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SIDIC Periodical XII - 1979/3
Jésus, juif (Pages 16 - 17)

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Expérience pastorale: une «relecture» de l'évangile de st Matthieu et de son contexte juif
Louise-Marie Niesz, NDS

 

«A quelque chose malheur est bon »

L'expérience que je voudrais relater ici est née, a surgi, de la détresse d'un groupe de catéchistes chrétiens. Il n'est pas dans mon propos de m'étendre sur l'échec de la catéchèse, et sinon sur l'échec, du moins sur son extrême difficulté.

Des catéchistes en désarroi attendaient, espéraient quelques recettes magiques, quelques conseils pédagogiques, psychologiques, astucieux. Mais il s'avéra, à la réflexion, qu'il s'agissait d'autre chose et que ces remèdes n'étaient pas au niveau des lacunes qui, peu à peu se manifestaient. Il fallait abandonner les pistes faciles et investir personnellement dans une recherche qui changerait l'optique générale.

Voici le diagnostic qui fut porté:
Premièrement un manque de formation biblique; non pas d'érudition biblique, mais une absence de vue cohérente du « projet de Dieu ».

Deuxièmement l'absence d'une théologie réellement biblique et par conséquent d'un langage autre que « moralisateur ».

Troisièmement l'ignorance de nos « sources », de l'enracinement de la foi chrétienne dans le judaïsme.

Où trouver ce que nous cherchions?

C'est alors que nous avons ouvert l'Évangile de Matthieu pour essayer de retrouver le fil de la Tradition religieuse du milieu qui l'a vu naître. A partir de ce moment se sont succédé des prises de conscience qui sont ensuite devenues des évidences, des convictions.

Notre enseignement chrétien coupé de ses « racines » n'avait plus beaucoup d'impact ni de crédibilité auprès des jeunes. Il fallait lui rendre un enracinement, retrouver la trame de l'Histoire, le milieu juif de la naissance du christianisme. Une lecture attentive révéla rapidement que le message du nouveau Testament devient incompréhensible si on l'ampute de sa dimension juive. Car il y a une unité absolue du projet de Dieu. Unité contre laquelle aucune dérive humaine ne saurait prévaloir. Il faut donc concevoir judaïsme et christianisme sur une seule et même lancée, tous deux indispensables à la compréhension de ce projet de Dieu.

Faire une lecture de St Matthieu « selon les Écritures »

Il y a plus de 100 citations de l'ancien Testament dans l'Évangile de Matthieu, qui constituent les matériaux de base de sa rédaction. Si nous voulons comprendre l'utilisation que les auteurs néo-testamentaires font de ce patrimoine biblique, nous devons renoncer une bonne fois, à l'optique desséchante qui pense pouvoir éliminer une Tradition, cependant seule capable de donner le sens de ce qui est écrit. Et ici, il faut réinsérer des catégories de la pensée religieuse juive et jusqu'aux données majeures de l'exégèse rabbinique, dans notre raisonnement chrétien.

Par exemple: Matthieu écrit son Évangile pour nous dire sa foi et celle de sa communauté en la messianité de Jésus. Mais nous ne pouvons arriver à une quelconque compréhension d'une idée messianique sans la tradition juive. Et il est insuffisant de se référer aux seules indications de l'Écriture pour appréhender cette réalité dont le développement est commandé par le déroulement de l'histoire juive. Il faut connaître et tenir compte du développement, du bouillonnement, que l'idée messianique a connu, précisément « en ce temps là » pour comprendre comment la naissance du phénomène « chrétien » a été possible en milieu juif.

D'où savons-nous qu'il y avait dans le peuple de la Bible une attente messianique, sinon par la tradition rabbinique? Sans cette tradition, la messianité de Jésus professée par les chrétiens, reste une pure affirmation verbale, sans aucune crédibilité. Ici même se situe l'échec de notre catéchèse dépourvue d'enracinement. Et ici nous n'entendons pas seulement la carence de « l'enseignement religieux fait aux enfants » mais la crise religieuse, la crise d'identité, la crise christologique de notre propre foi.

Aujourd'hui, l'Église n'a pas une christologie, mais au moins dix, et demain? Où cela s'arrêtera-t-il, si nous n'arrivons pas à retrouver la base véritable qui est la compréhension de l'Écriture dans une Tradition vivante?

Revenons à l'Évangile de Matthieu.

Comment saisir toute la dimension donnée à la généalogie de Jésus sans une initiation à la signification des généalogies, des générations, des engendrements qui parcourent la Bible, dans la tradition juive? Quel peut être le vrai sens de la « visite des mages » (Matthieu 2) sans connaissance du genre et du procédé midrashiques?

Que devient le « signe de Jonas » sans le midrash? la présence de Moïse et d'Élie à la Transfiguration sans référence aux rôles respectifs que leur attribue la tradition orale, à la place que leur fait la liturgie juive? Matthieu nous dit qu'après avoir vu Jésus transfiguré entre Moïse et Élie, les disciples ne virent plus que Jésus seul. Mais qui est Jésus seul, sans Moïse qui l'enracine dans toute l'existence et la double tradition (écriteet orale) du peuple juif, et sans Élie, le précurseur messianique et eschatologique qui projette ainsi jusqu'à la fin des temps la réalité de Jésus, Seigneur? C'est, avec Moïse et Élie que Jésus apparaît comme le Seigneur de toute l'Histoire des hommes: les juifs et les païens.

Des « Béatitudes», on a fait la charte de la vie chrétienne, la loi « nouvelle » que l'on commente peu souvent en référence à la Thora, sinon pour les opposer, pour substituer la loi, soi-disant « nouvelle » à la loi soi-disant « ancienne », alors que ce procédé facile est contraire à l'Évangile lui-même. « Ne vous imaginez pas que je suis venu détruire la Loi ou les Prophètes », (Matthieu, 5,17).

Il semble que le christianisme a spiritualisé à outrance ce message, comme s'il n'avait en vue que l'aboutissement final de la Révélation, alors que nous ne sommes pas arrivés au terme et ne sommes pas installés dans cet état idéal, dont nous devons cependant être les artisans, tendus entre un « déjà » et un « pas encore », Entre ces deux pôles se situe toute la dynamique chrétienne. En Jésus le « déjà » nous dit qu'Il n'est « pas venu abolir mais accomplir »; le « pas encore » nous situe dans la réalité de l'Histoire humaine marchant vers son accomplissement. Dans cette marche, le peuple juif, l'Église et tous les hommes sont compagnons de route, dans l'unique attente messianique.

Le peuple juif est là, vivant parmi nous, comme une référence, un témoin, une lumière pour que nous ne perdions pas notre propre orientation.

 

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