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SIDIC Periodical XIV - 1981/2
Famille juive, famille chrétienne (Pages 27 - 35)

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Catechese – L'image du judaïsme dans la catéchèse des jeunes
Renzo Fabris

 

Cet article a été présenté par l'auteur le 18 novembre 1979, à Venise, lors du e Congrés Triveneto de la S.A.E. (Secrétariat des Activités Oecuméniques/ en Italie.
A la suite du Concile Vatican II, puis des «Orientations et suggestions pour l'application de la Déclaration Nostra Aetate • données 10 ans plus tard, un grand travail de révision des catéchismes a eu lieu un peu partout dans le monde, mais il reste encore à faire comme le prouve l'article du Dr Reno Fabris, et cela pas seulement par des textes, des déclarations. Ce sont des mentalités, nos mentalités, qui sont appelées ri changer dans la docilité à l'Esprit, la mentalité des catéchistes et aussi celle des parents. C'est très tôt, en effet, avant même qu'il fréquente le catéchisme, que la famille peut transmettre au tout-petit une attitude d'ouverture, une sensibilité oecuménique, un amour pour le peuple de Jésus, contribuant à «développer un climat de rencontre, de rapprochement et de rassemblement, en vue de la plénitude du peuple de Dieu dans l'unité.
(P. Démann),

Voici les paroles par lesquelles Paul Démann terminait son petit livre suggestif sur la catéchèse chrétienne, livre qui vint par la suite aux mains de Pie XII et qui semble avoir eu une influence notable au moment où rEg/ise devait accomplir ses premierspas sur la voie de la réconciliation effective avec nos frères juifs:

L'attitude intime que manifestera et inculquera envers Israël notre catéchèse, constituera un test capital de son enracinement dans l'histoire du salut, de son orientation vers la plénitude de l'oeuvre de rédemption, enfin de son esprit pleinement chrétien dans le présent; bref, un test capital de la qualité de notre catéchèse. Si notre enseignement n'est pas authentiquement chrétien dans sa totalité, aucun effort de bonne volonté ne pourra faire qu'il le soit envers Israël. Et l'inverse est tout aussi vrai. Cela parce qu'Israël a, dans toute sa dimension historique, une signification universelle, que les vues et les attitudes superficielles, incomplètes ou fausses à son égard sont bien autre chose que des symptômes de caractère superficiel dont un traitement local pourrait avoir raison, sans que soient renforcés ou rétablis l'équilibre et la vitalité de tout l'organisme, celui de la catéchèse chrétienne. Aucune évidence ne ressort avec plus de force de l'étude de notre vaste littérature catéchétique. Notre attitude envers Israël sera pleinement chrétienne dans la mesure où elle sera basée sur l'intelligence des desseins de Dieu et sera une fidélité à ces desseins: intelligence de foi, humble, exigeante et amoureuse fidélité, qui sont le but même de toute catéchèse chrétienne -.1

Il nous semble utile d'appliquer le test dont parle P, Démann au livre récent de la Commission épiscopale pour la doctrine de la foi, pour la catéchèse et la culture, (commission de la Conférence épiscopale d'Italie) intitulé: Catéchisme pour la vie chrétienne-5- Le catéchisme des jeunes: -Pas seulement de pain» (Ed. C.E.I. Rome 1979). Les résultats de ce test sont présentés ici dans un esprit de service envers la communauté des frères qui doivent utiliser le texte • pour le consulter et l'expérimenter ., comme le recommande expressément le Cardinal Poma dans sa lettre d'introduction.

Que ce service soit rendu dans l'ambiance d'une rencontre oecuménique, cela nous parait tout naturel, d'abord parce que • l'oecuménisme horizontal » qui unit les Eglises et les communautés ecclésiales travaillant pour l'unité des chrétiens se soude dans • l'oecuménisme vertical. qui pousse tous les chrétiens vers leurs frères juifs, présentés par Paul en Rom. 11,18-21 comme la racine de l'olivier; et aussi Parce que les échanges oecuméniques, surtout dans notre pays, et non sans un grand mérite de la part de la S.A.E. (Secrétariat des activités oecuméniques) donnent une place importante à la rencontre et au dialogue entre chrétiens et juifs? «Sans Israël, écrit un théologien, il n'y aura pas d'unité de l'Eglise parce que la chrétienté n'aura pas atteint sa plénitude. Israël est au coeur même de la prière et du travail oecuménique ».3

Nous pouvons trouver un critère solide pour l'analyse du Catéchisme des jeunes dans l'intervention faite par le Cardinal Willebrands, Président du Secrétariat pour l'unité des chrétiens, le 18 octobre 1977, lors du Synode qui avait pour thème: • Une catéchèse pour notre temps •, intervention publiée sous le titre: « Catéchèse et judaïsme ».

« Il semble important, dit Willebrands, dans une discussion sur la catéchèse qui concerne surtout les jeunes et les enfants, que soit posée la question de l'image du judaïsme dans l'enseignement catéchétique. La raison en est double: d'une pan il est impossible, tant sur le plan théologique que sur le plan pratique, de présenter le christianisme sans se référer au judaïsme, au moins tel qu'il existait réellement â l'époque du Nouveau Testament; et d'autre part l'image du judaïsme donnée dans l'enseignement chrétien pour illustrer le christianisme est rarement exacte, fidèle et respectueuse de la réalité théologique et historique du judaïsme (4)

Quand il parlait ainsi, le Cardinal avait certainement présentes à l'esprit les oeuvres de Jules Isaac (ce savant juif à l'initiative de qui nous devons, pour une bonne part, la réflexion et l'élaboration d'une déclaration conciliaire sur les juifs) dénonçant ce qu'il appelle: « l'enseignement du mépris », celui des chrétiens envers les juifs dans les siècles passés, ainsi que les résultats alarmants de diverses enquêtes scientifiques faites après la guerre dans le but d'améliorer la catéchèse chrétienne, particulièrement en ce qui concerne le judaïsme. Rappelons. entre autres, l'enquête pionnière de l'Université Pro Deo sur les livres d'enseignement religieux catholiques italiens et espagnols, enquete publiée en 1968.5

Lors du Synode, le Cardinal Willebrands a rappelé de manière opportune que la Déclaration conciliaire Nostra Aetate par. 4, traitant des rapports avec le judaïsme, recommande que • dans la catéchèse et la prédication de la Parole de Dieu, tous prennent soin de ne pas enseigner quoi que ce soit qui ne serait pas conforme à. la vérité de l'Evangile et à l'esprit du Christ.. De ce principe le Cardinal déduit quatre points pratiques de comportement, repris également dans le texte de 1974: • Orientations et suggestions pour l'application de la Déclaration conciliaire Nostra Aetate • N° 4, publiées par la Commission pour les relations religieuses avec les juifs.

