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SIDIC Periodical XXXI - 1998/3
Voix de jeunes (Pages 17 - 19)

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En mémoire de sœur edward berkeley décédée le 7 mars 1998 à Worthing
Soeur Marie-Dominique

 

Ayant vécu et collaboré avec Soeur Edward à Rome de 1964 à 1978, je voudrais rappeler un peu ce qu’elle a été et le rôle déterminant qu’elle a joué dans le “tournant apostolique” pris par la Congrégation en ces années particulièrement marquantes pour Sion.

En décembre 1962, elle accepte la responsabilité du Centre pour Israël créé depuis peu à la Maison-Mère. C’est au lendemain de la première session du Concile, où, contrairement au désir de Jean XXIII, la question des relations de l’Eglise avec le judaïsme n’a pas été abordée, retirée de l’ordre du jour de cette session par la Commission Centrale.

Notre Conseil général comprend que la Congrégation doit de toute urgence apporter sa contribution pour que, à la session suivante, un bon texte puisse être présenté sur cette question. Soeur Edward, alors, stimule et soutient les démarches, faites surtout par Soeur Bénédicte et Soeur Magda, auprès de plusieurs évêques et le grand travail mené avec des théologiens – Kurt Hruby, pasteur Richard Molard, Yves Congar op. – pour élaborer une Note qui pourrait être à la base des réflexions du Concile, présentant ces deux principes:
– le Peuple juif est le Peuple-racine de l’Eglise,
– il a, aujourd’hui encore, partie liée avec l’Eglise dans l’accomplissement du Dessein de Dieu.

Cette Note est remise au début de la 2e session du Concile (oct.63), à un certain nombre de cardinaux et d’évêques, qui ont été contactés avant et dont plusieurs occupent des postes-clés dans le fonctionnement du Concile – Liénart (Lille), Veuillot (Paris), Villot (Lyon), Martin (Rouen), Garrone (Toulouse)...- ainsi qu’à des experts: Y.Congar, R.Laurentin, H.Denis, H.Cazelles... Au cours de cette session, le Cardinal Bea présente au Concile un texte intitulé: “Du rapport des chrétiens aux non-chrétiens, et principalement aux juifs”.

Contre ce texte se déclenche aussitôt une violente opposition, venant à la fois des milieux “conservateurs” et des Patriarches et Evêques du Proche-Orient, qui craignent que les chrétiens vivant dans des Etats arabes ne soient mis en danger par cet acte du Concile interprété comme un appui donné à l’Etat d’Israël. Pendant les deux années que dure cette campagne, Soeur Edward a à coeur, avec le Conseil général, que la Congrégation collabore le mieux possible avec ceux qui soutiennent les efforts du Cardinal Bea.

Enfin, à la 4e et dernière session du Concile (automne 1965), la Déclaration Nostra Aetate, sur “l’attitude de l’Eglise à l’égard des religions non-chrétiennes”, est votée. “A cette Déclaration, dit le Cardinal Bea, on peut appliquer l’image biblique du grain de sénevé: au début, il s’agissait d’une courte déclaration sur l’attitude des chrétiens vis-à-vis du peuple juif... Et ce grain est presque devenu un arbre, dans lequel beaucoup d’oiseaux trouvent déjà leur nid, c’est-à-dire dans lequel, du moins d’une certaine manière, toutes les religions non-chrétiennes ont leur place.”

En novembre 1965, quelques jours après le vote final de Nostra Aetate – 28 octobre, – deux réunions se sont tenues successivement dans Rome, chez les Soeurs hollandaises de Béthanie piazza Navone, groupant des Pères du Concile – entre autres: Mgr Elchinger (Strasbourg), Mgr Holland (Salford, Angleterre), Mgr Leipzig (Baken-Oregon, U.S.A.) – et des experts: Mgr Ramselaar et Cornelius Rijk de Hollande, le P.Eckert op. de Cologne, Bruno Hussar, René Laurentin...; tous ont combattu pour faire aboutir la Déclaration et veulent réfléchir à la suite qui va être donnée à cet acte du Concile. Bruno Hussar a suggéré d’inviter deux Soeurs de Sion; je vais à la 1ère réunion avec Soeur Magda et à la 2e avec Soeur Edward. La réflexion du groupe se termine par une demande expresse adressée à la Congrégation de créer un organisme qui, d’une part, donnera des informations sur l’application de Nostra Aetate à travers le monde et, d’autre part, travaillera lui-même à cette application.

