche de l’Ecriture selon la foi et elle annonce en particulier la complémentarité entre l’Ecriture et la Tradition dans la lecture chrétienne de la Bible. Loi écrite, loi orale : celle-ci n’est pas, malgré l’apparence un texte qui s’ajoute à celle-là, une Bible orale à côté de l’autre, un message verbal juxtaposé au texte écrit. En fréquentant la tradition juive on découvre qu’il s’agit essentiellement d’un flair, d’une capacité de comprendre, d’une sorte de confidence divine, affinité donnée par Dieu à son peuple en vue de comprendre sa Parole et de la mettre en œuvre. N’y a-t-il pas là pour l’Eglise l’exemple le plus suggestif, du don de la foi comme affinité avec le message révélé et du rôle de la Tradition comme subjectivité chrétienne ?

Je verrais un second exemple dans la Haggadah de Pâques. « En toute génération c’est un devoir pour l’homme de se voir comme s’il était sorti d'Egypte ». Au cours du « Seder Pessah » on lit cette phrase qui est vraiment l’expression de la tradition et de l’espérance. On rappelle ainsi un événement transcendant certes comme un haut fait du passé, mais surtout comme une geste divine qui demeure actuellement présente à la conscience juive. L’événement de l’Exode est à l’origine de l’aventure du peuple juif et il demeure actuellement présent à chaque instant de son déroulement dans le temps, rassemblant la communauté dans un même acte de mémoire tout au long de son histoire. La commémoration de cette irruption du divin dans le destin du peuple d’Israël est vraiment un « kérygme » originel, la source permanente et toujours nouvelle de l’identité juive à travers les siècles.

Ainsi la transcendance de l’initiative de Dieu dans l’histoire d’Israël apporte-t-elle une valeur universelle au récit qui en consigne l’événement. Conçu comme une geste de Dieu, exprimé par mode de « kerygme », le destin d’un peuple particulier dévoile une inépuisable richesse, et ceci au double registre de sa capacité d’intégration et de sa valeur d’exemplarité.
D’une part, en effet, tous ceux qui adhèrent au « kerygme » dans lequel s’exprime la confession de foi d’Israël peuvent s’en approprier la signification. Tout homme devient capable, par la foi, de s’associer existentiellement, dans une communauté de destin avec le peuple dont la Bible raconte l’histoire, à la parole de celui qui dit : « Mon père était un Araméen qui descendit d’Egypte ».

Mais, d’autre part, cette puissance d’assomption de la lecture juive de l’événement biblique est vécue par l’Eglise d’une manière plus précise encore. La lecture chrétienne de la Bible trouve dans la Haggadah de Pâques un exemple de ce qu’on peut appeler sa structure sacramentelle. « Faites ceci en mémoire de moi ». C’est aussi par un acte de mémoire que l’Eglise rejoint l’événement dont elle reçoit inépuisablement son existence. Comme le peuple juif commémorant dans la Haggadah l’événement de l’Exode, elle trouve dans l’adhésion à un kerygme originel, toujours présent à sa foi, la source permanente de son identité et de son développement.

De cette double valeur, à la fois intégrante et exemplaire de la lecture juive de là Bible, le troisième exemple fournit pour ainsi dire la structure fondamentale. Il est à cet égard le plus central et le plus décisif. Il y a pour la conscience juive un lien vital entre l’événement originel, le texte qui le consigne, la communauté qui le reçoit et la foi par laquelle cette communauté y adhère. C’est ce qui donne au Midrash et à la Haggadah leur saveur originale et c’est justement ce que nous découvrions dans la célébration juive de la Pâque. Il semble qu’on écarterait bien des faux problèmes et qu’on résoudrait bien des crises si l’on découvrait dans cette attitude vivante la clé de toute lecture chrétienne de la Parole. Non seulement, en effet, l’Eglise a hérité de cette structure fondamentale mais le mystère du Christ en a apporté une application décisive : l’événement de Pâques, l’Evangile qui le raconte, l’Église qui le reçoit et le transmet y trouvant la source de sa vie, la foi par laquelle elle y adhère, ne sont que les aspects d’un même don et relèvent du même esprit.

Ces trois exemples. suffiraient à montrer comment l’attitude spirituelle impliquée par l’approche juive traditionnelle de l’Ecriture surmonte effectivement le divorce (…) entre l’événement brut et le kérygme, entre le sens et la signification, (…). Le peuple garde et transmet par sa tradition le récit de l’événement originel selon la rigueur du sens et dans ce récit même s’exprime la confession de foi d’Israël. En revanche, c’est ce discours de foi qui commande l’organisation du récit, en lui faisant signifier l’histoire par laquelle Israël vient à l’existence. On comprend dès lors que (…) la lecture chrétienne de la Bible trouvera une source de santé en recourant à cet exemple vivant


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* Le P. Marcel Dubois, dominicain, vit en Israël, à Jérusalem. Il a été doyen de la Faculté de philosophie de l’Université hébraïque de Jérusalem.
Ce passage est extrait d’un article publié dans Sidic Vol. X, n 2 (1977).

 

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