Le premier point concerne la continuité des deux Testaments: •une catéchèse qui ne fonderait pas la révélation du Nouveau Testament sur la révélation de l'Ancien serait fausse. On courrait même le grave danger de tomber dans l'hérésie marcionite •. Le second point porte sur la présentation du judaïsme de la période néotestamentaire, • arrière-plan nécessaire pour l'interprétation des Evangiles •. Le troisième point concerne la lecture du Nouveau Testament et la question de la responsabilité de la mort de Jésus. Enfin, le quatrième point touche la question de l'image des juifs chez les chrétiens.

Les suggestions du Cardinal Willebrands, s'adressant à tous les chrétiens, semblent venir â. un moment opportun pour l'Eglise d'/talie appelée a faire face â une situation particulière, situation qui fait considérer comme urgente son intervention dans la lutte contre l'antisémitisme. En effet, selon le Professeur Alfonso M. di Nola (qui a fait en 1973 une étude poussée sur l'antisémitisme dans notre pays, sans manquer naturellement d'indiquer, outre les manifestations d'origine politique, celles qui sont d'origine religieuse), la maladie antisémite qui, entre 1974 et 1978 avait eu une période de latence, a récemment repris de sa virulences

La continuité des deux Testaments

Le Catéchisme (nous désignerons désormais ainsi le texte que nous examinons) ne consacre pas de chapitre spécial à la relation entre les deux Testaments, mais il traite ce sujet en connexion avec d'autres, dans divers paragraphes appartenant à des chapitres différents. Aussi est-il difficile de résumer avec fidélité et exactitude la pensée des auteurs.

La notion de continuité entre les deux Testaments est affirmée au sujet de la mission spéciale d'Israël, appelé â devenir un peuple universel (p. 105), toutefois ce n'est pas •l'Israël de la circoncision, de l'observance formelle de la loi, etc... » (p. 104); au sujet aussi de la réalisation d'une communion eucharistique annoncée et promise dans le passé (p. 129); au sujet d'une cône pascale qui est «l'anneau fondamental d'une chaine d'événements de salut... rendus plus visibles dans les oeuvres et dans les paroles de Jésus (p. 130); au sujet de l'histoire d'une foi en Dieu qui vient de loin (p. 127 et suiv.); au sujet enfin d'un peuple d'Israël qui, dans son attente du Messie à venir et de son règne, est • un modèle pour l'Eglise » (p. 212). De plus, Jésus est •le fils d'Israël et il reconnait en Israël le peuple que Dieu s'est choisi » (p. 104), et son nouveau commandement, celui de l'amour, n'est pas un « autre » commandement mais plutôt une explicitation de l'ancien (p. 295).

Cependant l'idée de la discontinuité est présentée avec insistance et avec une force particulière: les auteurs du livre, en effet, affirment que Jésus est venu rassembler « le nouvel et définitif Israël» (p. 123 et p. 106, 108, 109 et 153), que l'Evangile brise les « barrières • de la Loi (p. 231, 235, 236), qu'enfin l'Eglise « s'est substituée. au peuple d'Israël dans l'histoire du salut (p. 107 et 128). On y trouve même de véritables oppositions entre l'Ancien et le Nouveau Testament (p. 83).

Bien significatif de la vision prédominante chez les 'auteurs est le titre donné â l'un des paragraphes: - Israël rejeté? -, où l'on explique ensuite que le • rejet du peuple élu a lieu au moment même où en est sauvé un petit reste composé, au temps de Jésus, par les Apôtres (p. 106, et suiv.). Or, on sait bien que l'expression - nouvel Israël •, employée dans le Catéchisme, ne se trouve nulle part dans le Nouveau Testament, méme s'il y est question de la nouvelle alliance •, et nous savons bien aussi que, à la demande explicite: - Dieu a-t-il répudié son Peuple?», question qui parmi d'autres, selon les auteurs, ne permet pas de donner « une réponse trop simpliste ou trop hâtive • (p. 107), Paul répond sans hésitation: « Certes non! ». Le Concile, de son côté, enseigne clairement et avec autorité: ...les juifs ne doivent pas ètre présentés comme réprouvés par Dieu...» (Nostra Aetate N° 4).

Ainsi, si l'on touve à la fois dans le Catéchisme les notions de continuité et de discontinuité entre les deux Testaments, celle qui prévaut semble bien être celle de la discontinuité. Peut-être pouvons-nous découvrir un indice de cette optique dans l'abondance des citations (plus de 150) tirées du Nouveau Testament, tandis que celles de l'Ancien ne sont qu'un nombre restreint (une trentaine).

Pour porter un jugement de valeur sur l'attitude prise par les auteurs du Catéchisme, rappelons que le Cardinal Willebrands, après avoir répété dans les « Orientations et suggestions • que « le Nouveau Testament est profondément marqué par la relation à l'Ancien•, s'est exprimé, lors du Synode, de la manière suivante: • La. continuité des deux Testaments dans le plan de Dieu, avec tout le respect qui est dû à la plénitude du Nouveau Testament, doit être un principe directeur de la catéchèse.