Soeur Edward, profondément consciente de ses limites, mais convaincue que la Congrégation doit répondre à cette demande de l’Eglise, accepte courageusement d’assumer la fondation de ce “Service” dont, au premier abord, les moyens d’action n’apparaissent pas clairement. Elle sait qu’elle peut compter sur l’appui et la compétence du P.Rijk, que le Cardinal Bea vient de nommer Secrétaire du nouveau Bureau chargé, à l’intérieur du Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens, des relations entre l’Eglise et le judaïsme. C’est-ainsi que, à la fin de 1965, naît S.I.D.I.C. (Service International de Documentation Judéo-Chrétienne), où Soeur Edward travaille pendant plus de 10 ans, en étroite collaboration avec le P.Rijk.

A partir de 1970, quand elle n’est plus au Conseil général, Soeur Edward peut donner tout son temps à SIDIC. C’est le moment où celui-ci est transféré de la Maison généralice dans les locaux mieux situés et plus spacieux de la via del Plebiscito, où une nouvelle communauté se forme autour de Soeur Edward. Alors, tout simplement, celle-ci prend sa part dans les diverses tâches de la maison, toujours prête à rendre service, que ce soit pour préparer le repas, accueillir les visiteurs ou pour stimuler une recherche, encourager un travail, réfléchir à un projet.

Tout au long de ces années romaines, nous l’avons vue égale à elle-même, accueillante et pleine d’humour, fraternelle avec des liens d’amitié profonds. Très réservée sur sa vie personnelle, elle parlait peu, mais était toujours prête à écouter, à faire confiance. Son autorité s’imposait comme naturellement: elle voyait ce qu’il fallait faire, elle le disait... et cela devenait évident qu’il fallait le faire. Elle avait sans cesse le souci de la formation des soeurs pour l’avenir, car elle regardait toujours en avant; avec elle, on ne pouvait pas s’arrêter. Elle nous soutenait toutes par la force de ses convictions et par l’exemple de sa vie totalement donnée à son Seigneur, le Dieu de la Bible et de l’Histoire, à qui elle remettait tout.


Témoignage de Piet van Boxel, Londres, 22 septembre 1998 *
Pour tous ceux qui visitaient le SIDIC de la Via del Plebiscito, Sœur Edward a toujours été une hôtesse accueillante. Pour ceux qui travaillaient à SIDIC, elle était un support infatigable et une continuelle source d’inspiration, s’identifiant toujours à SIDIC. Elle n’était pas théologienne de métier, ni formée dans les études juives; pas plus qu’elle n’était familière de toutes les données d’une histoire souvent sombre des relations entre juifs et chrétiens. Mais elle était une avocate sans pareille des relations entre juifs et chrétiens, avec un sens inné pour les aspects essentiels et sensibles du dialogue. Personne, ni juif ni chrétien, n’a jamais pu suspecter la sincérité de ses motivations.

Ceux qui ont travaillé avec elle durant ces années, ne se sont probablement jamais demandés pourquoi elle avait consacré sa vie à cette mission du dialogue entre juifs et chrétiens. Du moins, je ne l’avais jamais fait. Son don d’elle-même était naturel, comme allant de soi. C’est seulement après sa mort, pendant les funérailles, que je me suis demandé d’où lui venait son amour passionné pour SIDIC. Et en écoutant toutes les bonnes choses qu’on disait d’elle, il nous a été donné une image d’elle qui traduit tout: Edward était une femme “juste” au sens biblique du mot. Voilà la raison de son engagement passionné pour le dialogue judéo-chrétien. Le sens de ce qui est “juste” incluait pour elle et présupposait qu’aucune injustice ne soit commise envers quiconque. Loyale envers l’Eglise et fidèle à la tradition chrétienne, elle était cependant consciente de l’oppression idéologique dont des personnes en-dehors et dans l’Eglise avaient souffert et souffraient encore.

Le Conseil général des Soeurs de Sion avait demandé à Sœur Edward de commencer un centre pour la promotion de la rencontre entre chrétiens et juifs:elle a dû y voir une manière, sa manière, de “faire justice” au peuple juif qui avait tant souffert de l’idéologie chrétienne. En combattant cette idéologie, elle était devenue l’amie de juifs et de chrétiens, et un guide dans le dialogue judéo-chrétien. Pour tous ceux qui étaient et qui sont impliqués dans cette rencontre, chrétiens aussi bien que juifs, Sœur Edward, était une de ces “justes”qui sont dans le monde.
Zikhrona livrakhah, que sa mémoire soit en bénédiction !

Témoignage de Franca Ciccòlo Fabris, Milan, 18 septembre 1998

De haute taille, la masse de ses cheveux gris relevés, l’allure noble d’une dame de jadis, l’expression composée, presque sévère, atténuée par un regard doux et attentif, telle est l’image de Sœur Edward qui me reste en mémoire.

