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SIDIC Periodical XXX - 1997/2
Hommage aux pionniers du dialogue judéo-chrétien (Pages 24 - 26)

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Rabbi Marc H. Tanenbaum - 1925-1992
Judith Hershcopf Banki

 

Rabbi Marc H. Tanenbaum fut l'un des véritables pionniers du dialogue interreligieux, et membre d'un petit groupe engagé dont le travail définit et façonne le champ qui devint connu pour les affaires interreligieuses. Il aurait considéré comme une contribution opportune de dire qu'il suscite une différence dans le monde. Il suscita une différence non seulement durant sa vie, mais dans la vie des générations suivantes. Des jeunes, chrétiens et juifs, hommes et femmes, qui grandirent libérés d'une "bigoterie" religieuse empoisonnée, libérés de la peur de l'autre, respectueux d'un legs spirituel réciproque, s'engageant dans des efforts de collaboration à travers des lignes religieuses au bénéfice des droits humains et civils, ignorent combien il en a posé les fondations. Ses initiatives en faveur d'une image équitable et exacte des juifs et du judaïsme dans l'enseignement et la prédication chrétienne - y inclut un document définitif et autorisé sur les relations de l'Eglise avec les juifs durant le Concile Vatican II - l'énergie créative qu'il apporta à cette tâche dans la poursuite d'une vision de réconciliation basée sur la justice, sa persévérance et sa ténacité face aux échecs et aux déceptions ont laissé un riche legs pour ceux qui suivirent.

De plus, des Africains et des Sud-Asiatiques - Biafrans, Vietnamiens, Cambodgiens - vivent aujourd'hui grâce à son activité et sa mobilisation de ressources interreligieuses en faveur des réfugiés et contre la faim dans le monde. "Si je devais mourir demain" dit-il en 1980 lors d'une interview, "j'aurais la sensation d'avoir fait quelque chose d'utile avec le temps dont je disposais ici". A cette époque il estimait que ses actions avaient "littéralement aidé à sauver des dizaines de milliers de vies".

Nous pouvons seulement spéculer qu'il aurait apporté une aussi grande contribution s'il avait choisi un autre champ -médecine, ou lois, ou commerce - à la place du rabbin et, s'il avait recherché le profit au lieu du service, s'il avait trouvé sa place comme rabbin congrégationnel plutôt que comme leader des relations interreligieuses et internationales. Ses talents auraient pu servir à de nombreux usages. Mais ils semblaient particulièrement adaptés au champ dans lequel il obtint la plus grande distinction, celui qu'il aida à créer et ensuite à établir pour plus de trois décades: le champ des affaires interreligieuses.

En outre, il aurait été difficile de prédire la distinction des réussites de Marc Tanenbaum et la portés de son influence. La présence imposante qui émut aussi bien des présidents que des papes, la voix résonnante, éloquente, pour la défense de la dignité juive et des droits humains, reconnue dans chaque partis du monde, l'écrivain et la personnalité du speaker de la radio, dont les commentaires hebdomadaires atteignaient des centaines de mille de lecteurs et d'auditeurs pendant plus d'un quart de siècle, un homme désigné dans un sondage national comme "l'un des dix leaders religieux les plus influents et respecté en Amérique", et par la revue New York comme "l'un des premiers leaders oecuméniques juifs dans le monde aujourd'hui", était issu d'origine humble et pieuse.

Il naquit en 1925 de parents russes-polonais qui avaient émigré d'Ukraine et qui tenaient une petite épicerie à Baltimore, Maryland. Il grandit dans une pauvreté écrasante, dans la seule maison juive au milieu d'une ethnie fortement irlandaise, italienne et allemande. Ses parents étaient des juifs orthodoxes pratiquants, et ainsi fut-il éduqué et élevé dès le plus jeune âge. Il suivit l'académie talmudique de Baltimore, à l'âge de 14 ans et demi il obtint une bourse pour la Yeshiva University, débuta au Collège à quinze ans et fut diplômé à 19 ans. Après un bref attrait pour l'Ecole de Médecine et quelque expérience comme écrivain-éditeur d'une publication sur les événements contemporains, il entra au Jewish Theological Seminary of America, l'école rabbinique du judaïsme conservateur. C'est là et plus tard en écrivant pour plusieurs journaux juifs qu'il développa ses talents de communication qui distinguèrent sa carrière.