La présentation du judaïsme de l'époque néotestamentaire

On doit se demander si le Catéchisme révèle la perspicacité requise par les « Orientations et suggestions » lorsqu'elles rappellent que le judaïsme du temps de Jésus et des Apôtres était une « réalité complexe •, réalité qui exige d'éviter soigneusement « toute simplification des faits, groupes et personnes mentionnés dans le Nouveau Testament », comme le Cardinal l'a ensuite expliqué au Synode. Nous pouvons procéder avec profit à une vérification sur deux points particuliers, indiqués eux aussi par les • Orientations et suggestions » et par le Cardinal Willebrands, comme deux exemples d'une lecture liturgique de la Parole de Dieu qui doit recevoir «une interprétation juste, surtout quand il s'agit de pas placer le peu]) sages qui semblent p peuple juif, en tant que tel, sous un jour défavorable ». Je veux parler de l'emploi des mots pharisien, pharisaïsme et juif, et le problème que cela implique n'est évidemment pas uniquement un problème de forme.

Bannetons que, ces dernières années, divers documents de l'Eglise ont attiré l'attention des chrétiens sur la nécessité de reconsidérer, en approfondissant l'Histoire et la théologie, la présentation des pharisiens dans les Evangiles. La Conférence épiscopale catholique des Etats-Unis, dans son texte publié en 1987 concernant les relations entre les chrétiens et les juifs, recommande « un refus explicite de toute notion historiquement incorrecte., particulièrement en ce qui concerne les pharisiens auxquels sont liés d'habitude les concepts de formalisme, d'hypocrisie et d'hostilité radicale envers Jésus? On pourrait citer de même les • Directives pour le développement des relations entre catholiques et juifs., de l'archidiocèse de New York et des diocèses de Rockville Center et de Brooklyn, publiées en 1989, le texte de la Commission catholique nationale belge pour les relations entre chrétiens et juifs de 1973 et celui du Comité épiscopal français pour les relations avec les juifs, de 1973 également.) N'oublions pas non plus que le Rapport agréé par la Commission Foi et Constitution du Conseil Mondial des Eglises et recommandé à Genève en 1988, invite à revoir • l'image historiquement erronée qui est souvent donnée des pharisiens (par les chrétiens); et rappelons-nous aussi le Document conjoint de 1973, émanant du groupe d'étude Foi et Constitution du Conseil des Eglises protestantes des Etats-Unis, ainsi que celui du Secrétariat pour les relations entre catholiques et juifs de la Conférence des évêques catholiques de ces mêmes Etats-Unis, rappelant le fait • qu'on accepte, sans esprit critique, de taxer les pharisiens d'hypocrisie » et affirmant qu'aujourd'hui «la prudence est particulièrement nécessaire quand il s'agit des pharisiens ».9

Dans le Catéchisme, les mots pharisien, pharisaïsme, sont employés une bonne cinquantaine de fois: étant donné leur fréquence, il est assez facile de résumer l'idée qu'en ont les auteurs. Les pharisiens sont une secte juive, ce sont les «religieux» par excellence au temps de Jésus (p. 22) et les =gardiens les plus stricts de la morale» (p. 67). Leurs caractéristiques essentielles sont: « que la religion est pour eux un motif de sécurité et de satisfaction. (p. 22 et 70), qu'ils ont «une conception extérieure et mécanique de la foi » (p. 79). Ce qui caractérise leur conscience morale, c'est .l'hypocrisie • (p. 116, 139 et 273), si bien que le pharisaïsme devient « toute forme de convention sociale» fp. 34 et 56) et acceptation d'une «morale individualiste fondée sur « la possibilité de faire ce que l'on veut» fp. 23). Face â Jésus, les pharisiens sont =les gardiens hypocrites de la Loi » (p. 134), ceux qui ont contribué à « réduire Pratiquement â rien l'espérance en un royaume de Dieu à venir » (p. 65), ceux qui « opposent la plus forte résistance à sa parole » (p. 22). Face à eux Jésus ne propose pas un évangile, mais il proféra seulement des paroles d'accusation et de jugement • (p. 95). Les auteurs du Catéchisme, bien qu'ils sachent que « la distance historique nous séparant de Jésus autorise à représenter les pharisiens comme bien pires qu'ils ne le furent en réalité, et permette aussi de se distinguer d'eux et de se soustraire ainsi au jugement de Jésus (p. 77), admettent, et par là méme acceptent, le fait que « le mot pharisien soit devenu de nos jours une insultes (p. 22) qu'on emploie pour qualifier des situations ou des personnes qui nous sont contemporaines.

Sans aucun doute, l'image du pharisien et du pharisaïsme donnée par les auteurs du Catéchisme est bien dans la ligne des clichés auxquels a êta habitué le chrétien depuis des siècles par toute une littérature apologétique. Il s'agit bien d'un cliché qui vient se superposer à l'esprit et même à la lettre du texte du Nouveau Testament, ce que nous voyons tout particulièrement dans les passages que les auteurs interprètent dans un sens • antipharisien », substituant facilement aux « scribes » et aux • anciens » dont il est question dans le texte les .pharisiens. dont au contraire le texte ne parle pas (voir les citations de Mc 3,22 et Mc 1,40-45 à la p. 81; de Mc 11,27-33 à la p, 87), Dans un paragraphe intitulé « les pharisiens, témoins involontaires », on trouve encore les pharisiens substitués aux scribes (voir la citation de Mc 2,5-7 à la p. 89). Pour ceux qui connaissent bien la Bible, il est clair de nos jours que les scribes et les anciens cités dans les Evangiles n'étaient pas tous des pharisiens. 10

Le moment est venu pour les chrétiens de parler des pharisiens et du pharisaïsme de façon claire et honnête. Depuis quelque dizaines d'années, la recherche historique et scripturaire a amené les spécialistes à réviser l'image traditionnelle du pharisien, et l'Eglise, depuis plusieurs années, a reconnu ce fait dans plusieurs textes importants qui sont malheureusement encore trop peu connus des chrétiens.