Elle avait été invitée dans notre maison, à la montagne, sur le lac de Côme, par mon mari Renzo qui l’avait rencontrée à plusieurs reprises aux réunions de l’Association SIDIC, dont il a été l’un des fondateurs et dont il était alors le Président.

Elle avait été étonnée par la beauté du panorama, les cimes des Grignes se reflétant dans le miroir des eaux, les petits villages sur la rive et la verdure si abondante des forêts alentour. Elle était immédiatement tombée amoureuse du jardin de notre maison, un jardin rocailleux, en terrasse, où il était, et est encore, difficile de se débarrasser de la mauvaise herbe. Un matin, après un terrible orage nocturne qui avait purifié l’air et rendait distinct chaque contour, elle nous avait annoncé que c’était le meilleur moment pour débarrasser le sentier des mauvaises herbes et s’était mise immédiatement au travail. Emmanuele et Mattia, nos deux enfants de trois et de quatre ans, la regardaient avec un mélange de curiosité et de timidité, car ils avaient l’intuition qu’elle n’approuvait pas leurs inévitables caprices.

Un jour, je lui avais demandé conseil à propos d’Elena, jeune fille de quinze ans qui nous avait été confiée et qui manifestait une grande aversion envers toute forme de religiosité. Elle m’avait fait une suggestion qui, depuis lors, à diverses occasions , a été une lumière pour notre vie de famille. “Essayez, nous dit-elle, de dire une prière avant les repas: une simple pensée, venant de l’un ou de l’autre d’entre vous, qui ramène l’attention vers le Seigneur de la vie et lui rende grâce”. Aujourd’hui Elena a un fils de douze ans qui, lorsque nous prenons un repas ensemble attend, concentré, la prière...

Chère Sœur Edward, combien me manquent les souhaits affectueux de Noël et de Pâques grâce auxquels vous nous êtes restée si proche, même quand nous ne nous sommes plus revues pendant des années ! Mais je sais, je crois que, d’une manière que seul connaît l’Esprit de Dieu, vous restez, comme Renzo, toujours vivante parmi nous.

Mère Edward – Témoignage de Elena Mortara Di Veroli, Rome, 8 septembre 1998

J’ai commencé à fréquenter le SIDIC vers 1970, immédiatement après avoir traduit l’œuvre de Abraham J. Heschel en italien, et à l’époque de mes premières recherches sur la littérature judéo-américaine. La bibliothèque du SIDIC était un port accueillant pour une personne qui, juive comme moi, cherchait des matériaux de langue anglaise en fonction d’une thématique juive. La paix accueillante de ces lieux manifestait une affection envers le visiteur, suggérant une possibilité de dialogue et de collaboration.

C’est là, au siège de la via del Plebiscito, que j’ai connu Mère Edward, c’est ainsi qu’on l’appelait et qu’elle était appelée, je crois, par ses soeurs de Sion. Elle était l’âme du SIDIC de l’époque, la présence constante, le point de référence. Auprès d’elle se trouvait, en ces années-là, à la tête du Centre, le Père Rijk, autre noble figure cherchant à établir des relations entre juifs et chrétiens. Il était le cœur politique du Centre, grand promoteur d’initiatives culturelles: je fus invitée par lui à donner une de mes premières conférences sur le thème que j’étudiais. Mais la présence constante, c’était elle: elle vous accueillait à l’entrée, grande et mince, légèrement courbée, prête à écouter vos besoins et à vous aider. Elle était toujours disponible et prête à passer par-dessus les empêchements pratiques pour résoudre un problème.

J’ai continué ainsi à la rencontrer pendant des années dans les salles du Centre où non seulement elle travaillait, mais aussi vivait. Ce n’est que dans l’ultime période de sa présence à Rome qu’elle se transféra à la Maison généralice, sur les pentes du Janicule, où je me souviens l’avoir une fois accompagnée, lui offrant une place dans ma voiture à la fin d’une journée. J’appris par elle qu’elle allait retourner dans son pays d’origine. J’en fus attristée parce qu’avec elle allait s’éloigner de Rome une âme amie et un point de référence. J’étais liée à elle par l’affection. Aujourd’hui, je sens encore plus fortement son absence. Elle a bien œuvré pendant sa vie. Elle a créé des relations d’amitié et des structures novatrices qui continuent encore à bien opérer pour l’éradication de ces préjugés séculaires qui ont eu tant de répercussions dans l’histoire. Que son souvenir soit en bénédiction !

 

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