Une importante relation forgée au séminaire, qui devait profondément influencer la forme et la direction du dialogue interreligieux dans les années à venir, fut celle du jeune étudiant rabbinique avec Abraham Joshua Heschel. Tanenbaum venait d'apprendre ce matin-là que son père était frappé d'une attaque cardiaque. Accablé, par le chagrin, le souci et le sentiment de sa culpabilité de savoir sa mère et sa soeur seules à Baltimore pour y faire face, il rencontra Heschel dans l'ascenseur. Heschel, récemment arrivé d'Europe et déjà renommé comme érudit et professeur, remarqua sa détresse, en discerna la cause et appela sa mère, lui offrant consolation et soutien. Tanenbaum n'oublia jamais cet acte de bonté. Une amitié et une affection véritable sa développèrent entre eux deux. Plus tard, Tanenbaum obtint la publication du premier livre d'Heschel aux Etats Unis ce qui lança la réputation d'Heschel en Amérique.

En 1952, Marc Tanenbaum devint directeur du Synagogue Council of America, organisme coordonnant les associations congrégationnelles et rabbiniques orthodoxes, conservateurs et réformées aux Etats-Unis. Il réussit à en faire une organisation vivante et, en dépit de résistances provenant en grande partie de sa propre communauté, il commença à atteindre la communauté chrétienne. Il organisa des dialogues entre le National Council of Churches et le Synagogue Council. Il lie amitié avec l'évêque Fulton Sheen, l'évangéliste extrêmement populaire de la télévision, et plus tard avec le Dr Billy Graham. Les contacts avec les leaders chrétiens se sont élargis jusqu'à Washington, et, en 1960, il devint le vice-président de la Conférence de la Maison Blanche sur les enfants et la jeunesse; où il invita le rabbin Heschel à faire une conférence importante. L'intersection de la religion et de la politique exercèrent sur lui un appel particulier qu'il considéra comme un champ fertile pour la coopération interreligieuse.

Quelles furent ses motivations en cultivant et en étendant les relations entre juifs et chrétiens? Selon son jugement, les juifs "avaient un obligation de véritablement entrer et être présents comme une force majeurs dans la vie américaine" pour jouer un rôle plus actif en déterminant les valeurs et les priorités nationales. Il était également soucieux de la sécurité juive. Sa propre expérience de l'antisémitisme dans les rues de Baltimore, sa rencontre avec le numerus clausus social et éducatif, sa conviction qu'une longue hostilité de la part des chrétiens vis-à-vis des juifs et du judaïsme ont aidé à préparer les voies à l'Holocauste, sa découverte que "le judaïsme était une religion inconnue de la plupart des chrétiens" et que beaucoup de ce qui était "connu" consistait en stéréotypes négatifs, tout ceci le persuadait de l'importance de la rencontre entre croyants.

Deux souvenirs frappants de son enfance ont sans doute aussi donné forme à ses orientations de sa vie. L'un était une histoire qui lui fut transmise par ses parents, au sujet d'un oncle en Ukraine qui avait été attaqué par une bande, un vendredi Saint, jeté dans une rivière et noyé. Ses parents lui dirent que la bande était conduite par un prêtre orthodoxe portant une croix. L'autre était le souvenir de sa mère préparant des paniers de Noël pour des voisins chrétiens, plus pauvres que sa propre famille, parce qu'elle voulait qu'ils aient de quoi célébrer leur jour faste. Comme petit garçon, il l'accompagnait dans ces visites de charité. D'un côté la violence antisémite, de l'autre un bon voisinage: son expérience familiale tenait des deux.