La recherche historique et scripturaire, dont les auteurs du Catéchisme se réclament d'ailleurs, a admis en substance l'apport de l'école de l'histoire des formes, selon laquelle la tradition évangélique est passée par diverses étapes avant d'arriver à la formulation définitive des textes que nous lisons aujourd'hui, et ces textes • sont liés, d'une part, la personnalité de chaque rédacteur et, d'autre part, aux exigences de la communauté auxquelles les Evangiles devaient répondre •. A ce propos, les auteurs du Catéchisme expliquent bien que s selon la manière d'écrire et de raconter des évangélistes, l'emploi du discours direct ne signifie pas que les paroles rapportées soient toujours et pour chaque détail les paroles effectivement prononcées par les personnages en question; il peut même y avoir là des éclaircissements, des applications successives, des commentaires de la communauté exprimés sous forme de discours direct, sans que cela constitue un faux historique» (p. 46).

L'Eglise a progressé dans cette voie, particulièrement en ce qui concerne les pharisiens. Le long document, publié en 1068 par le Comité de coordination entre chrétiens et juifs, puis utilisé l'année suivante à Vienne lors du Synode des évêques d'Autriche, a très clairement souligné que le style littéraire des malédictions de Mt 23,13-35: «Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites... • se réfère à la situation historique qui s'était établie un certain temps après la mort et la résurrection de Jésus, au moment où les chrétiens furent formellement exclus de la Synagogue, et que ces malédictions ont revêtu une forme littéraire qui devait être généralisée dans le monde où vivaient les nouvelles et jeunes communautés chrétiennes, puisque les Esséniens aussi appelaient les pharisiens • hypocrites •, expression qu'utilise déjà l'auteur de Daniel 11,34 contre les Maccabées." Les discussions violentes de Jésus avec les pharisiens doivent être expliquées par le fait que la tradition évangélique s'est développée en opposition aux pharisiens +.12 Le Document conjoint catholicoprotestant de 1973, auquel nous avons déjà fait allusion, enseigne que:

Les conflits avec les pharisiens étaient des controverses à l'intérieur du judaïsme. Les polémiques reflètent les sérieuses querelles de famille qui mirent aux prises juifs et adeptes de Jésus lors de la naissance de l'Eglise. Loin de manifester le rejet sans appel des juifs ou des pharisiens, elles soulignent le choix voulu de Dieu de se révéler dans un contexte juif. En fait, Jésus partageait le point de vue des pharisiens sur bien des points, tout comme Paul et d'autres chefs de l'Eglise primitive. 13

Le fondement critique de ces textes ecclésiaux, nous le trouvons dans les conclusions de plusieurs spécialistes chrétiens. « Sa mise par écrit, qui s'est effectuée graduellement au cours de la seconde moitié du premier siècle, comme l'a expliqué le Père Edward H. Flannery, historien catholique de l'antisémitisme, s'accompagna d'une détérioration des relations judéo-chrétiennes qui ne pouvait pas ne pas se refléter dans les différentes parties (du NT.), document humain en même temps que divin •.14

Et Kurt Schubert écrit:
« Après l'année 70, les représentants du judaïsme furent essentiellement des pharisiens. C'est pour cela que Matthieu a introduit dans la polémique contre les pharisiens des paroles polémiques de Jésus qui, à l'origine, devaient être, selon toute vraisemblance, dirigées contre d'autres adversaires, et, de ce fait, il n'a plus mentionné les adversaires non pharisiens •. Il conclut ensuite ainsi: « tout ce que la tradition avait conservé comme paroles polémiques de Jésus fut désormais considéré comme prononcé à l'adresse des pharisiens » 15

Une lecture attentive des textes évangéliques permet aussi de reconnaître que les rapports entre Jésus et les pharisiens n'ont pas toujours été inspirés par la polémique, qu'ils n'ont pas consisté en une suite de conflits; en réalité, il y a eu aussi entre eux des relations d'amitié, de compréhension mutuelle et une affinité dans les idées: plusieurs pharisiens invitent Jésus à partager leur repas, et même un de leurs chefs (cf. Lc 7,36 et suiv.; 11,37 et suiv.; 14,11 Certains pharisiens avertissent Jésus qu'Hérode veut le tuer et que, par conséquent, il doit s'enfuir (Lc 13,31). Devant l'aveugle-né qui a recouvré la vue, des pharisiens se demandent comment Jésus, s'il est un pécheur, a pu accomplir un tel prodige, et ils se séparent de ceux qui affirment que Jésus ne vient pas de Dieu (cf. Jn 9,16). Parmi les pharisiens, il y a aussi Nicodème, « un chef des juifs» qui affirme Jésus croire qu'il est s un maitre venu de Dieu (Jn 3,1) ; il y a Gamaliel, « docteur de la Loi estimé de tout le peuple », qui, au Sanhédrin, s’emploie à faire libérer les apôtres de Jésus (Act. 5,34 et suivi; il y a aussi ceux qui défendent Paul devant le Sanhédrin en Act. 23,6 et suiv.).

C'est Jésus qui invite la foule et les disciples â «faire et à observer. ce que disent les pharisiens et les scribes « assis sur la chaire de Moïse même s'il ajoute ensuite de ne pas imiter leur comportement (Mt 23,2-31. Le savant israélien David Flusser a écrit: trop souvent on ne remarque pas que les pharisiens qui, dans les Evangiles, figurent fréquemment comme les adversaires de Jésus, sont pourtant absents, dans l'ensemble des récits synoptiques, de ce qu'on appelle le procès de Jésus •.16

Parmi les textes d'EgLise les plus récents sur les pharisiens, celui qui frappe par son honnêteté et par sa clarté est la Déclaration de la Conférence épiscopale de France pour les relations avec le judaïsme de 1973.

Contrairement à des réflexes bien établis, écrivent les évêques français, il faut affirmer que la doctrine des pharisiens n'est pas â l'opposé du christianisme. Les pharisiens ont cherché à ce que la Loi devienne vie pour chaque juif en interprétant ses prescriptions de façon à les adapter aux différentes circonstances de la vie. Les recherches contemporaines ont bien mis en évidence que les pharisiens n'étaient nullement étrangers au sens intérieur de la Loi, non plus que les maîtres du Talmud. Ce ne sont pas ces dispositions que Jésus met en cause quand il dénonce l'attitude de certains d'entre eux ou le formalisme de leur enseignement. Il semble d'ailleurs que ce soit parce que les pharisiens et les premiers chrétiens étaient proches à de nombreux égards qu'ils se combattirent parfois si vivement quant aux traditions reçues des anciens et à l'interprétation de la Loi de Moise ». 17

Le Cardinal Suenens, de son côté, invitant les chrétiens â se rapprocher des sources juives contemporaines de Jésus pour savoir ce que les pharisiens ont effectivement dit, remarque (tout en soulignant bien qu'il s'agit là d'une vraie « leçon 4 que « c'est de l'intérieur du judaïsme que Jésus et Paul ont critiqué les pharisiens et leur école ».18

La recherche historique a établi avec certitude que, au temps de Jésus, les pharisiens ne constituaient pas un groupe complètement homogène quant aux convictions doctrinales et au comportement pratique de ses membres. Ainsi, du point de vue doctrinal, l'école de Shammaï différait de celle de Hillel le Grand. L'orientation spirituelle de ce dernier, quasi contemporain de Jésus, devait rendre son enseignement très proche de celui de Jésus. La tradition rabbinique rapporte que, à un païen qui désirait devenir prosélyte et qui lui avait demandé de lui enseigner la Thora pendant le temps où il pourrait se tenir devant lui sur un seul pied, Hillel aurait répondu: « Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas à ton prochain! Voilà toute le Thora, le reste n'est que commentaire (de cette sentence) •44 Le rabbin Shimon ben Menassiah devait, lui aussi, être très près de l'enseignement de Jésus quand il disait â ses disciples: • Le Chabbat a été donné pour vous, et non pas vous pour le Chabbat »40 Certes, il devait aussi y avoir des pharisiens dont la conduite morale n'était pas sans reproches. Le Talmud lui-môme en dénonce sept sortes: il y avait par exemple ceux qui, par intérêt, feignaient d'être pieux ou qui prenaient exprès des attitudes de personnes vertueuses et comme' il faut, sans l'être en réalité, etc... (cf. Babyl. Sotah 22b).

Il y avait certainement parmi les pharisiens ceux qui méritaient les reproches sévères de Jésus, écrit dans un précieux petit livre Sofia Cavelletti, l'une des rares personnes érudites catholiques de notre pays qui soit objective en ce qui concerne la spiritualité des pharisiens, mais il y avait aussi ceux qui, comme Nathanael, méritaient de s'entendre dire: Voilà un véritable Israélite, un homme sans artifice • (Jn 1,47) 20

Même subdivisé en diverses écoles, le pharisaïsme a constitué pendant de nombreux siècles un courant religieux très important du judaïsme. Les spécialistes en histoire des religions tiennent pour certain que la préoccupation première du courant pharisaïque a été la volonté de préserver, avec un amour réel et profond, la Loi mosaïque, en donnant de cette Loi une interprétation orale qui évoluait selon les besoins des hommes, en opposition â d'autres courants juifs qui, au contraire, tel celui des sadducéens, avait tendance à ne considérer strictement que la norme écrite. Peut-étre est-ce le texte de l'Eglise d'Autriche de 1968 qui synthétise le mieux ce qu'ont été les pharisiens. Pour eux, y lit-on,

« la Loi de Moïse correspond à l'ordre de la création; elle est la concrétisation de cet ordre destinée à l'homme; c'est pourquoi l'accomplissement de la Loi conduit au salut, tandis que sa transgression retarde le salut. La Loi ne doit jamais être appliquée au détriment de l'homme ou de son bien naturel.....

Pour ce qui est de l'attente du royaume,

malgré leur attitude de soupçon envers tous ceux qui attendaient /a venue imminente de l'accomplissement des temps messianiques (visionnaires d'Apocalypse et chrétiens), les pharisiens croyaient, eux aussi, qu'a un moment du temps impossible it préciser commencerait le régne du fils de David. 21

Le courant pharisien était familiarisé avec la prière et la liturgie de la Synagogue (celle-ci était née à peu près au moment où le mouvement pharisien faisait ses débuts), aussi parvint-il, a la différence des autres courants religieux liés par fonction au Temple de Jérusalem ou moins enracinés dans le peuple de Palestine, a survivre à la terrible destruction de Sion au premier siècle et, pour un certain nombre de siècles, finit-il par concentrer en lui tout le judaïsme, Un certain nombre de notions ont été introduites dans le judaïsme grâce a la réflexion et à la manière de vivre des pharisiens: la croyance aux anges, â la résurrection des corps, la conviction d'une récompense future pour le bien accompli, le désir de développer le prosélytisme, la disposition à reconnaitre que l'exercice de la charité équivaut aux sacrifices du Temple, etc... C'est à travers le pharisaïsme que, historiquement, ces notions ont été transmises au christianisme et au judaïsme de la Diaspora. • Même la théologie de l'Eglise chrétienne, a écrit le théologien catholique Claude Tresmontant, doit beaucoup au pharisaïsme » 22

Justement parce que le mérite des pharisiens est grand à bien des titres, quiconque a un peu le sens de l'Histoire est amené à poser un jugement critique face aux clichés du pharisien qu'on trouve dans la littérature apologétique chrétienne. • Si les pharisiens avaient été réellement, de nature ou de caractère, tels qu'on les dépeint, a observé avec intelligence un des premiers auteurs chrétiens qui, en ce siècle, ait voulu étudier avec des yeux neufs le courant religieux pharisien, et si le pharisaïsme avait été cette hypocrisie organisée qu'on imagine ordinairement, ils n'auraient pu subsister à travers le temps et leur inépuisable vitalité aurait été impossible •23

Le judaïsme contemporain est absolument conscient de son ascendance pharisienne, c'est pourquoi il réclame, face aux chrétiens, comme le dit l'académicien français Robert Aron, =justice pour les pharisiens • ou, comme l'écrit une polémiste juive, Claude Gruber-Magitot, • la réhabilitation, et non pas des circonstances atténuantes ..24 Lors d'une rencontre avec des chrétiens à Strasbourg, en 1970, le Grand sabin de Genève, Safran, s'est écrié: •Nous sommes des pharisiens, et si vous voulez dialoguer avec nous, c'est avec des pharisiens que vous dialoguerez »25