En 1961, le Pape Jean XXIII convoquait un Concile oecuménique - le premier en prés d'un siècle - pour renouveler l'Eglise catholique et atteindre d'autre religions. Tanenbaum considéra le Concile à venir comme une occasion historique pour l'Eglise d'améliorer ses regrettables relations avec le peuple juif. L'American Jewish Committee fut l'un des rares organismes juives à prendre le Concile oecuménique au sérieux, et avait déjà établi un programme basé sur une recherche à partir des manuels religieux que le Comité avait lancée depuis de nombreuses années. En 1961 Marc Tanenbaum devint son directeur des affaires inter-religieuses au moment où ses tendances et son énergie créative trouvèrent un respect et un soutien auprès des organisations. Il avait trouvé sa voie.

Au cours de ses 29 ans avec l'American Jewish Committee (1961-1990), il crea une carrière qui lui permettait d'utiliser ses talents particuliiers et extraordinaires: rhetorique (il était un orateur saissisant et éloquent), analytique (il avait le don de penetrer jusqu'au coeur d'un conflit ou d'une problème, tandis que d'autres restaient à la frange), conceptuel (il pouvait entrevoir des solutions ou des voies pour résoudre les problèmes et pouvait les rendre accessibles grâce à un vocabulaire riche et vivant, et une imagination passionnée) et diplomatique (il pouvait exprimer des désagréments et des tensions difficiles et même pénibles sans aliéner l'autre et non seulement il se faisait des amis en des endroits inattendus, mais il rapprochait d'autres avec des points de vue différents pour enrichir leur comprehension mutuelle).

Rabbi Tanenbaum s'engagea dans l'initiative du American Jewish Committee en faveur de ce qui émergea finalement du Second Concile du Vatican comme Nostra Aetate. Il supervisa un programme actif qui incluait trois notes de l'AJC envoyés au cardinal Augustin Bea, documentant le portrait négatif et hostile des juifs et du judaïsme dans les textes catholiques, notant les éléments anti juifs de la liturgie et enfin un amendement écrit par Heschel, suggérant des études concrètes que pourrait faire l'Eglise pour réparer les injustices passées. Lorsque le Cardinal Bea visita les Etats - Unis, Tanenbaum s'arrangea pour rencontrer un groupe de leaders juifs religieux incluant Heschel: les deux érudits biblistes contractèrent une amitié personnelle qui résistera aux tensions des mois suivants. L'un des moments qui couronna sa vie professionnelle fut sa présence au Concile qui vota l'adoption de Nostra Aetate après beaucoup de délais et un certain rejet du texte original.

Il fut efficace dans la mise en place du Comité juif international pour les consultations interreligieuses. ICCJ - établi pour représenter la communauté juive dans les dialogues avec les organismes chrétiens internationaux de l'Eglise, tels que le Saint Siège et le Conseil mondial des Eglises. Il fut le premier rabbin à interpeller ce dernier organisme. Il était critique mais toujours vrai dans ses réponses aux documents tel que les orientation, de 1975 et les notes de 1978, et fut prompt à critiquer les positions anti-israéliennes des diverses Eglises quand il les rencontra. Quand, en 1985, il passa de la Direction des Affaires religieuses aux Affaires internationales du Comité Juifs Américain, son horizon s'élargit mais son intérêt resta constants.

Il fut un militant en faveur des droits humains des émigrants et des réfugiés ainsi que de la liberté religieuse pour tous les peuples, mais toujours défensif pour ceux de son peuple. Beaucoup de juifs et de chrétiens ont été nourris par les fruits de son travail. Puisse sa mémoire être bénédiction!



* Cet essai biographique a été rédigé à partir de l'introduction d'une anthologie des écrits du regretté rabbi Marc H.Tanenbaum. L'anthologie subventionné par une bourse de la Fondation de la famille Milstein est coédité par Judith Hershcopf Banki, qui est le directeur des programmes de la fondation de rabbi Marc

 

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