A la suite de cette analyse, il parait évident que, pour ce qui concerne les pharisiens et le pharisaïsme, le Catéchisme ne tient pas compte des études historiques et scripturaires les plus récentes, ne suit pas les orientations de l'Eglise des dix dernières années et, enfin, s'oppose ta toute perspective oecuménique. En réalité, le cliché du pharisien, dans le Catéchisme, est une caricature a laquelle s'applique ce qu'écrivait récemment un érudit catholique américain, Eugène J. Fisher, qui a bien montré le poids que les préjugés chrétiens avaient continuellement fait peser sur les pharisiens: « Tout comme le sexisme ou le racisme, les stéréotypes insultants pour les juifs semblent si profondément ancrés dans notre culture qu'il faut une extrême attention pour les détecter et pour les extirper •2° Cela ne veut pas dire, naturellement, que tous les problèmes historiques et scripturaires concernant les pharisiens soient clarifiés et que, par conséquent, au plan de la connaissance explicite, il n'y ait pas de conflits; cela a été dénié nettement dans une étude récente et détaillée qui fait le point sur cette question de Jésus et des pharisiens dans le • Journal of Ecumenica/ Studios ..27 Et cela veut encore moins empêcher la condamnation de cette attitude spirituelle négative qu'on retrouve souvent chez l'homme et qui se définit communément par ce terme de pharisaïsme; nous devrions plutôt considérer le fait que «tirer de l'Histoire sainte des leçons pour notre vie d'aujourd'hui, c'est parfait, mais que, pour le faire, il n'est pas nécessaire de projeter notre expérience d'aujourd'hui dans l'Histoire sainte, en faussant cette histoire •.28

Après avoir examiné l'emploi de l'expression pharisien ou pharisaïsme dans le Catéchisme, Passons maintenant à une brève analyse de l'expression juif. Les auteurs ont le souci de préciser que le monde dans son sens négatif d'humanité incrédule... est représenté surtout par les juifs, membres de ce peuple juif que, seul parmi les évangélistes, Jean appelle de ce nom et sur un ton méprisant • (p. 144-1451. En réalité, les auteurs emploient très souvent le mot • juif •, et si l'on cherche â déterminer son sens positif ou négatif d'après le contexte, on se rend compte que le sens en est surtout négatif, tandis que lorsque le sens est positif, les auteurs préfèrent le mot «hébreu ». On remarque, d'autre part, que ce mot (hébreu) n'est pas non plus toujours employé en fonction d'une époque qui serait antérieure à celle de Jésus, comme les auteurs semblent le faire croire (cf. p. 621, parce que, dans le Catéchisme, l'emploi des mots hébreu et juif fait, dans la plupart des cas, abstraction des circonstances de temps, et est déterminé, au contraire, par l'opinion positive ou négative que, délibérément on désire donner des fils d'Israël à un moment donné. Le mot juif » ou • judaïque », est en effet employé dans le Catéchisme une quarantaine de fois: nous avons compté quatre cas d'emploi dans un sens positif aux yeux des auteurs, et cinq dans un sens incertain. Tous les autres emplois, au contraire, ont un sens négatif. Le mot • hébreu • ou • hébraïque » revient plus de vingt fois, mais nous n'avons compté que deux cas où l'emploi soit dans lm sens négatif et deux autres dans un sens incertain. Dans tous les autres cas le sens en est positif.

C'est en suivant cette règle selon laquelle le terme « hébreu » est positif et celui de « juif • négatif (règle qui ne fut jamais reconnue dans l'apologétique traditionnelle des chrétiens, mais qui n'est guère dissimulée) que l'on dit habituellement: •les juifs sont incrédules» et non pas: «Jésus est juif »; ou « la Cane pascale hébraïque • et non pas • l'hypocrisie hébraïque ».

Les juifs connaissent bien cette loi: pour eux il ne fait aucun doute que loisqu'apparalt le mot juif avec la connotation péjorative qui lui est propre depuis des siècles, il s'agit d'un signe évident d'antisémitisme." Aussi l'emploi seul du mot juif est-il inquiétant dans le Catéchisme.

La responsabilité de la mort de Jésus

On sait que la Déclaration conciliaire Nostra Aetate, au paragraphe 4, après avoir rappelé que «les chefs des juifs, avec leurs partisans, ont poussé à la mort du Christ », affirme cependant que ce qui a été commis pendant sa Passion ne peut être imputé indistinctement ni à tous les juifs de ce temps-là ni à ceux de notre temps •. En effet, c'est à cause des péchés de tous les hommes que le Christ s'est volontairement soumis à sa passion et à sa mort pour que tous les hommes soient sauvés »

Or, dans le Catéchisme, se succèdent deux paragraphes intitulés: • La condamnation prononcée par les juifs » et « La sentence de Pilate et le jugement de Jésus » (p. 143 et 146), comme s'il y avait une différence de responsabilité entre les juifs et les Romains la plus lourde, qui consiste à prononcer une condamnation. et celle moindre, qui ne fait qu'émettre une « sentence ». Les auteurs soulignent en effet que • le procurateur romain prend, à l'égard de Jésus, une attitude fondamentalement bienveillante (p. 145) et que Pilate «est un homme bien intentionné• (p. 146) qui cède par faiblesse à la logique du pouvoir. C'est à ce propos que les auteurs rappellent le sens johannique du mot • juifs », celui de • représentants du peuple juif » auxquels est attribuée la responsabilité de la condamnation de Jésus, et ils précisent ensuite que Jésus est mort • cause de la jalousie hypocrite des chefs du peuple d'Israël, du Sanhédrin et de la secte religieuse prépondérante à l'époque, celle des pharisiens» (p. 147).

Cependant les auteurs du Catéchisme engagent encore davantage leur responsabilité en ce qui concerne /'Histoire: ils expliquent que Jésus • est certainement mort aussi parce que tout le peuple juif acquiesçait tacitement au comportement da tels chefs »... ce qui implique • une possible co-responsabilité du peuple d'Israël dans la sentence du Sanhédrin... Toutefois cette problématique perd de son importance quand les auteurs révèlent que. à leur avis, • il y a une co-responsabilité, plus lointaine mais plus objective, liée au refus concret qu'il (le peuple) a opposé à la prédication de Jésus tout au long de son ministère • (p. 147). Par conséquent, aux yeux des auteurs, la responsabilité historique est, d'une manière comme d'une autre, celle de tout le Peuple juif: • cause de ce péché de tout le peuple, Jésus meurt sur la, croix».

On doit faire remarquer que le raisonnement des auteurs part d'un niveau autre que celui de l'Histoire et aboutit finalement à un autre niveau, celui de la théologie, où il est affirmé que Jésus est mort • avant tout à cause de nos péchés- (p. 147) et que sa mort accuse plus généralement la communauté humaine • (p. 148). Il reste toutefois à comprendre, dirons-nous, le pourquoi d'une digression historique qui, bien qu'entrant dans le cadre formel de la Déclaration conciliaire, reprend de fait l'accusation préconciliaire d'une responsabilité particulière du peuple juif, accusation dont la Déclaration Notre Aetate a fait justice.

Pour comprendre ce que pensent effectivement les auteurs du Catéchisme et quelles sont en réalité leurs préoccupations historiques, il peut être utile d'observer que la figure de Ponce Pilate ne correspond pas du tout, historiquement, au cliché cher à la littérature apologétique chrétienne et cher aux auteurs mêmes du Catéchisme, à ce qu'il semble, c'est-a-dire la figure d'un homme politique bien intentionné mais faible, alors qu'il s'agissait au contraire d'un voleur et d'un assassin cruel?' Il faudrait remarquer aussi, nous souvenant de quelques notes du Cardinal Béa sur le texte conciliaire, que les discussions concernant la responsabilité du peuple juif pour avoir acquiescé à ses chefs sont contraires à l'Histoire, quelles sont le fruit d'une mentalité occidentale et moderne et qu'elles ne valent pas pour l'Orient et pour les temps passés».

Bref, la digression sur « le péché de tout le peuple » semble ne pas signifier grand'chose historiquement et avoir pour seul effet de rajeunir la notion de responsabilité collective du peuple juif, notion sur laquelle s'est greffée comme on le sait, celle d'un peuple soi-disant déicide. Que les auteurs du Catéchisme tiennent réellement à leurs critères d'interprétation, critères qui amènent à la notion de responsabilité, nous en avons la preuve surtout dans le fait qu'ils citent de nouveau « les juifs qui demandent stupidement du sang », se référant évidemment Mt 27,25, passage évangélique qui, isolé de son contexte néotestamontaire, comme l'explique le texte de l'Eglise d'Autriche paru en 1968, peut conduire à de graves erreurs Ta et, pouvons-nous ajouter en nous souvenant de l'histoire dramatique de l'antisémitisme chrétien, à des atrocités effrayantes.

L'image des juifs chez les chrétiens

Les documents officiels de l'Eglise catholique recommandent de ne représenter les juifs ni comme rejetés par Dieu, ni comme maudits, et d'enseigner au contraire à les considérer comme encore « très chers - à Dieu selon l'enseignement de Paul (NA. par. 4 et L.G. 2,161 et à considérer la tradition juive qui s'est pousuivie après le Christ comme « riche de valeurs religieuses > (Orientations et suggestions).

A ce point de vue, le Catéchisme ignore les juifs de notre temps, c'est-A-dire qu'il n'en parle pas. Dans tout le livre, on ne trouve qu'une seule allusion aux religions autres que celle du Christ qui détiennent des parcelles de la Parole de Dieu (P. 208) et une autre au fait que l'Eglise visible n'est pas la Parole de Dieu incarnée, mais qu'elle est à son service (p. 209). Aucune allusion au mouvement oecuménique et à l'existence actuelle du peuple juif dépositaire des dons et d'un appel irrévocable de Dieu, comme l'affirme bien le Concile à deux reprises en rappelant Rom. 11,29. A vrai dire, en ce qui concerne les juifs, il y a bien une vague allusion, mais elle est négative, car l'emploi de certains verbes au passé peut amener à penser que les réalités de la vie religieuse juive sont reléguées dans le passé: «Le père, dans la famille juive, célébrait avec les siens la cène pascale.. la Loi lui imposait... la cène ainsi que les pains non fermentés étaient considérés_ » etc. (p. 1271.

Il semble donc que, pour les auteurs du Catéchisme, l'image que les chrétiens se font des juifs ne puisse être fonction que d'un passé lointain, que la conscience chrétienne n'ait nulle raison de s'interroger sur la permanence de ce peuple, ou de se mettre à scruter, comme l'ont fait les Pères du Concile Vatican II, le mystère du salut d'Israël qui est à la racine du mystère de l'Eglise:

Scrutant le mystère de l'Eglise, ainsi débute Nostra Aetate par. 4, le Concile rappelle le lien qui relie spirituellement le peuple du Nouveau Testament avec la lignée d'Abraham ».

Conclusion

L'utilisation des « quatre points pratiques » suggérés par le Cardinal Willebrands dans son intervention au Synode ne nous permet pas de donner une idée positive du Catéchisme que nous avons soumis au test de Démann: L'attitude prise envers Israël est en retard sur celle de l'Eglise universelle et celle de certaines Eglises locales; elle est encore liée à des notions et d des concepts dépassés et même dénoncés par le Concile; elle est conditionnée par des préjugés qui révèlent de graves déviations spirituelles et qui, de toutes façons, retardent la croissance spirituelle des chrétiens; elle est, enfin, insensible à tout appel oecuménique. Le point faible le plus regrettable est, peut-être, l'attitude prise envers les pharisiens et le Pharisaïsme que Démann considère comme « un véritable test de l'esprit d'une catéchèse ».33

C'est dans un esprit de service que nous présentons ces observations à notre communauté de foi, souhaitant que se poursuive la recherche au niveau de la réflexion et de l'expérimentation; que tous les conformismes à la mode soient rigoureusement confrontés à l'Evangile » (p. 4), sachant bien, nous tous ainsi que les auteurs du Catéchisme, que «la recherche de la vérité exige toujours du courage » (p. 13). Du haut du sycomore d'une catéchèse renouvelée (p. 8), le chrétien doit pouvoir se tourner vers l'Eglise et vers le peuple d'Israël avec un coeur nouveau et un esprit ouvert, un coeur et un esprit sensibles au souffle de l'Esprit qui, aujourd'hui, nous appelle
un dialogue respectueux et sincère avec les juifs et avec tous les hommes.



Renzo Fabris - Docteur ès Sciences économiques - Ancien Président de l'Association SIDIC

1.Paul Démann: La catéchèse chrétienne et le peuple de la Bible. Constatations et perspectives, cmireeS simien/a, numéro spécial, Paris 1952, p. 127. Pour l'influence qua eue ce livre, voir Pinhas E. Lapide: Rome et les Juifs, Seuil, Paris 1967, pp. 368-389.
2. Pour le lien qui existe entre l'oecuménisme horizontal et le vertical, voir E. FU:rivai: Les divisions entre chrétiens au regard du fait juif en smic n. 31970, p. 22 et suiv. Pour les activité de la S.A.R., voir Giosue Tosoni: Il lavoro ecumenico del S.A.E. en Ecumenismo oggi: bil.ancio e prospettive, ElleCiDi Leumann, Torino 1976, pp. 155-173.
3. F. Lovsky: Le peuple d'Israel dans l'éducation chrétienne, Société des Ecoles du Dimanche, Paris (sans date), p. 100.
4. Synode 1977. Catéchèse et Judaïsme: intervention du cardinal Willebrands dans smic n. 1-1978, p. 21.
5. Voir Jules Isaac: L'enseignement du mépris. Vérité historique et mythes théologiques, éd. Fasquelle, Paris 1982 et Otto Klineberg, Tullio Tentori, Franco Crespi, Vincenzo Filippone Thaulero: Religion e pregiudizio. Analisi di contenuto dei libri cattolici di insegnamento religioso in Balla e in Spagria, Cappelli, Bo/ogna 1968.
6. Voir Alfonso M. Di Nola: Antisemitismo conte, oggi dans n PONTE, 30 Novembre-31 Décembre 1978, p. 1490 et 1407 et GIi ebrei. una preside e la sacra Padeila dans LA REPUBBL/CA, 20 avril 1979, p. 12.
7. Voir le texte dans: Stepping Stones to further Jewish-Christian Relantions. An unabridged collection of Christian Documents, Stimulus Books, London-New York 1977, p. 20.
8. Voir les textes dans Stepping Stones..., pp. 28, 57, 62.
9. Ibid., pp. 84, 151-153 et 155.
10. Voir Joachim Jeremias: Jérusalem au temps de Jésus. Recherches d'histoire économique et sociale pour la période néotestamentaire, éd. Cerf, Paris 1967, PP. 327, 339-344.
11. Voir Stepping Stones. p. 42.
12.Ibid., p. 45.
13. Ibid., p. 155.
14. Edward H. Flannery: L'angoisse des Juifs. Vingt-trois siècles d'antisémitisme, Mame. Tours 1969. pp. 46-47.
15. Kurt Schubert: Jésus à la lumière du Judaisme du premier siècle, éd. Cerf, Paris 1974, p. 50 et 51.
16. David Flusser: Jésus, Seuil, Paris 1970, pp. 62-63.
17. Voir texte dans Stepping Stones...., p. 62, et aussi dans IL REGNO DOCUMENT], 1er juin 1973, p. 301, ou aussi dans Les Eglises devant le Judaïsme. Documents officiels 1918-1978, Cerf, Paris 1980, p. 175.
18. Cardinal Léo Jozef Suenens: La crisi della Chiesa, Mondadori 1971, p. 240.
19. Voir Kurt Hruby: rompre del prossimo nel censier° ebraico dans HUMANITAS, avril 1976, p. 259.
20. Sofia Cavelletti: Ebraismo e spiritualità cristiana, Studium, Roma 1966, pp. 19-19.
21. Voir texte dans Stepping Stones..., p 45.
22. Claude Tresmontant: San Fado, Mondadori 1980, p. 15; voir aussi vilarra (numéro sur les pharisiens), juin 1964 et SMIC (numéro consacré aux pharisiens), n. 2-1977.
23. R. Travers Herford: I Farisi, Laterza, Bari 1925, p.1.
24. Robert Aron: Lettre ouverte d l'Eglise de France, A. Michel, Paris 1975, p. 58 et suiv. et Claude GruberMagitot: Jésus et les pharisiens, R. Laffont, Paris 1984, p. 431.
25. Cité dans vsv n. 8, novembre 1970, p. 14.
26. Eugène J. Fisher: L'enseignement chrétien et le judaïsme d'aujourd'hui: une étude des programmes de religion, dans SIO/C n. 1-1978, P. 9.
27. Voir Michael J. Cook: Jesus and the Phartsees. The problem as it stands today, dans JOURNAL or EcuMENICAL STUDIES n. 3-1978, p. 441 et suiv.
28. P. Démenti op. cit., p. 75.
29. Voir Cecil Roth: Histoire du peuple juif, éd. La Terre Retrouvée, Paris 1057, p. 425; ou Storia del popolo ebraico, Silva, Milano 1962, nota 1 di p. 58 ed anche p. 569.
30. Voir D. Flusser, op. cit., p. 133.
31. Voir Agostino Card. Béa: La Chiesa e il popolo ebraico, Morcelliana, Brescia 1966, pp. 65-66; ou L'Eglise et le peuple juif, Cerf, Paris 1967, p. 69,
32. Voir texte dans Stepping Stones..., p. 43.
33. P. Démann, op. cit, P. 75.

 

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